YVES ROSSET

JUSQU'À MAINTENANT

Chronique
2021. 320 pages. Prix: CHF 32.00
ISBN 978-2-88241-470-9


Biographie

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Bonjour à toutes et à tous

Jusqu’à maintenant nous emmène dans le dédale des carnets de l’auteur. Car Yves Rosset prend la plume tous les jours. C’est une nécessité pour lui. Parfois l’outil scripteur n’y suffit pas, alors il s’arme d’une paire de ciseaux, d’un tube de colle et il malaxe les images, les couleurs, les mots, les pensées. Son travail est une sorte de permaculture littéraire, on y trouve des éléments philosophiques, sociologiques, écologiques, politiques, poétiques. L’intime se mêle aux préoccupations du monde avec une couche de doute, d’interrogation, de colère et de dérision. Tout ça livré en vrac, sans chichi. Une expérience littéraire pour l’auteur, comme pour le lecteur.
Yves Rosset est né à Lausanne. Il vit à Berlin depuis 1990 et revient sur la terre de ses origines, ce dernier mardi du mois de mai, pour nous parler de sa démarche littéraire. Nous nous réjouissons de le renconter.


FLORENCE DE GOUMOËNS,
invitation aux derniers mardis de la Grand-Rue, Rolle, mai 2022

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 Un état des lieux

Vaudois installé à Berlin, Yves Rosset poursuit une œuvre littéraire hors du commun. Jusqu’à maintenant se présente comme la chronique d’un monde à la dérive, sous la forme d’une mosaïque de sensations, de réflexions… Rencontre.

Le livre est est estampillé «chronique». Celle du monde tel qu’il va, celle de l’époque telle qu’elle dérive. Vaudois installé à Berlin depuis plus de trente ans. Yves Rosset poursuit avec Jusqu’à maintenant une œuvre littéraire singulière, d’une intelligence et d’une puissance rares. La littérature, ici, n’a rien de divertissement léger. Elle frappe et secoue. Elle vient rappeler cette citation de Kafka: «Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire?»
De passage à Lausanne la semaine dernière, Yves Rosset s’installe en souriant dans le Buffet de la Gare rafraîchi. Il sort un carnet de son sac, le feuillette en expliquant sa méthode d’écriture. «Je prends des notes sous forme de carnets depuis 1993 environ. Petit à petit, j’y ai mis des images.» Près de cinq ans après Les Externalités négatives, où l’on suivait les carnets de 2011, Jusqu’à maintenant reprend ceux de l’année 2012. Soit les carnets 72 à 76. «Mais ils sont imbibés du présent.» Aujourd’hui, il en est au 142.
Au premier abord, le livre peut effrayer. Parce qu’il saute d’un sujet à l’autre, d’une notation personnelle à un souvenir de lecture, d’une description de photos à une réflexion sur la littérature. Et parce qu’il est empli de la folie de notre époque de surconsommation et de réchauffement climatique.
N’empêche que, peu à peu, ce texte impressionnant nous emporte dans ses flux et reflux. Et ses coq-à-l’âne deviennent un mouvement naturel. Comme cet exemple: «Vu dans le métro un garçon dans une manière de costume de soldat galactique. Faulkner qui caractérise beaucoup les voix, leur donne des intonations, en fait l’écho des états de l’être. La torture de l’éducation religieuse et la violence du racisme. Das sogenannte Fasten-High. Investir stratégiquement dans ses contacts sociaux.»

«Qu’en faire?»

«Certaines phrases sont reprises des carnets, explique Yves Rosset. D’autres sont retravaillées: entre les notes de départ et le livre, il y a cinq ou six versions.» Le soin donné au rythme, en particulier se révèle extraordinaire. «Tout à coup, je lis et j’ai l’impression que ça fonctionne, que l’on est pris dans un truc qui avance.»
Au fil des pages prend forme une mosaïque, voire un maelström de sensations, de citations, de choses vues, lues ou entendues. Sans transition, on passe de Bill Murray à la fonte du pergélisol, de la quantité d’antidépresseurs consommés en Allemagne à une photo du cercueil de Toutankhamon.
On croise Michel Houellebecq, Jean-Luc Godard, Annie Ernaux, Pierre Charbonnier, Jim Morrisson, Wikipedia, Google et le pétrole de schiste, les «mille huit cents vols par jour rien que pour la compagnie Lufthansa»… Çà et là pointe une subtile auto-ironie. «Mais c’est qu’on en a marre, bien sûr, de ces nouvelles déprimantes.» Ou encore. «Quoi? Encore un livre intime et désordonné que presque personne ne lira?».
Pour Yves Rosset, ce texte reflète le monde dans lequel il vit, ses inquiétudes et ses révoltes. Et ses interrogations : «Nouvelles nouvelles apocalyptiques – qu’en faire? qu’en faire?  qu’en faire?» écrit-il. Et d’ailleurs: «Qu’est-ce qui fait mémoire? De quel monde voulons-nous nous souvenir? Jusqu’à quand? (…) Qu’est-ce que nous trouvons encore normal?»

