SILVIA HÄRRI

JOURNAL DE L'OUBLI

2020. 208 pages. Prix: CHF 30.00
ISBN 978-2-88241-411-3


Biographie

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Mémoire de l’éternité

Dans Journal de l’oubli, Silvia Härri s’empare élégamment de la Turritopsis nutricula pour nous introduire dans les pensées d’une écrivaine souffrant de la maladie d’Alzheimer

Dans les profondeurs des eaux de ce roman bleu subsiste un animal marin, minuscule certes, mais doté d’une faculté surprenante, celle de suivre l’éternel roulement des vagues de l’océan azur  du temps. Turritopsis nutricula est une méduse ayant pour particularité de pouvoir revenir du stade de maturité à celui de polype. Et cela la rend immortelle.
Laurence Saunier, femme de lettres brillante, fait la rencontre de cette méduse lorsqu’elle corrige les fautes d’orthographe du mémoire de master de sa petite-fille, Gaëlle, venue s’installer chez elle pour terminer ses études. Alors que la petite-fille voit en cet animal un simple sujet de recherche plutôt ennuyeux et insignifiant, la grand-mère, rêveuse et poétesse dans l’âme, prend conscience de toute la portée symbolique de Turritopsis nutricula.
Ce roman est comme le vent marin qui souffle et nous ramène vers un autre roman précédent: Je suis mort un soir d’été où Silvia Härri avait pêché une pieuvre pour métamorphoser la pathologie de l’un de ses personnages qui tire les membres de sa famille vers le fond.
Dans Journal de l’oubli, Silvia Härri s’empare élégamment d’un autre animal marin pour nous introduire dans les pensées d’une écrivaine souffrant de la maladie d’Alzheimer. Au fil des lignes, celle-ci commence à répéter ses mots, les laisse incomplets, s’embrouille et finit par les perdre, tout comme elle perd sa mémoire. Mais c’est à travers la rédaction de son journal intime qu’elle parvient en quelque sorte à se rendre immortelle, car ce dernier prend à son tour la trajectoire de vie de Turritopsis nutricula: il se construit et se déconstruit au rythme éternel des vagues de l’île de Noirmoutier.

MANEL DIRDI,
LivreSuisse, No 1, Printemps/Été 2021

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Un écrivain qui perd la mémoire, est-il encore un écrivain? Ou comment préserver jusqu’au bout la mémoire d’une personne dont le métier est d’écrire?
Silvia Härri plonge le lecteur dans une belle mise en abîme. À travers les personnages de son roman, elle veut croire que, jusqu’au bout, les morceaux de la mémoire pourront subsister et constituer un livre. Le livre, comme l’être humain, disparaît-il avec le temps? Est-ce un amer inespéré face à un dénouement inéluctable? Comment accepter la fin de quelqu’un ou de quelque chose? Journal de l’oubli de Silvia Härri n’y répond pas, évidemment. Mais le problème est habilement et dramatiquement posé.

Vincent Aubert partage sur notre site https://lacompagniedesmots.ch/en-virtuel/ une lecture de ce livre.
Avec l'espoir de vous revoir bientôt!
Pour le comité de la Compagnie des Mots,

DOINA BUNACIU
, Présidente

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De l’éternité des méduses

Ludmilla, une célèbre écrivaine, perd la mémoire et les mots. Que reste-t-il de soi dans cet effacement? C’est ce qu’explore avec finesse la Genevoise Silvia Härri dans son Journal de l’oubli

Serait-ce donc grâce aux petits pois de sa mère qu’elle a fait de l’écriture son métier? Pour ne pas les écosser, elle se cachait dans un vieux pommier et s’évadait dans les livres. Journal de l’oubli de Silvia Härri s’ouvre sur une voix intime qui se souvient, s’interroge, tisse des liens. Celle de Ludmilla Salomon, pseudonyme de Laurence Saunier, écrivaine à succès qui peine sur le manuscrit de son dernier roman. C’est que la trame s’effiloche, les personnages s’estompent… comme sa mémoire, découvrira sa petite-fille Gaëlle, avec laquelle elle vit et qui travaille, elle, à son mémoire de biologie marine.

