Vous pouvez nous commander directement cet ouvrage par courriel.
Un extrait:
Tu
es le plus beau bébé du monde. Une fabuleuse destinée t’attend.
Laisse-moi t’habiller, dentelles, bottines vernies, petites ceintures…
Laisse-moi te coiffer, te friser. Mon garçon, comme tu as grandi ! Tu
étais là, avant, touche… et tu es sorti de là… Touche. Mon unique. Je
te souffle dans la nuque, je te chatouille… Maintenant, au lit ! Je
laisse la porte entrouverte. Je viendrai t’embrasser. Je serai en robe
de chambre violette. Dans l’obscurité, je poserai mes mains sur toi.
Mes lèvres, pour te protéger. Il ne faudra pas pleurer quand je
partirai, il ne faudra pas. Écarte les jambes. La doctoresse a dit
que c’était trop serré, elle a dit qu’il fallait que je vérifie si tu le
faisais bien. Montre-moi comme tu le retrousses. Il faut faire comme
ça, ma poupée, si tu peux tirer jusque-là, moi je peux aller jusqu’ici.
Il convient donc de tirer davantage. Mais de quoi as-tu peur ? Il ne
peut pas se détacher ! Comme tu es fort, comme tu remues ! Ton Papa
sera fier de moi et il m’aimera.
Je lui demande où est mon Papa.
Ton
Papa va arriver, il est en voyage, il ne me connaît pas encore. Il va
venir et il faudra me le laisser un moment… Bien sûr que je vous
aimerai à parts égales, n’oblige pas Maman à un choix si cruel ! Ton
Papa devra avoir une façon absurde, aveugle, de m’aimer. Je le
laisserai faire. Qu’il se laisse aller à sa nature. On n’exige pas de
la montagne qu’elle ressemble à la mer. Mais la mer, petit à petit,
mine de rien, la mer ronge la montagne. Tu devras toujours t’en
rappeler, mon petit bout.
Haut de la page
Petit-fils et fils-objet
Le responsable de la page Livre de Femina, Julien Burri, nous offre un
récit allusif et poétique sur une enfance glaçante.
Julien
a 29 ans, la voix douce et des manières courtoises à peine entachées
d’une touche d’ironie. Franchement, on n’imaginait pas que derrière
tant d’aménité pouvait se cacher tant de violence! Car il y a des
phrases terribles dans ce bref récit, carnet de l’enfance et de
l’adolescence d’un garçon que sa mère appelle «Poupée». Julien Burri
n’en est pas à son coup d’essai, il a déjà publié quatre recueils de
poèmes. Sa plume incisive en porte la marque.
Ce que lui dit la grand-mère:
«Te voilà devenu un grand garçon. Quel dommage… ça me fait de la peine
de voir comme tu grandis» ou «Hein, mon biscuit? Quand est-ce que ta
Maman nous laisse une nuit en amoureux? Tu descendras dormir dans mon
lit.»
Ce que lui dit la mère: «Tu n’as pas
besoin d’amis» (Poupée suit des cours de patinage, seul sur la glace)
ou «Ce qui est bon pour moi est bon pour toi» (elle lui donne les
médicaments que le médecin lui a prescrits) ou encore «Notre fils a don
pour raconter les histoires, il sera écrivain»…
Ce que lui dit un camarade: «Tu n’es pas comme nous.»
Que fait le père dans tout ça?
Rien. Très absorbé dans la contemplation de la beauté de sa femme,
«Papa» paraît gêné par ce garçonnet au teint de porcelaine dont la mère
extrait les comédons. Chez son son fils, il semble exister surtout dans
des rêverie troubles.
Comment grandit Poupée? Dans une solitude abyssale peuplée de fantasmes que l’auteur décrit à l’économie et par le biais de raccourcis très audacieux.
Que ressent le lecteur?
