Le Sentier des orpailleurs
«J’aurais pu devenir scientifique, mais par orgueil, j’ai choisi la
poésie», défi courageux, dont chacune de ces notices confirme le
bien-fondé. Courant sur plus de trente ans, ce journal au long cours –
composé de ce que l’on suppose être les notes les plus marquantes de
chaque période – éclairent un parcours dicté par l’émerveillement
devant la beauté du monde. Nature, musique, foi, écriture ou voyages
méditerranéens, Catherine Fuchs en recueille précieusement les
paillettes dans son tamis d’orpailleuse des mots, et les fait miroiter
au soleil de sa sensibilité. Gravité et sérénité, l’actualité attendra.
@MarieClaireSuisse
Catherine Fuchs
Le Sentier des orpailleurs
Catherine Fuchs a tenu des carnets sur un tiers de siècle, de
1988 à 2020. Les entrées ne sont jamais longues. Il n'y en a pas non
plus beaucoup par année, mais le temps s'y écoule. Cela ne se voit
guère que par quelques points de repères, égrenés ça et là, et de
subtils changements.
Aussi ne faut-il pas s'attendre au déroulement d'une histoire, qu'elle
soit la sienne, distillée par bribes, ou qu'elle soit celle du monde
qui l'environne. L'auteure aborde les mêmes thèmes à des années de
distance, mais, à chaque fois, avec un regard qui légèrement diffère.
Le ton, en concordance avec l'humeur du moment, change également, mais
imperceptiblement, comme si la personnalité de celle qui écrit ne
faisait que s'affirmer, s'accomplir, et qu'elle ne cessait de parvenir
à une maturité sereine, qu'il est difficile de perturber dans sa
solidité.
Bien sûr elle connaît des moments de faiblesse, mais, vite, elle se
ressaisit, poursuivant son chemin, vaille que vaille, maintenant son
cap. Autrement dit, elle est humaine, mais pas trop humaine,
puisqu'elle finit toujours, grâce à Dieu, par surmonter les obstacles
qui surgissent: «Sans Dieu, le monde est trop petit, je me cogne aux
parois de l'univers, mon âme étouffe.»
Catherine Fuchs a la foi, mais ce n'est pas une exaltée. C'est sans
doute la beauté de la nature qui la conforte en elle et qui lui fait
appréhender l'éternité. La peinture ne lui parle pas autant que la
musique qu'elle pratique, mais il y a quelques exceptions qui
confirment cette règle.
L'écriture lui est nécessaire, mais elle ne lui procure pas les mêmes
joies. Elle lui permet au moins de consigner les pépites que
l'existence lui apporte, pour ne pas perdre, même s'il est impossible
de toutes les conserver. Alors elle revient toujours à la musique,
irremplaçable: «Il y a quelque chose d'irréductible dans la musique,
les mots ne la remplaceront jamais: elle seule peut sans doute
véritablement évoquer l’indicible…»
Cependant l'écriture d'autrui la fascine: «Elle mène directement à la
conscience tragique de notre condition, à cette pauvre mais
bouleversante noblesse partagée. En cela, toute écriture est attente,
eschatologie.» L'auteur récurrent qu'elle cite est, sans surprise,
Albert Camus: «Il n'y pas de paix sans espérance.»
Elle aime le Sud et la chaleur, la Méditerranée et l'Espagne, l'Italie,
surtout la Toscane, où elle se rend, semble-t-il, chaque année à Tatti,
depuis son port d'attache de Genève. Elle aime voyager, comme Nicolas
Bouvier, dont cette splendide phrase lui revient à la mémoire un Noël:
«On espérait tout de même un miracle alors qu'il n'en faut pas attendre
d'autre que cette usure et cette érosion de la vie avec laquelle nous
avons rendez-vous, devant laquelle nous nous cabrons bien à tort.»
Elle aime pourtant l'automne, plus précisément novembre, qui permet de
lâcher prise. En 2005, elle écrit le 23 de ce mois: «Le froid est
arrivé, porté par une bise grandiose, mais le ciel est resté aussi
lumineux qu'aux plus beaux jours d’octobre...» Trois ans plus tard, le
12, elle écrit: «J’aime novembre et ses feuilles volantes, volées, sa
lumière fuyante qui semble indiquer quelque chose, une veine d'or qui
traversera l'hiver, un ailleurs possible, probable, dont les reflets
illuminent par instants les grands arbres, bientôt dénudés.»
Ce n'est donc pas simplement par orgueil, comme elle le dit le 5 mars
1998, qu'elle a choisi la poésie plutôt que de devenir scientifique. Ce
faisant, elle a certainement voulu déjà répondre à l'appel de célébrer
la beauté du monde, laquelle empêche quiconque de jamais désespérer.
Le 29 novembre 2018 - toujours novembre -, elle écrit ceci, qui est
aujourd'hui on ne peut plus de circonstance et qui pourrait apparaître
prémonitoire si ce n'était pas le symptôme d'une société sur le déclin
depuis longtemps, parce qu'utilitariste et refusant la prise de
risques: «Entre la liberté et la sécurité, la société actuelle opte
pour cette dernière. Entre la pratique et l'esthétique, la grande
majorité des gens sacrifiera cette seconde. Je rêve d'un idéal de
liberté et de beauté alors que je vis dans un monde sécurisé,
sécuritaire et qui a érigé le confort en norme absolue, loin devant
toute considération esthétique.»
Blog de FRANCIS RICHARD
Facile de parler d’oiseaux, d’olives et de fleurs alors que notre société se débat face une pandémie et tant d’autres dangers?
Mais ai-je le choix? L’art n’a-t-il pas cette mission fondamentale?
Jouer des valses sur un bateau qui sombre? S’émerveiller d’un coucher
de soleil à deux pas de la mort? Chanter, encore et toujours, l’enfant
que notre regard donne au monde: le surgissement gratuit et
bouleversant de la beauté.
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