Mer de silence

Quand la jeune femme tombe sur le journal de sa grand-mère tant aimée, elle cède à la tentation de le lire pour mieux comprendre ses absences. Le cahier bleu marine l’emporte au large, dans les vagues et les rouleaux de la pensée de Ludmilla, dans sa syntaxe vacillante qui déroule souvenirs et allusions à un quotidien de plus en plus flou. «Les écrivains ne perdent pas leurs mots. S’ils écrivent, c’est pour ne pas les égarer», note-t-elle. Mais si tout journal est le lieu où fixer le temps et lutter contre l’oubli, le sien devient peu à peu le signe cruel de l’effacement.
Il dérive en phrases hachées, sans verbes et pleines de trous, en fragments de pensées qui surnagent dans une mer de silence où, malgré tout, la poésie se faufile. «Comment se conjugue le verbe souvenir», lit-on encore en date du «3 descendre 2105» avant que cette voix ne se taise pour de bon et que le récit continue à la troisième personne, du point de vue de Gaëlle.
Également poète et auteure de nouvelles, la Genevoise Silvia Härri questionne ici avec finesse le temps et la mémoire, les mots et l’identité. Alternant les points de vue, elle construit autour de ses personnages un riche réseau de motifs, d’échecs et de métaphores. Notamment autour de l’océan, central. Enfant, Gaëlle passait ses étés dans la maison de sa grand-mère, à Noirmoutier, face aux flots. «Nommer les choses. Ludmilla  disait que ça faisait mieux exister le monde.» C’est elle qui lui a appris la liberté, l’aventure, mais aussi que le tourteau n’est pas le mâle de la tourterelle ou que la Vénus est également un mollusque.

Pages blanches

Est-ce un hasard si son mémoire porte aujourd’hui sur une méduse minuscule? Turritopsis nutricula a la capacité de revenir au stade du polype, «de retrouver sa forme juvénile si elle fait face à des conditions défavorables»: biologiquement elle est immortelle. Ludmilla s’en était enthousiasmée.
Mais l’éternité n’appartient qu’aux méduses et la vieille dame décline irrémédiablement. Silvia Härri décrit avec justesse sa colère et son impuissance face à la perte des mots. Alors que le roman qu’elle doit écrire n’est que pages blanches, qu’elle se sent «seule dans le grand livre de la nuit», Ludmilla Salomon s’efface et c’est Laurence Saunier qui revient, cette femme qu’elle ne connaît plus, cette étrangère qui se rappelle à elle en même temps que son enfance.

Transmissions

Pour échapper à l’éditeur impatient et à son père qui veut mettre Ludmilla en maison de retraite, Gaëlle l’emmène à Noirmoutier. Retrouver l’océan et les sensations du passé freinera peut-être l’inéluctable. Elle veut aussi tenter d’y retrouver l’amour secret de sa grand-mère. Kamal, aide à domicile iranien passionné de maths et de philosophie, les accompagnera jusqu’au bout.
Si les mots manquent, si tout s’efface, que reste-t-il de soi et du monde? Il y a l’enfance toujours vive en soi, l’amour, et tout  ce qui a été transmis, ce souffle qui permettra à Gaëlle de mettre les voiles et de naviguer seule. À la fin, c’est elle qui prend la parole, libre et apaisée.

Pouvoir de la poésie

Face à l’errance et l’effacement, «Journal de l’oubli» réaffirme aussi le pouvoir de la poésie et de l’imaginaire. Silvia Härri convoque entre ses pages des écrivains aimés qui forment autour de Ludmilla une famille. Kamal lui lit le poète soufi Rûmi, on y croise Woolf, Michaux, Proust ou Kafka, le Romain Gary de La Vie devant soi offert à Gaëlle qui n’aimait pas lire. Oui, la littérature aussi est ce qui reste, à la fois rêve et transmission, geste qui fait lien et don impérissable.


En duo au Salon du livre de Genève

Samedi à la Fondation Baur à Genève, dans le cadre du Salon du livre en ville, Silvia Härri dialoguera avec Maylis Besserie dont Le Tiers-Temps (Gallimard, 2020) fait écho à son Journal de l’oubli. Récompensée par le Goncourt 2020 du premier roman, l’auteure française imagine ici les derniers jours de Samuel Beckett dans une maison de retraite parisienne. Entre journal intime, souvenirs littéraires et fiction, elle signe un monologue plein d’humour et de nostalgie. Un bel hommage à la liberté de l’auteur de Molloy – qui semble ici devenir l’un de ses propres personnages immobiles - autant qu’une réflexion toute de délicatesse sur la vieillesse.


