«Lève-toi
et marche!», cela pourrait être un ordre donné par un supérieur à ses
soldats. C'est pourtant à une autre autorité, à la fois
incompréhensible et inquiétante qu'obéit Samuel Jourdain, une jeune
recrue, lorsqu'il se lève au milieu de la nuit et quitte le dortoir où
ses camarades sont endormis, entamant une marche dont il ignore le
sens, la direction et le but.
Ce séisme minuscule à l'échelle de l'univers, gigantesque à l'échelle
humaine, va ébranler toutes les fragiles institutions que les hommes
érigent depuis toujours pour apprivoiser le vide et l'absurde. Au sein
de l'armée encore plus que partout ailleurs. Le major Trottaz,
responsable de Samuel, sait «qu'on ne sait jamais de quoi est capable
celui qui fait ça», que tout ne se règle pas par l'autorité, qu'il faut
de l'intuition pour apprivoiser ce que l'on ne peut maîtriser et que
cela ne s'apprend pas.
Qui est-il, d'ailleurs, ce garçon, ce Samuel fugueur? Un illuminé, un
fou ou un être humain qui affronte ses blessures les plus secrètes:
réminiscences d'un jeune frère mort trop tôt, sensibilité exacerbée qui
lui fait ressentir la plus légère émotion de ses compagnons, intuition
vertigineuse des gouffres de l'existence...
La quête où s'est lancé Samuel lui fera-t-elle comprendre que «la nuit
est toujours trop exiguë pour y trouver refuge». Et que l'homme finit
toujours par avoir peur et souhaiter qu'on le trouve.
ANNE-MARIE CORNU, Roman des Romands
Né
en 1975, médecin, Frédéric Lamoth a déjà quatre romans à son actif. Ce
qui caractérise ses livres, c’est une atmosphère d’étrangeté, parfois
même onirique. Le lecteur peut s’y sentir au début un peu perdu, même
si les choses s’éclairent en cours de récit.
Samuel Jourdain – dont le titre aux consonances bibliques n’est pas le
fruit du hasard – est une jeune recrue des troupes blindées de l’armée
suisse. À sa septième semaine, il décide de déserter, sans que les
motifs de cet acte n’apparaissent jamais clairement.
Là aussi, on va trouver des chapitres en alternance. Les uns racontent
sa cavale à travers des paysages vaudois, pérégrination dans une ascèse
forcée marquée aussi par des rencontres. D’autres chapitres mettent en
scène ses officiers, inquiets de cette fuite ou s’interrogeant sur leur
métier de militaires professionnels, ou encore les camarades recrues du
fuyard. L’atmosphère militaire, que beaucoup de nos lecteurs ont sans
doute connue, est bien décrite, avec ses lourdeurs, ses règlements
tatillons, ses rites, cependant sans que l’auteur n’en fasse une
caricature. Enfin des flash-back restituent l’enfance de Samuel, aux
côtés de son petit frère Joël gravement malade.
Peu à peu va se révéler un drame familial. Est-ce le souvenir de
celui-ci qui a poussé Samuel à «partir», le seul mot qu’il trouvera
pour expliquer son geste? Le roman vaut aussi pour sa langue châtiée,
par moments à la limite de la préciosité. Et comme les œuvres
précédentes de Frédéric Lamoth, il baigne dans une atmosphère à la fois
religieuse, dont témoigne son titre, et musicale, tandis que rôde
toujours la présence de la mort.
PIERRE JEANNERET, Domaine public, No 2144
Un roman sur la solitude d'une recrue parmi ses camarades: Lève-toi et marche,
de Frédéric Lamoth, suit un héros fuyant son dortoir pour une virée
sans issue. Un road-movie vaudois sur les thèmes de la liberté, du sens
de la vie et de la difficulté à se projeter dans l'avenir, sur fond
d'une armée divisée entre Anciens et Modernes.
