ETIENNE BARILIER

L'OVALE PARFAIT

Roman
2024. 136 pages. Prix: CHF 28.00
ISBN 978-2-88241-551-6




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Étienne Barilier à Hiroshima, un peu avant la bombe

Dans Réenchanter le monde (PUF, 2023), Étienne Barilier opposait deux manières de concevoir la beauté. Celle du Japon qui la valorise «à l’état pur», comme toute-puissante, sans rapport avec le bien et le mal. Et celle de l’Europe qui tolère rarement cette forme d’indifférence morale. Le roman qu’il publie aujourd’hui transpose habilement cette dualité à l’intérieur d’une fiction. Le narrateur de L’Ovale parfait est un transfuge: un peintre européen ayant renoncé à son identité et à sa culture pour se fondre dans la tradition japonaise qu’il veut défendre contre l’influence corruptrice de l’art occidental. Devenu Shin Asano, il aspire à un art «plus vivant que la vie». Mais c’est la mort qui l’obsède.
Nous sommes à Hiroshima, peu avant que la foudre atomique tombe sur cette ville où se respire déjà l’odeur de la défaite. Une ville dépouillée de ses charmes anciens, militarisée, inquiète, sinistre, dont l’atmosphère finement rendue n’annonce rien de bon. Dans le quartier du port, Shin Asano tombe en arrêt devant une très jeune fille: l’ovale de son visage lui semble parfait. Qui est-elle? Japonaise? Chinoise? On ne sait; elle se refuse à parler. Elle va cependant suivre le peintre qui veut faire son portrait pour exprimer la quintessence de la beauté féminine: une œuvre si puissante qu’elle ferait rayonner sa jeunesse à jamais. Alors, pourquoi survivre au tableau? Dans son esprit, leur double mort devrait sceller le chef-d’œuvre.
En réalité, le peintre asservit la jeune fille à son fanatisme artistique et à ses désirs sexuels, mais pas autant qu’il le croit et qu’il nous le laisse croire… Personnage complexe, loin d’être la simple incarnation d’une conception particulière de l’art, Shin Asano engloutit le lecteur dans le flux de ses paroles tantôt exaltées, tantôt rageuses ou crépusculaires. On est enfermé dans sa parole comme la jeune fille reste murée ddans son silence, ce qui donne sans doute à ce très beau roman d’Étienne Barilier sa force narrative.

MICHEL AUDETAT,  Passage du livre, Le Matin Dimanche

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Les Mots pour le peindre

Éienne Barilier. Le romancier de la peinture, de la musique, de la passion, nous entraîne au Japon dans son dernier livre. Rencontre avec l’écrivain multifacettes: essayiste, biographe, chroniqueur traducteur.

L’ovale parfait du visage d’une jeune femme mutique renaîtra-t-il sur la toile du peintre? On ne racontera pas le dernier roman d’Étienne Barilier, paru cet automne chez Bernard Campiche. Qu’il suffise de dire qu’en suivant à Hiroshima peu avant la bombe, un peintre occidental aux prises avec les affres de la création et celles de la chair, il aborde de façon intensément incarnée les grands mystères de l’existence et de l’art. En arrière-plan la documentation impeccable de Barilier sur les écoles picturales nippones traditionnelle et occidentale nourrit le récit d’une passion au sens premier du terme – à la fois charnelle et artistique.
Ce onzième roman s’inscrit dans une œuvre protéiforme qui compte aussi du théâtre, des dizaines de chroniques pour le Journal de Genève, L’Hebdo et aujourd’hui pour L’Écho et 33 essais dont huit titres de la collection Savoir suisse qui vont de Camus à Einstein, des méfaits sociétaux des médias et de l’informatique à la musique des compositeurs en exil aux notes B-A-C-H dans la musique… Sans oublier un livre poignant, profond et éclairant. Absolument la vie (Labor et Fides, 2022), tombeau de sa femme Monique, catholique à la foi heureuse, et en contrepoint confession intime d’un fils de pasteur en délicatesse, lui, avec la foi. S’il écrit encore, dit-il, c’est aussi pour elle, pour «le sourire qu’elle adressait à la vie». Mais le même Barilier a publié aux éditions Presses Inverses un truculent Don Juan malgré lui en hommage à Molière et des Exercices de style éroti-comiques, pastiche grivois de haute tenue du classique de Queneau.