ANNE PITTELOUD
,
Le Courrier, vendredi 30 octobre 2020

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Journal de l’oubli, de Silvia Härri chez Bernard Campiche Éditeur

Ô toi lecteur qui ouvres ce livre, effeuille-le avec grand soin. C’est une gemme que tu tiens entre les doigts. Tu vas aimer l’histoire, goûter à cette langue belle, racée, avec ses pépites de poésie. Tu vas être touché en plein cœur.
Rarement la maladie d’Alzheimer n’a été évoquée avec tant de tendresse, de pudeur, de délicatesse. C’est le récit d’une constellation de trois personnages avec, en son centre, Laurence Saunier qui a pris comme nom de plume Ludmilla Salomon. Il y a sa petite-fille Gaëlle, vingt-trois ans et Kamal qui accompagnera la vieille dame dans sa descente en enfer. Celle de la mémoire qui sombre et qui s’annihile. Il apparaîtra plus tardivement dans le roman. Totalement dévoué, doué d’un sens de l’écoute peu commun.
Autour de ces trois personnages gravitent quelques électrons libres: le père de Gaëlle qui est également le fils de Ludmilla, mais dont on se demande quels liens affectifs ils partagent. Et à Noirmoutier, Gildas, le pêcheur bourru et le boulanger féru d’histoire ancienne.
Ludmilla est un écrivain à succès, fantasque, pétillante d’intelligence. Son éditeur attend qu’elle achève le roman qu’elle lui a promis. Seulement, la fin lui échappe, les mots se dérobent. C’est en mettant la main sur le carnet bleu de sa Mamie que Gaëlle réalise que certains mots ne font plus sens, que les dates de ce journal intime deviennent incohérentes. Cette grand-mère qu’elle adore glisse dans un univers où la raison se dissout.
«J’écris pour ne pas m’égarer. J’écris pour ne pas me perdre dans la jungle du monde ou dans mon propre tumulte. Débroussailler les forêts à la machette du langage, marcher dans les sillons des phrases, sonder la page en y disposant sa calligraphie pour ne pas être happée par le chaos.» Et pourtant, l’auteur de ces lignes se noiera dans les eaux tumultueuses du chaos.
Ce livre est une ode à l’amour, à la tendresse filiale, à la lutte des proches pour que ne s’éteignent pas l’esprit ni la raison. Mais rien ne semble arrêter le rouleau compresseur de la maladie.
Silvia Härri est une orfèvre des mots. Ses descriptions de la mer ont le goût du sel, des embruns. D’une fulgurante beauté. L’auteur qui vit à Genève partage son temps entre l’enseignement et l’écriture. Elle a été couronnée de nombreux prix.


ÉLIANE JUNOD
,
L'Omnibus, vendredi 23 octobre 2020

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La perte des mots mise en mots

Journal de l’oubli. Une vie peut basculer insidieusement.
D’abord l’auteur à succès Ludmilla Salomon peine à finir ce livre dû à son éditeur, puis c’est un mot écrit pour un autre, puis trois petits points qui remplacent, dans son journal, le terme qui se dérobe. En plongeant dans le carnet laissé en évidence comme une invitation, sa petite-fille découvre la détérioration de la mémoire de aïeule, et fera tout pour la raviver un peu, en l’emmenant sur cette île de Noirmoutier tant aimée.
Dans ce roman, Silvia Härri évoque avec délicatesse le drame de l’alzheimer, le déni, le secret, le détresse des proches. Mais c’est surtout dans le journal de la vieille dame, distillé au fil des cent premières pages, que la Genevoise trouve une manière poignant pour exprimer l’inéluctable perte des mots. Entre souvenirs et allusions à un quotidien de plus en plus flou, dans une syntaxe vacillante où persiste la poésie., Ludmilla écrira jusqu’à l’oubli d’elle-même.

