DANIEL ABIMI

LA  SAISON DES MOUCHES

Roman
2023. 456 pages. Prix: CHF 38.00
ISBN 978-2-88241-522-6


Biographie

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«Bis repetita non placent», voilà ce que le lecteur a envie de dire après avoir lu, en hors d’œuvre, le fait divers qui donne tout de suite le la au roman de Daniel Abimi, lequel connaît bien le sujet des «heures les plus sombres»…
Le 19 février 2002, en effet, une tuerie avait déjà eu lieu dans le cinéma Moderne à Lausanne, où sont projetés des films X. Cette fois, un été, caniculaire, La Saison des mouches, une fusillade y fait plusieurs victimes.
Tout laisse à penser que c’est un attentat. Car le tueur, «in fine», s’est suicidé en se faisant sauter, mais a-t-il agi seul? Est-ce un attentat djihadiste, ou, comme les armes retrouvées datent de la dernière guerre, d’un attentat néo-nazi?
Ce serait mal connaître l’auteur de croire qu’avec lui les choses sont simples. Quoi qu’il en soit, le lecteur a un avantage sur les enquêteurs: lui il connaît tout de suite l’identité du tueur, Émile Jaques, sans savoir quels sont ses mobiles.
Deux hommes, qui sont souvent en relation et s’apprécient, mènent l’enquête chacun de son côté dans la ville de Lausanne en ébullition, l’inspecteur Mariani et le journaliste Michel Rod, chacun d’eux rendant des comptes à sa hiérarchie.
Les deux hommes sont très différents: Mariani n’était pas à proprement parler heureux, mais il se levait chaque matin et rentrait le soir retrouver les siens; Rod, inscrit sur un site de rencontres, jamais ne s’était senti aussi déprimé.
Ce qui va apporter une dimension planétaire à ce fait divers local et donner une mauvaise image de la Suisse, réputée être un havre de paix, c’est que la fusillade a été filmée avec une GoPro et largement diffusée sur les réseaux sociaux.
Il est donc impossible à la police de cacher longtemps ce massacre que des âmes trop sensibles ne sauraient voir. Si Mariani suit un temps la piste d’extrême-droite avant d’être dubitatif, Rod s’intéresse aux victimes du cinéma porno.
Comme les choses sont vraisemblablement plus compliquées qu’elles n’apparaissent d’emblée, les deux pistes semblent au lecteur l’une comme l’autre prometteuses, le «en même temps» pourrait bien être ici de circonstance. Encore que…
Comme Daniel Abimi ne se contente pas de rester à la surface des choses et qu’il aime raconter les dessous de la ville de Lausanne, dont les habitants reconnaîtront les lieux, il gratte le vernis et révèle avec maestria ce qu’il y a dessous.
Tous ses personnages sont très humains, même quand ils ne le sont pas vraiment, et ses deux protagonistes découvriront la solution, malgré qu’ils en aient, de par les liens entretenus par leurs ascendants avec ceux qui tirent les ficelles.
Daniel Abimi aime bien faire languir le lecteur. Aussi une piste suggérée peut-elle en cacher une autre, et la croix gammée, la croix chrétienne, parce que les deux symboles jalonnent son récit sans que, longtemps, l’on sache pourquoi.

Blog de FRANCIS RICHARD

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La Saison des mouches. Nouvel ordre

