«Bis repetita non placent»,
voilà ce que le lecteur a envie de dire après avoir lu, en hors
d’œuvre, le fait divers qui donne tout de suite le la au roman de
Daniel Abimi, lequel connaît bien le sujet des «heures les plus
sombres»…
Le 19 février 2002, en effet, une tuerie avait déjà eu lieu dans le
cinéma Moderne à Lausanne, où sont projetés des films X. Cette fois, un
été, caniculaire, La Saison des mouches, une fusillade y fait plusieurs victimes.
Tout laisse à penser que c’est un attentat. Car le tueur, «in fine»,
s’est suicidé en se faisant sauter, mais a-t-il agi seul? Est-ce un
attentat djihadiste, ou, comme les armes retrouvées datent de la
dernière guerre, d’un attentat néo-nazi?
Ce serait mal connaître l’auteur de croire qu’avec lui les choses sont
simples. Quoi qu’il en soit, le lecteur a un avantage sur les
enquêteurs: lui il connaît tout de suite l’identité du tueur, Émile
Jaques, sans savoir quels sont ses mobiles.
Deux hommes, qui sont souvent en relation et s’apprécient, mènent
l’enquête chacun de son côté dans la ville de Lausanne en ébullition,
l’inspecteur Mariani et le journaliste Michel Rod, chacun d’eux rendant
des comptes à sa hiérarchie.
Les deux hommes sont très différents: Mariani n’était pas à proprement
parler heureux, mais il se levait chaque matin et rentrait le soir
retrouver les siens; Rod, inscrit sur un site de rencontres, jamais ne
s’était senti aussi déprimé.
Ce qui va apporter une dimension planétaire à ce fait divers local et
donner une mauvaise image de la Suisse, réputée être un havre de paix,
c’est que la fusillade a été filmée avec une GoPro et largement
diffusée sur les réseaux sociaux.
Il est donc impossible à la police de cacher longtemps ce massacre que
des âmes trop sensibles ne sauraient voir. Si Mariani suit un temps la
piste d’extrême-droite avant d’être dubitatif, Rod s’intéresse aux
victimes du cinéma porno.
Comme les choses sont vraisemblablement plus compliquées qu’elles
n’apparaissent d’emblée, les deux pistes semblent au lecteur l’une
comme l’autre prometteuses, le «en même temps» pourrait bien être ici
de circonstance. Encore que…
Comme Daniel Abimi ne se contente pas de rester à la surface des choses
et qu’il aime raconter les dessous de la ville de Lausanne, dont les
habitants reconnaîtront les lieux, il gratte le vernis et révèle avec
maestria ce qu’il y a dessous.
Tous ses personnages sont très humains, même quand ils ne le sont pas
vraiment, et ses deux protagonistes découvriront la solution, malgré
qu’ils en aient, de par les liens entretenus par leurs ascendants avec
ceux qui tirent les ficelles.
Daniel Abimi aime bien faire languir le lecteur. Aussi une piste
suggérée peut-elle en cacher une autre, et la croix gammée, la croix
chrétienne, parce que les deux symboles jalonnent son récit sans que,
longtemps, l’on sache pourquoi.
Blog de FRANCIS RICHARD
La Saison des mouches. Nouvel ordre
En 2009, il n'y a guère que Corinne Jaquet, Jean-Jacques Busino, Michel
Bory et Marie-Christine Horn qui s'inscrivent dans le paysage de la
littérature noire helvétique lorsque débarque Daniel Abimi chez Bernard
Campiche Editeur qui publie Le Dernier Echangeur
où apparait Michel Rod, journaliste localier arpentant les rues
lausannoises tout comme son auteur qui a fréquenté les salles de
rédaction de la capitale vaudoise ainsi qu'un grand nombre d'estaminets
de la ville pour recueillir les confidences de ses interlocuteurs et
rédiger les sujets de ses articles tout en consommant quelques boisson
alcoolisées. C'est une époque où les collections polars ou romans noirs
n'existent pas au sein des éditeurs romands, encore épargnés par la
déferlante de récits ineptes à venir. On publie du polar l'air de rien,
comme le fait d'ailleurs Bernard Campiche expliquant que les textes de
Daniel Abimi ne sont pas des romans policiers car il sont trop bien
écrits, suscitant indignation mais également intérêt de ma part. Il
faut dire que le talentueux éditeur vaudois aussi chevronné que
solitaire (sa marque de fabrique) sait de quoi il parle, puisqu'il a
déjà publié les intrigues policières d'Anne Cuneo, ouvrages qui sont
malheureusement épuisés. Avec plus de 30 ans d’expérience, en
s’imposant ainsi comme un éditeur passionné et expérimenté ayant publié
les plus grand noms de la littérature romande dont le légendaire
Jacques Chessex, Bernard Campiche vantait les indéniables qualités
d’écriture de Daniel Abimi, tout en percevant, sans nul doute, les
frémissements de la vague d’auteurs médiocres se profilant dans le
registre de la littérature noire romande pour déferler sur les étals
des librairies avec, au final, ce phénomène de saturation qui touche
désormais le genre, ceci dans le secret espoir de reproduire le modèle
commercial de leurs idoles que sont devenus Joël Dicker, Marc
Voltenauer et autres écrivains du même acabit. Incontestablement,
Daniel Abimi ne s’inscrit pas dans cette mouvance, privilégiant
davantage l’écriture que la promotion, ce que l’on pourrait presque lui
reprocher, ceci même s’il a rencontré un succès d’estime enthousiaste à
la sortie de ce premier roman composant ce que l’on peut désormais
désigner comme la trilogie lausannoise qui se poursuit avec Le Cadeau de Noël (Bernard Campiche Editeur 2012), pour s’achever, après onze ans d’attente, dans le fracas d’un roman policier magistral, La Saison des mouches,
où l’on retrouve donc Michel Rod, désormais abstinent, ainsi que
Mariani, chef de la brigade criminelle, qui soigne toujours son
mal-être à coup d’antidépresseurs.
