ETIENNE BARILIER

L'OVALE PARFAIT

Roman
2024. 136 pages. Prix: CHF 28.00
ISBN 978-2-88241-551-6




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Avant la fin du monde

En 1944, à Hiroshima, un peintre devient obsédé par la beauté d’une jeune fille. Écrivain prolifique, Étienne Barilier retrouve certains de ses thèmes favoris, dans une atmosphère crépusculaire.

Depuis un demi-siècle et plus de soixante livres, il n’a cessé de s’interroger sur la beauté et les arts, leur place dans ce monde, leur sens dans cette vie. Avec L’Ovale parfait, Étienne Barilier poursuit cette réflexion en situant son roman au bord du précipice: nous sommes à Hiroshima en 1944.
Théo, le narrateur vit ici depuis sept ans. Son épouse japonaise l’a quitté et ce peintre français, qui se fait appeler Shin, est resté dans sa ville d’adoption, désormais occupée par les militaires. Il y vit dans le souvenir de splendeurs éteintes, alors que «lentement et sûrement, les casernes ont remplacé les théâtres, les postes de police ont supplanté les restaurants et les lumières surtout, les lumières n’ont cessé de décroître.»
Emporté par son désir de beauté pure, Théo-Shin semble totalement la dissocier du Bien, contrairement à la tradition platonicienne. Il tombe un jour sur une toute jeune fille, chinoise apparemment, dans les «ruelles du port d’Ujina». Le quartier chaud. Il la découvre dans une encoignure, entre deux boutiques, «pas en service, mais en fuite» et la recueille. Victime de la guerre, elle demeure muette, lâchant seulement son prénom, Chan.
Théo veut la peindre, obsédé par une «recherche de la beauté féminine, du bijin-go, à tout prix». Il veut créer «avant la défaite du Japon, le chef-d’œuvre du ni-hongo, qui, peut-être, non, sûrement, permettrait au pays vaincu de regagner sa dignité». La beauté, l’art, pour sauver le monde de l’effondrement: le symbole et le lien avec notre époque semblent évidents.

«Un sale violeur»

Tout au long du roman, Hiroshima se prépare au pire, sans savoir que ce sera pire encore. Théo et Chan arpentent cette ville où l’on a élargi les rues, «afin d’établir des coupe-feu, rapport aux bombardements possibles.» «J’ai l’impression que nous allons vers une catastrophe chaque jour plus inéluctable et plus horrible», note le peintre. Avant d’ajouter que «le Japon que nous aimons se renie de la plus atroce manière, c’est en somme la fin du monde pour quiconque a aimé en lui la beauté, la finesse et la grâce».
Dans cette déliquescence généralisée, le narrateur perd pied, lui aussi. Sa passion pour Chan se révèle également charnelle, ce que ne manque pas de lui reprocher Corentin, un ami peintre: «Tu es assez cinglé pour croire que tu vas réaliser le portrait parfait, ce qui, si je suis la logique de fou, te donnerait tous les droits de mort sur cette gamine et, très accessoirement sur toi-même. Toi-même, ça te regarde, mais elle, n’y touche pas, n’y touche plus! Ne porte plus la main sur elle! Est-ce que tu te rends compte que tu n’es qu’un sale violeur?»

Temps crépusculaires

Émaillé de références à la culture et à la peinture japonaises, L’Ovale parfait prend ainsi une tonalité inhabituelle, sombre et malsaine. D’autant plus que le narrateur pousse sa perversité jusqu’à espérer mourir de la main de sa protégée. Étienne Barilier demeure toutefois trop intelligent pour se complaire dans les bas-fonds glauques et la provocation facile.
Son roman n’en reste pas moins troublant, avec cette vision de l’innocente beauté emportée par la funeste obsession d’un homme et par l’horreur de l’histoire. Comme le lâche le peintre désabusé: «Ah oui, nous vivons des temps crépusculaires, il n’y a pas à dire.»



