Le fondateur du Musée de l’Élysée, qui aimait à se décrire en «chineur à la lampe», s’est éteint dimanche
Charles-Henri Favrod, le vaste monde
Au petit matin parisien, voici Charles-Henri Favrod. Foire aux vieux
papiers, porte de Montreuil. Il précède les marchands et le lever du
jour, lampe de poche à la main, fouillant de l’autre ces bacs où
dorment les images. Effeuillage de cristaux sensibles où le regard fait
son marché. Tirages jaunis, fragiles daguerréotypes, témoins des débuts
d’un art que ce Vaudois n’aura eu de cesse de collectionner, de
préserver, de valoriser et de stimuler. Jusqu’à dimanche. Ce
merveilleux chineur a éteint sa lampe, disparu à l’orée de ses 90 ans.
On l’aurait cru photographe, tant Favrod a servi cet art auquel il a
dédié un vaste musée, celui de l’Élysée à Lausanne, mais aussi sa vie.
Il était surtout cet infatigable collectionneur d’images, qui serait au
collectionneur ce que le passionné est au spécialiste. Un bâtisseur de
ponts plutôt qu’un amasseur de pierres.
À voir et à comprendre
Son appétence curieuse faisait dialoguer l’œil et l’esprit. S’il était
aussi journaliste, homme de lettres, directeur de collection, essayiste
ou producteur de cinéma, c’était avec ce souci de donner à voir et donc
à comprendre. «La photographie retient mon intérêt parce qu’elle me
fournit de l’information. Désir de reconnaître, plaisir de regarder. Et
sans doute aussi parce qu’elle me permet de tromper un peu la mort»,
écrivait-il dans Tout ça (Bernard Campiche Éditeur) avant d’être trompé à son tour.
L’image comme inventaire du monde. Grâce à elle, il voyage malgré une
adolescence turberculeuse. Plongé dans la collection complète de L’Illustration
empruntée à la bibliothèque de son sanatorium de Leysin, il rêve à ce
qui se grave sous ses yeux. Avant de s’évader pour documenter
l’Histoire à son tour.
Après sa licence en lettres obtenue en 1952, ce natif de Montreux se fait journaliste de terrain, reporter pour la Gazette de Lausanne.
C’est l’Indochine, l’Afrique ou l’Amérique qu’il documente en textes,
en images, et en ouvrages. Puis surtout l’Algérie, dont ce bourlingueur
est fin connaisseur et pour laquelle il se fera aussi acteur,
favorisant la mise sur pied des négociations de paix entérinée par les
Accords d’Évian.
Figure tutélaire
Au fil de ces infatigables pérégrinations, sa collection d’images
s’agrandit. Il en présente quelques joyaux dans une exposition au Musée
des arts décoratifs de Lausanne, en 1982, intitulée La Puissance du regard.
«Avec mon pote Michel Van den Eeckhoudt, on en avait entendu parler. On
a fait le trajet de Bruxelles pour venir le trouver à Saint-Prex», se
souvient Hugues de Wurstemberger, photographe dans la capitale belge
après avoir grandi à Fribourg. «Il nous a reçus dans sa maison au bord
du lac. Assis entre une bouteille de blanc, un clavecin et un Duchamp
au mur, on a causé pendant trois heures… On ne s’ennuyait pas l’ombre
d’une seconde avec lui!»
Les jeunes photographes en profitent pour présenter leur travail à cet
homme qui deviendra pour eux une figure tutélaire. Favrod saura s’en
souvenir en organisant sa première exposition au Musée de l’Élysée,
qu’il dirige après l’avoir créé en 1985. À l’étage, l’immense Raymond
Depardon présente San Clemente. Dans les sous-sols, Hugues de Wurstemberger accroche son premier reportage.
Formidable passeur
Oui, on le disait familier des grands artistes – Malraux, Sartre,
Bouvier, Cocteau ou Vian –, mais c’est surtout des photographes qu’il
se fait apprécier, pour l’énergie qu’il met à faire rayonner leur
talent. Ami d’Henri Cartier-Bresson, il restera proche de René Burri ou
de Robert Frank qu’il parvint même à réconcilier avec la Suisse.
Ses grandes expositions restent en mémoire autant que son rôle de
passeur, circulant librement entre les régions linguistiques, entre les
institutions, entre les artistes eux-même. «C’est important pour un
jeune photographe de pouvoir montrer ses travaux à une personne qui
sait les regarder. Et lui était quelqu’un capable de vous ouvrir à la
fois l’esprit et l’horizon. C’était un homme de culture mais aussi de
réseaux», se souvient Hugues de Wurstemberger.
