JULIEN BURRI

POUPÉE

Roman
2009. 72 pages. Prix: CHF 25.–
ISBN 2-88241-237-9, EAN 9782882412379

Le prix de littérature a été remis à Julien Burri en septembre 2011
par la Fondation pour la culture de l’État de Vaud.


Biographie

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Un extrait:

Tu es le plus beau bébé du monde. Une fabuleuse destinée t’attend. Laisse-moi t’habiller, dentelles, bottines vernies, petites ceintures… Laisse-moi te coiffer, te friser. Mon garçon, comme tu as grandi ! Tu étais là, avant, touche… et tu es sorti de là… Touche. Mon unique. Je te souffle dans la nuque, je te chatouille… Maintenant, au lit ! Je laisse la porte entrouverte. Je viendrai t’embrasser. Je serai en robe de chambre violette. Dans l’obscurité, je poserai mes mains sur toi. Mes lèvres, pour te protéger. Il ne faudra pas pleurer quand je partirai, il ne faudra pas.
Écarte les jambes. La doctoresse a dit que c’était trop serré, elle a dit qu’il fallait que je vérifie si tu le faisais bien. Montre-moi comme tu le retrousses. Il faut faire comme ça, ma poupée, si tu peux tirer jusque-là, moi je peux aller jusqu’ici. Il convient donc de tirer davantage. Mais de quoi as-tu peur ? Il ne peut pas se détacher ! Comme tu es fort, comme tu remues ! Ton Papa sera fier de moi et il m’aimera.

Je lui demande où est mon Papa.
Ton Papa va arriver, il est en voyage, il ne me connaît pas encore. Il va venir et il faudra me le laisser un moment… Bien sûr que je vous aimerai à parts égales, n’oblige pas Maman à un choix si cruel ! Ton Papa devra avoir une façon absurde, aveugle, de m’aimer. Je le laisserai faire. Qu’il se laisse aller à sa nature. On n’exige pas de la montagne qu’elle ressemble à la mer. Mais la mer, petit à petit, mine de rien, la mer ronge la montagne. Tu devras toujours t’en rappeler, mon petit bout.

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Petit-fils et fils-objet
Le responsable de la page Livre de Femina, Julien Burri, nous offre un récit allusif et poétique sur une enfance glaçante.

Julien a 29 ans, la voix douce et des manières courtoises à peine entachées d’une touche d’ironie. Franchement, on n’imaginait pas que derrière tant d’aménité pouvait se cacher tant de violence! Car il y a des phrases terribles dans ce bref récit, carnet de l’enfance et de l’adolescence d’un garçon que sa mère appelle «Poupée». Julien Burri n’en est pas à son coup d’essai, il a déjà publié quatre recueils de poèmes. Sa plume incisive en porte la marque.
Ce que lui dit la grand-mère: «Te voilà devenu un grand garçon. Quel dommage… ça me fait de la peine de voir comme tu grandis» ou «Hein, mon biscuit? Quand est-ce que ta Maman nous laisse une nuit en amoureux? Tu descendras dormir dans mon lit.»
Ce que lui dit la mère: «Tu n’as pas besoin d’amis» (Poupée suit des cours de patinage, seul sur la glace) ou «Ce qui est bon pour moi est bon pour toi» (elle lui donne les médicaments que le médecin lui a prescrits) ou encore «Notre fils a don pour raconter les histoires, il sera écrivain»…
Ce que lui dit un camarade: «Tu n’es pas comme nous.»
Que fait le père dans tout ça? Rien. Très absorbé dans la contemplation de la beauté de sa femme, «Papa» paraît gêné par ce garçonnet au teint de porcelaine dont la mère extrait les comédons. Chez son son fils, il semble exister surtout dans des rêverie troubles.
Comment grandit Poupée? Dans une solitude abyssale peuplée de fantasmes que l’auteur décrit à l’économie et par le biais de raccourcis très audacieux.
Que ressent le lecteur? Du froid, de l’inconfort, du malaise, de la fascination! Il n’y a pas de pathos dans cette évocation de la perversion maternelle et grand-maternelle. Via des petites scènes d’anniversaires, de vacances ou de vie quotidienne, l’écriture de Julien Burri emprunte souvent les détours de l’allusion glaçante. Peu d’émotion également dans les pages où Poupée entre en métamorphose. Pourquoi tant de précautions? Une manière, sans doute, pour l’auteur de mettre ce drôle de Poupée à distance.

