Ludwig Hohl, d'Anna Stüssi
Anna Stüssi, dans ce fort volume biographique, s'intéresse aux années
1904-1937 de Ludwig Hohl (1904-1980), ce qui ne l'empêche pas de faire
quelques incursions bien au-delà de 1937.
Comme elle le dit dans son introduction, «la gloire vint tardivement et
s'estompa bientôt». Aussi faut-il remercier Bernard Campiche d'avoir
édité et Antonin Moeri d'avoir traduit cette biographie.
À l'appui de ses dires, l'auteure cite abondamment l'écrivain suisse
allemand, qu'il s'agisse de ses œuvres ou de sa correspondance, ainsi
que ce qu'ont dit de lui ses amis dans leurs lettres et articles.
Ainsi découvre-ton une personnalité hors normes. Il n'est pas beaucoup
d'écrivains comme lui qui ont eu ou ont une telle persévérance à
continuer d'écrire en dépit du manque de reconnaissance.
Ludwig Hohl sait depuis tout petit qu'il ne veut qu'une chose au monde
être un artiste. Connaître misères et désolations ne sont pas raisons
suffisantes pour renoncer à écrire... nombre de notes.
Dire que c'était quelqu'un qui était paresseux et se la coulait douce
serait une terrible erreur commise sur la personne. Pendant de longues
périodes il a travaillé sans trêves ni repos ni souci de sa santé.
Les années 1904-1937 suffisent à familiariser le lecteur avec cet homme
instable, qui ne travaille pas pour vivre, au grand dam de ses parents
qui ne le comprennent pas, mais pour être un vrai artiste.
Comme tout vrai artiste, Ludwig Hohl est hypersensible. Mais cette
hypersensibilité ne justifie pas pour autant d'être désorganisé et ne
pas noter tout ce qu'il fait pour en tirer des leçons sur la vie.
Il note même ses rêves qui, nous dit sa biographe, ont une grande
importance existentielle: «Il y trouvait des informations sur lui-même
et, en plus, l'expression d'une imagination poétique archaïque…»
Ses amis ont également une grande importance pour lui, qui échange
beaucoup avec eux, de même que les géants de la littérature, poètes,
philosophes, écrivains, dont il fait son miel de la lecture.
Il ne se sent pas bien en Suisse où son mode de vie marginale et
originale est incompris. À Paris, à Marseille, aux Goudes, à Faverges,
à Vienne, à Grein an der Donau ou à La Haye, il est son pays.
En 1937, revenu en Suisse, à Genève, loin du Glaris natal, traversant
le lac Léman à la nage, ce personnage de roman est apaisé par la simple
vue du Mont-Blanc qui le regarde depuis un moment
«C’est à cette image que recourut la biographe quand le courage allait
la quitter sur la longue route à travers la biographie de Hohl.»
Blog de FRANCIS RICHARD
L’impressionnante biographie de l’essayiste Anna Stüssi sur le devenir écrivain de Ludwig Hohl enfin en français
L’effort titanesque vers l’œuvre
«Tu seras ou un grand poète ou rien du tout», écrit Gertrud Luder à son
«petit lion» alors qu’ils n’ont pas 20 ans. La trajectoire de Ludwig
Hohl oscillera entre ses deux pôles: le néant et la lumière. Saturne et
Jupiter, le prosaïque et l’infini, la sensation d’avoir échoué et la
certitude que l’ascension vers l’œuvre est la seule voie. À 12 ans,
asphyxié par un milieu familial glaronnais inapte à lui reconnaître
aucun talent, il note déjà: «Je suis faible dans la vie, l’écriture
sera mon seul royaume.»
Pour ce fou des sommets austère et volubile, colérique et exalté, qui
pratiqua l’alpinisme et la musculation à haute intensité, l’enjeu
existentiel se logera dans ce geste – écrire –, creuset où se presse un
besoin de clarifier impressions, idées, sensations pour faire face à
l’incommensurable réalité. Encore faudra-t-il qu’à la force de travail
s’allie le don de vision et que la pensée rationnelle fusionne avec
l’esprit poétique. Les années 1920-1930 seront à ce titre
déterminantes, raison pour laquelle on les retrouve amplement
documentées dans la biographie que l’essayiste bernoise Anna Stüssi a
consacré à l’écrivain en 2014.
Ludwig Hohl. En route vers l’œuvre
vient de paraître en français chez Bernard Campiche Éditeur grâce à
l’écrivain Antonin Moeri, à qui l’on doit de nombreuses traductions de
Ludwig Hohl, dont Le Petit Cheval et L’Étrange Tournant.
Sous l’écume des faits
Outre le balisage factuel d’une vie – lieux (Paris, Marseille, La
Haye), réseaux de sociabilité (La Rotonde, à Montparnasse, le café
Herrenhof à Vienne), récit des origines, amours, amitiés, soit ce que
l’on peut attendre du genre biographique –, le livre réussit là où on
ne l’attend pas. Anna Stüssi parvient à se glisser sous l’écume des
faits – pour restituer l’odyssée intérieure d’un homme en lutte avec le
manque d’argent, la faim, les refus des éditeurs, la défiance de ses
proches face à son jusqu’au-boutisme de créateur. C’est à ce prix,
colossal, celui de la pauvreté consentie et de la conviction profonde
que l’art est tout, qu’il parviendra à délaisser la forme
conventionnelle (roman, poème) pour investir cette prose poétique et
discursive, tranchante et fragmentaire, qui caractérisera Notes, ouvrage majeur paru en 1944 et traduit en 1989 par Étienne Bariller.