Le directeur restera dix ans à la tête de son Élysée avant d’être mis à
la retraite. Un mot qui lui seyait particulièrement mal. En 2006, il
inaugurait un nouveau musée de la photographie, à la demande de la
Fondation Alinari à Florence où sa collection repose. Des milliers de
clichés qu’il continuait à explorer et à partager. Récemment, trois
ouvrages ont été publiés, toujours chez Campiche, où l’on
s’émerveillait de ces merveilleuses trouvailles. Le dernier, paru il y
a quelques mois, s’intitule Le Vaste Monde. Et ce mot, avec lequel il y concluait son ultime préface: «La photographie est ce qui permet enfin de voir autrement.» Un regard dont il n’aura cessé de célébrer la puissance.
THIERRY RABOUD, Le Courrier, 16 janvier 2017
Le grand homme de culture vaudois, fondateur du Musée de l'Élysée, s'est éteint dans sa 90e année ce dimanche
Il était né en 1927, une année de prouesses technologiques avec la
première conversation téléphonique transatlantique entre New York et
Londres, l’année des exploits avec Charles Lindbergh à bord du Spirit
of St. Louis. Depuis… Charles-Henri Favrod a accompagné la modernité
d’un sens éclairé, toutes les modernités ou presque lorsqu’il avouait
conserver une préférence pour son stylo et sa machine à écrire. Une
petite résistance, un petit rien mais un vrai trait de caractère de
celui qui vient de disparaître en homme de toutes les appétences
qu’elles soient géopolitiques, culturelles, historiques et avant tout
humaines.
Et parmi ses innombrables compétences – il a été journaliste, reporter
de guerre, écrivain, historien, directeur de collections aux Editions
Rencontre, fondateur et directeur du Musée de l’Élysée à Lausanne,
producteur de portraits d’hommes politiques mais encore esthète et
collectionneur – c’est cet ancrage dans le temps qui passe et qui
évolue que met en avant Gilbert Salem au moment de se souvenir de celui
qui allait avoir 90 ans en avril et que le chroniqueur de «24 heures»
considérait comme son père spirituel. «Bien sûr que comme passionné de
photo, Charles-Henri Favrod aimait l’argentique, mais il aimait aussi
le numérique, la preuve il avait lancé la numérisation des collections.
Il était attentif à tout ce qui se faisait, à tout ce qui se passait,
il était curieux de tout.» Un savoir appréhender le monde par l’angle
de l’audace, une envie infinie de le découvrir qui avaient conduit le
jeune Vaudois de 18 ans devant la porte des plus grands écrivains –
Cocteau, Breton, Saint-John Perse – lorsqu’il sort pour la première
fois de Suisse et gagne Paris en 1945.
Le culot faisant ses preuves, l’étudiant ose encore, trois ans plus
tard, se faufiler en président des Belles-Lettres jusqu’à la porte de
Jean-Paul Sartre et décroche l’autorisation de monter les Faux-Nez à
Lausanne. «Il était encore en robe de chambre à 11 heures, le Vaudois
que j’étais avait trouvé ça un peu étonnant», raconte-t-il dans son
Plan Fixe. Mais ce qui n’étonne pas Gilbert Salem, c’est ce sens de
l’autodérision mâtiné de l’art réservé aux grands modestes d’atténuer
les succès comme les honneurs. «Peu importe le moment ou la situation,
Charles-Henri Favrod avait toujours une anecdote à raconter avec un
humour pince-sans-rire à l’anglaise et j’espère qu’il a pu le conserver
jusqu’au dernier moment. Je me souviens d’un voyage en Chine qu’il
avait fait avec le Musée de l’Élysée et de l’invitation personnelle
reçue pour un dîner avec le ministre des Affaires étrangères. Lui qui
adorait la cuisine chinoise se réjouissait tellement mais ils ont voulu
lui faire honneur en l’emmenant dans le Kentucky Fried Chicken qui
venait d’ouvrir à Pékin où des centaines de personnes faisaient la
queue. Quels rires! Et il racontait ça, toujours avec cet accent
impeccable.»