Curiosité tous azimuts

D’où lui viennent cette fécondité, l’étonnante variété des thèmes et des formes de ses livres. «Trois questions en une! J’écris, j’ai besoin d’écrire. C’’est un élan, on se jette en avant et on se laisse conduire vers quelque chose qu’on n’a pas pu prévoir.» Son moteur, c’est le désir d’inventer, de créer quelque chose d’inédit – il se souvient qu’enfant, recevant un Meccano, il écartait plans et modèles pour fabriquer quelque chose d’original.
La multiplicité des sujets? «Je suis heureux de tout aimer, en tout cas de m’intéresser à presque tout et de pouvoir en parler.» La forme? Aucune théorie littéraire. «Il me semble que le besoin de créer se cherche une forme et finit par le trouver.»

Vivre de sa plume

Né en 1947, Étienne Barilier a commencé à 20 ans à écrire Orphée, premier roman publié. Les précédents restés dans le tiroir. Il vivait alors chez ses parents à Lausanne. Au sortir de la faculté des Lettres, décidé à vivre de sa plume, il ne devient pas enseignant. Vladimir Dimitrijevic, démiurge de L’Âge d’Homme, publie Laura et L’Incendie du château en 1971, convaincu de son avenir d’écrivain, il lui verse de modestes acomptes mensuels sur ses hypothétiques droits d’auteur, qui lui permettent de subsister.
Les romans s’enchaînent et les distinctions: en 1977 un Prix d’Honneur (Paris) pour Le Chien Tristan, en 1980 le Rambert pour Prague, en 1987 ceux des auditeurs de la Radio Romande, pour Le Dixième Ciel et de la Fondation vaudoise pour la création artistique pour l’œuvre accomplie jusqu’alors – reconnaissance réitérée en 2010 par le Prix de la Fondation Leenaards après le Dentan en 2022 pour L’Énigme et avant le Bibliomédia en 2011 pour Un Véronèse. Autant d’encouragements pour le jeune romancier et de protection contre le découragement pour l’écrivain vieillissant», lâche-t-il avec un sourire.
Entre ces fictions se glissent autant d’essais, sur des thèmes fort divers. Romancier ou essayiste? Et comment se montrer compétent dans tant de domaines pointus? La question l’amuse: «Je ne suis pas d’abord romancier, mais écrivain, et mon instrument, ce sont les mots. Œuvres de l’intelligence – essais – ou œuvres de la sensibilité et de l’intuition – fiction –, tout est ouvert.» Et, ajoute-t-il avec son rire retenu de pince-sans-rire capable d’autodérision, «le plus grand philosophe de tous les temps, Platon, était aussi un grand poète». Jusqu’à la fin du XXe siècle, de grands auteurs ont touché aux deux genres, note-t-il en citant Camus, Sartre, Ramuz (Besoin de grandeur, Questions).
Aujourd’hui, souvent est à l’ère des spécialistes, mais l’affaire de l’essayiste n’est pas de faire parade d’un savoir encyclopédique, c’est de se mettre en face d’un problème avec toute sa personnalité, sa subjectivité. Ce qui m’intéresse quand j’écris une biographie, c’est la puissance créatrice, ce que savants ou artistes ont apporté de nouveau à notre vision du monde.»
L’écrivain torpille au passage deux idées reçues». Non le roman n’est pas le contraire du réel, pas même une brève escapade en dehors de lui: «Le roman parle du réel, va à sa rencontre, voyez Balzac ou Proust. Non, on n’écrit pas un roman sur quelque chose: cela implique une distance. Quand j’écris un roman, j’écris quelque chose.»

Frère de ses personnages

À écouter Étienne Barilier, on saisit à quel point, essayiste ou romancier, il se sent frère de ses personnages. Giacometti ou Sophie Taueber-Arp pour le Savoir suisse et autant que Noor, la princesse agente secrète de son récent roman éponyme. Dans Khartoum assiégée, il est frère autant du général anglais Gordon que du journaliste français rescapé de la Commune de Paris. L’écrivain s’est passionné pour d’autres figures, Pic de la Mirandole, le penseur et condottiere du roman Le Dixième Ciel. Martina Hingis (un essai) ou la pianiste Yuga Wang, qui – motif de joie – n’était pas encore célèbre quand parut le roman épistolaire Piano chinois.
Si la peinture est très présente bien avant L’Ovale parfait, notamment dans Ruiz doit mourir (Godward contre Picasso) et Un Véronèse, la musique est une composante essentielle de l’œuvre de Barilier «Comme la littérature, elle se passe dans le temps, elle a affaire au temps, donc à la mort – mais une différence rend l’écrivain jaloux: avec les mots, on a toujours un peu de monde qui nous colle aux semelles, et puis les mots peuvent être menteurs. La musique est pure. Le langage musical a quelque chose de plus pur qui me fascine.»
Pureté, honnêteté du langage, l’obsession de l’auteur ne quitte pas Barilier traducteur. S’il a traduit aussi bien Dürrenmatt et Muschg que Landolfi de l’italien et Castellion du latin, une liberté lui vient des monstres auxquels il s’est attaqué, les Notes de Ludwig Hohl. Les 1 300 pages du Droit maternel de Bachofen et le 3 000 pages des Brouillons de Lichtenberg, à paraître mi-avril chez Noir sur Blanc. «Rémunéré, ce travail littéraire m’a permis de centrer ma vie sur l’écriture. Et je m’y suis engagé comme je m’engage dans mes propres livres, avec la même intensité.


