Quel
beau titre pour raconter en quelques pages toutes les métamorphoses
d’un corps stérile en ventre vivant, d’une femme en mère.
Une langue pleine de vie, tantôt flot de mots, tantôt descriptions
dures et raisonnées, promène le lecteur de l’espoir à l’inquiétude, de
l’épanouissement à la crainte.
«En trois de tes cris et deux soubresauts de colère, tout s’est évaporé
face à une petite sauterelle écarlate qui hurlait tant et si bien
qu’elle m’en bouchait la mémoire et les mains.»
Om peut en goûter bien d’autres en 98 pages et on ne s’en lasse pas!
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
Apprivoiser le corps
La nouaison désigne le processus qui transforme la fleur en fruit.
C’est exactement ce qui s’accomplit dans le nouvel ouvrage de la
poétesse genevoise Silvia Härri, paru chez Bernard Campiche Éditeur.
Avec une plume sensible et incisive, la narratrice retrace sa longue
conquête de la maternité. Le livre s’ouvre sur son entrée dans le bloc
opératoire, où elle doit subir une intervention chirurgicale avant de
pouvoir tomber enceinte et se termine peu après son accouchement.
Constitué de fragments en prose poétique, ce texte restitue avec pudeur
et sincérité un parcours jalonné d’épreuves, où le sentiment
d’injustice est lancinant, mais où la «patience» et la «résistance
entêtée» parviennent finalement à porter leurs fruits. Un cheminement
vers l’acceptation du corps, avant que le désir ne se réalise enfin et
fasse éclore une vie nouvelle.
D’une façon très intime, touchante parce qu’elle dévoile et préserve en
même temps, Silvia Härri dépouille le corps de ses apparats et laisse
affleurer sa fragilité. Ses mots sont souvent joueurs, voilant
pudiquement leurs accents douloureux. Sous couvert d’une tonalité
légère, enfantine parfois, ils serpentent au gré d’associations sonores
et d’images limpides, puissantes, qui soulignent que le rapport à soi
se noue aussi, dans le corps-à-corps avec l’écriture:
Ils disaient maldonne malchance c’est mal fait, madame.
Elle pensait marelle marguerite et massepain.
Ils parlaient matrice maladie malformation
elle rêvait margelle et madeleine elle rêvait matin
ma terre merveille mappemonde.
Ils répondaient matraque massicot machette ou matelas
Un à un, l’écriture défait les nœuds, intriqués dans la gorge ou dans
la poitrine, avant que l’attente ne parvienne à son terme et que le
cordon ombilical ne se dénoue enfin. Ce qui fait la richesse de ce
texte, c’est d’abord cette sensibilité, la finesse et la précision de
ses métaphores à la puissance d’évocation tout autant visuelle que
musicale, faisant ressentir avec justesse ce que traverse ce corps
féminin désirant.
Au plus près de la sensation vécue, une très belle matrice poétique se
tisse. La narratrice donne à éprouver ses frémissements intérieurs, le
vertige d´émotions souvent exacerbées, à fleur de peau. Elle se dépeint
sur le fil entre «une menace silencieuse plus effilée qu’une lame de
bistouri», un espoir qui envahit les moindres parcelles de son être et
la peur d’espérer trop, à chaque fois, en «tapotant un message en morse
sur son ventre vide»… Une traversée du corps, qui laisse résonner toute
la puissance de croire et d’aspirer, qui est la sienne:
Que cet étrange corps (le tien?) ne soit ni cage ni prison, encore
moins faiseur d’ange, qu’il grandisse plutôt, s’étire, gronde comme
orage ou rivière, où les poissons se faufilent et l´écume bouscule les
pierres.
À tâtons entre le «elle» et le «tu», le récit crée un détachement qui
reflète le sentiment d’étrangeté ressenti par la narratrice face à son
corps. Il est perçu comme un territoire inconnu, dont émanent des
menaces sur lesquelles elle n’a que peu de prise. «Il paraît que ce
sont ses organes», écrit-elle à son propre sujet, déléguant aux
médecins en blouses blanches le pouvoir de nommer, de mettre des mots
sur les choses. Ils annoncent des verdicts, décrètent qu’il faut
anesthésier, couper, trancher, recoudre, panser, précisent qu’il ne
faut pas s’inquiéter, avant d’aller «chercher la suivante, en souriant».