Descendant d’une famille du Pays-d’Enhaut, petit-fils d’un paysan
montreusien aux terres convoitées pour construire le futur Montreux
Palace, fils d’un commerçant de vins et de liqueurs, sa maman voulait
qu’il devienne quelqu’un. «Il l’est devenu en fin connaisseur du monde
tout en restant ce Vaudois de souche mais, analyse Gilbert Salem, avec
une tête qui dépasse, c’est peut-être ce qui a fait qu’il intimidait,
c’est peut-être cette carrure qui lui a valu ses soucis avec son
canton. Sa collection de photos, il voulait la lui donner, ça ne s’est
pas fait! Elle est à Florence au Musée qu’il a été chargé de créer et
croyez-moi, là-bas, on dit Signore Favrod.» Là où on l’appelle, mais
surtout l’envie d’être là où les choses se passent, Charles-Henri
Favrod avait d’abord mis son appétit d’un monde en mouvement au service
de son premier métier: journaliste. «C’est comme ça qu’il se
définissait, note Gilbert Salem. C’était un immense journaliste. Grand
reporter pour la «Gazette de Lausanne» ou pour la radio, il avait
insisté pour partir et avait fait le tour de la Méditerranée en 1952.
Et celui qui voulait voir pour comprendre est devenu un très grand
connaisseur du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne d’ailleurs avant
la conclusion des Accords d’Évian, il était en coulisses en
facilitateur entre les gouvernements français et algérien.»
Au fur et à mesure des souvenirs qui s’accumulent, les statures
abondent, se mêlent, se confondent avec la peur d’oublier quelque
chose, il y en a tellement! L’homme de lettres, le Vaudois fertile,
l’infatigable voyageur, l’humaniste, l’érudit, une cheville ouvrière de
la création du Théâtre de Vidy. l’homme d’une famille et, bien sûr, le
passionné d’un médium qui permet aux fureteurs d’enregistrer le monde.
«La photographie, pour moi, est souvent une preuve d’amour.
C’est quelque chose qui vous trouble profondément parce que vous vous y
introduisez, si elle est bonne, ça devient très vite une image mentale,
vous la mémorisez d’une façon particulièrement durable, je pense que
c’est une des images que l’on voit à son dernier jour», disait-il dans
Plan fixe. Charles-Henri Favrod a encore eu ce savoir sensible de ne
jamais jouer les mots contre les images, le Saint-Preyard a su aussi
reconnaître ses limites, par exemple de photographe, un peu… aidé par
Henri Cartier-Bresson. «Il le rencontre alors qu’il était en train de
faire des photos et c’est là, rapporte Gilbert Salem, que Cartier
Bresson lui dit: «Monsieur vous photographiez avec votre nombril alors
que c’est avec vos yeux que vous devez le faire! Depuis, il n’a plus
fait de photos, il a collectionné celles des autres avec l’art que l’on
sait.»
24 Heures, 16 janvier 2017
Les inestimables photographies de la collection de Charles-Henri Favrod
Le troisième tome de photos issues de la prestigieuse collection de
Charles-Henri Favrod vient de paraître dans la série campImages. Il est
centré sur la notion d’exotisme. Une brève introduction intitulée «Le
Vaste Monde», par Favrod lui-même, pose quelques jalons nécessaires.
La première partie du XIXe siècle est marquée par la découverte des
sociétés dites primitives et voit naître un grand intérêt pour
l’anthropologie. La photographie va participer à ce mouvement. Elle se
met aussi au service de l’archéologie: le daguerréotype permet par
exemple de relever beaucoup plus rapidement les hiéroglyphes que le
dessin. Les expéditions et voyages en Afrique, Asie et Océanie sont
désormais accompagnés par des photographes, mais les temps de pose
restent bien longs. On notera donc, dans de nombreuses photos, le
caractère figé des personnages, saisis de face et dans un décor parfois
artificiel. En 1880, la première reproduction d’un cliché dans un
journal (le Daily Herald) marque le début du reportage photographique.
L’exotisme et l’orientalisme ne disparaissent pas, mais se trouvent
modifiés par la technique nouvelle: ils ont désormais un caractère
moins romantique et plus scientifique. Mais ils gardent leur ambiguïté.
L’Europe sûre d’elle-même domine le monde. Elle veut éduquer les
«barbares» en commençant par les photographier.
Parcourons donc cet ouvrage composé de photographies intéressantes,
souvent esthétiquement belles, parfois insoutenables de cruauté, et
toujours révélatrices du rapport du «civilisé» avec l’Autre.