JACQUES POGET, 
Le Courrier

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Avant la fin du monde

En 1944, à Hiroshima, un peintre devient obsédé par la beauté d’une jeune fille. Écrivain prolifique, Étienne Barilier retrouve certains de ses thèmes favoris, dans une atmosphère crépusculaire.

Depuis un demi-siècle et plus de soixante livres, il n’a cessé de s’interroger sur la beauté et les arts, leur place dans ce monde, leur sens dans cette vie. Avec L’Ovale parfait, Étienne Barilier poursuit cette réflexion en situant son roman au bord du précipice: nous sommes à Hiroshima en 1944.
Théo, le narrateur vit ici depuis sept ans. Son épouse japonaise l’a quitté et ce peintre français, qui se fait appeler Shin, est resté dans sa ville d’adoption, désormais occupée par les militaires. Il y vit dans le souvenir de splendeurs éteintes, alors que «lentement et sûrement, les casernes ont remplacé les théâtres, les postes de police ont supplanté les restaurants et les lumières surtout, les lumières n’ont cessé de décroître.»
Emporté par son désir de beauté pure, Théo-Shin semble totalement la dissocier du Bien, contrairement à la tradition platonicienne. Il tombe un jour sur une toute jeune fille, chinoise apparemment, dans les «ruelles du port d’Ujina». Le quartier chaud. Il la découvre dans une encoignure, entre deux boutiques, «pas en service, mais en fuite» et la recueille. Victime de la guerre, elle demeure muette, lâchant seulement son prénom, Chan.
Théo veut la peindre, obsédé par une «recherche de la beauté féminine, du bijin-go, à tout prix». Il veut créer «avant la défaite du Japon, le chef-d’œuvre du ni-hongo, qui, peut-être, non, sûrement, permettrait au pays vaincu de regagner sa dignité». La beauté, l’art, pour sauver le monde de l’effondrement: le symbole et le lien avec notre époque semblent évidents.

«Un sale violeur»

Tout au long du roman, Hiroshima se prépare au pire, sans savoir que ce sera pire encore. Théo et Chan arpentent cette ville où l’on a élargi les rues, «afin d’établir des coupe-feu, rapport aux bombardements possibles.» «J’ai l’impression que nous allons vers une catastrophe chaque jour plus inéluctable et plus horrible», note le peintre. Avant d’ajouter que «le Japon que nous aimons se renie de la plus atroce manière, c’est en somme la fin du monde pour quiconque a aimé en lui la beauté, la finesse et la grâce».
Dans cette déliquescence généralisée, le narrateur perd pied, lui aussi. Sa passion pour Chan se révèle également charnelle, ce que ne manque pas de lui reprocher Corentin, un ami peintre: «Tu es assez cinglé pour croire que tu vas réaliser le portrait parfait, ce qui, si je suis la logique de fou, te donnerait tous les droits de mort sur cette gamine et, très accessoirement sur toi-même. Toi-même, ça te regarde, mais elle, n’y touche pas, n’y touche plus! Ne porte plus la main sur elle! Est-ce que tu te rends compte que tu n’es qu’un sale violeur?»

Temps crépusculaires

Émaillé de références à la culture et à la peinture japonaises, L’Ovale parfait prend ainsi une tonalité inhabituelle, sombre et malsaine. D’autant plus que le narrateur pousse sa perversité jusqu’à espérer mourir de la main de sa protégée. Étienne Barilier demeure toutefois trop intelligent pour se complaire dans les bas-fonds glauques et la provocation facile.
Son roman n’en reste pas moins troublant, avec cette vision de l’innocente beauté emportée par la funeste obsession d’un homme et par l’horreur de l’histoire. Comme le lâche le peintre désabusé: «Ah oui, nous vivons des temps crépusculaires, il n’y a pas à dire.»