Après un voyage épique en Thaïlande, Michel Rod a cessé de boire et est
de retour à Lausanne au sein de la rédaction d'un journal moribond où
il conserve son emploi grâce à sa tante richissime détenant des parts
de l'entreprise. En pleine période estivale et caniculaire, la ville
est plutôt calme lorsqu'une tuerie se déroule dans un cinéma porno où
un tireur solitaire fait un carnage avant de se donner la mort. Acte
isolé ou projet terroriste d'envergure, c'est au commissaire Mariani,
en charge de l'enquête de le déterminer. Bien vite, le policier tout
comme le journaliste mettent à jour les réseaux nauséabonds d'un vieux
négationniste néonazi pédophile ainsi qu'une inquiétante congrégation
d'évangélistes fanatiques. C’est également autour de la personnalité du
juge Sandoz, un éminent juge à la retraite, que les deux hommes vont
prendre la mesure des événements tragiques qui vont les marquer à tout
jamais tandis que leurs certitudes s’effondrent au sein d’une société
dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.
L'intrigue de La Saison des mouches s'inspire d'un fait divers qui s'est déroulé à Lausanne en 2002 et où un individu a ouvert le feu dans le cinéma porno Le Moderne
en faisant deux morts et deux blessés. Mais c'est également en
s'inspirant du parcours de Gaston-Armand Amaudruz, militant néonazi et
négationniste lausannois notoire, que Daniel Abimi façonne son
personnage de Georges Amaudruz en lui permettant d'aborder le thème de
l'extrémisme de droite ainsi que les dérives du fanatisme religieux
d'une congrégation chrétienne tout en évoquant le sujet de la
pédophilie au gré d'une intrigue extrêmement sombre où l'on croise
également des figures du nazisme telles que Paul Werner Hoppe,
commandant d'un camp de concentration qui a trouvé refuge en Suisse
après la guerre, en travaillant comme jardinier-paysagiste, de
Jenny-Wanda Barkmann gardienne de camp condamnée à la pendaison et
exécutée à Gdansk ainsi que Bruno Kittel un officier SS chargé de
liquider le ghetto de Vilnius et qui disparut mystérieusement en 1945.
C'est donc autour de ce fait divers et de ces personnalités historiques
que Daniel Abimi bâtit une intrigue solide où le réalisme s'imbrique
parfaitement dans la fiction qui prend l'allure d'un thriller rythmé au
gré d'une succession d'attentats qui vont secouer cette ville de
Lausanne qu'il sait si bien dépeindre en évitant l'écueil du
polar régional qui semble fleurir dans les librairies romandes. Il
émane ainsi du texte, une atmosphère oppressante et crépusculaire où
l'on arpente les bas-fonds de la ville avant de se rendre dans les
quartiers aisés pour côtoyer cette bourgeoisie locale que le juge
Sandoz ainsi que Marie-Anne Barbier, la fameuse tante fortunée de
Michel Rod dont on avait fait connaissance dans Le Cadeau de Noël,
incarnent à la perfection. Cette justesse dans le ton et l'incarnation
des personnages, on la retrouve bien évidemment chez Michel Rod et le
commissaire Mariani, protagonistes centraux de la trilogie, évoluant
dans leurs environnements professionnels respectifs sans jamais
vraiment outrepasser les limites d'une amitié qui se désagrège au fil
du temps, tout comme leurs certitudes vis à vis du milieu
journalistique pour l'un et des institutions policières pour l'autre et
dont l'auteur restitue les fonctionnements avec des accents criants de
vérité. On observe ainsi cette fragilité qui imprègne ces deux héros en
bout de course qui semblent constamment dépassés par les événements ce
qui suscite cette sensation de malaise accentuée par la touffeur
caniculaire de cette saison estivale qui résonne comme un glas sur une
époque finissante et dont Daniel Abimi nous restitue ce sentiment de
désarroi jusqu'aux dernières lignes d'un récit d'une incroyable
maîtrise baignant dans un effroyable pessimisme qui vous foudroie
implacablement. La quintessence de la littérature noire helvétique.