…et Geneviève, d’un livre, il s’appelle Lève-toi et marche,
un titre a-priori plus biblique que militaire. Ce livre met en scène un
soldat suisse qui quitte sa caserne en pleine nuit, sur un coup de
tête, une idée qui habite peut-être en ce moment les pensées le l’une
ou l’autre de sept mille recrues qui ont commencé leur service samedi
dernier…
Geneviève Bridel. Alors
peut-être, mais sans doute que la peur de la sanction les retiennent de
passer à l’acte… C’est vrai qu’on imagine la caserne comme un lieu
d’enfermement, enfin je dis «on» quand on y est pas allés… Avec des
brimades, de la promiscuité et avec une fatigue physique mais
peut-être mentale aussi, donc on se dit ce moment hors du temps civill,
on pousse peut-être quelqu’un à la solitude, à faire des bilans, et
c’est un contexte propice, peut-être, à un geste irraisonné, c’est en
tout cas l’explication qu’on cherche en tant que lecteur, explication
qui ne viendra pas, au geste de Samuel Jourdain, qui est le héros de ce
livre et qui se contente de dire «fallait que je marche» comme s’il
devait, il était appelé à… par quelque chose de plus fort que lui
et peut-être à la recherche de son passé, de son identité, identité
peut-être dissoute dans ce grand mélange de soldats qu’est une caserne…
Enfin je l’imagine…
Oui,
il y a beaucoup de juste dans ce que vous avez dit… Si je devine bien,
Geneviève, sa cavale s’est terminée au trou… On ne divulgue rien, là…
Geneviève Bridel. …On ne
divulgue rien du tout, le trou… Bon je ne vais entrer dans les détails,
mais disons simplement que la question n’est pratiquement pas abordée,
d’ailleurs la mention de la capture du soldat fait à peine une ligne,
juste pour annoncer qu’il est de retour à la case départ, la question
c’est vraiment «pourquoi», question à laquelle on n’a pas réellement de
réponse, mais quelques pistes… C’est vrai qu’il n’y a pas d’élément
déclencheur, mais on apprend petit à petit que ce jeune homme a perdu
son petit frère, d’une maladie génétique quand il était petit, que sa
mère, du coup, a fait un séjour en clinique psychiatrique, que lui a
toujours été un enfant timide et renfermé, qu’il n’a pas de succès
auprès des filles, et cetera, qu’il avait une enfance assez solitaire,
mais finalement vous me direz que c’est le cas de beaucoup de jeunes
gens… …Ils ne passent pas pour autant à l’acte de quitter la caserne…
Et toutes ces choses-là, on les apprend par deux biais, d’une part par
des séquences qui s’intitulent «Parallèles» et qui s’entremêlent au
récit de sa fuite, de sa marche, justement, solitaire… C’est comme des
instantanés qui reflètent son enfance et sa vie passée et puis par les
infos que l’Autorité, avec un grand «A», les gradés divers, essaie
de recouper pour comprendre effectivement qui est ce soldat…
Oui, Julien Comelli, l’armée suisse a inspiré pas mal de réalisateurs et réalisatrices, en l’occurrence…
Julien Comelli. …Oui, moi je pense à un documentaire qui s’appelle L’Homme des casernes,
déjà le titre prête à sourire, enfin quand on n’est pas concerné
directement, un documentaire de Jacqueline Veuve, donc notre illustre
documentariste suisse romande qui est décédée il y a trois ans… Un film
qui avait été commandé par l’armée, il faut le savoir… En 1990, on lui
avait demandé de suivre quatre recrues à Colombier pendant leur quatre
mois d’École de Recrues, en pensant que ça leur ferait de la bonne
pub’… Quand ils ont vu le résultat, ils n’ont pas été très contents,
Ils auraient bien aimé que le film ne sorte jamais, il a été en
gestation longtemps, mais il a fini par être acheté par Arte, donc le
film est passé sur Arte… Et c’est assez surréaliste…
Mais pourquoi ils n’étaient pas contents? Parce que pour ceux qui n’ont pas vu le film, «L’Homme des casernes»…
Julien Comelli. …Parce
que le filme essaie de rester assez objectif et je pense qu’il est
vraiment objectif… Mais effectivement on voit ces recrues qui sont là,
en train de s’ennuyer, d’autres sur lesquelles, en tout cas à l’époque,
on faisait un peu de forcing pour commencer à grader, qui n’ont pas
envie… Et voilà, donc, ça montre une image un peu terne, et puis c’est
vrai que ça a été tourné dans une partie de l’hiver, en seize
millimètres, donc il y a un côté un peu Derrick dans l’image qui n’est pas très glamour non plus… On est proche d’un épisode de Strip-Tease, l’émission belge qui déshabille la société…
D’accord.
