Ninel, de Frédéric Lamoth
Ninel, c’est l’histoire d’un naufrage sentimental. Non pas voulu de
facto par les protagonistes, mais scellé par l’absurdité d’une époque
en déliquescence.
Le récit s’ouvre sur l’image d’une femme endormie dans une chambre
d’hôtel à Lugano et s’achève quatre jours plus tard sur le quai d’une
gare à la frontière de deux mondes irréconciliables. On est en avril
2022.
C’est une histoire à deux personnages, Nina et le narrateur. Et dans
l’ombre de l’héroïne, Ninel, la sœur jumelle, morte tragiquement.
Nina a quitté sa Biélorussie natale pour un eldorado qui s’est refusé à
elle. Son mariage avec un richissime Allemand est un échec. Échec aussi
sa postulation à l’EPFZ – elle avait étudié avec succès la physique
quantique et l’astrophysique.
Le narrateur la rencontre à la villa Neroli. Elle est belle et
désirable. Puis Nina lui annonce que sa mère est très malade et qu’elle
doit impérativement se rendre à son chevet. Il l’accompagne jusqu’à
l’endroit où leur histoire d’amour s’arrête. Pendant ce voyage en
train, Nina se révèle, par bribes.
Ninel, la sœur jumelle, est morte en couches. Elle avait accepté d’être
mère porteuse pour un couple de Français en mal d’enfants. Une partie
de l’argent encaissé avait été versé à leur mère, le reste avait permis
à Nina d’achever ses études.
Ce récit d’un retour en terre natale est scandé par le bruit et la
fureur de la guerre en Ukraine. Le destin des amants est écrit selon un
scénario dont ils ne comprennent pas les règles. Comme si les dieux
jouaient leur sort aux dés.
Ce roman puissant, pétri d’humanité, vous prend aux tripes. Ce destin
implacable nous interpelle parce qu’il pourrait être le nôtre.
L’écriture de Frédéric Lamoth est belle et racée. Le récit est tissé
par ces horreurs qui donnent la nausée, mais l’écrivain ne tombe jamais
dans le pathos, d’où sa force.
Ninel est le neuvième
roman de l’auteur, né en 1975 à Vevey d’un père hongrois et d’une mère
suisse. Médecin et écrivain, il pose un regard lucide et sans
concession sur l’évolution de la société à travers les générations de
notre histoire contemporaine.
ELIANE JUNOD, L'Omnibus
Un roman intimiste d’amour et de voyage
Attention ! Ce livre n’est pas
fait pour être lu sous les cocotiers avec de la musique dans les
oreillettes… Il requiert calme et attention.
D’autant plus que la langue de Frédéric Lamoth est élégante, parfois à
la limite de la préciosité. C’est un roman intimiste qui peut faire
songer à celui de Thomas Mann, La Mort à Venise,
auquel l’auteur fait d’ailleurs allusion. La trame en est assez simple.
Le père du narrateur possède un hôtel à Lugano. Là séjournent une jeune
femme, Nina, et Thomas Lerch, son compagnon ou « protecteur », un
Allemand plus âgé et assez « bling-bling », personnage qui se révélera
ultérieurement plus sympathique qu’il ne l’était au premier abord. Le
narrateur fait la connaissance de Nina, c’est le coup de foudre. Elle
quitte Lerch et va partir avec son jeune amant dans un long périple, ou
une « dérive », comme le dit l’auteur, qui va les mener par étapes à
travers l’Europe de l’Est. On apprend que Nina est Biélorusse et
qu’elle a fait ses études à Vitebsk, en Ukraine. Deux régions marquées
par le conflit armé actuel, qui apparaît en filigrane dans le roman,
lequel se déroule pendant l’année 2022.
Le livre est donc le récit d’un voyage, par Venise, Ljubljana,
Budapest, Kiev et Varsovie. Une région que Frédéric Lamoth semble bien
connaître, son père étant d’origine hongroise. Mais ce n’est pas un
voyage « touristique », où l’auteur chercherait la « couleur locale ».
Chaque ville est sommairement évoquée, et il s’y déroule souvent un
événement insolite. On sait par ailleurs que la relation amoureuse
entre ces deux êtres va inéluctablement prendre fin au terme de leur
voyage.
Mais le réel sujet du roman, c’est la découverte progressive que l’on
fait, en même temps que le narrateur, de Nina, une jeune femme étrange,
parfois impénétrable, et qui va se dévoiler pan par pan. On apprend que
Nina a eu une sœur jumelle, nommée Ninel (elle a donné son titre au
livre), dont le lecteur découvrira le sort assez tardivement. Tout cela
confère au récit un caractère étrange, mystérieux, dans lequel le
lecteur doit lui aussi entrer progressivement et sans faire preuve
d’impatience. Car tout est en pianissimo ou en Moderato cantabile, pour
reprendre le titre d’un roman de Marguerite Duras, qui évoque lui aussi
une relation improbable et inéluctablement marquée par sa fin
prévisible. Le narrateur l’évoque d’ailleurs avec nostalgie.