Blog de CEDRIC SEGAPELLI, «Mon roman? Noir et bien serré!»
Daniel Abimi installe le chaos au cœur de Lausanne
Avec La Saison des mouches, qui s’ouvre par une tuerie dans un cinéma porno de la capitale vaudoise, les amateurs d'ambiance sombre se régaleront
La Saison des mouches,
on l’imagine campagnarde, ou alors moite, à l’autre bout du monde.
C’est pourtant au cœur de la capitale vaudoise, la ville où il est né,
que Daniel Abimi installe un été caniculaire en proie à la violence.
Après Le Dernier Echangeur et Le Cadeau de Noël,
qui plongeaient dans le milieu échangiste et de la prostitution,
l’auteur aujourd’hui installé en Normandie clôt sa trilogie lausannoise
avec un roman qui surpasse les deux autres en noirceur. Pas de gore
ici, mais des accents quelque peu désespérés sur la marche du monde,
développés dans une intrigue riche et habilement menée, sur plus de 400
pages.
Il n’en fallait pas moins pour prendre congé du journaliste Michel Rod
et du policier Mariani. Le premier a arrêté de boire, fréquente les
alcooliques anonymes, drague Tagada 12
en ligne et échappe à un licenciement de grande ampleur au sein de son
journal, protégé par sa richissime tante Marie-Anne Barbier. La
pression de l’info rapidement distillée sur le web glisse sur son cuir
de vieil investigateur attendant la retraite, et le voilà qui mène ses
propres recherches, en roue libre malgré les vertes remontrances de son
chef.
Serge Mariani, lui, a toujours la migraine, prend des antidépresseurs
le matin et des anxiolytiques le soir, va chez le psy. Le minimum pour
survivre dans une police dont les différents échelons – communaux,
cantonaux, fédéraux – semblent atteints de réunionite aiguë. «Mais ce
n’est pas propre à la police, c’est valable ailleurs dans le monde du
travail», relève l’auteur au téléphone, depuis sa maison en France. Il
s’amusera d’ailleurs à placer dans son livre une cellule terroriste qui
a récupéré la technique managériale du «management par objectifs». Mais
avant cela, tout ce petit monde se retrouve sur les dents lorsqu’une
tuerie survient au cinéma porno Le Moderne.
Massacre à l’heure des réseaux sociaux
Si l’auteur s’inspire du drame qui y est véritablement survenu en 2002,
il raconte une autre histoire, dans une scène glaçante qui invite les
lecteurs aux premières loges. Le nombre de victimes y est plus grand,
le mobile est différent, et surtout, ce que capte la caméra fixée sur
le torse du tueur va se retrouver très rapidement sur les réseaux
sociaux. Enfin, le flic Mariani a l’intuition que ce n’est que le
premier acte d’un plan bien plus ample. Alors que l’Europe est en proie
à un vague d’attentats islamistes, les enquêteurs lausannois mettent au
jour d’autres pistes, impliquant un réseau pédophile, des néonazis et
des fanatiques de la Bible, avec des racines remontant à la Seconde
Guerre mondiale. Un conflit que Daniel Abimi souhaitait aborder pour
évoquer la volatilité de la mémoire: «Tous les documents de cette
époque sont en noir et blanc, ce qui donne l’impression que c’est très
ancien, mais en fait c’était hier, et c’est comme si on avait oublié ce
qui s’est passé. C’est valable aussi pour des événements très récents.
Avec les réseaux sociaux, un événement chasse l’autre.»
Au fil du roman, si le journaliste Rod se balade, les flics, eux, se
font balader. Notamment lorsqu’il s’agit d’interpeller une cellule
néonazie hyperorganisée, dans une salle de réunion d’un hôtel de
l’Ouest lausannois. Un ballet policier que des habitants suivent depuis
leur balcon, dans une scène digne d’un film d’action, que l’auteur
semble s’être délecté à écrire: «Oui, je m’imaginais sur la terrasse
avec ces gens.»