donc «L’Homme des casernes», pour se replonger dans cette ambiance
École de Recrues, Jacqueline Veuve 1994… Geneviève Bridel, ce roman, Lève-toi et marche, il cherche justement à montrer à quels extrêmes l’École de Recrues peut pousser certains soldats…
Geneviève Bridel. …Alors,
s’il le fait, c’et de manière très discrète, mais disons c’est vrai
qu’il y a des passages très ironiques sur l’armée et moi ce qui m’a
frappé c’est qu’il y a un constat, alors l’ennui dont parle Julien
existe, mais un constat assez négatif par rapport à ce qu’on pourrait
imaginer du dehors comme une forme de camaraderie entre soldats,
recrues, alors c’est très peu présent dans le livre, il n’y a même pas
d’échange entre eux, une ou deux phrases à propos d’un bouquin et
encore… Cette fameuse mixité sociale dont on nous a beaucoup parlé à
propos de notre armée de milice, elle n’est pas très visible ni très
concluante dans le livre… Par contre il y a une brochette de
personnages assez typés entre les traditionnalistes, les acros de
l’autorité, du respect de l’autorité, et puis une génération de gradés
un peu plus résignés à ce qu’on n‘impose plus le service au fait que
par exemple quand on constate que la recrue représente un danger pour
elle-même, c’est l’expression, ou pour son entourage, on va la
licencier… Et ça m’a frappé, justement en vérifiant le chiffre de ceux
qui ont commencé le 4 juillet, de voir que dans «L’Agefi» on disait que
c’est un chiffre provisoire parce que à la fin de la semaine il y aura
forcément des licenciés, donc on sent qu’il y a une espèce d’abandon de
l’obligation de servir, même dans la tête de ceux qui représentent
t’Autorité…
Bon,
on rappelle quand même que l’obligation de servir existe toujours bel
et bien en Suisse, mais c’est vrai que ces dernière années il y a de
plus en plus de gens qui, notamment la première semaine, quittent les
rangs de l’École de Recrues.
Anne-Laure Gnanac. …Oui,
c’est ce rapport toujours très ambivalent à la tradition, à la coutume,
même au-delà de la simple École de Recrues, il y a un côté cet
attachement parce qu’on est bien conscient que c’est quand même un
liant social, alors vous dites que le livre bouleverse un petit peu ça,
malgré tout toute tradition toute coutume est un liant social où on est
censé se retrouver tous et même à travers l’histoire, donc il y a cette
lignée qui se fait là… Et puis, d’un autre côté, on sent bien que les
traditions, les coutumes, sont aussi un enfermement, une prison contre,
en tout cas, ce sentiment de liberté, de devenir soi, c’est peut-être
ça que le personnage, d’une manière ou d’une autre, incarne, porte, je
ne sais pas, sa désertion…
Geneviève,
le soldat Jourdain, justement, ce héros, c’est une de ces personnes
bien tranquilles… Quand il y a des faits-divers, on interviewe tout le
voisinage et on dit «Ah mais il était si tranquille, ce monsieur…
J’aurais jamais cru…»… C’est ça qu’il incarne, Jourdain? Ces personnes
tranquilles qui commettent des gestes imprévisibles.