Étienne Barilier en trois jalons

Laura (1973)

Les débuts. «Pas de doute, nous sommes en présence d’un livre racé, substantiel, d’une provocante actualité», écrivait Henri-Charles Tauxe dans 24 Heures, le 15 décembre 1973. À 26 ans, Étienne Barilier publiait déjà son troisième roman, après Orphée (1971) et L’Incendie du château (1973). Et ceci à côté d’études classiques à l’Université de Lausanne. Il les conclura par une thèse de doctorat consacrée à Albert Camus, philosophie et littérature que l’Âge d’Homme publiera en 1977.
Laura préfigure ce que confirma la suite. Barilier l’érudit, le philosophe, l’intellectuel, écrit des romans limpides, parfois ironiques, intelligents et jamais pédants.
Comme dans L’Ovale parfait, le narrateur est peintre et le roman va suivre, jusqu’à Venise, la relation de ce cynique avec une jeune femme, modèle à ses heures. Au-delà de cette liaison ambiguë, le livre contient déjà nombre de thèmes que l’écrivain ne va cesser d’explorer: la passion amoureuse, la beauté, les arts, l’Italie…


Le Dixième Ciel (1986)

Un sommet. À 40 ans, Étienne Barilier a désormais publié onze romans (et quelques essais) dont Passion (1974), Le Chien Tristan (1977), Duel (1981)… Avec Le Dixième Ciel, il se lance dans une fresque historique ambitieuse: fondé sur le personnage de Pic de la Mirandole(1463-1494), il offre une plongée magistrale dans la Renaissance, en offrant un fascinant panorama de la vie florentine, peuplée de personnages marquants, comme Laurent le Magnifique, Savoranole, Botticelli… Le livre, qui reçoit le Prix des auditeurs de la RSR 1987, parvient avec une aisance épatante à mêler les hautes réflexions philosophiques à une intrigue romanesque parfaitement ficelée.
Désormais, Étienne Barilier est une figure majeure des lettres romandes. Un intellectuel de haut rang qui tient une chronique de télévision au Journal de Genève, un romancier à succès et un essayiste qui ne craint pas le combat d’idées, comme dans le cinglant pamphlet Soyons médiocres (1989).


Réenchanter le monde – L’Europe et la beauté (2024)

L’essayiste. En cinquante ans, Étienne Barilier a publié une trentaine de romans et autant d’essais. Ils ont trait à ses thèmes favoris, l’art, la musique (Alban Berg, essai d’interprétation, B-A-C-H, histoire d’un nom dans la musique…) mais aussi à des réflexions plus générales sur la société (Contre le nouvel obscurantisme, Après les idéologies, Nous autres civilisations…), la politique, voire sur des thèmes plus triviaux, comme Martina Hingins, ou la beauté du jeu.
Avec Réenchanter le monde, paru en début d’année, il reprend un de ses sujets favoris (que l’on retrouve dans L’Ovale parfait), la beauté. Le livre s’interroge en effet sur l’idée du Beau, héritée de Platon, et, avec elle, sur celles du Bien et du Vrai.
C’est l’occasion d’une riche balade méditative à travers des œuvres phares de la culture occidentale et d’une réflexion sur sa décadence: «La beauté se venge, par le kitsch ou la laideur, comme on le voit désormais, dans nos musées et nos espaces d’exposition.»

ERIC BULLIARD,  La Gruyère

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C’est l’histoire d’une passion totale, dans la ville d’Hiroshima telle qu’elle était avant d’être détruite par la bombe: militarisée, sombre, où règnent le culte de la guerre et le pressentiment de la défaite. Mais sur son estuaire, avec son château, ses jardins, cette ville exerce un charme étrange. C’est là qu’un peintre occidental, obsédé par le désir d’immortaliser la beauté pure, rencontre une toute jeune fille, sans doute chinoise et victime de la guerre, qui accepte de le suivre mais demeure muette. Pris pour elle d’une passion féroce, il passe ses jours et ses nuits à la peindre et à l’aimer, la rage amoureuse de l’homme décuplant la fièvre de l’artiste.
Il n’arrête de peindre et de faire l’amour que pour errer avec sa compagne dans la ville crépusculaire. Il y rencontre les rares personnes de sa connaissance, se confie à elles, ou les défie. Il a deux buts qui n’en font qu’un: réaliser l’oeuvre suprême, et mourir de la main de celle qu’il aura peinte. Mais le silence de la jeune fille et son apparente soumission ne l’empêcheront pas d’exercer sa liberté.



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