On croise dans le livre une foule de personnages, certains en
demi-teintes, d’autres carrément abominables. Certains ont existé,
comme cette gardienne de camp de concentration dont l’exécution a été
filmée: «On trouvait ces images dans des archives, ou des ouvrages de
référence difficilement accessibles, imprimés à quelques exemplaires,
et puis tout à coup ces images se sont retrouvées sur le web. Même si
on réprouve totalement ce qu’elle a fait, ces images sont d’une
violence inouïe.» Et cela aura son importance dans l’intrigue.
D’autres figures locales, comme Marie-Anne Barbier, sont de pures
inventions: «Je n’aime pas les romans à clés, je n’ai donc pas cherché
à placer des personnes existantes en les camouflant sous un vague
maquillage.»
Roman d’ambiance
Si celui qui a été délégué au CICR et journaliste, à 24 Heures notamment, pointe sur un ton souvent ironique ou désabusé les dérives du monde actuel, La Saison des mouches
est surtout un excellent roman noir, où l’ambiance sombre est savamment
restituée à travers le regard d’un personnage, dans des situations à la
limite de l’absurde ou par un détail qui tue.
Le roman signe aussi la fin d’une époque: «Avec Rod et Mariani, j’ai
souhaité coller à la réalité des gens qui ont aujourd’hui une
cinquantaine d’années, comme moi. Ils sont déjà un peu en fin de
carrière mais doivent tenir encore quelques années, avec des valeurs
qu’on leur a inculquées qui ne correspondent plus à l’époque.»
Quant à Lausanne, l’auteur y place des scènes dans des lieux
reconnaissables, comme le quartier sous-gare ou le chemin de Bellevue
où se cachent la demeure cossue et l’extraordinaire jardin du juge
Sandoz. Il dit pourtant: «Le lieu n’a plus vraiment d’importance. Cela
aurait pu se passer n’importe où ailleurs.»
CAROLINE RIEDER, 24 Heures
Coup de chaud à Lausanne
La Saison des mouches de Daniel Abimi met en scène un journaliste et un policier sur leur terrain de jeu
Après Le Dernier échangeur (2009) et Le Cadeau de Noël
(2012), Daniel Abimi conclut sa trilogie prenant comme héros Michel Rod
et Serge Mariani. Le premier est journaliste, le second policier, leur
terrain de jeu toujours le même. Lausanne. Cette ville, l’auteur la
connaît bien pour l’avoir arpentée quand il exerçait dans la presse,
carrière dont il a aussi conservé le franc-parler comme le démontre,
avec une once de subtilité et deux de courage, l'avertissement en
préambule. Toute ressemblance écartée entre l’un de ses personnages et
un vrai militant néonazi explicitement nommé, s’ouvre La Saison des mouches, d’ores et déjà incandescente.
Tout commence par un massacre au Moderne
plus réputé pour ses sulfureuses animations en salle que pour la
pertinence de sa programmation. Comme un écho à la tragédie survenue en
2002 – ce cinéma a vraiment connu une fusillade –, les motivations du
tueur, mort sur place, restent inconnues. L’époque, les angoisses
qu’elle charrie, se chargent pourtant de combler les trous. «Attentat»
est dans toutes les bouches, comme un lancinant refrain. Mariani, lui,
n’y croit pas. Des indices lui suggèrent une autre piste, une autre
peste, aussi sombre mais plus ancienne. À tâtons, il avance, et
surtout, il hésite. Le doute. Rod connaît: lui qui oscille entre les
éternels «partir pour aller où» et «rester pour quoi faire», il se
raccroche à ce qu’il peut.
Ces vieux amis retrouveront-ils leur équilibre en s’épaulant?
L’histoire le dira peut-être. Avant cela, elle les verra creuser
profond dans le sordide et dans l’intime, déterrant des secrets de plus
en plus gros, de plus en plus lourds. Architecte habile, Daniel Abimi
prend le temps de planter son décor sans lésiner sur le rythme des
actions de son écriture. Cette ultime traversée du miroir – entre
fiction et réalité – pourra donc se faire sans avoir lu les précédents
opus.
AMANDINE GLEVAREC, Le Courrier
Et tout commença par une tuerie au cinéma porno
Désormais installé en Normandie, le Lausannois Daniel Abimi nous avait
régalé avec ses précédents ouvrages. Son tout nouveau polar, La Saison des mouches,
est une véritable explosion de noirceur en pays de Vaud. Âmes
sensibles… Les autres se régaleront de cette atmosphère glauque à
souhait, où la fiction rejoint parfois la réalité.
