Héritage et ruptures
Certains personnages de Laisse tomber les anges,
le dernier roman en date de l’écrivaine et journaliste romande Nadine
Richon, sont imaginaires, d’autres réels. L’entrée en scène de
l’inattendue Diane Thierry, née en 1915 et morte en 1938, créature née
de l’imagination d’un auteur tout à fait réel, le scénariste français
Jean-François Hauduroy, donne le ton de ce récit où s’entrelacent
imagination et histoire réelle.
Il en résulte un ouvrage où domine la question de la transmission parents-enfants. Laisse tomber les anges
s’articule ainsi autour du thème de la fidélité à l’héritage familial
et de son contraire, la rupture, en rapport avec la quête de soi.
La narratrice décide d’inclure la mystérieuse femme de papier, Diane,
dans son propre récit. L’écriture et la création n’empêchent pas
l’apparition d’une ligne de faille dans la famille de la narratrice. La
fille de celle-ci, Sedna, qui porte le nom d’une planète méconnue, vit
une relation conflictuelle avec sa mère et se convertit ensuite à
l’islam. Une péripétie domestique qui vient à point nommé pour raviver
la réflexion parfois douloureuse sur la différence et l’imprévisible
divergence des parcours.
Nadine Richon, cofondatrice du Réseau laïc romand, dédie notamment des
passages au philosophe Didier Eribon, lequel s’est fait remarquer en
publiant Retour à Reims. Dans
ce dernier opus, Eribon décrit le milieu ouvrier de son enfance et
s’interroge sur ceux qui n’ont pas suivi le même parcours que leurs
parents; sa démarche inspirera d’ailleurs plus tard Édouard Louis,
l’auteur d’ En finir avec Eddy Bellegueule.
En fin de compte, Nadine Richon laisse entendre que ni les psys ni les
experts ne parviendront à «épuiser la totalité du mystère humain»:
«L’enfant le mieux éduqué peut échapper à sa trajectoire rassurante, à
l’amour des siens et aux soins prodigués», commente-t-elle. Sous
l’apparence d’un jeu littéraire, Nadine Richon conduit le lecteur à
s’interroger sur son degré de liberté dans le monde d’aujourd’hui.
MARC-OLIVIER PARLATANO, Le Courrier, 10 août 2017
Laisse tomber les anges, de Nadine Richon
Diane n’a pas eu de chance: cette jeune fille qui s’était suicidée en
1938 s’était déniché un écrivain pour la prendre comme personnage – or
il est mort, la laissant en plan… Le manuscrit échoit à Sabine (avatar
de l’auteure), qui a déjà un autre projet en chantier: qui, du fantôme
à la langue bien pendue ou de la Lausannoise interpelée par d’autres
sujets, aura le dernier mot? Pour son second roman, Nadine Richon
tresse habilement trois univers qui mettent la place des femmes en
perspective.
PAYOT LIBRAIRE, Marie-Claire Suisse, août 2017
Laisse tomber les anges, de Nadine Richon
Étrange récit où l’irréel creuse son sillon à côté de celui d’une
temporalité immédiate. Grand écart entre deux mondes parallèles. «Je ne
suis pas morte. Moi, Diane Thierry, n’ai pas claqué le 8 septembre
1938, suicidée à l’alcool et aux barbituriques. J’ai dormi dans le
tissu défraîchi d’un manuscrit jamais publié.» Les pages ont été
léguées à Sabine. Pour l’heure cette dernière en a à découdre avec sa
fille Sedna.
Ainsi, le récit oscille entre deux personnages: Diane, née de
l’imagination d’un homme et la vie éclatée de Sabine, écrivaine en mal
d’inspiration, «vampiirisée par les silences, la violence de sa fille.»
Sedna a répondu à l’olifant de l’islam. La dérive salafiste serait-elle
à la porte de l’appartement cossu? Sabine n’aura de cesse de ramener
l’adolescente à la maison.
Diane évoque sa courte vie, «comédienne désirée rejetée sans préavis
dans les bras de la tuberculose.» Dans son sanatorium de Leysin, elle
s’amourache de Michel et d’André, deux naufragés de la phtisie. Eux en
réchapperont.
L’auteur se penche sur la transmission parents-enfants, sur l’héritage
culturel, celui pesant de la classe sociale à laquelle on appartient et
pose la question: «Dans quelle mesure sommes-nous prisonniers du nid de
la prime jeunesse qui nous aide à grandir moins au risque de nous
former que de nous formater sans évasion possible?» Elle dénonce avec
virulence les dérives sectaires des fondamentalistes et leur credo
mortifère.
L’on croise dans ce récit des personnages savoureux, tel Maurice, poète
et voyou au parler truculent. Le lecteur s’amuse follement à lire le
cambriolage raté chez la baronne de Brial.
