Silvia Härri gratte avec style sous la carapace
La Genevoise est en lice pour le Prix des lecteurs de la ville de Lausanne
Avec sa plume, Silvia Härri aime s‘aventurer là où ça fait mal. Dans Nouaison,
sa prose poétique auscultait avec finesse la grossesse d‘une femme à
qui on avait prédit qu‘elle ne pourrait pas devenir mère, de la
maturation à l‘arrivée de l‘enfant. Dans Je suis mort un soir d‘été
– retenu à la fois pour le Prix des lecteurs de la Ville de Lausanne et
pour le Prix du public de la RTS – l‘auteure genevoise extirpe à
nouveau ce qui se tapit à l‘intérieur. De Pietro cette fois. Architecte
italo-suisse installé à Genève, à qui tout semble réussir, il revient à
Florence, sa ville natale, au chevet de sa sœur mourante. Il remonte
alors le fil de ses souvenirs, jusqu‘à ce soir d‘été où lui, 6 ans et
demi, découvre le mal sournois qui s‘empare de sa cadette de trois ans.
Suivent la régression, la perte de la parole, les tentacules de «la
pieuvre» qui figent la petite fille, la famille qui implose, puis sa
fuite en Suisse et le déni de cette sœur zombie dont il n‘a révélé
l‘existence à personne.
Dans un style ramassé et ciselé, Silvia Härri livre un récit poignant,
chronique de l‘impensable qui ne verse jamais dans le pathos: «Je
voulais un antihéros, car je ne trouve pas les héros intéressants.
J‘avais envie de montrer comment on peut, des années durant, vivre dans
une forme d‘imposture en étant une personne qui n‘est pas monstrueuse,
qui aime sa famille. Comment on en arrive là par instinct de survie.»
Fouiller l‘intime, l‘écrivaine ne sait d‘ailleurs pas faire autrement:
«J‘aime essayer de toucher ce qu‘on ne voit pas, ce dont on ne parle
pas, ce qui dérange.»
«J‘avais envie de montrer comment on peut, des années durant, vivre
dans une forme d‘imposture en étant une personne qui n‘est pas
monstrueuse»
La confession d‘un ami a servi de point de départ: «On m‘a raconté le
2%, le reste je l‘ai romancé.» La jeune femme remarquée jusqu‘ici pour
sa veine poétique se frotte pour la première fois au roman. «Je pense
qu‘on ne choisit pas ce qu‘on écrit, que ça s‘impose à nous. Et puis,
dans ma tête, le roman était quelque chose qu‘on ne pouvait pas toucher
tout de suite, un dispositif narratif complexe. Je ne me sentais pas
armée pour commencer avec ça.»
Elle qui a toujours jeté des mots sur le papier avoue avoir aussi été
bloquée par le poids des grands auteurs alors qu‘elle était assistante
à l‘Université de Genève, après ses études de Lettres. «Ça a été
difficile de m‘autoriser à penser que je pouvais peut-être écrire.» Le
verrou saute lorsqu‘elle part enseigner l‘italien et l‘histoire de
l‘art au collège (l‘équivalent du gymnase vaudois). De mère italienne
et de père suisse allemand, elle a grandi en français, la langue
commune des parents. «L‘amour des mots est venu vite, car j‘étais assez
timide, ça a toujours été plus simple de m‘exprimer par écrit.»
Jour après jour, elle noircit de petits carnets qui l‘accompagnent
partout. Puis «quand j‘ai l‘impression de tenir quelque chose, je
rassemble, j‘organise, je retravaille, beaucoup. Je lis à haute voix
car il y a une musicalité dans tout texte. Et tant que ça ne sonne pas
juste à mes oreilles, il faut retravailler, jusqu‘à ce que ça vibre. À
ce moment-là, j‘ai l‘impression que je ne peux pas arriver à faire
plus.»
Passée au roman, elle n‘a pas adopté pour autant une construction linéaire. Dans Je suis mort un soir d’été,
la narration évolue par allers-retours entre le présent et le passé:
«C‘est comme une tempête de souvenirs qui revient secouer le présent,
ça ne pouvait donc pas être très linéaire.» Silvia Härri s‘amuse
d‘ailleurs elle-même du contraste entre sa vie, où elle est plutôt
organisée et rationnelle, y compris dans son métier d‘enseignante, et
les audaces qu‘elle se permet dans l‘écriture: «Écrire m‘ouvre un champ
de liberté immense.»