En 2009, il n'y a guère que Corinne Jaquet, Jean-Jacques Busino, Michel Bory et Marie-Christine Horn qui s'inscrivent dans le paysage de la littérature noire helvétique lorsque débarque Daniel Abimi chez Bernard Campiche Editeur qui publie Le Dernier Echangeur où apparait Michel Rod, journaliste localier arpentant les rues lausannoises tout comme son auteur qui a fréquenté les salles de rédaction de la capitale vaudoise ainsi qu'un grand nombre d'estaminets de la ville pour recueillir les confidences de ses interlocuteurs et rédiger les sujets de ses articles tout en consommant quelques boisson alcoolisées. C'est une époque où les collections polars ou romans noirs n'existent pas au sein des éditeurs romands, encore épargnés par la déferlante de récits ineptes à venir. On publie du polar l'air de rien, comme le fait d'ailleurs Bernard Campiche expliquant que les textes de Daniel Abimi ne sont pas des romans policiers car il sont trop bien écrits, suscitant indignation mais également intérêt de ma part. Il faut dire que le talentueux éditeur vaudois aussi chevronné que solitaire (sa marque de fabrique) sait de quoi il parle, puisqu'il a déjà publié les intrigues policières d'Anne Cuneo, ouvrages qui sont malheureusement épuisés. Avec plus de 30 ans d’expérience, en s’imposant ainsi comme un éditeur passionné et expérimenté ayant publié les plus grand noms de la littérature romande dont le légendaire Jacques Chessex, Bernard Campiche vantait les indéniables qualités d’écriture de Daniel Abimi, tout en percevant, sans nul doute, les frémissements de la vague d’auteurs médiocres se profilant dans le registre de la littérature noire romande pour déferler sur les étals des librairies avec, au final, ce phénomène de saturation qui touche désormais le genre, ceci dans le secret espoir de reproduire le modèle commercial de leurs idoles que sont devenus Joël Dicker, Marc Voltenauer et autres écrivains du même acabit. Incontestablement, Daniel Abimi ne s’inscrit pas dans cette mouvance, privilégiant davantage l’écriture que la promotion, ce que l’on pourrait presque lui reprocher, ceci même s’il a rencontré un succès d’estime enthousiaste à la sortie de ce premier roman composant ce que l’on peut désormais désigner comme la trilogie lausannoise qui se poursuit avec Le Cadeau de Noël (Bernard Campiche Editeur 2012), pour s’achever, après onze ans d’attente, dans le fracas d’un roman policier magistral, La Saison des mouches, où l’on retrouve donc Michel Rod, désormais abstinent, ainsi que Mariani, chef de la brigade criminelle, qui soigne toujours son mal-être à coup d’antidépresseurs.
Après un voyage épique en Thaïlande, Michel Rod a cessé de boire et est de retour à Lausanne au sein de la rédaction d'un journal moribond où il conserve son emploi grâce à sa tante richissime détenant des parts de l'entreprise. En pleine période estivale et caniculaire, la ville est plutôt calme lorsqu'une tuerie se déroule dans un cinéma porno où un tireur solitaire fait un carnage avant de se donner la mort. Acte isolé ou projet terroriste d'envergure, c'est au commissaire Mariani, en charge de l'enquête de le déterminer. Bien vite, le policier tout comme le journaliste mettent à jour les réseaux nauséabonds d'un vieux négationniste néonazi pédophile ainsi qu'une inquiétante congrégation d'évangélistes fanatiques. C’est également autour de la personnalité du juge Sandoz, un éminent juge à la retraite, que les deux hommes vont prendre la mesure des événements tragiques qui vont les marquer à tout jamais tandis que leurs certitudes s’effondrent au sein d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.
L'intrigue de La Saison des mouches s'inspire d'un fait divers qui s'est déroulé à Lausanne en 2002 et où un individu a ouvert le feu dans le cinéma porno Le Moderne en faisant deux morts et deux blessés. Mais c'est également en s'inspirant du parcours de Gaston-Armand Amaudruz, militant néonazi et négationniste lausannois notoire, que Daniel Abimi façonne son personnage de Georges Amaudruz en lui permettant d'aborder le thème de l'extrémisme de droite ainsi que les dérives du fanatisme religieux d'une congrégation chrétienne tout en évoquant le sujet de la pédophilie au gré d'une intrigue extrêmement sombre où l'on croise également des figures du nazisme telles que Paul Werner Hoppe, commandant d'un camp de concentration qui a trouvé refuge en Suisse après la guerre, en travaillant comme jardinier-paysagiste, de Jenny-Wanda Barkmann gardienne de camp condamnée à la pendaison et exécutée à Gdansk ainsi que Bruno Kittel un officier SS chargé de liquider le ghetto de Vilnius et qui disparut mystérieusement en 1945. C'est donc autour de ce fait divers et de ces personnalités historiques que Daniel Abimi bâtit une intrigue solide où le réalisme s'imbrique parfaitement dans la fiction qui prend l'allure d'un thriller rythmé au gré d'une succession d'attentats qui vont secouer cette ville de Lausanne  qu'il sait si bien dépeindre en évitant l'écueil du polar régional qui semble fleurir dans les librairies romandes. Il émane ainsi du texte, une atmosphère oppressante et crépusculaire où l'on arpente les bas-fonds de la ville avant de se rendre dans les quartiers aisés pour côtoyer cette bourgeoisie locale que le juge Sandoz ainsi que Marie-Anne Barbier, la fameuse tante fortunée de Michel Rod dont on avait fait connaissance dans Le Cadeau de Noël, incarnent à la perfection. Cette justesse dans le ton et l'incarnation des personnages, on la retrouve bien évidemment chez Michel Rod et le commissaire Mariani, protagonistes centraux de la trilogie, évoluant dans leurs environnements professionnels respectifs sans jamais vraiment outrepasser les limites d'une amitié qui se désagrège au fil du temps, tout comme leurs certitudes vis à vis du milieu journalistique pour l'un et des institutions policières pour l'autre et dont l'auteur restitue les fonctionnements avec des accents criants de vérité. On observe ainsi cette fragilité qui imprègne ces deux héros en bout de course qui semblent constamment dépassés par les événements ce qui suscite cette sensation de malaise accentuée par la touffeur caniculaire de cette saison estivale qui résonne comme un glas sur une époque finissante et dont Daniel Abimi nous restitue ce sentiment de désarroi jusqu'aux dernières lignes d'un récit d'une incroyable maîtrise baignant dans un effroyable pessimisme qui vous foudroie implacablement. La quintessence de la littérature noire helvétique.