Notons que Frédéric Lamoth, dans une vie parallèle, est professeur
associé au CHUV. Il n’est pas le seul à combiner littérature et
médecine : songeons à Anton Tchékhov, Georges Duhamel, Louis Aragon,
Louis-Ferdinand Céline et à bien d’autres. Est-cela qui leur a permis
de mieux sonder l’âme humaine ? Ce n’est qu’une hypothèse…
PIERRE JEANNERET, Le Courrier de Lavaux-Oron-Jorat
Carrefour des solitudes
Une histoire d'amants, voilà qui paraît classique. Relatée par Frédéric
Lamoth dans son nouveau roman, celle-ci évoque les liens impossibles
entre Nina, une jeune femme un peu russe, un peu biélorusse, un peu
ukrainienne, avec deux hommes, Lerch d'une part, et le narrateur
d'autre part. Cela, alors qu'éclate, du côté du Donbass, le conflit
entre la Russie et l'Ukraine.
Nina apparaît assez vite ballottée entre les deux hommes: Lerch, qui
l'a connue via une agence matrimoniale, nourrit pour elle des
sentiments tièdes. Nina elle-même n'est pas du genre ardente, ce qui ne
manque pas de désarçonner parfois le narrateur, même si celui-ci, peu
curieux, peut lui aussi apparaître peu motivé. Cela, d'autant plus
qu'il paraît placé sur le chemin de Nina presque par hasard, et que
c'est plutôt Lerch qui va la placer sous sa responsabilité. Tout cela
renvoie aux «amoureux en gris» de Marc Chagall, peut-être morts.
S'il paraît lié par les circonstances, le destin de ces
personnages est celui de trois solitudes: Lerch est un industriel
fantasque qui a tenté l'aventure matrimoniale presque sur un coup de
tête, le narrateur est un jeune étudiant destiné à reprendre, seul, la
direction de l'hôtel de Papa. Quant à Nina, personnage froid et secret,
jeté dans un monde qui lui est culturellement étranger, décevant même
peut-être, sa solitude est plus profonde: le lecteur l'apprend peu à
peu, elle a une sœur jumelle, Ninel, trop tôt disparue.
Paire d'amants sans extase, conscients peut-être de l'inanité de leur
liaison sur fond de conflit, ce couple traverse en train une
Mitteleuropa peu décrite, propice cependant à lever le coin du voile
sur l'éternelle absente du tableau: Ninel, qui donne son titre au livre
et constitue l'énigme qui fait avancer le lecteur. Son prénom, si
proche de celui de sa sœur jumelle, paraît pourtant étrange; conservés
par Nina, ses dessins sont évocateurs. Quant à son destin, ce n'est
qu'en fin de roman que le lecteur en connaîtra le fin mot, ancré dans
une actualité familière depuis maintenant trois ans – voire plus.
Mis au contact d'histoires d'amour vécues presque à contrecœur, le
narrateur sortira changé de cet épisode, résolument solitaire lui
aussi. Quant au lecteur, il garde de Ninel
le souvenir d'un roman aux atmosphères feutrées comme peuvent l'être
celles d'un palace tessinois, écrit dans une musique des mots en mode
mineur.
Blog de DANIEL FATTORE
Un train qui s’ébranle vers l’Est
Avec Ninel, Frédéric Lamoth fait voyager Nina à la rencontre de sa sa sœur disparue.
Milan, Venise, Budapest. Autant d’escales du voyage de Nina et du narrateur. Dans Ninel,
un homme fait la connaissance de Nina, mi-Ukrainienne mi-Biélorusse,
pendant qu’un congrès se déroule dans un luxueux établissement de
Lugano. Le duo entame dès lors une liaison, au point que leur périple
vers l’Europe centrale et la Pologne s’apparente à un voyage de noces.
Ninel est le dernier roman de l’écrivain et médecin né à Vevey Frédéric Lamoth, dont un Lève-toi et marche avait fait partie en 2016 de la sélection pour le Roman des Romands. Malgré la pluralité évidente des lieux de l’intrigue, Ninel
n’est pas un récit de voyage. Il s’agit plutôt d’un parcours de
mémoire, d’un itinéraire conçu au rythme des sentiments, de
l’attachement. Le tout alors que l’irruption de la guerre contraste
avec le temps long de la vieille Europe dont le duo est imprégné.
Dans une langue directe, empreinte de poésie, ménageant diverses découvertes à mesure que se révèle l’histoire de Nina, Ninel
montre deux personnes que l’actualité va séparer. Au-delà des canaux
vénitiens, du charme fin de siècle des thermes de Budapest, le monde a
désormais changé. «Je dois rentrer chez moi», annonce Nina.
Or, chez elle, c’est en Ukraine où sa mère est gravement malade. Pas
question de se dérober. L’amour de l’art, voire l’amour tout court, ne
peuvent pas effacer le passé ni stopper la tournure nouvelle prise par
les événements après l’invasion russe.