Geneviève Bridel …En
quelque sorte et puis je crois vraiment que l’auteur, Frédéric Lamoth
qui est lui-même médecin, et d’ailleurs c’est frappant parce qu’il
montre que le médecin militaire a une autorité indiscutable. C’est un
peu comme l’arbitre au foot, je dirais. Mais c’est vrai qu’il semble
plutôt montrer que son héros a besoin d’air et en refermant le livre on
se dit que c’est plus un livre sur une parenthèse bucolique, sur un
besoin de se réapproprier sa vie, sur le besoin de profiter de l’été,
puisque ça se passe l’été et qu’on voit ce jeune homme arpenter la
campagne du Gros-de-Vaud qui est magnifique, on se rend compte vraiment
qu’il y a aussi une image du pays «propre en ordre», bien nettoyé, bien
présenté avec ses paysages très propres, très ordonnés, qui est un peu
mis à mal parce que sous la nature, il y a la sauvagerie, il y a la vie
animale, il y a les moments qui font peur, il y a les ronces, il y a
les rencontres étranges et ça confirme, au fond, au niveau de la nature
ce que vous dites au niveau de la personnalité du soldat: quelque chose
de dessous qui frémit voire qui bouillonne et qui n’apparaît pas en
surface… C’est vraiment un moment de liberté savouré, une
réappropriation de sa vie par le soldat Jourdain…
GENEVIÈVE BRIDEL, RTS, La Première, Six heures-Neuf heures, le samedi
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La fugue champêtre de Frédéric Lamoth
Une nuit, la recrue Jourdain, se lève, quitte la caserne et s’en va
C’est un conte d’été, une fantaisie, une évasion que ce Lève-toi et marche,
roman de Frédéric Lamoth, au titre bizarrement biblique. S’il fallait y
lire des références, plutôt que vers Lazare, on pencherait du côté du
«frais cresson bleu» du Dormeur du val ou vers le «triste cœur de caporal» d’un certain Arthur Rimbaud. À l’auteur des Illuminations,
Frédéric Lamoth dérobe une poésie des champs, de l’herbe, de la nuit,
des rivières et de la liberté; mais aussi une sorte de dégoût potache,
mêlé de curiosité, pour la chose militaire, l’École de recrues, en
l’occurrence.
Lève-toi et marche est le cinquième roman de Frédéric Lamoth, qui a signé, depuis 2003, La Mort digne, Les Sirènes de Budapest, Orion et Sur Fond blanc chez Bernard Campiche. L’intrigue de Sur fond blanc
était construite tout en oppositions, en noir et blanc, en hauts et
bas, en masculin et féminin, voici un récit qui, au contraire, éclate
de couleurs, qui s’amuse, qui se déploie plus horizontalement.
Alarme
L’intrigue est toute simple. Samuel Jourdain (encore un nom biblique)
est à l’école de recrue quelque part en Suisse romande. Mais une nuit,
soudain, appelé par on ne sait quoi – mais ni par la patrie ni par le
drapeau – le soldat Jourdain se réveille, se lève, et s’en va dans la
nuit, dans les forêts, dans les champs. Il fait défection. Tout lui
revient par bouffées. La fraîcheur, les foins coupés, les amours,
l’enfance. Il croise quelques personnes, mais ne s’attarde pas. Il s’en
va par les chemins.
Pendant ce temps, à la caserne, c’est l’alarme. Frédéric Lamoth s’offre
quelques scènes un peu potaches, ironiques, en demi-teintes. Parfois on
tourne un peu en rond, une sorte de brume enveloppe l’intrigue qui se
dérobe un peu au lecteur. Du livre on retiendra surtout la lumière, le
bonheur enivrant des sous-bois, la campagne triomphante, l’envie de
s’en aller en envoyant tout valser par-dessus les champs.
ÉLÉONORE SULSER, Le Temps
Lève-toi et marche,
c'est un roman, qui, pour moi, fleure un peu les idées 70, ses
idéologies et ses thèmes: un jeune homme fait son service militaire. En
pleine nuit, il quitte sa caserne et part se promener dans la campagne,
rencontrant des gens sympas et alternatifs, pendant que continue la vie
militaire avec ses troufions et ses gradés, des hommes qui aiment
l'ordre et le foot, aux valeurs carrées.
Mais la forte opposition entre les deux mondes représentés dans ce
roman est bien menée. Frédéric Lamoth donne un côté comique à la
gestion de la vie militaire et aux scènes de l'école de recrues, et
s'attache aussi à comprendre avec honnêteté les valeurs et les univers
de ces gradés qui lui semblent un peu étrangers et lui paraissent
manifestement exotiques.
Le monde de son déserteur, Samuel est très différent, baigné de musique
et de chant. Au fil de la cavale tranquille de ce poétique jeune homme,
on découvre son passé, reconstitué par fines touches.