L’intention de présenter ces peuplades primitives comme «sauvages» est
évidente: en témoignent la nudité très fréquente des corps, ainsi que
ces scènes de préparation de cannibalisme, de crucifixion au Japon, de
torture ou d’étranglement en Chine.
Certaines photographies présentent cependant un réel intérêt
ethnographique et échappent à ce regard condescendant, telles les
prises de vue à Java révélant le détail des costumes et des éléments
d’architecture.
On remarquera la présence de plusieurs photos de groupe se livrant à
une même activité: ouvrières d’une plantation de thé à Ceylan, équipe
agricole en Chine, rameurs de pirogues sur le fleuve Congo.
Curieusement, et même si ce sentiment relève peut-être de
l’anachronisme, ces clichés donnent aujourd’hui une idée positive de
collectivité en action, en rupture avec l’hyper-individualisme qui
caractérise notre monde occidental. Notre regard sur eux se modifie
donc avec le temps.
D’autres prises de vue ont une valeur surtout esthétique, tel ce bain
de buffles en 1868 près des pyramides du Caire, aujourd’hui entourées
de quartiers d’habitation.
L’Algérie a suscité l’activité de nombreux photographes. Les
«Mauresques» sont photographiées voilées, au contraire des Bédouines.
D’autres scènes illustrant l’Afrique arabe sont encore visibles
aujourd’hui: ainsi les marchands ou commerçants des souks. Un érotisme
diffus et orientalisant est présent dans plusieurs clichés. Enfin une
photo prise en 1856 illustre de manière emblématique le rapport de
domination coloniale: un militaire français se fait servir le café par
un petit «négrillon». Les 400 clichés réalisés par Félix-Jacques Moulin
en 1856 en Algérie, à l’aide du nouveau procédé du collodion liquide,
et dédicacés à Napoléon III, auraient par ailleurs, selon Favrod,
«largement contribué à sa grande vision d’Empire arabe».
Le phénomène d’acculturation est lui aussi visible, par exemple dans
les portraits, datant de 1869-1870, du roi et de la reine du Cambodge
(déjà sous protectorat français), vêtus en partie à l’européenne.
Un index permet de connaître quelques éléments biographiques des photographes concernés, chaque fois que cela fut possible.
Ce volume s’ajoute à la longue liste des livres de voyages de
Charles-Henri Favrod où la photo, qui reste la passion de sa vie, joue
un rôle essentiel. Quelques clichés dans ce livre, datant de 1953-1955,
sont d’ailleurs de lui.
PIERRE JEANNERET, Domaine public, No 2142
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L’exotisme du vaste monde pour les regards européens
Depuis les années 1950, Charles-Henri Favrod a parcouru le monde,
d’abord comme journaliste et photoreporter, puis comme éditeur de
livres et collectionneur de photographies, bien avant de fonder le
Musée de l’Élysée, à Lausanne. Depuis sa retraite de Saint-Prex,
l’érudit continue d’explorer son incroyable collection de tirages avec
la publication du Vaste Monde, son troisième ouvrage chez Bernard Campiche Éditeur.
Après Le Raid américain et Tout ça,
Charles-Henri Favrod met en lumière le rapport des Européens à
l’exotisme, particulièrement durant le premier siècle de la
photographie (1839-1939). On y retrouve évidemment des images
d’Afrique, dans les souks de Tunis ou à la chasse aux crocodiles sur le
Nil. Mais aussi dans un Extrême-Orient qui s’ouvrait alors au monde,
avec ses rumeurs d’opium dans le Tonkin, les théâtres nô ou kabuki au
Japon ou d’horribles images de décapitation et de crucifixions en
Chine. Dans un noir et blanc – et une mise en page – d’un autre temps, Le Vaste Monde
nous réapprend à regarder autrement selon les mots empruntés à Victor
Segalen: «L’exotisme est tout ce qui est Autre. Jouir de lui est
apprendre à déguster le divers.
CD, La Gruyère, 13 novembre 2016
«Le 19 août 1839, l'Académie des sciences de Paris rend
public le procédé photographique acquis de ses inventeurs par l’État.»
C'est par cette phrase que commence le texte de Charles-Henri Favrod en
introduction au recueil de photographies collectionnées et légendées
par lui sur le thème du Vaste Monde.
La plupart de ces photographies datent justement du XIXe siècle. A
l'époque, comme le rappelle Edith Bianchi dans sa préface, le matériel
était «volumineux et fragile». Il n'est donc pas étonnant qu'elles
aient toutes un air de famille, même si ce sont des images capturées
par des photographes bien différents les uns des autres.