En arrière-plan des moments vécus en couple, des Grisons à Ljubljana,
en Italie et en Hongrie, apparaît le fantôme de Ninel. Lénine à
l’envers, tel est le nom d’une sœur disparue de Nina. Lorsque celle-ci
prend congé du narrateur, quelque part sur un quai de gare de province
dans l’est polonais, il lui reste en main un cliché de Ninel. Un
morceau de mémoire en guise d’adieu avant que le train ne s’ébranle
vers l’Est.
MARC-OLIVIER PARLATANO, Le Courrier
Vers l’Est, vers la fin d’un amour
Il flotte une étrange atmosphère, envoûtante, dans ce bref roman. Une
incertitude, une sensation de brume et d’instabilité. Dans la pension
tessinoise que tiennent ses parents, le narrateur est tombé amoureux de
Nina, qui séjournait avec son riche mari allemand. Née en Biélorussie,
elle a étudié en Ukraine et préfère rester à Lugano au moment où son
époux repart à Munich. Quand la Russie envahit l’Ukraine, elle décide
de retourner auprès de sa mère malade. Le couple traverse l’Europe,
conscient d’approcher une inéluctable séparation.
Avec Ninel, Frédéric Lamoth
nous fait suivre ce voyage vers l’Est en insérant différents épisodes
de cette relation. Ce subtil jeu sur la temporalité s’ajoute à la
délicatesse de cette langue où chaque mot semble pesé, soigné. Comme
souvent dans ses romans, l’écrivain vaudois excelle à faire résonner
les tourments de l’histoire et ceux de ses person-nages. Tout comme il
tire des fils entre leurs sentiments ou leurs pensées et les éléments
extérieurs, à l’image de ce café à la «fadeur un peu acide» qui donne
«l’impression de connaître un avant-goût de notre séparation». Ou de
ces eaux qui «se tordent de douleur ou de rire, chatouillées par la
lumière. On dirait nos illusions qui se débattent.»
ERIC BULLIARD, La Gruyère
«Elle dort déjà. Contrairement à moi, elle n'a jamais eu de
peine à s'endormir. Sa conscience est comme l'obscurité qui se
maintient au-dessus de l'eau, légère, si proche de l’inconscient.»
Le narrateur sait qu'avec elle, la fin est proche. Il ignore encore
qu'elle se produira au bout de cinq jours en ce mois d'avril 2022.
L'année 2022 a son importance dans l'histoire, parce que, le 22
février, la guerre entre la Russie et l'Ukraine est devenue ouverte.
Leur histoire va finir là où elle a commencé, à Lugano, où vivent
les parents du narrateur, qu'elle a voulu revoir une dernière fois.
Le commencement de la fin se passe dans la chambre d'un hôtel, celle-là même où il l'a rencontrée, à la fin du mois d'août 2021.
Nina était arrivée au début du mois à la Villa Naroli, tenue par
ses parents à lui, en compagnie de Thomas Lerch, plus âgé qu'elle.
Le plus surprenant était que ce riche homme d'affaires, en partant pour
l'Allemagne, la lui avait confiée, lui disant de s'en occuper.
Restée tout le mois d'août, Nina n'avait pas l'intention de rejoindre
Thomas en Allemagne, mais avait suivi le narrateur à Zurich.
Elle lui avait révélé d'où elle venait, la Biélorussie, qu'elle avait
fait des études d'astrophysique à l'école polytechnique de Kiev.
Pour Noël, ils étaient allés dans les Grisons. Là-bas, elle lui
avait enfin permis d'ouvrir sa «pochette en carton, avec son ruban
noir».
Il avait alors appris l'existence de Ninel, la jumelle de Nina, dont
les croquis et aquarelles étaient contenus dans cette pochette.
«Ninel peint ce qu'elle voit dans le ciel,» Nina lui avait dit au sujet
d'un tableau où Ninel avait représenté pour elle «La mer de Jupiter».
Peu à peu le lecteur apprend l'histoire des jumelles, le véritable rôle
de Thomas Lerch, que le narrateur reverra une dernière fois.
En avril 2022, lui et Nina parcourent l'Europe, d'ouest en est, qui s'opposent et s'attirent, comme eux, jusques en Biélorussie.
Détaché d'elle alors malgré lui, il emportera cependant avec lui
l'image de Ninel, l'envers de Nina, et ira son chemin, solitaire.
Blog de FRANCIS RICHARD
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Deux amants… On suit leur itinéraire à travers des villes
emblématiques de la vieille Europe, comme Venise ou Budapest. Ce
pourrait être leur voyage de noces. Mais on sait, d’emblée, que la
séparation les attend au terme de cette dérive. Une rupture consommée,
assumée. Celle entre deux mondes que désormais tout oppose. Depuis que
la Russie a envahi l’Ukraine. Elle retourne dans son pays parce que sa
mère est malade. Mais qui est vraiment Nina ? Qu’est-il arrivé à Ninel,
sa sœur jumelle, dont le spectre l’accompagne ? Son histoire se révèle
peu à peu au long de ce voyage qui aboutit sur un quai de gare en
Pologne. Avec ce train qui part à l’Est, du côté où le jour se lève.
FREDERIC LAMOTH
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