Ceux qui connaissent bien Daniel Abimi, entre autres ancien journaliste à 24 Heures,
le décrivent comme un homme profondément sensible. Un adjectif qui
ouvre aussi la porte au pessimisme. Et l’un des deux protagonistes
principaux de son dernier polar y versera forcément, on veut parler du
commissaire Mariani, confronté à la pire période de sa vie. L’auteur
s’inspire ici d’un fait divers réel survenu en 2002 lorsqu’un homme
muni d’un fusil d’assaut est entré au cinéma porno Moderne,
à Lausanne, abattant un homme et en blessant deux autres avant de
retourner l’arme contre lui. À partir de là, l’écrivain se lance dans
la fiction, ajoutant allègrement quelques morts dont un personnage bien
réel de la vie vaudoise, le néo-nazi et révisionniste Gaston
Amaudruz.
Le massacre prend de l’ampleur d’un point de vue médiatique, le tueur
ayant filmé son ouvrage et son «documentaire» est diffusé sur les
réseaux sociaux du monde entier. Qui tire les ficelles? C’est ce que va
essayer de découvrir aussi le journaliste Michel Rod, déjà bien éclaté.
Entre sa lutte contre l’alcool, une ambiance délétère dans sa rédaction
et sa recherche désespérée d’une âme sœur sur internet, il ne reste
guère de temps et d’enthousiasme pour travailler à fond sur ce fait
divers sanglant.
Au milieu des nombreux auteurs de polars romands – on pourrait même
dire qu’ils pullulent – le livre de Daniel Abimi se distingue par sa
construction d’une intrigue incroyablement riche, par ses personnages
principaux, si humains à tous points de vue, mais aussi par sa capacité
à se fondre dans la noirceur de l’humanité. Il y a encore cette
habileté consistant à aller plus loin que les autres dans ses
descriptions notamment du sale, du glauque. Un exemple avec ces chiens
policiers refusant d’entrer dans une demeure où flotte une odeur trop
nauséabonde pour eux. Dégoûtant? Absolument pas, le lecteur s’imprègne
totalement d’une ambiance, d’un lieu, avec l’impression d’être sur le
terrain avec les enquêteurs. On ne peut que vous conseiller cet
excellent polar.
JEAN-MARC RAPAZ, Générations Plus
Les anciens du Moderne
Ambiance glauque, chefs
incompétents, nazis pédophiles : on nage en plein air du temps. Ce
n’est donc pas tout à fait un hasard si le nouveau polar de Daniel
Abimi fait le buzz…
Bzzzzz… Paf! Sales mouches, elles sont partout en cet été caniculaire imaginé par Daniel Abimi dans son dernier polar, La Saison des mouches.
À croire qu’elles sont attirées par l’ambiance glauque et visqueuse
décrite par l’auteur, dont on avait déjà célébré l’excellent Le Baron (2015) dans ces pages. On reste d’ailleurs à Lausanne, dans ce roman qui clôture une trilogie entamée par Le Dernier Échangeur (2009) et suivie par Le Cadeau de Noël
(2012). Ici, le point de départ est un fait divers local bien connu des
Lausannois. Le 18 février 2002, vers 18 heures, un jeune homme fit
irruption dans le Moderne, le
fameux cinéma porno sous-gare, et tira vingt balles avec une arme de
service. Bilan: deux morts, dont le tireur qui s’était suicidé, et deux
blessés. L’affaire était sordide à souhait, et Daniel Abimi en extirpe
habilement tout le potentiel romanesque en l’adaptant à l’ère des
réseaux sociaux, de l’urgence climatique, de la crise des médias et de
la polarisation idéologique.
Humour sarcastique subtil
Dans une écriture sobre et efficace, mais non dénuée d’un humour
sarcastique subtil, il nous accompagne, fort d’une structure et d’une
progression aussi carrées que redoutables, dans les recoins les plus
fétides de l’abjection humaine. Le tueur du Moderne
avait-il des complices, son geste était-il commandité? Serge Mariani,
le flic, et Michel Rod, le journaliste, mènent l’enquête, sur fond de
restructuration et de licenciements dans leurs institutions
respectives. «Pour une fois qu’il se passait quelque chose dans leur
ville», comme le dit le narrateur page 84, ils ne seront en effet pas
déçus. Une secte évangélique fondamentaliste, des nazis pédophiles, des
rescapés et des bourreaux de la Shoah, un faussaire, une réunion de
terroristes au Novotel de Crissier… c’est vrai qu’ils s’en passe des
trucs dans le périmètre, d’ordinaire si paisible, entre Lutry et
Bussigny. Sans même parler des activités louches à la rue de l’Ale! Le
plus affreux dans ce roman, toutefois, ce sont les innombrables meetings et séances où s’ébrouent les chefs incompétents, les . communicants parachutés, les parasites administratifs et autres adeptes de bullet points
humiliants. Désormais exilé dans son coin perdu du Cotentin, l’auteur
devait avoir quelques douleurs à exorciser de ce point de vue. L’œuvre
est donc ambitieuse et condense avec talent de nombreuses thématiques,
témoignant d’une époque où les saletés s’agglutinent en une masse aussi
puante qu’indéchiffrable, et qui ne présage, on s’en doute, aucun happy ending rédempteur. Et si même l’alcool ne peut plus venir au secours de nos protagonistes, gageons qu’une playlist mêlant Motörhead,
Judas Priest et Bach saura égayer les lecteurs et lectrices mélomanes
dans cette plongée abyssale vers l’horreur. Paf! Je l’ai eue!