Silvia Härri met en relief la brutalité des approches médicales, la
froideur de cette raison chirurgicale qui dissèque le réel, une
«mécanique plaquée sur du vivant», comme disait Bergson. La narratrice
se dépeint «prise au piège des vapeurs de désinfectant, des serres
métalliques du lit» ou encore, plongeant «des pieds aux seins dans cet
engin qui l’engloutit dans sa carapace de métal» et son «éternité
assourdissante de fer». L’écriture restitue cette violence avec une
précision implacable, au plus près du grouillement des organes qui
souffrent et s’affolent:
La sonde fait mal, à l’intérieur les viscères se gorgent d’air, le
ventre va exploser comme un ballon trop gonflé, les organes se
boursouflent, lancinent autant que le sifflement du médecin ahuri
devant son dossier.
Il est rare que l’on lise une projection aussi intime dans la
perception d’une femme, avec sa réalité parfois crue. Dans un corps de
femme, non pas tel que les hommes rêveraient qu’il soit, mais tel qu’il
est, vit, se transforme, porte «l’absence» puis «la présence» et dont
le lecteur est invité à partager l’expérience intime. Une prise de
parole fragile, derrière laquelle résonne, en sourdine, le poids de
l’emprise sociétale sur le corps des femmes, continuant à considérer la
féminité comme indissociable de la maternité. En donnant à entendre la
douleur de celle qui craint de ne pas pouvoir enfanter, Silvia Härri
fait entrer la question du désir inassouvi, puis de la grossesse et de
l’accouchement, expérience immémoriale «criée du fond des âges et des
entrailles», dans l’histoire de la littérature.
MARINA SKALOVA, Viceversa littérature
Un fruit capricieux
Quand la fleur devient fruit, on parle de nouaison. Elle pousse,
grandit, comme la narratrice de Silvia Härri voudrait que s’installe,
au-dedans de son ventre, un petit être qui donnerait du sens à sa vie.
Mais rien n’y fait. Il y a un problème. Et il est physiologique.
Inscrit dans la nature même. Dans cette chair qui veut engendrer de la
chair. «L’anomalie est due à un défaut de fusion partiel ou total de la
partie terminale des canaux de Müller.» Il faut opérer. Et entre les
lignes torturées et incisives de son texte, Silvia Härri met à mal les
processus barbares qu’il faut traverser quand il n’est pas donné de
tomber enceinte.
La poésie de ce livre protéiforme sait surnager sous les néons sévères
de l’hôpital. La grossesse a lieu, et des mots qui la disent se dégage
une beauté clinique, pétrie d’angoisses face à la fragilité de ce nœud
qui se fait. La mère et l’enfant prennent contact, un contact organique
toujours menacé par les injonctions du dehors. «Ce que tu désires n’est
pas encore né», se souffle la future mère, qui oscille entre peur et
joie. «Il y a des éclaboussures» avant que l’amour naisse. Silvia Härri
en fait une liste lucide et délicate.
LUCAS VUILLEUMIER, Le Matin Dimanche
Nouaison
est à la fois le livre et le lieu de métamorphoses multiples: celle de
la fleur en fruit, comme suggère son titre, de la femme en mère, du
ventre vide en ventre plein, de l’embryon en enfant, de l’absence en
présence. L’auteur évoque par touches discontinues et allusives
plusieurs facettes de la maternité dans un texte qui convoque tour à
tour le fragment, le récit, le journal, la prose et la poésie. Ainsi
c’est la langue elle-même qui noue et se transforme au fil des pages.
viceversalitterature.ch
Nouaison.
«Nouer (verbe intransitif): passer à l'état de fruit.» Il s'agit dans
ce livre de Silvia Härri de conception, d'enfantement, de naissance.
Mais rien de niais, rien de mièvre. (On peut le craindre avec de tels
sujets.) Rien de poético-précieux. (On pourrait le craindre avec ce
titre.) Tout est profond, signifiant. De courts chapitres ramassés
évoquent les difficultés physiques à concevoir, l'envie d'enfant, le
corps, ses troubles, ses dérèglements, la médecine, l'intervention, la
grossesse. La forme est allusive, l'écriture dense. Nouaison
est un de ces livres qui parviennent à saisir du sens, de la gravité, à
refléter ce qui fait l'importance, l'intérêt et le tragique de la vie.