Une voix qui s’ajoute

Dans ce sombre contexte, que peut la littérature? «Plus les voix se multiplient, plus nous nous interpellons mutuellement, plus nous avons des chances d’avancer», estime-t-il. Dans cette période qu’il qualifie d’«extrêmement toxique», elle peut aussi apparaître comme «un écho à la nécessité de penser la complexité du monde. Tout n’est pas noir, toutefois «Bien sûr que le monde est terrible et bien sûr que le monde est merveilleux», lit-on, alors qu’il visite Naples. «C’est très compliqué de vivre aujourd’hui, complète l’écrivain de vive voix. Ce que l’on peut percevoir du monde est terrible, mais il y a aussi des milliers d’instants magnifiques. Des moments de joie d’être vivant.»
Dans le livre, cela passe par les souvenirs de vacances en famille, des balades dans Berlin, un retour dans le verger de son enfance vaudoise… Ou encore «le jeu mêlé de fleurs violettes, d’ombres roses, de taches lumineuses, de grâce végétale, de troncs chauds, toute cette absolument si délicate beauté parfaite des formes du vivant qui se donnent à nous sans rien vouloir en retour».
Au fil de la discussion, Yves Rosset évoque la ville de Berlin, où il s’est installé en 1990. Né à Lausanne en 1965, il avait alors achevé ses études de psychologie à Genève. «À l’époque, je me suis intéressé à la vie communautaire, aux squats.» Après l’expérience genevoise de l’îlot 13, il poursuit cet idéal dans une communauté berlinoise, où il rencontre sa future épouse, où il fonde une famille et où il a vécu jusqu’en 2014. En parallèle à son écriture personnelle, il vit de travaux de traduction.

À travers la ville

En plus de trente ans, il a évidemment vu Berlin changer, lui qui a encore connu la partie Est telle qu’elle était à l’époque de la RDA. Et il s’en rend d’autant plus compte qu’il sillonne souvent la ville à pied. «Les récits de marches sont les premières pierres sur lesquelles j’avance pour écrire.» Son écriture demeure marquée par cet univers urbain, par les contrastes entre richesse et pauvreté, par les marques de l’histoire, également omniprésentes.
Tout cela forme un tourbillon étonnant, où Yves Rosset se livre sans jamais tomber dans le déballage impudique, en un surprenant équilibre entre l’intime et l’universel. Entre, aussi, la tentation du désespoir face à la «grande dévoration» et à la lumière, malgré tout: «Se faufiler cependant dans l’existence, puisqu’elle nous a été donnée».


ÉRIC BULLIARD,
La Gruyère,
17 février 2022

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Jusqu'à maintenant

Prix Georges-Nicole 2001 pour Aires de repos sur l'autoroute de l'information, Yves Rosset a publié en novembre 2021, chez Bernard Campiche, Jusqu'à maintenant, troisième volume de chroniques après Les Externalités négatives (2017).  Ses Oasis de transit - relations de voyages (2005), avaient également retenu l'attention sur cette écriture singulière. «Expérimentale», disaient il y a vingt ans les critiques intrigués par ce «patchwork» de mots et de phrases qui se propose d'«exp(l)oser la littérature». Plus modestement, Yves Rosset poursuit sa route et tisse dans ce nouveau recueil le matériau de ses carnets de 2012 et de 2021.
L'inversion des deux derniers chiffres ouvre une vue plongeante sur les événements et leur postérité. Que faisiez-vous en 2012, qu'en reste-t-il et qu'en pensez-vous en 2021? Aux grands moments de l'actualité, Rosset mêle aussi des notations plus quotidiennes et intimes, qui nourrissent aussi ces observations et réflexions d'un moraliste de notre modernité souvent déboussolée.
La conversation avec Jacques Poget illustrera la démarche de cet écrivain fasciné par les images, du reportage à l'art contemporain, et sa pensée caustique et intransigeante.

Né en 1965 à Lausanne, Yves Rosset, licencié en psychologie de l'Université de Genève, vit à Berlin où il a travaillé comme cuisinier et barman avant de défendre à l'Université libre son mémoire sur la guerre dans la Recherche de Proust, de collaborer à la Tageszeitung et de traduire d'abord dans les domaines de l'art contemporain et du cinéma, puis dans le secteur technique. Il a publié de nombreux textes, notamment en revues, et reçu le Prix FEMS (Fondation Sandoz) en 2002.

CERCLE LITTÉRAIRE, LAUSANNE

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Osmose de l'écriture dans les notes des jours. Ici, lectrice, lecteur, les temporalités s'interpénètrent au fil des carnets de l'année 2012, repris entre 2019 et jusqu'à maintenant, le milieu de l'été 2021. 2012, c'est Rio + 20, les vagues du mouvement Occupy et des 99%, l'enflammement de la guerre en Syrie, le robot Curiosity qui arrive sur Mars... Ces événements lointains et surmédiatisés dont on ne sait comment ils agissent vraiment sur nos vies et dont certains trouvent ensuite leur place dans les livres d'histoire tandis que d’autres tombent dans l'oubli. Une chronique sur nos privilèges aux coûts sociaux et écologiques effarants, insérée de collages, où les mots sont envahis par les images. Un texte qui s'interrompt, en suspens, bourré de citations. Une écriture sur le climat de l'époque, en vrac, sans emballage plastique.

YVES ROSSET

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