Blog de CEDRIC SEGAPELLI, «Mon roman? Noir et bien serré!»

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Daniel Abimi installe le chaos au cœur de Lausanne

Avec La Saison des mouches, qui s’ouvre par une tuerie dans un cinéma porno de la capitale  vaudoise, les amateurs d'ambiance sombre se régaleront

La Saison des mouches, on l’imagine campagnarde, ou alors moite, à l’autre bout du monde. C’est pourtant au cœur de la capitale vaudoise, la ville où il est né, que Daniel Abimi installe un été caniculaire en proie à la violence. Après Le Dernier Echangeur et Le Cadeau de Noël, qui plongeaient dans le milieu échangiste et de la prostitution, l’auteur aujourd’hui installé en Normandie clôt sa trilogie lausannoise avec un roman qui surpasse les deux autres en noirceur. Pas de gore ici, mais des accents quelque peu désespérés sur la marche du monde, développés dans une intrigue riche et habilement menée, sur plus de 400 pages.
Il n’en fallait pas moins pour prendre congé du journaliste Michel Rod et du policier Mariani. Le premier a arrêté de boire, fréquente les alcooliques anonymes, drague Tagada 12 en ligne et échappe à un licenciement de grande ampleur au sein de son journal, protégé par sa richissime tante Marie-Anne Barbier. La pression de l’info rapidement distillée sur le web glisse sur son cuir de vieil investigateur attendant la retraite, et le voilà qui mène ses propres recherches, en roue libre malgré les vertes remontrances de son chef.
Serge Mariani, lui, a toujours la migraine, prend des antidépresseurs le matin et des anxiolytiques le soir, va chez le psy. Le minimum pour survivre dans une police dont les différents échelons – communaux, cantonaux, fédéraux – semblent atteints de réunionite aiguë. «Mais ce n’est pas propre à la police, c’est valable ailleurs dans le monde du travail», relève l’auteur au téléphone, depuis sa maison en France. Il s’amusera d’ailleurs à placer dans son livre une cellule terroriste qui a récupéré la technique managériale du «management par objectifs». Mais avant cela, tout ce petit monde se retrouve sur les dents lorsqu’une tuerie survient au cinéma porno Le Moderne.

Massacre à l’heure des réseaux sociaux

Si l’auteur s’inspire du drame qui y est véritablement survenu en 2002, il raconte une autre histoire, dans une scène glaçante qui invite les lecteurs aux premières loges. Le nombre de victimes y est plus grand, le mobile est différent, et surtout, ce que capte la caméra fixée sur le torse du tueur va se retrouver très rapidement sur les réseaux sociaux. Enfin, le flic Mariani a l’intuition que ce n’est que le premier acte d’un plan bien plus ample. Alors que l’Europe est en proie à un vague d’attentats islamistes, les enquêteurs lausannois mettent au jour d’autres pistes, impliquant un réseau pédophile, des néonazis et des fanatiques de la Bible, avec des racines remontant à la Seconde Guerre mondiale. Un conflit que Daniel Abimi souhaitait aborder pour évoquer la volatilité de la mémoire: «Tous les documents de cette époque sont en noir et blanc, ce qui donne l’impression que c’est très ancien, mais en fait c’était hier, et c’est comme si on avait oublié ce qui s’est passé. C’est valable aussi pour des événements très récents. Avec les réseaux sociaux, un événement chasse l’autre.»
Au fil du roman, si le journaliste Rod se balade, les flics, eux, se font balader. Notamment lorsqu’il s’agit d’interpeller une cellule néonazie hyperorganisée, dans une salle de réunion d’un hôtel de l’Ouest lausannois. Un ballet policier que des habitants suivent depuis leur balcon, dans une scène digne d’un film d’action, que l’auteur semble s’être délecté à écrire: «Oui, je m’imaginais sur la terrasse avec ces gens.»
On croise dans le livre une foule de personnages, certains en demi-teintes, d’autres carrément abominables. Certains ont existé, comme cette gardienne de camp de concentration dont l’exécution a été filmée: «On trouvait ces images dans des archives, ou des ouvrages de référence difficilement accessibles, imprimés à quelques exemplaires, et puis tout à coup ces images se sont retrouvées sur le web. Même si on réprouve totalement ce qu’elle a fait, ces images sont d’une violence inouïe.» Et cela aura son importance dans l’intrigue.
D’autres figures locales, comme Marie-Anne Barbier, sont de pures inventions: «Je n’aime pas les romans à clés, je n’ai donc pas cherché à placer des personnes existantes en les camouflant sous un vague maquillage.»