LOYSE PAHUD, Femina

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La poupée qui fait non

C’est l’histoire d’une poupée. Un petit garçon que sa maman a voulu beau, élégant, et aussi lisse que la porcelaine. Dans son cocon familial comme une poupée de collection conservée dans son emballage, Poupée est enfermé. Ses parents veillent à ce qu’il soit parfait, à ce que les petits rouages dans son ventre fonctionnent sans grincer.
Poupée est la chose de sa mère. Telle une petite fille pour qui un poupon est un trésor, une «poupée vivante», la mère de cet étrange petit garçon en fait son objet, un petit objet précieux qu’il ne faut pas perdre, et que la mère garde sur elle, terrifiée à l’idée qu’il pourrait se casser, changer.
Poupée, c’est l’histoire d’une enfance. Un livre aussi étrange et beau que le petit automate de la couverture est inquiétant et mignon. Étrange, oui, comme on dit de quelque chose qu’on ne parvient pas à classer, à répertorier. Comme on dirait d’une œuvre qui nous dérange autant qu’elle nous fascine.
Julien Burri publie des livres depuis ses dix-sept ans. Poète avant tout, il a fait paraître, en 2008 un recueil magnifique, Si seulement (Samizdat), que l’on pourrait considérer comme annonciateur de cette dernière parution chez Bernard Campiche. En effet, le recueil, mettant des mots de prose poétique sur le rapport entre père et fils, préfigure quelques éléments de Poupée, en cela qu’on y trouve déjà cette déception paternelle que représente la différence du fils. Des poèmes au roman, le style change, bien évidemment, mais on remarquera toutefois une commune économie de mots, dont l’effet de pureté se fait puissamment ressentir dans les deux ouvrages. Un effet paradoxal puisque, dans l’un comme dans l’autre, il est justement question de la perte de cette pureté enfantine, de cette innocence.
Mais comment perdre sa candeur lorsqu’on est une poupée? C’est ce que raconte Julien Burri, au fil des pages, trahissant, sans vraiment d’autre possibilité, l’évidence même de ce livre, qui réside en ceci qu’il s’agit là davantage d’un petit garçon que d’une petite poupée…
Il grandit… Et ce garçon solitaire, bien qu’il reste cloîtré dans la demeure familiale, va faire l’expérience du désir, ce que Julien Burri décrit avec remarquablement, en restant toujours très allusif. Le désir comme une fuite, même si Poupée aime sa mère – il ne pourrait faire autrement…
Le temps passe et il grandit. Son corps, comme avec une certaine maladresse, se déforme. Et, de la mère, qui était omniprésente, on passe au père qui, lui, jusqu’au bout, alors que son épouse abandonne, tente de trouver le grain de sable dans les rouages de son fils: «J’ai peur que ce ne soit déjà en toi. J’ai pris des relevés, mesuré la distance entre tes épaules, la largeur de ton bassin. (…) C’est ce que je craignais. (…) La latéralisation montre que les invertis ont une préférence pour la main gauche. Je prie pour toi.» Mais, après un Rite de passage rappelant une sombre et virile coutume grecque, le fils semble persister dans sa différence, et le père n’osera plus jamais le toucher.
Poupée, véritable ovni littéraire, déconcerte par sa grande part de fantasme qui, dans un flou artistique fort intéressant, mêle étroitement les imaginaires du personnage principal et, certainement, de son créateur. Infiniment troublant, ce roman interpelle son lecteur au point même, parfois, tant les sentiments et les sensations enfantines y sont rendues avec acuité, de réveiller une part de sa propre enfance.