Liberté dans l‘exploration de l‘intériorité des êtres, dans la
temporalité mais aussi dans les styles. Car elle prépare en ce moment à
la fois un roman et une œuvre poétique, ainsi qu‘un album illustré pour
les enfants. Un public pour lequel elle rêve d‘écrire, un jour, une
pièce de théâtre.
CAROLINE RIEDER, 24 Heures, 23 février 2017
La poétesse Silvia Härri raconte en prose la maladie et la honte
On connaissait Silvia Härri pour ses poèmes pleins de sensibilité aux
phrases ciselées. L’auteure genevoise s’est ensuite essayée à la prose
poétique et aux nouvelles, avant de publier un premier roman. C’est un
garçon, puis un homme, Pietro, qui incarne le narrateur dans Je suis mort un soir d’été.
Un frère, surtout, qui voit la santé de sa petite sœur décliner de plus
en plus. Cette dernière souffre d’une maladie génétique entraînant une
progressive arriération mentale. C’est la confidence d’un ami qui a
inspiré Silvia Härri. «Il m’a toujours dit qu’il était fils unique,
jusqu’au jour où il m’a confié à demi-mot l’existence de sa sœur et sa
maladie. Je suis partie de là et ai imaginé la suite.»
La pieuvre. C’est la formule que le personnage trouve pour désigner le
malheur s’abattant sur sa famille. C’est «la pieuvre» qui ronge sa sœur
puis sa mère, dépressive, qui fait voler sa famille en éclats. Pour la
fuir, Pietro quitte sa Toscane natale pour Genève, ville dans laquelle
il refait sa vie. Ce sera ensuite la peur du retour de la pieuvre qui
l’empêchera, une fois devenu adulte, de désirer des enfants, de parler
de son passé et l’existence de sa sœur à sa compagne. Comme une
litanie, une incantation, la phrase «je suis mort un soir d’été» est
inlassablement répétée. Elle se rapport à cette scène initiale. «Drôle
de soir pour mourir, vibrant de canicule, de chants de cigale et du
parfum des rosiers que Maman avait plantés, drôle de soir où, du haut
de mes six ans et demi, je cesse d’être celui à qui l’on demande de
raconter des histoires dans la pénombre d’une chambre ou d’embrasser un
lapin en peluche tout mité, soir d’été qui signe la frontière entre
l’insouciance et le chagrin, entre la vie d’avant et celle d’après. Je
suis mort un soir d’été. C’était le 26 juillet 1957.»
Comment l’auteure a-t-elle fait le pas du roman? «J’avais envie de
raconter une histoire et me sentais prête pour un texte de plus grande
envergure et explorer un nouveau territoire.»
Résultat? Une touchante histoire, un rythme prononcé des phrases, mais
dont l’écriture est alourdie par la volonté de son auteure de rendre
précisément chaque atmosphère et état d’esprit. Un exemple? Les moments
d’introspection du personnage. «Toute ma vie j’ai fui. Je confesse que
j’ai été un fugitif exemplaire. (…) Chaque fois que j’ai trop aimé,
j’ai fui. Chaque fois que j’ai eu trop mal ou que la rage m’a envahi.»
On s’en doutait un peu.
MARIANNE GROSJEAN, Tribune de Genève, 19-20 novembre 2016
Orphelin de sœur
Silvia Härri est auteure de nouvelles (Loin de soi), de poèmes (Mention fragile) et de proses poétiques (le très beau Nouaison
l’an dernier, sur l’attente de la maternité). Autant de formes courtes
qui demandent une attention à la langue, au rythme, à la force des
images poétiques, qualité qu’on retrouve avec bonheur dans son premier
roman, le dense et émouvant Je suis mort un soir d’été.
Tout semble réussir à Pietro Cerretani, architecte vivant en Suisse,
heureux mari et père d’un fils. Appelé à Florence, sa ville natale, au
chevet de sa sœur mourante, le narrateur prendra pourtant conscience
que son existence entière est bâtie autour du silence et de la fuite.
«Chaque fois que j’ai trop aimé, j’ai fui. Chaque fois que j’ai eu trop
mal ou que la rage m’a envahi. Chaque fois que j’ai eu peur.»