Un secret, un drame est caché dans chacun de ces deux univers. Ils
peuvent peut-être expliquer une désertion spontanée, qui semble
échapper à Samuel lui-même: une grange qui brûle d'un côté, de l'autre
la mort d'un frère doué provoquant le désarroi de la mère.
Quoi qu'il en soit, dans le départ inopiné du héros et son errance sans
but, dans sa rencontre de personnages singuliers, un étranger qui brûle
un corbeau, des habitantes d'une ferme biologique, on perçoit une
recherche d'identité. Elle est suggérée par touches fines qui
reconstituent le puzzle de la mémoire et interrogent les raisons qu'il
y a d’exister...
Blog d’ALAIN BAGNOUD
Jésus
dit au grabataire: Lève-toi, prends ton grabat et marche (Jean, V, 8).
De se lever et de marcher est la manifestation par le mouvement de sa
guérison. N'est-ce pas tout simplement l'illustration de ce qu'est la
vie humaine, qui est mouvement du corps et de l'esprit, insufflé par
l’âme?
Comment, en lisant le titre évangélique du dernier roman de Frédéric
Lamoth, ne pas y penser? Car, justement, ce roman est l'histoire d'un
homme que sa marche grise d'un sentiment de liberté, sans laquelle il
n'est pas de vie humaine digne d'être vécue, faut-il le rappeler?
Le héros du roman s'appelle Samuel Jourdain, prénom et nom symboliques.
Il a passé son bac et va commencer l'uni. Il est simple recrue depuis
sept semaines. À l'aube du 21 août il se lève, quitte la caserne et
marche donc. Il ne sait pas pourquoi il marche, mais il marche droit,
irrésistiblement.
Samuel n'est pas parti avec un lourd équipement. Il est seulement vêtu
d'un maillot blanc, d'un short bleu marine, mais il emporte avec lui sa
pèlerine, une veste thermique nonante. Les nuits peuvent être froides,
même en été. Il porte à son cou sa plaquette d'identité en métal gris,
sur laquelle est gravé son nom.
Il n'est pas parti pour rejoindre sa bonne amie, il n'en a pas. Il
n'est pas parti pour rentrer chez lui, ses parents sont très inquiets.
Il veut aller aussi loin qu'il le pourra, c'est du moins ce qu'il
répond aux personnes qu'il rencontre chemin faisant, dans la campagne
ou les villages. Et c'est ce qu'il croit vraiment.
Parallèlement au récit de la fugue proprement dite, se déroulent
d'autres récits, dans le passé enfantin de Samuel, au sein de sa
famille; dans le passé tout proche de Samuel, à la caserne; dans le
présent de Samuel, à la caserne, où s'agite notamment le major Trottaz
pour le retrouver, alors qu'il marche.
Les portraits de son père, instituteur, de sa mère, femme au foyer qui
donne des leçons de musique, et, surtout, de son frère Joël, à la voix
d'ange, de deux ans son cadet, atteint d'une maladie dégénérative,
surgissent de ces parallèles familiales, ainsi que celui d'Éleonora,
cette amie de son âge, évoquée à plusieurs époques.
Les rapports de Samuel, avant la fugue, avec les autres recrues, que ce
soit Maillard, Grivet, Genier ou Émery, donnent des indications sur son
caractère. La vie à la caserne, pendant sa fugue, donne un autre aperçu
du cadre dans lequel il a vécu les semaines précédentes et du peu que
l'on sait finalement de lui.
La vraie raison de sa fuite en avant échappera à Samuel à la fin du
récit. Enfin, il n'est pas sûr que ce soit la bonne... Peut-être y
a-t-il plutôt plusieurs raisons conjuguées à cette fugue hors du
commun, des raisons qui se trouvent dans les chemins parallèles que le
récit emprunte et qui en tissent les contextes.
Ce qu'on lui dit un jour de lui est par conséquent un peu court: «Tu
n'es rien. Tu ne sais pas où tu vas. Tu n'as aucun but dans la vie. Tu
sais au moins ça.» Cela devrait en tout cas l'amener à réfléchir et
l'inciter à ne pas seulement suivre son instinct, à ne pas répondre
seulement à ses impulsions.