Blog d’ALAIN BAGNOUD
Dans les rêves d’adulte de Silvia Härri: entretien avec la poétesse (Extravagances)
Contre l’aspect livide du quotidien ou d’épisodes plus graves — en particulier dans Nouaison
(agonie de la mère sublimée par l’écriture) –, la poésie de Silvia
Härri révulse les colères ou les transcende sans tomber dans une
vision exsangue ou déréalisante. Cette poésie est rare car
apparemment simple, parfois drôle et poignante. Dans cette poésie
de rue, de bus et de couloir, se révèle tout le mouvement de la vie.
Et à qui serait en mal avec la poésie, il est recommandé de lire Extravangances et Nouaison.
En deux registres différents ils prouvent ce que les mots peuvent
faire entre les êtres, mère et enfant, «marron et feuille, bogue et
bourgeon», racine de l’existence.
Entretien:
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
L’odeur d’un café qui glougloute dans une vieille cafetière
italienne, l’arrivée intempestive de mon fils qui me saute sur le
ventre en me demandant si c’est l’heure de se lever, l’envie de me
plonger dans un livre ou de griffonner un mot ou une idée dans le
petit carnet qui ne me quitte jamais.
Que sont devenus vos rêves d’enfant?
Quand j’étais enfant, je rêvais d’être fermière pour être entourée
d’animaux, puis j’ai voulu être policière pour arrêter les bandits,
infirmière pour soigner, chanteuse ou comédienne avant de me rendre
compte que les planches n’étaient pas ma vocation. Paradoxalement,
le seul métier auquel je n’ai jamais songé, celui d’enseignante, est
précisément celui dans lequel je suis «tombée» de manière tout à
fait hasardeuse et plutôt heureuse. En revanche, ce qui demeure de
mon enfance et traverse les années est ce dialogue avec les mots
écrits, l’impulsion de fixer sur le papier ou le clavier la trace
d’une idée, d’une émotion, un début d’histoire, un vers de poème, une
anecdote, une expression savoureuse … Il s’agit ici non pas d’un
rêve, mais d’une réalité, presque d’une forme de nécessité.
À quoi avez-vous renoncé?
À l’illusion de pouvoir tout régenter par la seule force de la
raison et de la volonté, au «si on veut, on peut» que l’on entend si
souvent et qui nous berce de certitudes erronées.
D’où venez-vous?
Ma mère est italienne, mon père suisse-allemand. Nous avons toujours
vécu à Genève en nous parlant français. La langue de ma mère avait
des « r » chantants, celle de mon père avait la cadence parfois
rocailleuse du suisse-allemand. Enfant, je ne m’en rendais pas compte,
c’était tout simplement la langue de la maison. Ce n’est qu’adulte
que j’en suis devenue consciente, une fois installée ailleurs, quand
un jour j’ai appelé chez mes parents et que la voix de ma mère
enregistrée sur le répondeur s’est fait entendre : elle avait
l’accent italien ! Je n’en revenais pas.
Qu’avez-vous reçu en dot?
Une bonne dose de sens de l’humour et celui des responsabilités, quelques grammes d’inquiétude et le goût de la lecture.
Qu’avez-vous dû plaquer pour votre travail?
Si par travail on entend mon métier d’enseignante, j’avoue que j’ai dû
plaquer une thèse de doctorat sur la poésie de Giorgio Caproni
parce que je ne pouvais mener l’enseignement et la recherche de front.
J’ai également dû renoncer à mon poste d’assistante à l’université,
car mon existence se résumait à une course effrénée entre le lycée
et la faculté, sans compter les innombrables heures passées à
chauffer des chaises dans les séminaires de pédagogie que nous
fréquentions pour apprendre à devenir de bons professeurs. Si par
travail on entend l’écriture, alors là je ne plaque rien, c’est tout
le contraire. Je ne veux pas renoncer à ce qui me nourrit. Tout au
plus suis-je contrainte à des « arrangements » avec la réalité pour
me ménager quelques heures dans la semaine pendant lesquelles je
puisse me consacrer à cette tâche.
Un petit plaisir-quotidien ou non?