SEBASTIAN DIEGUEZ, Vigousse, 10 novembre 2023
Daniel Abimi
Bye-bye Lausanne mon amour
L’écrivain boucle sa trilogie
de polars dans la capitale vaudoise avec La Saison des mouches, plongée
vertigineuse dans les milieux néonazis et pédophiles
Daniel Abimi a écrit son premier roman depuis l’Afghanistan. Il était alors délégué du CICR et se plonger dans Le Dernier Échangeur,
enquête jubilatoire sur le meurtre d’un patron de clinique à Lausanne,
était une manière de garder le lien avec sa chère ville. Il a mis le
point final de son nouveau livre, La Saison des mouches,
à Port-Bail-Sur-Mer, petit village normand où il a élu domicile voilà
trois ans. Le célibataire endurci a viré sa cuti pour l’amour d’Émilie
Boré, une conteuse venue de ces terres battues par les vents. Ils se
rencontrent à Lausanne lors du vernissage de son récit Le Baron en 2015, font un enfant, écrivent à quatre mains un espiègle roman intitulé Bora Bora Dreams,
et larguent les amarres, direction l’océan. Ensemble, ils fondent
l’agence de communication BIM/BO édition: elle écrit des livres pour la
jeunesse, lui rédige des textes, plaquettes et autres contenus
éditoriaux pour diverses institutions, dont l’État de Vaud, pour lequel
il a travaillé dix ans. «Je suis un mercenaire heureux.»
La Saison des mouches est
une manière de prendre congé de Lausanne, sa ville – celle de son
enfance rue César-Roux, celle arpentée en tant que journaliste pour 24 Heures, Le Matin ou Le Journal de Genève,
puis terrain professionnel fertile lorsqu’il a été responsable de la
communication de Plateforme 10 et chargé de mission pour l’Office des
affaires extérieures du Canton de Vaud dans les années 2010.
À l’opposé des paysages bucoliques du Cotentin, La Saison des mouches
plonge dans les milieux pédophiles et néonazis, montrant leurs liens
parfois étroits. Le roman s’ouvre sur une tuerie de masse au cinéma Le Moderne.
Avant de se suicider, l’assassin a filmé ses meurtres. Le film fait le
tour du monde sur les réseaux sociaux. Ce n’est évidemment qu’un début.
Ce vaste roman, passionnant, fouillé et impeccablement construit, est né après l’écriture d’une nouvelle pour le journal Le Persil.
«J’y avais créé un personnage, Émile, que j’ai eu envie de retrouver.
Pour remonter son arbre généalogique, comprendre son lien à la Deuxième
Guerre mondiale, puis sa bascule dans la folie pour échapper aux
monstrueux secrets de famille.» La grand-mère tortionnaire dans un camp
nazi en Pologne de son roman est inspirée d’une figure réelle. «La
photo de son exécution publique en 1946 est disponible facilement sur
Internet. Je me suis demandé quel impact cette violence symbolique
pouvait avoir sur ses descendants.»
Daniel Abimi connaît par cœur ses quartiers lausannois, a arpenté ses
nuits avec les inspecteurs des brigades des stups ou des mœurs pour
déterrer les petits secrets d’hommes et de femmes aussi malheureux que
malfaisants. Il connaît tout autant l’ambiance survoltée et désabusée
des rédactions de l’avenue de la Gare. Excellent créateur d’atmosphère,
Daniel Abimi déploie ici une forme de lyrisme noir royalement assumée.
Ses personnages, juges, flics, bourgeoises, loups solitaires, sont
toujours à la limite du cliché, mais d’une humanité folle. «Si mon
premier roman est né d’une envie d’écrire sur l’ennui, ici je voulais
écrire sur la fin d’un monde, celui des gens de cinquante ans et plus,
le mien, sans doute.»