Du froid, de l’inconfort, du malaise, de la fascination! Il n’y a pas
de pathos dans cette évocation de la perversion maternelle et
grand-maternelle. Via des petites scènes d’anniversaires, de vacances
ou de vie quotidienne, l’écriture de Julien Burri emprunte souvent les
détours de l’allusion glaçante. Peu d’émotion également dans les pages
où Poupée entre en métamorphose. Pourquoi tant de précautions? Une
manière, sans doute, pour l’auteur de mettre ce drôle de Poupée à
distance.
LOYSE PAHUD, Femina
Haut de la page
La poupée qui fait non
C’est
l’histoire d’une poupée. Un petit garçon que sa maman a voulu beau,
élégant, et aussi lisse que la porcelaine. Dans son cocon familial
comme une poupée de collection conservée dans son emballage, Poupée
est enfermé. Ses parents veillent à ce qu’il soit parfait, à ce que les
petits rouages dans son ventre fonctionnent sans grincer. Poupée
est la chose de sa mère. Telle une petite fille pour qui un poupon est
un trésor, une «poupée vivante», la mère de cet étrange petit garçon en
fait son objet, un petit objet précieux qu’il ne faut pas perdre, et
que la mère garde sur elle, terrifiée à l’idée qu’il pourrait se
casser, changer.
Poupée,
c’est l’histoire d’une enfance. Un livre aussi étrange et beau que le
petit automate de la couverture est inquiétant et mignon. Étrange, oui,
comme on dit de quelque chose qu’on ne parvient pas à classer, à
répertorier. Comme on dirait d’une œuvre qui nous dérange autant
qu’elle nous fascine. Julien Burri publie des livres depuis ses
dix-sept ans. Poète avant tout, il a fait paraître, en 2008 un recueil
magnifique, Si seulement
(Samizdat), que l’on pourrait considérer comme annonciateur de cette
dernière parution chez Bernard Campiche. En effet, le recueil, mettant
des mots de prose poétique sur le rapport entre père et fils, préfigure
quelques éléments de Poupée, en cela qu’on y trouve déjà
cette déception paternelle que représente la différence du fils. Des
poèmes au roman, le style change, bien évidemment, mais on remarquera
toutefois une commune économie de mots, dont l’effet de pureté se fait
puissamment ressentir dans les deux ouvrages. Un effet paradoxal
puisque, dans l’un comme dans l’autre, il est justement question de la perte de cette pureté enfantine, de cette innocence.
Mais comment perdre sa candeur lorsqu’on est une poupée? C’est ce que
raconte Julien Burri, au fil des pages, trahissant, sans vraiment
d’autre possibilité, l’évidence même de ce livre, qui réside en ceci
qu’il s’agit là davantage d’un petit garçon que d’une petite poupée…
Il grandit… Et ce garçon solitaire, bien qu’il reste cloîtré dans la
demeure familiale, va faire l’expérience du désir, ce que Julien Burri
décrit avec remarquablement, en restant toujours très allusif. Le désir
comme une fuite, même si Poupée aime sa mère – il ne pourrait faire autrement…
Le temps passe et il grandit. Son corps, comme avec une certaine
maladresse, se déforme. Et, de la mère, qui était omniprésente, on
passe au père qui, lui, jusqu’au bout, alors que son épouse abandonne,
tente de trouver le grain de sable dans les rouages de son fils: «J’ai
peur que ce ne soit déjà en toi. J’ai pris des relevés, mesuré la
distance entre tes épaules, la largeur de ton bassin. (…) C’est ce que
je craignais. (…) La latéralisation montre que les invertis ont une
préférence pour la main gauche. Je prie pour toi.» Mais, après un Rite
de passage rappelant une sombre et virile coutume grecque, le fils
semble persister dans sa différence, et le père n’osera plus jamais le
toucher.
Poupée, véritable ovni littéraire, déconcerte par sa grande part de
fantasme qui, dans un flou artistique fort intéressant, mêle
étroitement les imaginaires du personnage principal et, certainement,
de son créateur. Infiniment troublant, ce roman interpelle son lecteur
au point même, parfois, tant les sentiments et les sensations
enfantines y sont rendues avec acuité, de réveiller une part de sa
propre enfance.