LUCAS VUILLEUMIER, Éphémerveille

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Zooms lancinants sur l’enfance

Julien Burri débarque avec un très bref roman, Poupée. Dans lequel se disent, en chapitres allusifs et déroutants, les fragments d’une enfance.

Quelle histoire que celle-là, qui file dans la brève mais intense septantaine de pages de ce roman, Poupée, mais quelle histoire! On la découvre qui se constitue, par fragments, dans ces dix-huit chapitres où l’écriture tient à distance les événements. Et les rend lancinants. La phrase ici ne commente pas: elle donne à voir. Ce qu’a vécu celui que sa mère appelait «Poupée» et qui l’enfermait dans un temps hors du monde, et l’atrophiait par ses phrases: «Il n’y a que nous, mon cœur, ils ne viendront pas. Il n’y a que nous.»
Celui que sa grand-mère nommait «biscuit» et qui dit: «Ça me fait de la peine de voir comme tu grandis.» Celui que son père appelle «le mioche». Et que ses camarades désignent dans la différence. Dans les spires initiatiques de ce récit, un monde de porcelaine se brise et fait tomber les boucles de l’enfance. Un vertige.

JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération

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Rencontre. Le jeune écrivain vaudois nous livre avec Poupée une petite fable drôle et dérangeante, sur une famille aux tendances pathologiques.

Le désir d’écrire naît très tôt chez Julien Burri. Petit garçon, fils unique porté sur le rêve, il dictait à sa mère, d’une façon tyrannique, les histoires qu’il imaginait. Plus tard, son deuxième roman surgit de son esprit avec la visite de l’atelier de François Junod, automatier à Sainte-Croix. Le jeune auteur de recueils de poésie et d’un roman, Je mange un boeuf (Editions de l’Aire, 2001), est fasciné. Le personnage de Poupée, mi-automate mi-enfant, naît. «Cette rencontre a fait ressortir des obsessions qui me travaillaient. Ce personnage, cette famille sont apparus, je n’avais pas du tout l’intention de régler des comptes ou de faire une thérapie», commente Julien Burri .
Il faut dire que son petit roman Poupée a soulevé quelques réactions d’animosité envers les personnages des parents, une mère castratrice et un père indifférent. «Mon livre parle bien de mon enfance, mais à travers un angle précis. Il y en a d’autres, mais j’ai suivi la direction que m’inspirait mon personnage, il s’agit bien d’une fiction. J’ai d’ailleurs de la chance que mes parents, avec qui je m’entends très bien, soient aussi compréhensifs.» Lorsque la syndique de Renens Marianne Huguenin, dans l’émission «Tard pour bar» de la TSR, a dit à quel point les parents de Poupée étaient affreux, les parents de Julien ont eu de la peine à réaliser qu’elle parlait des personnages et non d’eux-mêmes.
Or les protagonistes du roman ne sont pas très fréquentables. La mère a tendance à réifier son fils, à le traiter comme une poupée justement, tout en l’adorant au point de se battre avec sa propre mère pour avoir l’honneur de le torcher, et le père montre peu son affection. Pendant ce temps, Poupée écrit, son histoire, celle de sa mère, celle de son père. «Au début, ces personnages ressemblaient à des silhouettes, puis j’ai essayé de leur donner plus de chair, pour montrer qu’eux aussi étaient prisonniers, ce sont presque des poupées aussi», dit Julien Burri à propos de ces personnages caricaturaux dont les excès font rire en couleurs, noir et jaune. Quant à l’ambiguïté de l’enfant, dont on ne sait trop si c’est une marionnette ou un être de chair et de sang, elle permet de donner une dimension fabuleuse à ce roman, qui n’est pas ponctué par un drame, mais traversé par une tension constante, une ambiance parfois inquiétante. «J’aime bien faire sentir sans expliquer, et j’aime bien l’idée que tout soit finalement normal dans cette famille.»
La tension naît notamment de la relation tout de même dévoratrice de la mère à l’enfant, mais aussi des explorations sexuelles de Poupée, dérangeantes. «Pourtant, je ne voulais en aucun cas choquer gratuitement. Il me semble qu’il est normal pour un enfant d’explorer sa sexualité. Simplement, c’est dit crûment, et tout est dans le contraste avec le ton généralement naïf du livre et l’idée du garçon modèle que se font les parents de Poupée. En réalité, le sexe est évacué, puisqu’il s’agit des actes d’un petit garçon, mais ça prend de la place et fait irruption dans ce joli petit monde. D’ailleurs, j’ai supprimé des passages qui relevaient du cliché ou qui ne faisaient pas partie de la sexualité d’un petit garçon, mais qui tenaient plutôt de la vision d’un adulte.»
Malgré cela, une lectrice lui a écrit pour lui dire qu’elle avait vomi à la lecture de ces scènes et n’avait pas dormi de la nuit. «Je suis désolé pour elle, mais je crois que sa réaction est tellement forte qu’elle ne vient pas que du livre, mais de son propre vécu. Cela dit, je suis flatté, j’aime faire de l’effet! Il n’y a rien de pire que l’indifférence.»
Après les explorations de l’homosexualité, viennent la solitude de l’adolescence, et le rejet de l’enfant par le père, et le livre se conclut sur une rencontre faite de non-dits entre Poupée, devenu un jeune adulte et son père. «En fait, Poupée se sauve de cette famille étouffante à travers son corps.» Ce corps trouve une autre résonance encore dans sa poésie, notamment dans Si seulement (Editions Samizdat, 2008), puisque Julien Burri estime que la différence entre sa poésie et sa prose tient en une plus grande proximité avec le corporel, l’impossibilité de tricher en se cachant derrière les masques des personnages et le désir d’éliminer le surplus lorsqu’il fait des vers. On lui souhaite d’oser un jour s’attaquer à un roman plus long, même si son travail de journaliste, tout en lui permettant d’exercer son écriture, l’oblige à créer par instants volés dans le petit matin, ce qui le prédispose aux formes courtes, d’autant plus qu’il juge que savoir écrire, c’est aussi savoir couper.