Le roman s’ouvre sur le traumatisme fondateur. Pietro a 6 ans quand il
meurt symboliquement, ce 26 juillet 1957. Il joue à cache-cache avec sa
petite sœur au nom de fleur, Margherita, 3 ans. Elle ne se retourne pas
quand il l’appelle. «J’ai couru vers toi, je t’ai touché l’épaule.
Cette fois, tu te retournes. Tu me regardes. Pas comme un grand frère,
non, comme un étranger. Tu ne me reconnais pas.» Leurs rires et leurs
jeux s’effacent d’un coup, balayés par l’oubli, tout comme le langage;
la petite perd les mots, s’enfonce dans une solitude muette, le suit
comme un chiot, le regard vide. Cette maladie que le garçon nomme «la
pieuvre», cet indicible qui lui a volé sa sœur, s’insinue dans les
liens familiaux peu à peu grignotés par la folie. Pietro taira toute
cette histoire, le secret grandira en lui.
Alternant passé et présent, ce récit d’un silence destructeur fascine.
Tendu, sensible, il suit le cheminement de son narrateur qui tente de
dire le vide sur lequel il s’est construit, la peur qui a contaminé ses
choix et ses relations, l’amour qui peine à se dire. Jusqu’à la
réconciliation, gage d’une nouvelle liberté. Née d’un père suisse et
d’une mère italienne, la Genevoise Silvia Härri ajoute ici avec bonheur
une corde romanesque à son talent poétique. Je suis mort un soir d’été est en lice pour le Prix Lilau de la Ville de Lausanne.
ANNE PITTELOUD, Le Courrier, 14 octobre 2016
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«J’approche
la chaise de ton lit, je te murmure que tu as bonne mine, même si ce
n’est pas vrai. Tu m’écoutes l’air sérieux, je ne sais toujours pas ce
que tu saisis des mots que j’égrène, s’ils ont la mélodie d’une
cantilène, la stridence d’une corde brisée, s’ils ont un ordre, s’ils
possèdent encore quelques résidus de sens, s’ils bruissent comme un
feuillage de printemps ou frappent avec violence aux carreaux de ton
esprit, si tu peux sentir à travers eux ma colère ou ma gêne, s’ils se
heurtent au vide dans ta tête, s’ils se dessinent des oiseaux, des
fleurs, des monstres.»
[…]
«Certains silences sont des abus de pouvoir. »
Difficile d’écrire sur une auteure que j’aime beaucoup pour sa poésie,
la puissance de ses mots, sa douceur, sensibilité, l’émotion qui me
saisit lorsque je la lis. C’est extrêmement beau, délicat, maitrisé
dans l’écriture, puissant et cette facilité qu’elle a à venir me
chercher dans mon intimité, à m’émouvoir. C’est beau oui. Fragilement
et intimement beau.
De Silvia Härri, j’ai succombé à son récit Nouaison.
Une prose remplie de tendresse, de ce qui est nous, de cet enfant que
l’on désire tant et qui vient nous happer en plein ventre chamboulant
tant de chose en nous. Une poésie merveilleuse tout en silence et en
puissance.
Puis ce fut un recueil poétique Mention fragile.
Délitement de notre peau et observation des petits riens qui nous
basculent, déménagent, nous font craquer des allumettes dans la nuit,
prendre des coups de cœur et accrocher la lumière. Intimement beau.
Tendrement délicat.
Et puis son premier roman. Je suis mort un soir d’été. Ce premier roman, que j’attendais tant, redoutais, tellement l’écriture de Silvia Härri est d’une beauté ensorcelante.
Je suis mort un soir d’été.
Comme une petite mort oui, de l’ordre de celle qui vient nous achever à
petit feu, nous empêche d’avancer la tête haute, le corps moite par une
chaleur étouffante. Une petite mort qui nous cueille dès l’enfance,
l’âge où nous courrons encore derrière le ballon rouge, l’âge auquel
nous croyons aux rêves, aux contes que nous inventons le soir à notre
petite sœur, l’âge des rires en cascades, des joies et des promesses à
venir.
L’âge où un soir d’été, il nous sera désormais impossible de grandir
normalement, l’âge où nous perdons notre mur-porteur, canne-tuteur,
celle qui aide à pousser droit et éteint un par un les illusions, les
marches et les rêves féeriques de l’enfance.
Je suis mort un soir d’été.