Étienne Barilier en trois jalons

Laura (1973)

Les débuts. «Pas de doute, nous sommes en présence d’un livre racé, substantiel, d’une provocante actualité», écrivait Henri-Charles Tauxe dans 24 Heures, le 15 décembre 1973. À 26 ans, Étienne Barilier publiait déjà son troisième roman, après Orphée (1971) et L’Incendie du château (1973). Et ceci à côté d’études classiques à l’Université de Lausanne. Il les conclura par une thèse de doctorat consacrée à Albert Camus, philosophie et littérature que l’Âge d’Homme publiera en 1977.
Laura préfigure ce que confirma la suite. Barilier l’érudit, le philosophe, l’intellectuel, écrit des romans limpides, parfois ironiques, intelligents et jamais pédants.
Comme dans L’Ovale parfait, le narrateur est peintre et le roman va suivre, jusqu’à Venise, la relation de ce cynique avec une jeune femme, modèle à ses heures. Au-delà de cette liaison ambiguë, le livre contient déjà nombre de thèmes que l’écrivain ne va cesser d’explorer: la passion amoureuse, la beauté, les arts, l’Italie…


Le Dixième Ciel (1986)

Un sommet. À 40 ans, Étienne Barilier a désormais publié onze romans (et quelques essais) dont Passion (1974), Le Chien Tristan (1977), Duel (1981)… Avec Le Dixième Ciel, il se lance dans une fresque historique ambitieuse: fondé sur le personnage de Pic de la Mirandole(1463-1494), il offre une plongée magistrale dans la Renaissance, en offrant un fascinant panorama de la vie florentine, peuplée de personnages marquants, comme Laurent le Magnifique, Savoranole, Botticelli… Le livre, qui reçoit le Prix des auditeurs de la RSR 1987, parvient avec une aisance épatante à mêler les hautes réflexions philosophiques à une intrigue romanesque parfaitement ficelée.
Désormais, Étienne Barilier est une figure majeure des lettres romandes. Un intellectuel de haut rang qui tient une chronique de télévision au Journal de Genève, un romancier à succès et un essayiste qui ne craint pas le combat d’idées, comme dans le cinglant pamphlet Soyons médiocres (1989).


Réenchanter le monde – L’Europe et la beauté (2024)

L’essayiste. En cinquante ans, Étienne Barilier a publié une trentaine de romans et autant d’essais. Ils ont trait à ses thèmes favoris, l’art, la musique (Alban Berg, essai d’interprétation, B-A-C-H, histoire d’un nom dans la musique…) mais aussi à des réflexions plus générales sur la société (Contre le nouvel obscurantisme, Après les idéologies, Nous autres civilisations…), la politique, voire sur des thèmes plus triviaux, comme Martina Hingins, ou la beauté du jeu.
Avec Réenchanter le monde, paru en début d’année, il reprend un de ses sujets favoris (que l’on retrouve dans L’Ovale parfait), la beauté. Le livre s’interroge en effet sur l’idée du Beau, héritée de Platon, et, avec elle, sur celles du Bien et du Vrai.
C’est l’occasion d’une riche balade méditative à travers des œuvres phares de la culture occidentale et d’une réflexion sur sa décadence: «La beauté se venge, par le kitsch ou la laideur, comme on le voit désormais, dans nos musées et nos espaces d’exposition.»

ERIC BULLIARD,  La Gruyère

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C’est l’histoire d’une passion totale, dans la ville d’Hiroshima telle qu’elle était avant d’être détruite par la bombe: militarisée, sombre, où règnent le culte de la guerre et le pressentiment de la défaite. Mais sur son estuaire, avec son château, ses jardins, cette ville exerce un charme étrange. C’est là qu’un peintre occidental, obsédé par le désir d’immortaliser la beauté pure, rencontre une toute jeune fille, sans doute chinoise et victime de la guerre, qui accepte de le suivre mais demeure muette. Pris pour elle d’une passion féroce, il passe ses jours et ses nuits à la peindre et à l’aimer, la rage amoureuse de l’homme décuplant la fièvre de l’artiste.
Il n’arrête de peindre et de faire l’amour que pour errer avec sa compagne dans la ville crépusculaire. Il y rencontre les rares personnes de sa connaissance, se confie à elles, ou les défie. Il a deux buts qui n’en font qu’un: réaliser l’oeuvre suprême, et mourir de la main de celle qu’il aura peinte. Mais le silence de la jeune fille et son apparente soumission ne l’empêcheront pas d’exercer sa liberté.



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