LAURENCE DE COULON, La Liberté

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Une drôle de poupée

Le jeune auteur lausannois Julien Burri publie Poupée, un roman, aux Editions Campiche. Un récit aussi bref qu'ambigu, sur lequel Rolf Kesselring s'est penché.

Est-ce que la littérature est comme la bonne cuisine? C'est une question qu'on peut se poser en prenant dans ses mains, lecteur gourmand, le roman de Julien Burri récemment paru chez Bernard Campiche.
Surpris par la légèreté de cet ouvrage je l'ai rapidement lu; et quand je parle de légèreté, c'est bien sûr au sens littéral. Il s'agit d'un volume (le mot n'est pas vraiment approprié, je le sens) d'à peine une septantaine de pages.

Ce geste indigeste

Ce qui me frappe quand je parle de restaurants, avec les gens d'ici, c'est un geste: mains arrondies décrivant dans l'espace une copieuse courbe au-dessus d'un plat imaginaire. Les mêmes ajoutent toujours ce commentaire surprenant: «On y mange vraiment bien»...
Je suis donc obligé d'en déduire que ces mangeurs jugent une table à la quantité contenue dans son assiette. Moi qui croyais que les saveurs et le savoir-faire étaient les véritables critères servant à qualifier une bonne table et le plaisir du bien manger! Ce geste indigeste me met toujours dans un état de désespoir, comme me tourmente le plat débordant d'une nourriture faite d'à peu près insipide et de produits chagrins. Quantité n'est jamais synonyme de qualité.
J'ai l'impression qu'il en va de même pour la littérature.