LUCAS VUILLEUMIER, Éphémerveille
Haut de la page
Zooms lancinants sur l’enfance
Julien Burri débarque avec un très bref roman, Poupée. Dans lequel se disent, en chapitres allusifs et déroutants, les fragments d’une enfance.
Quelle histoire que celle-là, qui file dans la brève mais intense septantaine de pages de ce roman, Poupée,
mais quelle histoire! On la découvre qui se constitue, par fragments,
dans ces dix-huit chapitres où l’écriture tient à distance les
événements. Et les rend lancinants. La phrase ici ne commente pas: elle
donne à voir. Ce qu’a vécu celui que sa mère appelait «Poupée» et qui
l’enfermait dans un temps hors du monde, et l’atrophiait par ses
phrases: «Il n’y a que nous, mon cœur, ils ne viendront pas. Il n’y a
que nous.» Celui que sa grand-mère nommait «biscuit» et qui dit:
«Ça me fait de la peine de voir comme tu grandis.» Celui que son père
appelle «le mioche». Et que ses camarades désignent dans la différence.
Dans les spires initiatiques de ce récit, un monde de porcelaine se
brise et fait tomber les boucles de l’enfance. Un vertige.
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération
Haut de la page
Rencontre. Le jeune écrivain vaudois nous livre avec Poupée une petite fable drôle et dérangeante, sur une famille aux tendances pathologiques.
Le
désir d’écrire naît très tôt chez Julien Burri. Petit garçon, fils
unique porté sur le rêve, il dictait à sa mère, d’une façon tyrannique,
les histoires qu’il imaginait. Plus tard, son deuxième roman surgit de
son esprit avec la visite de l’atelier de François Junod, automatier à
Sainte-Croix. Le jeune auteur de recueils de poésie et d’un roman, Je mange un boeuf
(Editions de l’Aire, 2001), est fasciné. Le personnage de Poupée,
mi-automate mi-enfant, naît. «Cette rencontre a fait ressortir des
obsessions qui me travaillaient. Ce personnage, cette famille sont
apparus, je n’avais pas du tout l’intention de régler des comptes ou de
faire une thérapie», commente Julien Burri .
Il faut dire que son petit roman Poupée
a soulevé quelques réactions d’animosité envers les personnages des
parents, une mère castratrice et un père indifférent. «Mon livre parle
bien de mon enfance, mais à travers un angle précis. Il y en a
d’autres, mais j’ai suivi la direction que m’inspirait mon personnage,
il s’agit bien d’une fiction. J’ai d’ailleurs de la chance que mes
parents, avec qui je m’entends très bien, soient aussi compréhensifs.»
Lorsque la syndique de Renens Marianne Huguenin, dans l’émission «Tard
pour bar» de la TSR, a dit à quel point les parents de Poupée étaient
affreux, les parents de Julien ont eu de la peine à réaliser qu’elle
parlait des personnages et non d’eux-mêmes. Or les protagonistes
du roman ne sont pas très fréquentables. La mère a tendance à réifier
son fils, à le traiter comme une poupée justement, tout en l’adorant au
point de se battre avec sa propre mère pour avoir l’honneur de le
torcher, et le père montre peu son affection. Pendant ce temps, Poupée
écrit, son histoire, celle de sa mère, celle de son père. «Au début,
ces personnages ressemblaient à des silhouettes, puis j’ai essayé de
leur donner plus de chair, pour montrer qu’eux aussi étaient
prisonniers, ce sont presque des poupées aussi», dit Julien Burri à
propos de ces personnages caricaturaux dont les excès font rire en
couleurs, noir et jaune. Quant à l’ambiguïté de l’enfant, dont on ne
sait trop si c’est une marionnette ou un être de chair et de sang, elle
permet de donner une dimension fabuleuse à ce roman, qui n’est pas
ponctué par un drame, mais traversé par une tension constante, une
ambiance parfois inquiétante. «J’aime bien faire sentir sans expliquer,
et j’aime bien l’idée que tout soit finalement normal dans cette
famille.»