Roman d’ambiance

Si celui qui a été délégué au CICR et journaliste, à 24 Heures notamment, pointe sur un ton souvent ironique ou désabusé les dérives du monde actuel, La Saison des mouches est surtout un excellent roman noir, où l’ambiance sombre est savamment restituée à travers le regard d’un personnage, dans des situations à la limite de l’absurde ou par un détail qui tue.
Le roman signe aussi la fin d’une époque: «Avec Rod et Mariani, j’ai souhaité coller à la réalité des gens qui ont aujourd’hui une cinquantaine d’années, comme moi. Ils sont déjà un peu en fin de carrière mais doivent tenir encore quelques années, avec des valeurs qu’on leur a inculquées qui ne correspondent plus à l’époque.»
Quant à Lausanne, l’auteur y place des scènes dans des lieux reconnaissables, comme le quartier sous-gare ou le chemin de Bellevue où se cachent la demeure cossue et l’extraordinaire jardin du juge Sandoz. Il dit pourtant: «Le lieu n’a plus vraiment d’importance. Cela aurait pu se passer n’importe où ailleurs.»

CAROLINE RIEDER, 24 Heures

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Coup de chaud à Lausanne

La Saison des mouches de Daniel Abimi met en scène un journaliste et un policier sur leur terrain de jeu


Après Le Dernier échangeur (2009) et Le Cadeau de Noël (2012), Daniel Abimi conclut sa trilogie prenant comme héros Michel Rod et Serge Mariani. Le premier est journaliste, le second policier, leur terrain de jeu toujours le même. Lausanne. Cette ville, l’auteur la connaît bien pour l’avoir arpentée quand il exerçait dans la presse, carrière dont il a aussi conservé le franc-parler comme le démontre, avec une once de subtilité et deux de courage, l'avertissement en préambule. Toute ressemblance écartée entre l’un de ses personnages et un vrai militant néonazi explicitement nommé, s’ouvre La Saison des mouches, d’ores et déjà incandescente.
Tout commence par un massacre au Moderne plus réputé pour ses sulfureuses animations en salle que pour la pertinence de sa programmation. Comme un écho à la tragédie survenue en 2002 – ce cinéma a vraiment connu une fusillade –, les motivations du tueur, mort sur place, restent inconnues. L’époque, les angoisses qu’elle charrie, se chargent pourtant de combler les trous. «Attentat» est dans toutes les bouches, comme un lancinant refrain. Mariani, lui, n’y croit pas. Des indices lui suggèrent une autre piste, une autre peste, aussi sombre mais plus ancienne. À tâtons, il avance, et surtout, il hésite. Le doute. Rod connaît: lui qui oscille entre les éternels «partir pour aller où» et «rester pour quoi faire», il se raccroche à ce qu’il peut.
Ces vieux amis retrouveront-ils leur équilibre en s’épaulant? L’histoire le dira peut-être. Avant cela, elle les verra creuser profond dans le sordide et dans l’intime, déterrant des secrets de plus en plus gros, de plus en plus lourds. Architecte habile, Daniel Abimi prend le temps de planter son décor sans lésiner sur le rythme des actions de son écriture. Cette ultime traversée du miroir – entre fiction et réalité – pourra donc se faire sans avoir lu les précédents opus.