Un auteur qui promet

Ceci dit (ou écrit) pour que vous compreniez ce qui a fait que j'ouvre ce livre-là, plutôt que d'autres qui se trouvaient dans le même colis. Sur les rabats de la couverture (habitude de l'éditeur Campiche, qui ne met jamais les prières d'insérer en quatrième de couverture) j'ai d'abord découvert le portrait de l'auteur.
Jeune, il est né à Lausanne, en 1980 (qu'est-ce que je faisais en 1980?), le regard glacé de ceux qui ont la prunelle claire, le crâne rasé (à la mode du temps), beau à provoquer des frustrations chez les mâles et des pâmoisons vertigineuses chez les jouvencelles, il fixe l'objectif avec un sérieux d'hypnotiseur convaincu de son pouvoir.
En-dessous de cette photographie, quelques lignes, brèves, pour m'expliquer qu'à dix-sept ans, déjà, il avait publié un recueil de poèmes intitulé La Punition, et qu'il reçut le «Prix des Jeunes auteurs» pour une pièce de théâtre dont le titre était L'Étreinte des sables.
Il a publié ensuite un récit (Je mange un Bœuf, aux Éditions de l'Aire) et, enfin, ce petit roman que j'allais découvrir et qui m'intriguait. Il s'agissait donc d'un jeune auteur qui promettait. Il fallait que j'explore son univers, toute affaire cessante.

L'ambiguïté de Poupée

Il y a la mère, le père, et Poupée. Il y a l'entourage, les grands-parents, les frères et tous les autres. Tout se passe comme dans la vraie vie.
Lui, on l'appelle donc Poupée. C'est la mère qui lui a donné ce sobriquet. Au début on ne comprend pas vraiment pourquoi. Puis, peu à peu cela s'explique. Chapitres courts, récit par Poupée, récit de la mère, du père, de la grand-mère, les protagonistes restent flous malgré leur omniprésence. Tous font partie du roman de Poupée. Tous tentent de s'imposer, mais Poupée s'impose.
Fascinante écriture morcelée, ressac de mots qui forme une marée fuyante, équivoque. L'ambiguïté de Poupée apparaît agaçante et pourtant patente. Qui est-elle? Qui est-il véritablement?... La réponse existe dans les premières pages: «Tu seras toujours propre, tu es un ange. Les poupées n'ont pas de pollution nocturne.»

Le piège

Malgré la déroute, le doute, que provoque ce récit peu ordinaire dans l'esprit du lecteur, ce dernier ne peut s'évader. Il est pris au piège comme un insecte. Il tente de savoir, de comprendre.
Entre ce père qui apprend à Poupée à se masturber correctement et cette mère (sans parler de la grand-mère!) qui oblige l'enfant à vivre son rêve de femme obstinée, inconsciente, l'enfant est prisonnier tout comme le lecteur/observateur de cette existence indécise.
Fils du père, poupée de sa mère, l'enfant grandit, une cruauté profonde le ronge. Il est ballotté. Ne lui reste que le silence. Cet espace qui protège et rassure tous ceux qui ressentent leurs faiblesses, leurs désespoirs, leur solitude.
Déroutant petit livre. Peu de pages, peu de jubilation, pas d'enthousiasme. Serait-il possible que le mal-vivre dû à une éducation troublée ne puisse s'exprimer que d'une manière avare?
La clé de ce petit ouvrage se trouvera aussi dans les deux dernières lignes du récit qui débutent ainsi: «C'est dommage...». Elles expliquent tout.

ROLF KESSELRING, swissinfo.ch

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Un garçon dans une poupée

Après Je mange un bœuf, le Lausannois Julien Burri s’enferme avec Poupée dans une peau de porcelaine.