La tension naît notamment de la relation tout de même dévoratrice de la
mère à l’enfant, mais aussi des explorations sexuelles de Poupée,
dérangeantes. «Pourtant, je ne voulais en aucun cas choquer
gratuitement. Il me semble qu’il est normal pour un enfant d’explorer
sa sexualité. Simplement, c’est dit crûment, et tout est dans le
contraste avec le ton généralement naïf du livre et l’idée du garçon
modèle que se font les parents de Poupée. En réalité, le sexe est
évacué, puisqu’il s’agit des actes d’un petit garçon, mais ça prend de
la place et fait irruption dans ce joli petit monde. D’ailleurs, j’ai
supprimé des passages qui relevaient du cliché ou qui ne faisaient pas
partie de la sexualité d’un petit garçon, mais qui tenaient plutôt de
la vision d’un adulte.»
Malgré cela, une lectrice lui a écrit pour lui dire qu’elle avait vomi
à la lecture de ces scènes et n’avait pas dormi de la nuit. «Je suis
désolé pour elle, mais je crois que sa réaction est tellement forte
qu’elle ne vient pas que du livre, mais de son propre vécu. Cela dit,
je suis flatté, j’aime faire de l’effet! Il n’y a rien de pire que
l’indifférence.»
Après les explorations de l’homosexualité, viennent la solitude de
l’adolescence, et le rejet de l’enfant par le père, et le livre se
conclut sur une rencontre faite de non-dits entre Poupée, devenu un
jeune adulte et son père. «En fait, Poupée se sauve de cette famille
étouffante à travers son corps.» Ce corps trouve une autre résonance
encore dans sa poésie, notamment dans Si seulement
(Editions Samizdat, 2008), puisque Julien Burri estime que la
différence entre sa poésie et sa prose tient en une plus grande
proximité avec le corporel, l’impossibilité de tricher en se cachant
derrière les masques des personnages et le désir d’éliminer le surplus
lorsqu’il fait des vers. On lui souhaite d’oser un jour s’attaquer à un
roman plus long, même si son travail de journaliste, tout en lui
permettant d’exercer son écriture, l’oblige à créer par instants volés
dans le petit matin, ce qui le prédispose aux formes courtes, d’autant
plus qu’il juge que savoir écrire, c’est aussi savoir couper.
LAURENCE DE COULON, La Liberté
Haut de la page
Une drôle de poupée
Le
jeune auteur lausannois Julien Burri publie Poupée, un roman, aux
Editions Campiche. Un récit aussi bref qu'ambigu, sur lequel Rolf
Kesselring s'est penché.
Est-ce que la littérature
est comme la bonne cuisine? C'est une question qu'on peut se poser en
prenant dans ses mains, lecteur gourmand, le roman de Julien Burri
récemment paru chez Bernard Campiche.
Surpris par la légèreté de cet ouvrage je l'ai rapidement lu; et quand
je parle de légèreté, c'est bien sûr au sens littéral. Il s'agit d'un
volume (le mot n'est pas vraiment approprié, je le sens) d'à peine une
septantaine de pages.
Ce geste indigeste
Ce qui me frappe quand je parle de restaurants, avec les gens d'ici,
c'est un geste: mains arrondies décrivant dans l'espace une copieuse
courbe au-dessus d'un plat imaginaire. Les mêmes ajoutent toujours ce
commentaire surprenant: «On y mange vraiment bien»...
Je suis donc obligé d'en déduire que ces mangeurs jugent une table à la
quantité contenue dans son assiette. Moi qui croyais que les saveurs et
le savoir-faire étaient les véritables critères servant à qualifier une
bonne table et le plaisir du bien manger! Ce geste indigeste me met
toujours dans un état de désespoir, comme me tourmente le plat
débordant d'une nourriture faite d'à peu près insipide et de produits
chagrins. Quantité n'est jamais synonyme de qualité.
J'ai l'impression qu'il en va de même pour la littérature.