AMANDINE GLEVAREC, Le Courrier

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Et tout commença par une tuerie au cinéma porno

Désormais installé en Normandie, le Lausannois Daniel Abimi nous avait régalé avec ses précédents ouvrages. Son tout nouveau polar, La Saison des mouches, est une véritable explosion de noirceur en pays de Vaud. Âmes sensibles… Les autres se régaleront de cette atmosphère glauque à souhait, où la fiction rejoint parfois la réalité.
Ceux qui connaissent bien Daniel Abimi, entre autres ancien journaliste à 24 Heures, le décrivent comme un homme profondément sensible. Un adjectif qui ouvre aussi la porte au pessimisme. Et l’un des deux protagonistes principaux de son dernier polar y versera forcément, on veut parler du commissaire Mariani, confronté à la pire période de sa vie. L’auteur s’inspire ici d’un fait divers réel survenu en 2002 lorsqu’un homme muni d’un fusil d’assaut est entré au cinéma porno Moderne, à Lausanne, abattant un homme et en blessant deux autres avant de retourner l’arme contre lui. À partir de là, l’écrivain se lance dans la fiction, ajoutant allègrement quelques morts dont un personnage bien réel de la vie vaudoise, le néo-nazi et révisionniste Gaston Amaudruz.
Le massacre prend de l’ampleur d’un point de vue médiatique, le tueur ayant filmé son ouvrage et son «documentaire» est diffusé sur les réseaux sociaux du monde entier. Qui tire les ficelles? C’est ce que va essayer de découvrir aussi le journaliste Michel Rod, déjà bien éclaté. Entre sa lutte contre l’alcool, une ambiance délétère dans sa rédaction et sa recherche désespérée d’une âme sœur sur internet, il ne reste guère de temps et d’enthousiasme pour travailler à fond sur ce fait divers sanglant.
Au milieu des nombreux auteurs de polars romands – on pourrait même dire qu’ils pullulent – le livre de Daniel Abimi se distingue par sa construction d’une intrigue incroyablement riche, par ses personnages principaux, si humains à tous points de vue, mais aussi par sa capacité à se fondre dans la noirceur de l’humanité. Il y a encore cette habileté consistant à aller plus loin que les autres dans ses descriptions notamment du sale, du glauque. Un exemple avec ces chiens policiers refusant d’entrer dans une demeure où flotte une odeur trop nauséabonde pour eux. Dégoûtant? Absolument pas, le lecteur s’imprègne totalement d’une ambiance, d’un lieu, avec l’impression d’être sur le terrain avec les enquêteurs. On ne peut que vous conseiller cet excellent polar.

JEAN-MARC RAPAZ,
Générations Plus

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Les anciens du Moderne

Ambiance glauque, chefs incompétents, nazis pédophiles : on nage en plein air du temps. Ce n’est donc pas tout à fait un hasard si le nouveau polar de Daniel Abimi fait le buzz…


Bzzzzz… Paf! Sales mouches, elles sont partout en cet été caniculaire imaginé par Daniel Abimi dans son dernier polar, La Saison des mouches. À croire qu’elles sont attirées par l’ambiance glauque et visqueuse décrite par l’auteur, dont on avait déjà célébré l’excellent Le Baron (2015) dans ces pages. On reste d’ailleurs à Lausanne, dans ce roman qui clôture une trilogie entamée par Le Dernier Échangeur (2009) et suivie par Le Cadeau de Noël (2012). Ici, le point de départ est un fait divers local bien connu des Lausannois. Le 18 février 2002, vers 18 heures, un jeune homme fit irruption dans le Moderne, le fameux cinéma porno sous-gare, et tira vingt balles avec une arme de service. Bilan: deux morts, dont le tireur qui s’était suicidé, et deux blessés. L’affaire était sordide à souhait, et Daniel Abimi en extirpe habilement tout le potentiel romanesque en l’adaptant à l’ère des réseaux sociaux, de l’urgence climatique, de la crise des médias et de la polarisation idéologique.

Humour sarcastique subtil

Dans une écriture sobre et efficace, mais non dénuée d’un humour sarcastique subtil, il nous accompagne, fort d’une structure et d’une progression aussi carrées que redoutables, dans les recoins les plus fétides de l’abjection humaine. Le tueur du Moderne avait-il des complices, son geste était-il commandité? Serge Mariani, le flic, et Michel Rod, le journaliste, mènent l’enquête, sur fond de restructuration et de licenciements dans leurs institutions respectives. «Pour une fois qu’il se passait quelque chose dans leur ville», comme le dit le narrateur page 84, ils ne seront en effet pas déçus. Une secte évangélique fondamentaliste, des nazis pédophiles, des rescapés et des bourreaux de la Shoah, un faussaire, une réunion de terroristes au Novotel de Crissier… c’est vrai qu’ils s’en passe des trucs dans le périmètre, d’ordinaire si paisible, entre Lutry et Bussigny. Sans même parler des activités louches à la rue de l’Ale! Le plus affreux dans ce roman, toutefois, ce sont les innombrables meetings et séances où s’ébrouent les chefs incompétents, les . communicants parachutés, les parasites administratifs et autres adeptes de bullet points humiliants. Désormais exilé dans son coin perdu du Cotentin, l’auteur devait avoir quelques douleurs à exorciser de ce point de vue. L’œuvre est donc ambitieuse et condense avec talent de nombreuses thématiques, témoignant d’une époque où les saletés s’agglutinent en une masse aussi puante qu’indéchiffrable, et qui ne présage, on s’en doute, aucun happy ending rédempteur. Et si même l’alcool ne peut plus venir au secours de nos protagonistes, gageons qu’une playlist mêlant Motörhead, Judas Priest et Bach saura égayer les lecteurs et lectrices mélomanes dans cette plongée abyssale vers l’horreur. Paf! Je l’ai eue!