Un carré de chocolat (en bonne Suissesse!), marcher pieds nus sur un parquet de bois, chanter.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains?
Ce n’est pas à moi de le dire… C’est à mes textes de le révéler.
Quelle fut l’image première qui esthétiquement vous interpela?
Il y avait, je ne sais pourquoi, dans un de nos albums de famille, la carte postale d’une Pietà
de Michel-Ange, celle qui est conservée à Florence, me semble-t-il.
Je devais avoir six ou sept ans, j’ai été fascinée par la figure de
pierre de Nicodème, ce vieillard dont la tête est recouverte d’une
capuche, qui tient le corps du Christ dans ses bras. Je n’ai pas de
souvenir exact, mais cette représentation de la souffrance et de
la mort me mettait mal à l’aise et j’en avais sans doute peur. Je
trouvais cela étrange et mystérieux. Plus tard, vers quinze ou seize
ans, j’ai visité une exposition consacrée à Edward Hopper au Musée
Rath de Genève. Je n’ai jamais aussi bien perçu que dans les tableaux
de cet artiste notre solitude existentielle et l’incommunicabilité
entre les êtres.
Et votre première lecture?
Je crois que c’était Oui Oui et son ami Potiron, dans la bibliothèque
rose… Mais j’avoue que je ne suis pas tout à fait sûre du titre.
Pourquoi votre attirance vers la poésie?
Parce que de toutes les formes littéraires, elle est pour moi la plus
juste et également la plus pudique pour saisir le monde. J’aime sa
densité, j’aime ce qu’elle peut esquisser sans jamais tout à fait
révéler, j’aime aussi l’espace qu’elle laisse à celui ou celle qui la
lit.
Quelles musiques écoutez-vous?
Cela varie beaucoup en fonction du moment et de l’activité. Cela va
de Barbara, Brassens et Brel à Agnès Obel, Léonard Cohen ou Eric
Clapton, en passant par Rokia Traoré et Angélique Ionatos, sans
oublier Rachmaninov, les Suites pour violoncelle de Bach ou le Stabat Mater de Pergolesi.
Quel est le livre que vous aimez relire?
L’Étranger de Camus, Poteaux d’angle d’Henri Michaux et Le Grand Cahier d’Agota Kristof.
Quel film vous fait pleurer?
Amour de Michael Haneke.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous?
Certains matins, j’y vois la fée Carabosse, d’autres une princesse,
d’autres encore une femme aux yeux fatigués qui s’approche de la
quarantaine. Mais quelle que soit celle que j’y vois, je peux encore
la regarder en face, sans avoir honte de ce qu’elle est devenue.
C’est déjà pas mal…
Quelle ville ou lieu a pour vous valeur de mythe?
Lisbonne, parce que je n’y suis encore jamais allée et que j’en rêve
depuis longtemps. Je la connais uniquement par la littérature,
notamment par les romans d’Antonio Tabucchi et cela contribue bien
sûr à renforcer le mythe. Cette ville évoque dans mon imaginaire un
mélange de faste et de décadence, de poésie et de trivialité, elle
est aussi imprégnée d’une nostalgie qui m’attire.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche?
Qu’on ne me demande pas d’expliquer pourquoi car je l’ignore, mais je
dirais Giacometti pour les arts plastiques, Vislava Szymborska pour
la poésie et Annie Saumont pour la prose.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?
Un kit anti-mélancolie ou bien, plus simple, un bon pour un stage de méditation.
Que vous inspire la phrase de Lacan: «L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas»?
Je demande un joker! Je fréquente peu ce monsieur.
Que pensez-vous de celle de W. Allen: «La réponse est oui mais quelle était la question?»
J’en pense qu’elle en dit long sur la façon dont, trop souvent, nous sommes incapables de nous écouter vraiment.
Quelle question ai-je oublié de vous poser?
Quels sont mes rêves d’adulte?
JEAN-PAUL GAVARD, lelitteraire.com
Il
est des mots qui font rêver. Tel Nouaison, qui non seulement rime avec
floraison, mais en est en quelque sorte l'aboutissement puisqu'il
signifie l'opération de transformation de la fleur en fruit. La
protagoniste du livre éponyme de Silvia Härri reconnaît avoir volé
cette définition dans le dictionnaire:
Nouer (v. intransitif): passer à l'état de fruit.