Cet air de famille se retrouve en effet dans la mise en scène, évidente
dans plusieurs de ces images, la disposition frontale, les éléments de
décor, le cadrage choisis.» Comme Charles-Henri a inséré quelques-uns
de ses instantanés, pris en Afrique ou en Asie au début des années
1950, le contraste est patent avec ceux de ses prédécesseurs.
Comme aujourd'hui l'on passe davantage de temps à voir des images qu'à
lire des mots, on ne peut donc qu'apprécier la citation que Favrod fait
d'un Théophile Gautier visionnaire, même s'il parle plus haut, de
manière déjà datée, de daguerréotype: «Notre siècle affairé n'a pas
toujours le temps de lire, mais il a toujours le temps de voir.»
Les photos de ce livre d'images permettent de voyager dans le temps et
dans l'espace, surtout en Asie, en Océanie, aux Antilles et en Afrique.
Elles représentent la condition humaine: des portraits d'hommes et de
femmes faisant la pose, se livrant à un labeur ou prenant du loisir,
mais aussi quelques scènes d'esclavage, de torture et, même, un
supplicié.
Depuis son apparition, la photographie a changé le regard des hommes,
qui demeurait jusque-là quelque peu approximatif. L'expression «vaste
monde» conduit au terme «exotisme», qui, tiré du grec tardif, évoque ce
qui est extérieur, étranger. Aussi l'auteur, s'agissant de la
photographie, singulièrement en la matière choisie, peut-il la définir
«en un mot» à la fin de son texte:
«La photographie est ce qui permet enfin de voir autrement.»
Blog de FRANCIS RICHARD, 19 octobre 2016
La
photographie fait irruption, précise, abondante, incontestable. Elle
bouscule l’influence encore vive du retour d’Égypte, le rêve créole
autour de Paul et Virginie ou de l’impératrice Joséphine, le romantisme
du Voyage en Amérique ou des Orientales. Du coup, l’exotisme n’est plus
ce qu’il était et on peut reprocher à la photographie cette vérité
qu’il impose, quand la peinture exaltant encore hammam et sérail,
esclaves noirs et chevaux arabes, cèdres du Liban ou palmier des îles,
couchers de soleil flamboyants, et le désert, et la mer, toujours
recommencés. Exotisme pas mort, non, mais modifié, dans la mesure même
où la photographie en étend l’aire et en révèle des éléments nouveaux,
inconnus, étranges, qui ont pour eux l’atout d’être des faits, des
preuves.
CHARLES-HENRI FAVROD, Dos du livre
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Jusqu’à ce jour, le mot Exotisme
fut à peine synonyme de «impressions des pays lointains»; de climats,
de races étrangères ; et trop souvent mésemployé par celui plus
compromis encore de « colonial ». Sous les termes redoutables de
«littératures exotiques» on réunissait et on réunit encore tout
l’attirail clinquant d’un retour de chez un roi nègre {…}.
VICTOR SEGALEN
Tous ceux qui regarderont les photographies de ce troisième
tome de la collection de photographies de Charles-Henri Favrod seront
conviés à réfléchir et à prendre conscience de la force de témoignage
des images prises par les différents acteurs – tous Européens – d’une
transmission ethnologique et politique constitutive de la notion
d’exotisme.
L’utilisation de la photographie comme instrument de connaissance
soumis au regard de chacun de ces photographes qui ont œuvré est
affaire d’affinités justifiées par la curiosité, l’étonnement, le goût
du divers. L’afflux d’images éditées sous forme de cartes postales dont
certaines, insupportables, venant d’Extrème-Orient et illustrant des
scènes de torture, a contribué à l’établissement de sources
documentaires sur les diverses sociétés et à l’éveil du public au désir
de voyage.
La mise en scène, évidente dans plusieurs de ces images, la disposition
frontale, les éléments de décor, le cadrage choisis évoquent les
conditions de prises de vue au XIXe siècle ne disposant que d’un
matériel volumineux et fragile. De tels dispositifs modifient la
représentation de la réalité au profit d’une «science du spectacle et
de la mise en beauté du spectacle».
«Collectionner les photographies, c’est collectionner le monde», disait Susan Sontag dans son essai Sur la photographie. Pour Charles-Henri Favrod, il s’agit du Vaste Monde.
ÉDITH BIANCHI, Préface au livre Le Vaste Monde
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