SEBASTIAN DIEGUEZ,
Vigousse,
10 novembre 2023

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Daniel Abimi
Bye-bye Lausanne mon amour

L’écrivain boucle sa trilogie de polars dans la capitale vaudoise avec La Saison des mouches, plongée vertigineuse dans les milieux néonazis et pédophiles

Daniel Abimi a écrit son premier roman depuis l’Afghanistan. Il était alors délégué du CICR et se plonger dans Le Dernier Échangeur, enquête jubilatoire sur le meurtre d’un patron de clinique à Lausanne, était une manière de garder le lien avec sa chère ville. Il a mis le point final de son nouveau livre, La Saison des mouches, à Port-Bail-Sur-Mer, petit village normand où il a élu domicile voilà trois ans. Le célibataire endurci a viré sa cuti pour l’amour d’Émilie Boré, une conteuse venue de ces terres battues par les vents. Ils se rencontrent à Lausanne lors du vernissage de son récit Le Baron en 2015, font un enfant, écrivent à quatre mains un espiègle roman intitulé Bora Bora Dreams, et larguent les amarres, direction l’océan. Ensemble, ils fondent l’agence de communication BIM/BO édition: elle écrit des livres pour la jeunesse, lui rédige des textes, plaquettes et autres contenus éditoriaux pour diverses institutions, dont l’État de Vaud, pour lequel il a travaillé dix ans. «Je suis un mercenaire heureux.»
La Saison des mouches est une manière de prendre congé de Lausanne, sa ville – celle de son enfance rue César-Roux, celle arpentée en tant que journaliste pour 24 Heures, Le Matin ou Le Journal de Genève, puis terrain professionnel fertile lorsqu’il a été responsable de la communication de Plateforme 10 et chargé de mission pour l’Office des affaires extérieures du Canton de Vaud dans les années 2010.
À l’opposé des paysages bucoliques du Cotentin, La Saison des mouches plonge dans les milieux pédophiles et néonazis, montrant leurs liens parfois étroits. Le roman s’ouvre sur une tuerie de masse au cinéma Le Moderne. Avant de se suicider, l’assassin a filmé ses meurtres. Le film fait le tour du monde sur les réseaux sociaux. Ce n’est évidemment qu’un début.
Ce vaste roman, passionnant, fouillé et impeccablement construit, est né après l’écriture d’une nouvelle pour le journal Le Persil. «J’y avais créé un personnage, Émile, que j’ai eu envie de retrouver. Pour remonter son arbre généalogique, comprendre son lien à la Deuxième Guerre mondiale, puis sa bascule dans la folie pour échapper aux monstrueux secrets de famille.» La grand-mère tortionnaire dans un camp nazi en Pologne de son roman est inspirée d’une figure réelle. «La photo de son exécution publique en 1946 est disponible facilement sur Internet. Je me suis demandé quel impact cette violence symbolique pouvait avoir sur ses descendants.»
Daniel Abimi connaît par cœur ses quartiers lausannois, a arpenté ses nuits avec les inspecteurs des brigades des stups ou des mœurs pour déterrer les petits secrets d’hommes et de femmes aussi malheureux que malfaisants. Il connaît tout autant l’ambiance survoltée et désabusée des rédactions de l’avenue de la Gare. Excellent créateur d’atmosphère, Daniel Abimi déploie ici une forme de lyrisme noir royalement assumée.
Ses personnages, juges, flics, bourgeoises, loups solitaires, sont toujours à la limite du cliché, mais d’une humanité folle. «Si mon premier roman est né d’une envie d’écrire sur l’ennui, ici je voulais écrire sur la fin d’un monde, celui des gens de cinquante ans et plus, le mien, sans doute.»