Mariani et Rod de retour
Reprendre son duo favori, apparu dès Le Dernier Échangeur,
tombait sous le sens, tant l’inspecteur Mariani et le journaliste
Michel Rod luttent, chacun à leur manière, pour leur survie dans des
milieux professionnels qui leur sont devenus étrangers. «Les deux ne
vivent pas très bien dans ce nouveau monde. Les journalistes ou les
flics à l’ancienne n’étaient de loin pas tous glorieux. Mais la manière
dont le monde se déshumanise, et paradoxalement s’individualise, est
terrifiante à mes yeux. Le bon côté des choses? On va finir par se
rendre compte que les démocraties, même imparfaites, sont un bien
précieux et fragile, et qu’il va falloir se battre pour les préserver.»
Lausanne, la vaudoise cosmopolite, urbaine, poétique et glauque tout à
la fois, est l’autre personnage des livres de Daniel Abimi. «Dans mon
premier roman, c’était le Lausanne des années 1980. Je m’intéressais
aux zones intermédiaires, aux stations-service, aux cafétérias des
centres commerciaux, qui sont de nouveaux endroits de sociabilisation
passionnants à observer. C’est aussi pour cela que l’on trouve feu le
cinéma porno Le Moderne dans
mon nouveau livre: on peut trouver le lieu glauque, pourtant c’était
aussi une zone de rencontres et d’échanges de toutes sortes, un
concentré d’humanité très parlant. Mais Lausanne a changé. Les points
de repère familiers ont disparu. Aujourd’hui, le Flon est flambant
neuf, le mobilier urbain contemporain a embelli la ville et rendu la
vie sans doute plus agréable à ses habitants, mais c’est un décor moins
intéressant pour un roman noir.»
S’il est entré en littérature par la porte du polar, c’est presque par
hasard. «La littérature me semblait un temple inaccessible, c’est
pourquoi j’ai passé par la porte dérobée du mauvais genre. Le polar
permet tout, surtout, il invite à ne pas nous prendre trop au sérieux.
Regarder, observer, disséquer, sourire, mais ne jamais juger.»
Lui qui rêvait enfant d’être journaliste, délégué du CICR et écrivain
n’ose plus rêver, puisque tout s’est réalisé. «Ce que j’ai aimé et ce
que j’aime toujours, dans chacun de ces métiers, c’est que j’ai pu
vivre les multiples réalités des gens dans des mondes si différents.»
Il s’est attaqué à un autre rêve secret, projet mille fois entamé et
remisé: raconter la vie de son père Nazim, Albanais de Serbie déserteur
durant la Deuxième Guerre mondiale, passeur de clandestins, blessé au
combat puis envoyé en Suisse par… la Croix-Rouge. Son parcours
l’obsède, reconnaît Daniel Abimi. Peut-être parce qu’il est décédé trop
tôt, en 1993. «Peut-être aussi parce qu’il aurait dû mourir à vingt ans
d’une balle dans le poumon. Peut-être aussi qu’il m’a donné le goût
étrange et douloureux de l’exil.» À sa mère suisse alémanique, Margrit,
il doit «une timidité maladive surmontée grâce à l’humour.»
Désormais, chez lui, c’est cette presqu’île sauvage et douce du
Cotentin. «De mon nouveau pays, j’aime les grandes étendues vides, le
ciel, les nuages, la pluie, le vent, les tempêtes et le silence qui
s’ensuit. Émilie, ma femme, et Lucien, notre fils, se fondent si
joliment dans ce paysage du bout du monde. Tout est à sa place.» Il
s’initie à la navigation et à la pêche au homard, «tout un art». Le
fils d’un musulman bosniaque et d’une neukatholisch saint-galloise
s’est même marié dans une église normande. Ici, il peut croire
tranquille, «au sacré, à l’infiniment beau».
ISABELLE FALCONNIER, Le Matin Dimanche, 3 novembre 2023
La Saison des mouches, Daniel Abimi
Voilà un roman noir, cela ne fait aucun doute, comme l’étaient déjà Le
Dernier Échangeur et Le Cadeau de Noël, aussi chez Campiche Éditeur. La
Saison des mouches s’est fait attendre: il a fallu plus de dix ans pour
que l’on retrouve enfin Michel Rod, le journaliste désespéré, et son
ami l’inspecteur Mariani, les deux personnages principaux de ce qui est
aujourd’hui une trilogie. Tout débute par une tuerie dans un cinéma
porno lausannois. Une tuerie inspirée par un fait divers réellement
survenu en février 2002, au cinéma Moderne. Dans le roman, c’est un
massacre. Comme dans la réalité, l’auteur de la fusillade se suicide.