CAROLINE RIEDER, 24 Heures et Tribune de Genève, 3 octobre 2020

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Valérie Hauert: Bonjour, Anne-Laure Gannac.
Anne-Laure Gannac: Bonjour, Valérie.
Valérie Hauert: Un roman qui vient de paraître. Il est signé de la Genevoise Silvia Härri. C’est votre chronique culturelle et le titre de ce roman, Journal de l’oubli, c’est quoi alors, un «journal intime»?
Anne-Laure Gannac: Alors, au tout début oui. C’est le journal intime de Ludmilla, plutôt Laurence, ou les deux puisque l’une est le pseudo de l’autre, une femme-écrivain à succès depuis quarante ans. Elle vit avec sa petite-fille adorée, Gaëlle, la vingtaine, dont le goût de l’écriture et de la lecture se limite essentiellement à des SMS. Alors, je ne sais pas si vous, Valérie, vous vous êtes retrouvée seule dans une pièce  avec le journal intime d’une proche ou d’un proche?
Valérie Hauert: J’aurais adoré, mais non…
Anne-Laure Gannac: En tous cas, vous vous doutez qu’il est impossible de résister à la tentation et donc quand Gaëlle tombe par hasard sur le journal de Ludmilla, elle cède à son désir de, je cite, «mieux saisir ce qui se tramait dans la tête de sa grand-mère, se rapprocher de ce qu’elle ne cerne de l’extérieur et par fragments.» et donc comme Gaëlle eh bien nous devenons les lecteurs indiscrets de ce carnet dans lequel la romancière consigne tout ce qui la traverse.
Valérie Hauert: Et pourquoi ce journal est-il qualifié de journal de l’oubli?
Anne-Laure Gannac: Alors, déjà, parce qu’un journal intime est toujours l’aveu d’une lutte menée contre l’oubli, et qu’avec l’âge, souvent, les souvenirs d’enfance qu’on croyait oubliés reviennent, certains insistent comme s’ils voulaient nous en dire davantage, par exemple celui d’une petite fille, qu’elle a été Ludmilla, et qui pour échapper à l’«écossage» des petits pois détestés, se réfugiait dans un arbre pour lire et disparaître dans les mots, d’où, peut-être, sa vocation d’écrivain. Mais les mots, justement, ça s’oublie aussi, parfois, avec l’âge et avec la maladie, et donc ce trouble croissant vécu par sa grand-mère, Gaëlle va le découvrir en même temps que nous, au fil des pages du journal, ce journal que d’ailleurs la jeune femme lit alors qu’elle travaille à son mémoire, mémoire de master portant sur une méduse dite «immortelle». Et puis l’oubli c’est parfois l’autre nom qu’on donne au secret, un moment de vie intense, un amour par exemple, qu’on ne peut pas avouer, sauf à son journal…
Valérie Hauert: Évidemment. La jeune fille va donc découvrir un secret de sa grand-maman dans ces pages?
Anne-Laure Gannac: Oui! Je ne vous en dirai évidemment pas plus, sinon que ce secret va conduire les deux femmes à Noirmoutier, sur les traces du passé. Journal de l’oubli, c’est outre une très belle relation entre une femme vieillissante et sa petite-fille qui prend son envol, un roman sur la mémoire, sur le temps, mais aussi un hommage à la littérature où Virginia Woolf, Franz Kafka, Romain Gary s’invitent sans manières et où les mots sont maniés avec un évident plaisir par Silvia Härri, romancière et poète.
Valérie Hauert: Elle avait reçu le Prix du Public RTS avec son premier roman, c’était en 2017. Et puis aujourd’hui la Genevoise publie Journal de l’oubli. C’est aux éditions Bernard Campiche, et vous nous conseillez évidemment la lecture de ce bel ouvrage. Anne-Laure, merci beaucoup…

ANNE-LAURE GANNAC, La Chronique culturelle, RTS «La Première», 2 octobre 2020

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Quand la mémoire s’en va

Écrivaine à succès, Ludmilla Salomon peine à avancer dans son nouveau roman. Elle le confie à son journal intime. Sa petite-fille Gaëlle, étudiante en biologie qui écrit un mémoire sur une méduse singulière, tombe sur ce carnet et découvre des mots de plus en plus confus. La jeune femme comprend que sa grand-mère perd la mémoire et va tout faire pour la soutenir. Ensemble, elles vont rechercher certaines traces de son passé.
Révélée en 2013 par le Prix Georges-Nicole, pour les nouvelle de Loin de soi, la Genevoise Silvia Härri poursuit une œuvre subtile, où la finesse de la plume permet d’aborder des sujets graves, des drames intimes, sans tomber dans le pathos. «Journal de l’oubli» s’interroge sur la mémoire, sur le vieillissement, le perte de repères, mais décrit aussi avec tendresse les liens entre petite-fille et grand-mère. Et entre la vieille dame et Kamal, l’aide à domicile d’origine iranienne qui lit des quatrains de Rûmî. Tous se révèlent détachés, voire déracinés, comme en errance ou en quête. Et même si certains personnages (les éditeurs ou Vincent, le père de Gaëlle) paraissent un peu plus caricaturaux, on s’attache sans peine à ce roman troublant sous son apparence tout simple.