Un auteur qui promet
Ceci dit (ou écrit) pour que vous compreniez ce qui a fait que j'ouvre
ce livre-là, plutôt que d'autres qui se trouvaient dans le même colis.
Sur les rabats de la couverture (habitude de l'éditeur Campiche, qui ne
met jamais les prières d'insérer en quatrième de couverture) j'ai
d'abord découvert le portrait de l'auteur.
Jeune, il est né à Lausanne, en 1980 (qu'est-ce que je faisais en
1980?), le regard glacé de ceux qui ont la prunelle claire, le crâne
rasé (à la mode du temps), beau à provoquer des frustrations chez les
mâles et des pâmoisons vertigineuses chez les jouvencelles, il fixe
l'objectif avec un sérieux d'hypnotiseur convaincu de son pouvoir.
En-dessous de cette photographie, quelques lignes, brèves, pour
m'expliquer qu'à dix-sept ans, déjà, il avait publié un recueil de
poèmes intitulé La Punition, et qu'il reçut le «Prix des Jeunes
auteurs» pour une pièce de théâtre dont le titre était L'Étreinte des
sables.
Il a publié ensuite un récit (Je mange un Bœuf, aux Éditions de l'Aire)
et, enfin, ce petit roman que j'allais découvrir et qui m'intriguait.
Il s'agissait donc d'un jeune auteur qui promettait. Il fallait que
j'explore son univers, toute affaire cessante.
L'ambiguïté de Poupée
Il y a la mère, le père, et Poupée. Il y a l'entourage, les
grands-parents, les frères et tous les autres. Tout se passe comme dans
la vraie vie.
Lui, on l'appelle donc Poupée. C'est la mère qui lui a donné ce
sobriquet. Au début on ne comprend pas vraiment pourquoi. Puis, peu à
peu cela s'explique. Chapitres courts, récit par Poupée, récit de la
mère, du père, de la grand-mère, les protagonistes restent flous malgré
leur omniprésence. Tous font partie du roman de Poupée. Tous tentent de
s'imposer, mais Poupée s'impose.
Fascinante écriture morcelée, ressac de mots qui forme une marée
fuyante, équivoque. L'ambiguïté de Poupée apparaît agaçante et pourtant
patente. Qui est-elle? Qui est-il véritablement?... La réponse existe
dans les premières pages: «Tu seras toujours propre, tu es un ange. Les
poupées n'ont pas de pollution nocturne.»
Le piège
Malgré la déroute, le doute, que provoque ce récit peu ordinaire dans
l'esprit du lecteur, ce dernier ne peut s'évader. Il est pris au piège
comme un insecte. Il tente de savoir, de comprendre.
Entre ce père qui apprend à Poupée à se masturber correctement et cette
mère (sans parler de la grand-mère!) qui oblige l'enfant à vivre son
rêve de femme obstinée, inconsciente, l'enfant est prisonnier tout
comme le lecteur/observateur de cette existence indécise.
Fils du père, poupée de sa mère, l'enfant grandit, une cruauté profonde
le ronge. Il est ballotté. Ne lui reste que le silence. Cet espace qui
protège et rassure tous ceux qui ressentent leurs faiblesses, leurs
désespoirs, leur solitude.
Déroutant petit livre. Peu de pages, peu de jubilation, pas
d'enthousiasme. Serait-il possible que le mal-vivre dû à une éducation
troublée ne puisse s'exprimer que d'une manière avare?
La clé de ce petit ouvrage se trouvera aussi dans les deux dernières
lignes du récit qui débutent ainsi: «C'est dommage...». Elles
expliquent tout.
ROLF KESSELRING, swissinfo.ch
Haut de la page
Un garçon dans une poupée
Après Je mange un bœuf, le Lausannois Julien Burri s’enferme avec Poupée dans une peau de porcelaine.