Mariani et Rod de retour

Reprendre son duo favori, apparu dès Le Dernier Échangeur, tombait sous le sens, tant l’inspecteur Mariani et le journaliste Michel Rod luttent, chacun à leur manière, pour leur survie dans des milieux professionnels qui leur sont devenus étrangers. «Les deux ne vivent pas très bien dans ce nouveau monde. Les journalistes ou les flics à l’ancienne n’étaient de loin pas tous glorieux. Mais la manière dont le monde se déshumanise, et paradoxalement s’individualise, est terrifiante à mes yeux. Le bon côté des choses? On va finir par se rendre compte que les démocraties, même imparfaites, sont un bien précieux et fragile, et qu’il va falloir se battre pour les préserver.»
Lausanne, la vaudoise cosmopolite, urbaine, poétique et glauque tout à la fois, est l’autre personnage des livres de Daniel Abimi. «Dans mon premier roman, c’était le Lausanne des années 1980. Je m’intéressais aux zones intermédiaires, aux stations-service, aux cafétérias des centres commerciaux, qui sont de nouveaux endroits de sociabilisation passionnants à observer. C’est aussi pour cela que l’on trouve feu le cinéma porno Le Moderne dans mon nouveau livre: on peut trouver le lieu glauque, pourtant c’était aussi une zone de rencontres et d’échanges de toutes sortes, un concentré d’humanité très parlant. Mais Lausanne a changé. Les points de repère familiers ont disparu. Aujourd’hui, le Flon est flambant neuf, le mobilier urbain contemporain a embelli la ville et rendu la vie sans doute plus agréable à ses habitants, mais c’est un décor moins intéressant pour un roman noir.»
S’il est entré en littérature par la porte du polar, c’est presque par hasard. «La littérature me semblait un temple inaccessible, c’est pourquoi j’ai passé par la porte dérobée du mauvais genre. Le polar permet tout, surtout, il invite à ne pas nous prendre trop au sérieux. Regarder, observer, disséquer, sourire, mais ne jamais juger.»
Lui qui rêvait enfant d’être journaliste, délégué du CICR et écrivain n’ose plus rêver, puisque tout s’est réalisé. «Ce que j’ai aimé et ce que j’aime toujours, dans chacun de ces métiers, c’est que j’ai pu vivre les multiples réalités des gens dans des mondes si différents.»
Il s’est attaqué à un autre rêve secret, projet mille fois entamé et remisé: raconter la vie de son père Nazim, Albanais de Serbie déserteur durant la Deuxième Guerre mondiale, passeur de clandestins, blessé au combat puis envoyé en Suisse par… la Croix-Rouge. Son parcours l’obsède, reconnaît Daniel Abimi. Peut-être parce qu’il est décédé trop tôt, en 1993. «Peut-être aussi parce qu’il aurait dû mourir à vingt ans d’une balle dans le poumon. Peut-être aussi qu’il m’a donné le goût étrange et douloureux de l’exil.» À sa mère suisse alémanique, Margrit, il doit «une timidité maladive surmontée grâce à l’humour.»
Désormais, chez lui, c’est cette presqu’île sauvage et douce du Cotentin. «De mon nouveau pays, j’aime les grandes étendues vides, le ciel, les nuages, la pluie, le vent, les tempêtes et le silence qui s’ensuit. Émilie, ma femme, et Lucien, notre fils, se fondent si joliment dans ce paysage du bout du monde. Tout est à sa place.» Il s’initie à la navigation et à la pêche au homard, «tout un art». Le fils d’un musulman bosniaque et d’une neukatholisch saint-galloise s’est même marié dans une église normande. Ici, il peut croire tranquille, «au sacré, à l’infiniment beau».

ISABELLE FALCONNIER, Le Matin Dimanche, 3 novembre 2023

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La Saison des mouches, Daniel Abimi

Voilà un roman noir, cela ne fait aucun doute, comme l’étaient déjà Le Dernier Échangeur et Le Cadeau de Noël, aussi chez Campiche Éditeur. La Saison des mouches s’est fait attendre: il a fallu plus de dix ans pour que l’on retrouve enfin Michel Rod, le journaliste désespéré, et son ami l’inspecteur Mariani, les deux personnages principaux de ce qui est aujourd’hui une trilogie. Tout débute par une tuerie dans un cinéma porno lausannois. Une tuerie inspirée par un fait divers réellement survenu en février 2002, au cinéma Moderne. Dans le roman, c’est un massacre. Comme dans la réalité, l’auteur de la fusillade se suicide. Mariani est policier, il va enquêter. Michel Rod est journaliste, il va aussi enquêter. Les deux hommes subissent sans plaisir les caprices de leur hiérarchie. Michel Rod regrette un bon vieux temps journalistique largement fantasmé et essaie d’arrêter de boire. C’est un roman noir, je l’ai dit, il aborde des aspects peu ragoûtants du genre humain: nazis, pédophiles, extrémistes chrétiens. Abimi ne fait pas dans la nuance ni dans l’ellipse, c’est une de ses qualités d’auteur de polars. Et les notables ne sont pas épargnés. Comme les deux premiers romans, La Saison des mouches explore la noirceur des âmes et le désespoir. Après avoir été journaliste, Daniel Abimi a travaillé au CICR puis dans l’administration vaudoise. On se réjouit de lire son prochain polar.
Patrick Morier-Genoud, «Bon pour la tête»