Un homme, architecte de renom, qui n’arrive pas à renoncer à celle
qu’il a dû abandonner, à l’âge de six ans et demi, dans un lieu
ressemblant à un asile psychiatrique d’une ère révolue, un mouroir. Une
sœur, corolle de pétales blanches, pistil de vie, qui du jour au
lendemain, n’a plus réussi à rattraper le ballon qu’il lui lançait, à
courir avec lui dans les allées du jardin. Margherita qui a parsemé
sans le savoir sa vie, d’un vide, de fuites, de silences, de
cicatrices, de peurs. Un homme qui tente de rester ce grand frère
malgré les séparations, les éloignements, la distance, les
renoncements, le silence intoxiquant, les mensonges. Un homme qui a
perdu celle qui faisait de lui un grand frère, un soir d’été.
Je suis mort un soir d’été.
Sublime cri dans le silence, sublimes mots déposés, sublime amour pour
une sœur qui n’a plus couru derrière le ballon rouge, a fait de sa vie,
un vide béant, une pieuvre aux tentacules étouffantes, un regard
absent, des mains déposées sur des genoux sans espoirs de caresser, se
tendre vers lui. Un soir d’été, comme cette chaleur collant à la peau
et qui nous assomme, nous poisse, nous empêche d’avancer, de relever la
tête et de sourire aux étoiles qui naissent dans la nuit.
«Je suis mort un soir d’été». Un impossible lien, une quête, un silence
noué. Cet impossibilité à parler d’elle, d’expliquer la vérité,
l'handicap, la folie, les fuites et les mensonges entourant cette sœur
à jamais enfermée entre des murs de silences et de hontes. L’absence
éternelle, celle qui éboule, manque, empêche de grandir droit, de
courir après les ballons rouges.
«Il ne nous manque rien. J’ai gommé ce qui griffe, tourmente et fait
mal. J’endosse ma nouvelle vie comme on fait peau neuve après la mue,
comme une maison se dresse, plus solide, plus fière encore, quand elle
a su résister à la violence d’un tremblement de terre, à ses secousses
meurtrières. Je suis un homme sans passé et sans souvenirs, vivant en
apnée sur le fil éternel présent.»
Un sublime roman tout en poésie, en solitude, en lumière et silence. Ce
silence qui détruit et qui pourtant fortifie, unit les liens, les
ressert, emmène à voyager par-dessus les murs et frontières. Avec
délicatesse, Silvia Härri dépose les mots comme des cailloux semés pour
ne jamais se perdre dans les allées des forêts sombres, ténébreuses de
la folie et des secrets. Chacun est un souvenir, une trace de ces
instants lumineux partagés. Chaque pierre est un diamant écrit
poétiquement.
Une écriture tout en dentelle, pudique et qui malgré les heures sombres
laissent passer la lumière, filtrer la douceur, sublimer la
délicatesse. Une écriture par touches de couleurs irisant les sentiers,
éclairant les espaces sombres, la nuit.
«La nature explose de couleurs, de sève et d’odeurs. J’avance sur un
chemin pierreux, une langue de terre serpentant entre deux collines
striées de vignobles, de cyprès et d’oliviers argentés qui semblent
onduler sur leurs dos. Un lézard abruti de trop de lumière me regarde
faire sans abandonner sa position. Comme lui, le soleil me chatouille
la nuque et engourdit mon dos, il fait déjà doux, la brise est sucrée.»
C’est beau, délicat et on ne peut être indifférent à ce silence, celui
qui vrille les entrailles et laisse filtrer la lumière à travers les
cicatrices du cœur. C’est oui délicatement, fragilement beau.
Je suis mort un soir d’été où s’il s’agissait peut-être de renaître ?
«J’ai l’amour pudique, les mots aussi. Je la contemple longtemps, la
caresse du bout des doigts et ferme les yeux en la posant sur ma
poitrine.
C’est ma façon à moi d’écarter les cauchemars.»
«Sa main est écorce dont la sève est cette force qu’elle transmet,
roche rugueuse aux cent aspérités qui sert de prise à l’alpiniste,
ancre de marin, la seule à laquelle je puisse m’accrocher comme à une
absolue certitude, la seule où amarrer mes doutes. Tout ça, je ne le
dis pas. Je ne voudrais pas avoir l’air faible ou ridicule.»