ÉRIC BULLIARD, La Gruyère, 1er octobre 2020

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«Gaëlle avait gagné la cuisine, s'était préparé un café, avait fouillé dans le tiroir à chocolats en quête d'une plaque. Elle avait aperçu la couverture bariolée de son miel amandes favori encastrée dans un carnet bleu marine, épais et gondolé, comme s'il avait trop pris l’humidité.»
Gaëlle est la petite-fille de l'écrivain Ludmilla Salomon, le pseudo de Laurence Saunier, chez qui elle vit. Ce 22 mars 2016, elle reconnaît dans ce carnet le calepin de sa grand-mère, qui n'a effectivement rien à faire dans la cuisine.
Bien qu'il s'agisse d'un écrit «strictement privé», Gaëlle ne résiste pas à la tentation de le lire, pour «mieux saisir ce qui se [trame] dans la tête de sa grand-mère, se rapprocher de ce qu'elle ne [cerne] que de l'extérieur et par fragments.»
Gaëlle est étudiante en biologie marine. Quand elle a découvert le carnet bleu, elle faisait une pause dans la rédaction poussive de son mémoire sur la turritopsis nutricula, le nom latin d’«une méduse originaire de la mer des Caraïbes.»
Ce que Gaëlle constate au fil de sa lecture, et le lecteur avec elle, c'est que Ludmilla est en train de perdre la mémoire et que ce carnet bleu pourrait tout aussi bien s'appeler Journal de l'oubli parce qu'il est le témoin de cette dégradation.
Ludmilla est plus ou moins consciente de ce qui lui arrive, mais ne l'accepte pas. À la date du 30 février 2015 (sic), après que son fils Vincent, le père de Gaëlle, lui a reproché d'avoir oublié un rendez-vous chez le notaire, elle cite Michaux:
Garde ta mauvaise mémoire. Elle a sa raison d'être sans doute.
Gaëlle ne se résigne pas et fait tout pour que sa grand-mère recouvre la mémoire. Elle aimerait tant qu'elle reste pour la postérité un écrivain qui aura compté, un écrivain qui, dans les dernières pages de son carnet, est encore capable de dire:
«Les écrivains ne perdent pas leurs mots. S'ils écrivent, c'est pour ne pas les égarer.»
Alors elle emmène Ludmilla à Noirmoutier qu'elle a «dans le sang, davantage qu'elle, qui y a passé tous les juillets de son enfance.» Peut-être, avec Kamal, l'aide à domicile iranien, parviendra-t-elle là-bas à sortir Ludmilla de son brouillard.
Silvia Härri fait naître cet espoir chez le lecteur après avoir si bien décrit la perte de mémoire progressive de Ludmilla. Gaëlle, quoi qu'il advienne, ne pourra pas avoir de regrets, parce qu'elle aura au moins fait cette tentative de déclic.
Gaëlle apparaît sous la plume de l'auteure comme courageuse et héritière spirituelle de son aïeule qui lui aura donné le goût de la lecture en lui offrant La vie devant soi d'Émile Ajar, qui ne ressemble à aucun autre des livres qu'elle a lus.
C'est le premier livre qu'elle ait aimé. Elle en lira certainement d'autres maintenant. Avant, elle trouvait que la lecture, «c’était lent, poussif, souvent fatigant» et ne l'aurait jamais avoué à sa chère grand-mère qui lisait, quand elle n'écrivait pas.


Blog
de FRANCIS RICHARD

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Ludmilla Salomon, une écrivaine en mal de mots, partage son quotidien avec Gaëlle, sa petite-fille de vingt-trois ans. Tandis que la plus jeune se débat avec un master consacré à une méduse que l’on dit «immortelle», la femme de lettres confie son trouble à son journal intime. Ce que Gaëlle y découvre, un jour qu’elle le lit à l’insu de sa grand-mère, entraînera les deux femmes à Noirmoutier, dans le sillage des souvenirs enfouis. À travers la trajectoire de ses personnages, Journal de l’oubli évoque l’errance, qu’elle soit littéraire, géographique ou mémorielle, et touche, entre autres, à la question du langage et de ses limites.


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