PATRICK MORIER-GENOUD,
Bon pour la tête

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Dix ans après Le Cadeau de Noël, l’écrivain romand Daniel Abimi revient, toujours chez l’éditeur Bernard Campiche, avec un troisième polar plutôt costaud.  Ceux qui s’attendaient à une rupture ou un nouveau départ seront un peu déçus. La Saison des mouches, bien que plus étoffé, s’inscrit dans le prolongement des deux romans précédents, concluant avec cohérence ce qu’on peut appeler une «trilogie lausannoise». Au programme de ce récit parfois labyrinthique: un puissant réseau de pédophiles protégé en haut lieu, de véritables «djihadistes» de la Bible et des nostalgiques du nazisme bien résolus à rétablir un nouvel ordre mondial taillé à l’aune de leurs délires.
Face à eux, deux enquêteurs déjà présents dans les romans précédents, deux hommes passablement cabossés par la vie et de plus en plus désabusés, le journaliste Michel Rod et le policier Serge Mariani. Le premier a arrêté de boire. Il tient le coup en assistant régulièrement aux séances des Alcooliques anonymes. Le second, toujours handicapé par de terribles migraines, éprouve de plus en plus de peine à croire à son métier. Or voilà qu’une effroyable tuerie se produit dans un cinéma porno bien connu des Lausannois. Beaucoup de blessés et une dizaine de morts, dont l’auteur du massacre.

Dans les coulisses d’un quotidien

Envoyé sur le front par leurs chefs respectifs, Serge Mariani et Michel Rode tentent d’y voir plus clair dans cet acte dément dont les photos et les vidéos se retrouvent aussitôt sur les réseaux sociaux. Ils patinent, ils doutent, ils tâtonnent et ce qui leur reste d’énergie s’enlise dans d’interminables réunion de travail. On se souvient à ce propos que Daniel Abimi, né en 1965 à Lausanne, a exercé, entre autres métiers, celui de journaliste. De quoi permettre au lecteur de pénétrer discrètement dans les coulisses d’un fameux quotidien de la place pour assister à des séances de rédaction assez édifiantes. Et même à une terrifiante opération de licenciement collectif par mail interposé.
«Strictement rien dans ce récit n’est vrai, ou si peu», nous prévient Daniel Abimi, qui déteste par ailleurs les romans à clés. Vous l’avez compris, inutile de chercher qui se cache derrière la très riche Marie-Anne Barbier, le juge Marc-Aurèle Sandoz, le pervers Georges Amaudruz ou le lâche et très odieux rédacteur en chef Jean-Paul Chevalier. La ville de Lausanne, en revanche, se livre au lecteur sans masque ni détour avec ses beautés cachées et ses laideurs tristes. Qu’il s’agisse de l’évocation de la rue de l’Ale, de la façade singulière du cinéma Moderne ou de l’arrêt de train Fleur de Lys, situé en face de l’hôpital psychiatrique de Cery, «un de ces endroits qui n’était rien, ni ville ni campagne», là tout est vrai. Et décrit avec cette empathie particulière liée aux souvenirs et au vécu.
Blog de Mireille Descombes

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Après une tuerie dans un cinéma porno, la question est de savoir si le tireur était un loup solitaire ou un fou parmi d’autres. Après avoir plongé dans le milieu échangiste et celui de la prostitution, le journaliste Michel Rod et le policier Serge Mariani se confrontent à de vieux nazis, des «djihadistes» de la Bible et des pédophiles sans âme. En toile de fond, ils doivent lutter contre leurs propres démons, l’un pour ne plus boire, l’autre pour continuer de croire en la justice, alors que leur monde s’effondre autour d’eux.
Un roman caniculaire, à ne pas lire à la plage. Après Le Dernier Échangeur (2009) et Le Cadeau de Noël (2012), La Saison des mouches est le dernier volet de la trilogie lausannoise de Daniel Abimi.

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