Et ce dernier paragraphe que je ne peux vous livrer et qui d’une beauté
lumineuse, délicate, sensible. De la dentelle, une peinture, de la
poésie, mur-porteur.
Blog Le carré jaune, septembre 2016
Le narrateur du roman de Silvia Härri est mort, un soir d'été, à
Florence. Pour être précis, c'était le 26 juillet 1957. Il est mort ce
soir-là, à six ans et demi. Pourtant, c'est lui qui raconte. En fait,
il n'est pas mort au sens propre mais au sens figuré, ce qui est tout
comme et n'en est pas moins douloureux pour lui.
Pietro Cerretani a une petit soeur, Margherita. En janvier ou février,
ils jouent les deux au ballon. Il lui lance la grosse balle rouge
qu'elle a choisie (leur père n'a pas voulu acheter un vrai ballon de
foot, car elle est trop petite). Margherita la laisse passer, ne bouge
pas, et s'en va faire un tour du côté des rosiers.
En mai c'est le troisième anniversaire de Margherita. Mais la fête est
sans entrain. Tout sonne faux. Ainsi est-ce Pietro qui souffle les
trois bougies du gâteau confectionné par leur mère. De toute la journée
Margherita «ouvre à peine la bouche, si ce n'est pour émettre quelques
gémissements ou onomatopées».
Le fameux soir de cet été torride arrive. Pietro et Margherita sont
dans le jardin, «peu avant la tombée du soir, avec leurs parents». Un
orage serait le bienvenu pour apporter un peu de fraîcheur. Pietro et
Margherita jouent à cache-cache. Quand il l'appelle, elle ne se
retourne pas. Elle ne se retourne que lorsqu'il lui touche l'épaule:
«Tu me regardes. Pas comme un grand frère, non, comme un étranger. Tu
ne me reconnais pas. Les trois années que nous avons passées ensemble
s'effacent sous mes yeux comme on efface d'un seul coup le tableau noir
ou l'ardoise d'un écolier.»
Margherita est passée de la «planète des mots à celle de leur absence»,
sournoisement, progressivement. C'est l'oeuvre de la pieuvre, dont le
nom n'est révélé qu'à la fin. En attendant, elle suit Pietro «comme un
jeune chiot», sans plus savoir comment elle s'appelle. Il y a eu un
avant ce soir-là, il y aura un après.
Le narrateur de Je suis mort un soir d’été,
devenu «orphelin de soeur», raconte dans une langue souvent poétique,
toujours superbe, ce qu'a été sa vie après sa mort d'enfant, et
explique son attitude de fils prétendument unique, ses peurs devant
l'existence, empoisonnée par le secret bien gardé d'une soeur atteinte
par la pieuvre.
Pietro avoue:
«Chaque fois que j'ai trop aimé j'ai fui.
Chaque fois que j'ai eu trop mal ou que la rage m'a envahi.
Chaque fois que j'ai eu peur.»
Le lecteur empathique ne peut que lui pardonner ses fuites après cet aveu...
Blog de FRANCIS RICHARD, 17 septembre 2016
Retour en enfer
Le troisième livre que cette poétesse de Genève publie chez son éditeur
d’Orbe est un roman, son premier. On y plonge dans une Florence dont
elle a terni les ors séculaires. Elle fait revisiter la flamboyante
cité des Médicis par un de ses citoyens obligé d’y revenir pour des
raisons familiales, une de ses sœurs agonise. Le héros est un
architecte désabusé qui ne s’émerveille plus de sa ville. Il s’en était
exilé pour des affaires plus douloureuses que douteuses. Le voici
condamné à les débusquer les unes après les autres, et à se démasquer.
GILBERT SALEM, 24 Heures, 27-28 août 2016
Pietro
Cerretani n’est pas celui que l’on croit, ce brave type qui mène une
existence paisible, cet architecte à qui tout semble réussir. Le
mensonge sur lequel il a édifié son confort se
fissure lorsqu’il est contraint de revenir à Florence pour veiller une
sœur en fin de vie. Le retour dans sa ville d’origine signe les prémices
d’une confrontation d’une singulière violence avec un passé qu’il s’est
efforcé d’enterrer, où rôdent la maladie, la gangrène des liens
familiaux et la folie. Écartelé entre les injonctions du présent et les
rafales du souvenir, Pietro Cerretani va devoir choisir entre silence
et parole, imposture et vérité.
SILVIA HAERRI
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