«Qu’est-ce que l’art? En faible lueur matinale après une grande
tourmente», écrit-il en 1926. Chez Hohl, la gestation de l’œuvre est
passionnante, car elle engage un effort titanesque vers un surplus
d’acuité dont la contrepartie nécessaire est un abîme de dispersion.
Alcool, véronal, cellule de dégrisement, dérives nocturnes jusqu’au
délire seront ainsi du voyage. Un voyage dans les limbes de l’être, que
la somme impressionnante de documents – lettres, carnets, esquisses,
manuscrits – métabolises et intégrés à bon escient par Anna Stüssi dans
son essai, permet de rendre intensément vivant.
MAXIME MAILLARD, Le Courrier
Les années d’errance d’un insoumis
Une riche biographie de Ludwig Hohl paraît en français, centrée sur sa jeunesse
L’écrivain Antonin Moeri traduit également, chez Bernard Campiche, une
riche biographie de Ludwig Hohl (1904-1980), plus précisément de ses
années de formation, avant que le penseur poète ne se retranche dans sa
cave genevoise pour réordonner patiemment ses liasses de Notes,
devenant un ermite dont les admirateurs venaient recueillir les
oracles. Parue en allemand en 2014, elle est signée par la Bernoise
Anna Stüssi. Kaléidoscopique, elle préserve la richesse de son modèle
sans en faire une caricature ni chercher à gommer ses aspérités.
À travers lettres et documents inédits, elle compose avec finesse un
passionnant portrait de l’écrivain, de son enfance dans le canton de
Glaris à ses années d’errance entre 1924 et 1937, entre Paris, Vienne,
La Haye… Jusqu’à ce qu’il revienne dans cette Suisse «mesquine» qu’il
détestait, imaginant n’y faire qu’une halte pour fuir ses créanciers
sans savoir qu’il allait y rester jusqu’à la fin de sa vie. Lui qui
avait détesté à peu près toutes les villes fut séduit par la lumière de
Genève, «sans doute la plus belle du monde».
JULIEN BURRI, Le Temps
Ludwig Hohl, sa vie et ses frasques genevoises
Les grands artistes suisses ont souvent choisi l’exil (Giacometti,
Cendrars, etc.), mais l’exil n’a pas toujours fait leur succès. Né à
Netstal, dans le canton de Glaris, Ludwig Hohl (1904-1980) n’a presque
rien publié durant les années d’errance qui l’ont conduit à Paris,
Marseille, Vienne et La Haye avant de le ramener en Suisse, en 1937, où
il va finir ses jours au fond d’une cave genevoise. C’est à cette vie
nomade, loin de la Suisse détestée, que s’en tient la biographie d’Anna
Stüssi: un travail précis, sensible, éclairant, fondé sur l’exploration
des 250 boîtes de documents que contient le fonds Ludwig Hohl déposé
aux Archives littéraires suisses. Si le livre s’arrête en 1937,
explique son auteure, c’est parce que la première partie de cette vie
turbulente, souvent miséreuse et alcoolisée «contient déjà tout Hohl».
Anna Stüssi montre l’œuvre en train de se faire, dans l’obscurité de sa
chrysalide.
L’écrivain Antonin Moeri a traduit cette biographie, mais aussi un texte inédit de Ludwig Hohl qui paraît simultanément: Séjour intérieur (Rapport)
(Editions Othello, 192 p.). Il date de 1941, donc des années
genevoises, et il a été écrit peu de temps après les faits qu’il
rapporte: trois jours derrière les murs de la prison Saint-Antoine à
cause d’un esclandre en état d’ébriété au café Central. C’est le récit
d’un voyage immobile, comme celui que Xavier de Maistre avait fait
autour de sa chambre. Minutieux jusqu’à la maniaquerie, Ludwig Hohl
décrit la vie carcérale, les codétenus, les repas, la promenade, la
tinette, les fenêtres grillagées à travers lesquelles on ne peut voir
«que le ciel, sans jamais apercevoir la terre». Il se prétend
froidement objectif, comme devrait l’être un rapport. Mais il ne l’est
pas, bien sûr, et c’est dans cet écart que s’insinue la drôlerie
grinçante du texte. Le lecteur n’est pas mécontent de passer trois
jours à l’ombre avec un tel prince de la marginalité littéraire.
MICHEL AUDÉTAT, Le Matin Dimanche
L’image
que nous gardons de Ludwig Hohl est celle d’un penseur vivant dans une
cave à Genève, sous les pages manuscrites pendues à des ficelles.
Anna Stüssi raconte les années errantes d’un insoumis qui ont précédé
cette sédentarité. Ludwig Hohl n’a obtenu une certaine reconnaissance
qu’à la fin de sa vie. Sa pensée, qui ne se contente pas de saisir les
contours patents des phénomènes, est d’une incroyable modernité. Il l’a
élaborée dans les années 1920-1930, loin de sa patrie.
La biographie d’Anna Stüssi embrasse cette période-là de sa vie. Le
jeune Hohl fuit l’étroitesse de la Suisse, d’abord à Paris, dans le
quartier Montparnasse. Infatigable flâneur, il est toujours en route,
dans les Alpes, à Marseille, Vienne et, finalement, dans la ville
paisible de La Haye, où il fixe les contours d’une manière très
personnelle de penser. Quand il revient en Suisse pour des raisons de
détresse matérielle, il transporte dans une valise une oeuvre presque
achevée: les mille pages des Notes.
Anna Stüssi a travaillé sur de nombreux documents non publiés. Elle en
a tiré le portrait sensible d’un individu qui ne cesse d’utiliser ses
propres expériences et les circonstances menaçantes de l’époque pour
les transposer avec une grande force poétique.
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