L’histoire trouve son épilogue à Venise avec un dernier tour de
passe-passe de l’auteur. Des pages où éclatent les fulgurances
lumineuses d’une écriture riche, ample par ses sonorités, son phrasé.
Nadine Richon jongle habilement avec l’humour.
Laisse tomber les anges, deuxième roman de l’auteur lausannois, est paru chez Bernard Campiche Éditeur.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, No 575, 21 juillet 2017
Plutôt que d'être classé dans le genre roman, Laisse tomber les anges
l'est dans celui des récits. Est-ce parce que la part des digressions
est belle et celle de l'intrigue mince? D'aucuns ne se seraient
pourtant pas sentis gênés de lui trouver un air romanesque...
Dans ce récit de Nadine Richon, s’il y a débats et argumentations sur
le milieu d’origine, sur la religion, particulièrement l’islam, sur les
rapports parents-enfants etc., il y a aussi imagination et fantastique,
deux époques éloignées se télescopant allègrement.
Jean-François Hauduroy a écrit un roman non publié dans les années
80-90. Son héroïne s’appelle Diane Thierry. Elle est née en 1915 et est
morte, en principe, en 1938. En principe, car, justement, c’est une
héroïne de roman et qu’elle peut vivre deux fois
«J’ai pour l’éternité une vingtaine d’années et je rêve d’un écrivain
privé de matière, contraint d’épouser ma route et de réinventer mon
histoire.»
Cet écrivain, ce sera Sabine. La quarantaine. Mère d’une adolescente,
Sedna, prénommée «comme la dixième planète». Intéressée par deux
écrivains qui ont rompu avec leur milieu, Didier Eribon et Laurence
Tardieu, ce qui l’a fait délaisser Diane, en apparence…
Dans le cas de Diane, en effet, c’est le père, diplomate canadien, puis
la mère, qui l’ont laissée seule à Paris, si bien qu’elle ne les a pas
informés de sa maladie quand elle est survenue et qu’elle s’est
expatriée en Suisse sous la pression du médecin de famille.
Dans le roman impublié, Diane Thierry, partagée entre deux hommes,
Michel et André, comme elle atteints de phtisie, est la seule du trio à
ne pas survivre. Maintenant, la «nympho» du sana vit une autre vie,
reliée singulièrement à Sabine, par entente tacite.
Cette distance rapprochée avec l’époque actuelle permet à Diane, dans
le sillage de Sabine, après avoir été de son temps «une rebelle
déphasée» d’«être imprégnée de féminisme», ayant toutefois de la peine
à suivre les débats récents qui occupent le mouvement...
Diane, Sabine, Edna s’expriment tour à tour. Elles ne voient pas les
choses de la vie de la même manière. Il semble cependant que ce soit la
voix de Diane, venue d’une autre époque, qui ait les accents les plus
convaincants et qui soit la plus proche de l’auteur:
«Si Dieu s’est écarté de lui-même pour engendrer le monde en imaginant
ces êtres minuscules voués à le connaître, pourquoi, dès lors, ces
créatures vivantes jetées sur Terre entre Vénus et Mars ne
s’éloigneraient-elles pas un peu de Lui afin de concevoir, en ces
parages encore accueillants où elles ont proliféré avec douceur et
férocité, une société plus juste et équilibrée?»
Blog de FRANCIS RICHARD, 30 mai 2017
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Un extrait du livre
Je consulte avec elle deux ou trois autres spécialistes
de l’âme tourmentée, mais aucun ne me paraît vouloir empoigner la
situation. Je ne parviens pas à leur faire comprendre le problème.
L’excès de religion n’entre visiblement pas dans la panoplie des
symptômes d’allure neurolo-gique, et si Sedna ne travaille plus,
s’enferme et s’assombrit à vue d’œil, elle parvient encore à s’exprimer
brillamment, à se tenir tranquille, à maîtriser ses nerfs en public.
Dans l’intimité, elle crie, je crie, nous crions et nous souffrons.
Elle mentionne des maux de tête répétés, mais rien ne paraît alerter
les spécialistes consultés. L’un d’eux me gribouille une ordonnance
afin que je puisse m’assoupir paisiblement ; je dois leur apparaître
comme une mère possessive ou Dieu sait quoi… Dieu, je dis ça exprès, il
faut bien rire un peu. Et puis dormez les parents, prenez votre petite
pastille du dodo.
Sur un mode ludique, entrelaçant des personnages réels et imaginaires,
ce récit explore la question de la transmission parents-enfants, de la
fidélité à un héritage et de la quête de soi dans la douleur et
l’espoir d’un nouvel horizon.
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