Car, dans la vie il faut bien aller quelque part, n'est-ce pas? C'est
le sens qui peut être donné à ce subtile roman d'initiation à la vie.
Laquelle change justement pour le petit homme quand il se met à
marcher, même s'il doit s'émerveiller d'abord, comme Samuel le fait le
tout premier matin de son évasion bucolique:
«Il pénétra dans un champ de maïs et s'allongea entre les hautes tiges
qui lui permettaient de ne pas être vu. Le sol était encore humide de
rosée. Il contempla l'azur et éprouva la nostalgie de cette couleur
rose. Il aurait pu avancer indéfiniment dans son sillage, sans
poursuivre d'autre but que la perspective d'une aube fragile.»
Blog de FRANCIS RICHARD
Singulier parcours
Lève-toi et marche est
le cinquième ouvrage de Frédéric Lamoth. Une écriture riche et
élégante, une maîtrise des rythmes et des séquences donnent à ce roman
un élan et un souffle particuliers.
Samuel Jourdain quitte sans justification apparente l’école de recrues,
qu’il subit quelque part en Pays de Vaud. Il quitte ce milieu militaire
à l’aube pour marcher, marcher encore. Il décrit son périple et les
rencontres qui lui sont offertes. On ne sait rien sur ses motifs, sinon
qu’il considère comme impérieux de s’éloigner de cet endroit, de ce
milieu qui sans doute l’oppresse. Au fil des pages, on comprendra mieux
comment il fonctionne, dans ce qui ressemble à une quête existentielle,
fruit de carences ressenties dans son enfance et d’un événement qui l’a
profondément marqué. Le pouvoir évocateur de l’écriture de Lamoth est
constant et fort. Les passages au cours desquels il décrit la vie
militaire et la sottise proverbiale du cadre moyen ou supérieur
trahissent le vécu. Court, mais divisé en dix-sept chapitres, le roman
de Lamoth comprend tous les trois ou quatre chapitres une sorte
d’intercalaire de quelques pages intitulé «Parallèles». Cette
construction, qui juxtapose parfois les événements passés et le récit
au présent a sans doute été pensée comme une sorte de miroir, parfois
partiellement embué, qui dirige le réflexion du personnage principal
dans sa quête. Ne dit-on pas aussi que les parallèles ne se rejoignent
qu’à l’infini? Tonique, pudique, et rempli d’humour dès qu’un uniforme
entre en scène.
OLIVIER GFELLER, L’Omnibus
Sans
raison apparente,le soldat Jourdain quitte la troupe et s’en va à
travers champs. Cette fugue laisse ses supérieurs désemparés, ils
craignent un accident, une bêtise, Au cours de sa longue marche, en
quête de lui-même. Samuel fait quelques belles découvertes. Dans
la tête du garçon, des réminiscences de l’enfance se mêlent aux
sensations de la nature: la mort d’un petit frère trop fragile, à la
voix d’ange, la mère comme vidée d’elle-même par ce deuil, des amours
adolescentes ébauchées. Médecin et écrivain, Frédéric Lamoth alterne
les points de vue: la défection de la recrue confronte les supérieurs
et les camarades à leurs propres incertitudes, au devoir de
loyauté, au sens même du service miilitaire.
ISABELLE RÜF, Le Phare
Qu’est-ce
qui pousse Samuel, une jeune recrue accomplissant son service
militaire, à quitter la caserne en pleine nuit, alors que ses camarades
dorment autour de lui? La place est déserte, seuls les sapins montent
la garde sur les collines, une rivière court dans le sous-bois.
Commence alors une longue cavale dans la campagne vaudoise. Une traque
qui nous fait découvrir l’envers du décor, la face cachée d’une Suisse
tranquille et ordonnée. L’odyssée se poursuit sur des chemins
parallèles, à travers des scènes vivantes, résurgences du passé,
réminiscences, des paysages captivants, parfois troubles et obsédants,
hantés par l’amour et l’abîme d’un sentiment. Quête identitaire et
fuite de soi. Itinéraire existentiel ou déni d’une mort annoncée.
L’histoire d’un déserteur, qui répond à un appel des
origines: Lève-toi et marche, qui nous entraîne jusqu’au bout de
ce voyage à travers soi, au milieu de nulle part.
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