Écrit dans une langue goûteuse, d’une précision parfois cruelle, mais tellement belle, L’Instant limite
raconte dans chacun des huit récits, le moment où bascule la vie et où,
que ce soit avec apaisement ou douleur, rien ne sera plus jamais comme
avant.
On y rencontre la peur du manque qui vire au drame au-delà d’une
quelconque conscience humaine, la fuite dans le crime ou l’alcool, les
réminiscences du passé qui empoisonnent le présent, la musique où la
portée est en gouttes de sang, le cauchemar des maisons toutes
pareilles, l’appel du feu contre le supplice du vent.
Même si l’instant limite est quelquefois de douceur, tout se passe dans
une atmosphère entre cauchemar et réalité où l’on voit que l’existence
est bien fragile et la nature humaine pleine de contradictions.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
L’Instant limite
À quel moment l’existence bascule-t-elle, quel instant décide pour nous
ce que ne se sera plus jamais «comme avant»? Anne-Claire Decorvet a
plusieurs indices, qu’elle développe diaboliquement au fil de ces huit
nouvelles. Le ton est tour à tour allègre et mélancolique, réaliste et
fantasque, et dans ce mélange si reconnaissable (n’est-ce pas celui de
nos propres vies?) on se coule instantanément, dérivant avec lui du
quotidien et des émotions simples vers des situations extrêmes qui ne
dureront qu’un instant – mais changeront tout! Excellent!
Marie-Claire Suisse
Festival à bascule
Un bref moment, à peine quelques secondes, où se produit l’impalpable
mais indéniable bouleversement. Un subreptice laps de temps qui
transforme un être à jamais. Telle une habile équilibriste, Anne-Claire
Decorvet effleure l’âme humaine et appuie sur L’Instant limite, cet insaisissable instant où un individu bascule et s’égare.
Huit nouvelles sur l’amour, la peur, la folie, l’envie, la vie…
Craignant plus que tout la solitude, Lisa préfère égorger et équarrir
son amant afin que, lové dans son congélateur, il ne la quitte jamais.
Mieux vaut prévenir que périr. Fuyant la brutalité et la sécheresse du
monde, Georges se réfugie dans les brumes douces et réconfortantes de
l’alcool, et s’enfonce inexorablement dans le néant. Une descente
d’enfer. Débordant de compassion et d’autre honorables sentiments, un
employé de pompes funèbres est ridiculisé par une famille en deuil
jusqu’à se transformer en monstre d’agressivité crasse. À cran et à
cris. Un recueil de nouvelles qui dépasse les limites.
ALINDA DUFEY, Vigousse
Parler d’un recueil de nouvelles est toujours une gageure.
Parce que, dans bien des recueils, il n’est guère de point commun entre
les nouvelles qu’ils contiennent.
L’Instant limite,
d’Anne-Claire Decorvet, est l’exception qui confirme cette règle. En le
prenant en mains, je constate que le titre de ce recueil n’est pas
celui de l’une d’entre les nouvelles. C’est de bon augure.
Si les histoires sont toutes bien différentes les unes des autres,
elles ont en effet un point commun. Toutes comportent dans leur
déroulement un instant limite où l’existence bascule et où rien ne peut
plus être comme avant. Cet instant limite est somme toute un point de
non retour.
Huit nouvelles, huit occasions de passer ce genre de limite irréversible.
Lisa est en manque d’Émilien, qui jouait de l’accordéon. Elle craignait
qu’il ne parte et qu’il ne revienne jamais. Alors le meilleur moyen de
le retenir a été de l’estourbir et de le découper en morceaux, qu’elle
a répartis en sachets de dix-sept litres dans son congélateur et
qu’elle dévore l’un après l’autre d’un amour cannibale et insatisfait.
Georges – est-ce bien son nom? – s’est retrouvé aux Alcooliques
Anonymes, obligé de s’y rendre par son médecin, le Dr Martin. A chaque
séance il raconte un peu plus de sa vie. Au début – est-ce bien le
début? – il a eu un accident de scooter en état d’ivresse. Il ne se
souvient plus de rien et se déplace maintenant avec des béquilles.
Jules Audouard est employé de pompes funèbres. Un jour, en l’absence de
son patron, parti en vacances à Cuba, il doit s’occuper de la dépouille
d’une mère de six enfants. Cercueil ou incinération? Il est incapable
d’orienter les six dans leur choix. Et l’affaire traîne en longueur
jusqu’au jour où une décision est prise, non sans conséquences.
Ludwig est chef d’orchestre. Sans vraiment lui demander son avis Mya
s’est installée chez lui. Il l’a laissée faire «parce qu’elle avait le
regard doux, des gestes lents, que c’était reposant cette douceur,
cette lenteur après des années passées sur les routes avec
l’orchestre». Mais, avec le temps, leurs relations se tendent jusqu’à
la rupture.
Marius est lycéen. Il confie à son journal intime qu’il ne veut pas
vieillir. Sa grand-mère, Mamina, atteinte de la maladie d’Alzheimer, va
finir ses jours à la Maison du Repos. Il obtient de l’accompagner le
jour de son admission. A la demande d’une infirmière, il accepte par la
suite de devenir bénévole pour accompagner les vieux de l’établissement
dans leurs promenades. Seulement, des morts subites s’y produisent.
Ils sont tout un groupe, hommes et femmes, attablés à la terrasse du
bar de la Mairie. L’apparition d’une jeune femme les laissent
complètement béats. De loin elle semble porter «une robe unique
enroulée sur un corps parfait». Aucun d’entre eux ne porte de vêtements
de première main. Alors ils boivent et les tournées se suivent.
Salomon et Hélène habitent depuis six mois un lotissement de maisons
bas de gamme, toutes pareilles, bâties par la société Toutenbois.Elles
ont toutes les mêmes meubles, de chez IKEA. Ce qui peut prêter à toutes
sortes de confusions, quand on rentre fourbu chez soi, et bouleverser
plus d’un destin.
Les incendies dans le midi de la France sont un fléau bien connu. Se
produisent-ils par hasard? Rien n’est moins sûr, d’autant que des
intérêts pécuniaires sont en jeu. Bastien finit par accepter de devenir
pompier volontaire, mais ce n’est pas seulement le feu attisé par le
mistral qui le tourment
Dans chacune de ces nouvelles, où pointe la satire, la tension monte
jusqu’à l’instant limite qui n’est pas celui qu’on imagine de prime
abord. Cet instant se produit en effet à la fin de chaque histoire, au
moment de la chute. Et cette chute, que ce qui précède ne laisse pas
présager, est plutôt heureuse, en dépit des détails vrais qui seraient
plutôt sinistres.
Blog de FRANCIS RICHARD
Voici
l’instant fragile où renaît la joie, l’instant trompeur où l’on
s’anéantit sans regret, l’instant lucide où l’on se cache les yeux.
Voici le temps d’une déflagration, quand se réveillent les mauvaises
pensées et les sauvages jalousies. Puis vient la paix d’un instant
d’amour et du tendre oubli… Passé cet instant limite, une existence
aura basculé, dans l’écho ténu d’une musique obstinée, et rien ne sera
jamais plus comme avant.
ANNE-CLAIRE DECORVET
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