Seulement, ne noue pas qui veut. La maternité, en dépit des progrès de
la gynécologie et de l'obstétrique, a gardé sa part d'imprévisible. La
nature ne fait pas toujours bien les choses. La protagoniste en sait un
bout sur le sujet.
Après un examen où elle a plongé, des pieds aux seins, dans un engin
qui l'a englouti dans sa carapace de métal, le verdict est tombé: il
lui faut subir une intervention chirurgicale bénigne pour «ouvrir,
racommoder, recoudre, joindre, réunir, fusionner ce que la nature a
séparé par erreur»:
«Demain elle ira montrer l'objet de l'erreur comme au service
après-vente. Le plombier, le garagiste, l'électricien ou le médecin
changeront la pièce qui dysfonctionne. C'est leur métier, paraît-il.
Elle redeviendra une vraie femme, ont-ils annoncé.»
Après avoir guetté ses semblables sur le point d'enfanter, calculer le
nombre de mois, scruter leur démarche, étudier la forme de leurs
courbes, voyager autour de leur globe, elle se fait opérer pour que
soit démenti le rêve récurrent où elle découvre à la fin une poussette
vide.
Désormais, elle peut espérer qu'à son tour son ventre vide se remplira.
Le fait est qu'il se remplit et qu'au petit locataire elle fait écouter
Bach, Brassens et Mozart: «Il paraît que Mozart rend joyeux, Bach
intelligent et Brassens immortel». La musique ne fait pas qu'adoucir
les moeurs, elle coule dans le cordon...
Le moment venu, le locataire ne veut pas quitter son nid douillet: «Il
s'est planqué la tête sous les côtes. Il a bien raison. Pourquoi
devrait-il obéir aux mains gantées de plastique? Rebelle, il leur donne
du mal (tu es déjà fière de lui)».
Le ventre se vide: «Il passe, tu es en vie. Il passe, je suis en vie.»
Il existe et elle en a les preuves maintenant, tangibles. Dans sa joie
d'être restée en vie, elle peut même se demander lequel des deux,
d'elle ou de lui, est le nouveau-né...
Nouaison est le récit
d'une maternité dont l'issue n'est pas gagnée d'avance. Même si elle
emploie la troisième personne pour ce récit, et, de temps à autre, le
tutoiement pour les moments d'exhortations, c'est bien l'esprit d'une
mère que Silvia Härri livre au lecteur.
Raconter les tribulations de l'infertilité, puis celles de la
grossesse, enfin de l'accouchement, pourrait n'être que banal et
ennuyeux, si l'auteur ne jouait les notes d'une petite musique bien à
elle pour les évoquer, tantôt poétique, tantôt combative, sans être
dépourvue d'humour.
Poétique, elle emprunte, par exemple, ses images à l'art pictural: «Tu
voudrais être comme ce semeur de Van Gogh qui te frappe chaque fois que
tu le contemples. Silhouette courbée sur un champ violet, tout entière
à sa tâche, se détachant sur un ciel fulgurant d'or et de vert
tendrement acide.»
Combative, elle s'en prend vivement, par exemple, à Müller dont le
défaut de fusion partiel ou total des canaux est à l'origine de
l'anomalie de l'appareil féminin de son héroïne. Ce qui se traduit par
cette tirade molièresque:
«Müller est un inconnu.
Müller ne comprend rien.
Müller est un con.
Il ferait mieux de se la fermer avec ses mots stériles et ses
définitions tordues, il ne devrait pas s'inviter entre ses cuissses,
elle ne lui avait rien demandé. Il aurait mieux fait de rester chez
lui. Au moins tout serait comme avant.»…
Blog de FRANCIS RICHARD
Nouaison
est à la fois le livre et le lieu de métamorphoses
multiples: celle de la fleur en fruit, comme suggère son titre, de
la femme en mère, du ventre vide en ventre plein, de l’embryon en
enfant, de l’absence en présence. L’auteur évoque par touches
discontinues et allusives plusieurs facettes de la maternité dans un
texte qui convoque tour à tour le fragment, le récit, le journal, la
prose et la poésie. Ainsi c’est la langue elle-même qui noue et se
transforme au fil des pages.
SILVIA HÄRRI
|