Le texte est bref, le verbe efficace. Julien Burri propose avec Poupée
un petit roman étouffant, qui enferme son protagoniste – Poupée – dans
des parois de porcelaine, derrière des petits yeux de verre: «Poupée
construit sa coquille, s’enrobe avec des couches de nacre de plus en
plus épaisses.» C’est le drame, assez banal, de l’enfant couvé, rêvé,
fagoté par sa mère, livré aux femmes et à leurs jeux vénéneux.
Vertiges, angoisses, égoïsme, Julien Burri convoque tous les clichés du
genre jusqu’à la caricature, jusqu’au kitsch, livrant Poupée aux
délires des désirs parentaux, aux incertitudes du sexe (fille?
garçon?), aux faiblesses faussement toutes-puissantes de l’enfance, au
parfum de la mort omniprésent. Étrange et parfois désagréable
impression d’enfermement pour le lecteur, mais tension constante que
l’auteur lausannois, dont c’est le second récit après Je mange un bœuf,
parvient à tenir. Tentative de dire, sur le mode du conte cruel,
quelque chose d’un malaise qui perdure une fois Poupée grandi et le
livre refermé.
ÉLÉONORE SULSER, Le Temps
Haut de la page
Poupée de Julien Burri
Comme un Pinocchio malmené
C’est par la poésie que Julien Burri, né à Lausanne en 1980, est entré en littérature. Après un premier roman, Je mange un bœuf, publié en 2001, Poupée sort ces jours chez Campiche et confirme, en prose, une écriture directe et dense.
Poupée vit avec ses parents – sa maman au visage beau «comme un tableau
mouvant», son papa que sa propre mère dit avoir raté – et ses
grands-parents, dans une « maison de nains ». Poupée fait du
patinage artistique; sa mère croit très fort en son «génie précoce»; à
l’école, on lui tire les cheveux. Poupée est un jouet, avec ses beaux
habits, sa voix aiguë, sa belle obéissance à tout ce qu’on lui dit: tu
es un ange, rhabille-toi, tu vas attraper froid, ça me fait de la peine
de voir comme tu grandis…
Poupée est souvent triste ou en colère; Poupée se sent sale. Il faut
dire que sa maman n’aime pas sa vie, ses illusions ont mordu la
poussière, et c’est Poupée qui balaie. Son papa est souvent absent, il
travaille beaucoup, pour ne pas perdre maman. «Quand j’aurai les yeux
bleus, papa m’aimera», pense Poupée.
Poupée est un petit garçon.
Le deuxième roman de Julien Burri tient en moins de 70 pages. Il
raconte principalement l’enfance de Poupée, qui pourrait ressembler à
l’enfance de n’importe quel petit garçon (avec ses vacances, ses jeux,
ses découvertes, ses voyages), s’il n’y avait pas l’incapacité à se
faire des amis, la tristesse presque omniprésente, et puis ces gestes
déplacés venant de sa mère, et le scandale de ce père qui le force à
apprendre «comment meurt un homme»…
Jouant avec la vocabulaire du corps (applicable aussi bien à un humain
qu’à un automate), Burri fait de son protagoniste un pantin manipulé,
non sans empathie pour ses autres personnages – cette mère qui voit
déjà son fils écrivain, qui en est si fière, qui regrette beaucoup de
choses, s’excuse souvent, et lui refile ses antidépresseurs, et ce père
à l’enfance difficile, désemparé devant ce garçon pas comme les autres,
qui se dit qu’il aurait dû en faire un deuxième, pour être sûr d’avoir
des petits-enfants.
Découpés en brefs chapitres, eux-mêmes constitués de phrases simples et courtes, Poupée
laisse beaucoup d’espace entre les mots, qui n’en prennent que plus de
poids et d’éclat, même lorsqu’il s’agit de décrire l’étouffant silence
qui clôt le roman. Par ses oscillations entre cruauté et espoir, et par
le biais des différents points de vue utilisés pour raconter son
histoire, le texte parvient à enfermer le lecteur dans une enfance
étrange, dérangeante, celle d’un Pinocchio martyrisé, mais qui s’en
relèvera – abîmé, et vivant.
BRUNO PELLEGRINO, Le Passe-Muraille
Haut de la page
|