Le texte est bref, le verbe efficace. Julien Burri propose avec Poupée un petit roman étouffant, qui enferme son protagoniste – Poupée – dans des parois de porcelaine, derrière des petits yeux de verre: «Poupée construit sa coquille, s’enrobe avec des couches de nacre de plus en plus épaisses.» C’est le drame, assez banal, de l’enfant couvé, rêvé, fagoté par sa mère, livré aux femmes et à leurs jeux vénéneux. Vertiges, angoisses, égoïsme, Julien Burri convoque tous les clichés du genre jusqu’à la caricature, jusqu’au kitsch, livrant Poupée aux délires des désirs parentaux, aux incertitudes du sexe (fille? garçon?), aux faiblesses faussement toutes-puissantes de l’enfance, au parfum de la mort omniprésent. Étrange et parfois désagréable impression d’enfermement pour le lecteur, mais tension constante que l’auteur lausannois, dont c’est le second récit après Je mange un bœuf, parvient à tenir. Tentative de dire, sur le mode du conte cruel, quelque chose d’un malaise qui perdure une fois Poupée grandi et le livre refermé.

ÉLÉONORE SULSER, Le Temps

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Poupée de Julien Burri

Comme un Pinocchio malmené

C’est par la poésie que Julien Burri, né à Lausanne en 1980, est entré en littérature. Après un premier roman, Je mange un bœuf, publié en 2001, Poupée sort ces jours chez Campiche et confirme, en prose, une écriture directe et dense.
Poupée vit avec ses parents – sa maman au visage beau «comme un tableau mouvant», son papa que sa propre mère dit avoir raté – et ses grands-parents, dans une « maison de nains ». Poupée fait du patinage artistique; sa mère croit très fort en son «génie précoce»; à l’école, on lui tire les cheveux. Poupée est un jouet, avec ses beaux habits, sa voix aiguë, sa belle obéissance à tout ce qu’on lui dit: tu es un ange, rhabille-toi, tu vas attraper froid, ça me fait de la peine de voir comme tu grandis…
Poupée est souvent triste ou en colère; Poupée se sent sale. Il faut dire que sa maman n’aime pas sa vie, ses illusions ont mordu la poussière, et c’est Poupée qui balaie. Son papa est souvent absent, il travaille beaucoup, pour ne pas perdre maman. «Quand j’aurai les yeux bleus, papa m’aimera», pense Poupée.

Poupée est un petit garçon.

Le deuxième roman de Julien Burri tient en moins de 70 pages. Il raconte principalement l’enfance de Poupée, qui pourrait ressembler à l’enfance de n’importe quel petit garçon (avec ses vacances, ses jeux, ses découvertes, ses voyages), s’il n’y avait pas l’incapacité à se faire des amis, la tristesse presque omniprésente, et puis ces gestes déplacés venant de sa mère, et le scandale de ce père qui le force à apprendre «comment meurt un homme»…
Jouant avec la vocabulaire du corps (applicable aussi bien à un humain qu’à un automate), Burri fait de son protagoniste un pantin manipulé, non sans empathie pour ses autres personnages – cette mère qui voit déjà son fils écrivain, qui en est si fière, qui regrette beaucoup de choses, s’excuse souvent, et lui refile ses antidépresseurs, et ce père à l’enfance difficile, désemparé devant ce garçon pas comme les autres, qui se dit qu’il aurait dû en faire un deuxième, pour être sûr d’avoir des petits-enfants.
Découpés en brefs chapitres, eux-mêmes constitués de phrases simples et courtes, Poupée laisse beaucoup d’espace entre les mots, qui n’en prennent que plus de poids et d’éclat, même lorsqu’il s’agit de décrire l’étouffant silence qui clôt le roman. Par ses oscillations entre cruauté et espoir, et par le biais des différents points de vue utilisés pour raconter son histoire, le texte parvient à enfermer le lecteur dans une enfance étrange, dérangeante, celle d’un Pinocchio martyrisé, mais qui s’en relèvera – abîmé, et vivant.

BRUNO PELLEGRINO, Le Passe-Muraille
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Remarques des participants au prix littéraire Roman des Romands

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