Mariani est policier, il va enquêter. Michel Rod est journaliste, il va
aussi enquêter. Les deux hommes subissent sans plaisir les caprices de
leur hiérarchie. Michel Rod regrette un bon vieux temps journalistique
largement fantasmé et essaie d’arrêter de boire. C’est un roman noir,
je l’ai dit, il aborde des aspects peu ragoûtants du genre humain:
nazis, pédophiles, extrémistes chrétiens. Abimi ne fait pas dans la
nuance ni dans l’ellipse, c’est une de ses qualités d’auteur de polars.
Et les notables ne sont pas épargnés. Comme les deux premiers romans,
La Saison des mouches explore la noirceur des âmes et le désespoir.
Après avoir été journaliste, Daniel Abimi a travaillé au CICR puis dans
l’administration vaudoise. On se réjouit de lire son prochain polar.
Patrick Morier-Genoud, «Bon pour la tête»
PATRICK MORIER-GENOUD, Bon pour la tête
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Dix ans après Le Cadeau de Noël,
l’écrivain romand Daniel Abimi revient, toujours chez l’éditeur Bernard
Campiche, avec un troisième polar plutôt costaud. Ceux qui
s’attendaient à une rupture ou un nouveau départ seront un peu déçus. La Saison des mouches,
bien que plus étoffé, s’inscrit dans le prolongement des deux romans
précédents, concluant avec cohérence ce qu’on peut appeler une
«trilogie lausannoise». Au programme de ce récit parfois labyrinthique:
un puissant réseau de pédophiles protégé en haut lieu, de véritables
«djihadistes» de la Bible et des nostalgiques du nazisme bien résolus à
rétablir un nouvel ordre mondial taillé à l’aune de leurs délires.
Face à eux, deux enquêteurs déjà présents dans les romans précédents,
deux hommes passablement cabossés par la vie et de plus en plus
désabusés, le journaliste Michel Rod et le policier Serge Mariani. Le
premier a arrêté de boire. Il tient le coup en assistant régulièrement
aux séances des Alcooliques anonymes. Le second, toujours handicapé par
de terribles migraines, éprouve de plus en plus de peine à croire à son
métier. Or voilà qu’une effroyable tuerie se produit dans un cinéma
porno bien connu des Lausannois. Beaucoup de blessés et une dizaine de
morts, dont l’auteur du massacre.
Dans les coulisses d’un quotidien
Envoyé sur le front par leurs chefs respectifs, Serge Mariani et Michel
Rode tentent d’y voir plus clair dans cet acte dément dont les photos
et les vidéos se retrouvent aussitôt sur les réseaux sociaux. Ils
patinent, ils doutent, ils tâtonnent et ce qui leur reste d’énergie
s’enlise dans d’interminables réunion de travail. On se souvient à ce
propos que Daniel Abimi, né en 1965 à Lausanne, a exercé, entre autres
métiers, celui de journaliste. De quoi permettre au lecteur de pénétrer
discrètement dans les coulisses d’un fameux quotidien de la place pour
assister à des séances de rédaction assez édifiantes. Et même à une
terrifiante opération de licenciement collectif par mail interposé.
«Strictement rien dans ce récit n’est vrai, ou si peu», nous prévient
Daniel Abimi, qui déteste par ailleurs les romans à clés. Vous l’avez
compris, inutile de chercher qui se cache derrière la très riche
Marie-Anne Barbier, le juge Marc-Aurèle Sandoz, le pervers Georges
Amaudruz ou le lâche et très odieux rédacteur en chef Jean-Paul
Chevalier. La ville de Lausanne, en revanche, se livre au lecteur sans
masque ni détour avec ses beautés cachées et ses laideurs tristes.
Qu’il s’agisse de l’évocation de la rue de l’Ale, de la façade
singulière du cinéma Moderne
ou de l’arrêt de train Fleur de Lys, situé en face de l’hôpital
psychiatrique de Cery, «un de ces endroits qui n’était rien, ni ville
ni campagne», là tout est vrai. Et décrit avec cette empathie
particulière liée aux souvenirs et au vécu.
Blog de Mireille Descombes
Blog de MIREILLE DESCOMBES
Après
une tuerie dans un cinéma porno, la question est de savoir si le tireur
était un loup solitaire ou un fou parmi d’autres. Après avoir plongé
dans le milieu échangiste et celui de la prostitution, le journaliste
Michel Rod et le policier Serge Mariani se confrontent à de vieux
nazis, des «djihadistes» de la Bible et des pédophiles sans âme. En
toile de fond, ils doivent lutter contre leurs propres démons, l’un
pour ne plus boire, l’autre pour continuer de croire en la justice,
alors que leur monde s’effondre autour d’eux.
Un roman caniculaire, à ne pas lire à la plage. Après Le Dernier Échangeur (2009) et Le Cadeau de Noël (2012), La Saison des mouches est le dernier volet de la trilogie lausannoise de Daniel Abimi.
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