Il est une légende du Caucase où il est question de la
sublime Sataney, amoureuse folle de son fier et vertueux demi-frère.
Elle ourdit le dessein de l’épouser, usant et abusant de son charme et
de sa redoutable intelligence. Cette légende donne son titre au recueil.
Fables, morceaux d’histoire, récits s’enroulent autour de cette légende
et se déploient, éventail d’élans de générosité, d’altruisme, mais
aussi de turpitudes. Un condensé des sentiments, des passions, des
actes manqués parfois qui agitent la psyché de l’homme. Jean-François
Sonnay l’a fréquenté, cet être surprenant, fantasque, insaisissable
souvent, son frère, sa sœur en humanités. Partageant son temps entre
littérature et enseignement, il est également délégué du CICR en
Afghanistan, en Colombie ou au Soudan, épicentres de la violence et de
la haine. Il vit actuellement à Paris.
L’auteur dresse un inventaire des rues de Paris portant des noms
d’hommes d’armes, non pas de soldats inconnus, mais de maréchaux, de
généraux qui ont fait la «gloire» de la France. Plus édifiant encore le
nombre de batailles qui figurent sur les plaques de la capitale.
«3’640’000 morts, blessés ou disparus. Tous uniques et irremplaçables.»
Quelle est délicieuse, cette fausse légende des ours de Berne – dont
l’ancêtre aurait été volé en 1513 au duc de Milan – qui remet le
plantigrade au milieu de la Berne fédérale. Cette fable égratigne les
valeurs que l’on croyait inoxydables des Suisses devenus «les parangons
de la banquerie». Nul lecteur ne résistera au chant de l’oiseau de
Kaboul, «cette petite flûte de vie en plein hiver. L’oiseau en vient à
représenter tout ce qui était étranger à la guerre, au froid, à la
prison.» Troublant, ce conte de l’homme piano, trouvé sur la plage «une
espèce de corps abandonné par son âme.»
1971, en pleine guerre au Vietnam. «On estimait qu’un vétéran sur dix
revenait de là-bas, héroïnomane. Une honte! On aurait dû les enfermer
pour les empêcher de nuire.» Pour mener la guerre antidrogue, en 2014,
il s’est dépensé dans le monde près de 1’000 milliards de dollars
américains. Un chiffre qui donne le vertige!
Impossible d’évoquer par le menu détail chacun de ces dix-huit récits!
«Il est souvent fait mention de morale et de calculs, mais aussi de
l’étrange inconfort qu’y apporte l’absence de vergogne.» Ce romancier,
auteur de théâtre, est un homme caméléon. Il change de couleur, de
rythme, de langue au gré de ses récits. Il a pris dans son filet
d’oiseleur des faits réels, parfois banals et les a accommodés à sa
façon, avec sa plume quelquefois trempée dans le vitriol.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus, 11 janvier 2019
Au plus près de l’humain, ici comme là-bas
Comment qualifier ces dix-huit textes brefs? Il n’y aura pas beaucoup de honte
(excellent titre) réunit des nouvelles, des contes, des fables, des
récits… Jean-François Sonnay se balade entre les genres avec aisance,
mêle ses souvenirs de voyage (il a beaucoup travaillé dans
l’humanitaire) à des réflexions teintées d’humour subtil. Souvent, ce
Vaudois qui a choisi Paris comme port d’attache se fonde sur la
réalité, un fait divers, une chose vue, une histoire entendue avant de
tirer le fil et de suivre son imagination.
Qu’il se penche sur une vieille légende caucasienne, qu’il raconte ses
exploits de fumeur de pipe dans un aéroport de brousse ou qu’il
s’interroge sur le temps nécessaire à la reconstruction, après
incendie, du siège du Parlement vaudois, Jean-François Sonnay reste
toujours au plus proche de l’humain. Sans tomber dans la lourdeur
moraliste, ses textes résonnent à chaque fois d’une leçon de vie. Ils
démontrent surtout à quel point, de Lausanne à Kaboul, des États-Unis
au Koweït et dans tous ces lieux non définis, la vie en société répond
aux mêmes fondements. Avec, en particulier, les notions essentielles de
respect et de dignité, y compris dans La cour des petits, la plus
cruelle et la plus émouvante de ces nouvelles.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère, 10 janvier 2019
«Je te dis moi que la réprobation ne durera que le temps
d'une ondée, quelques jours au plus, et qu'il n'y aura pas beaucoup de
honte.
Le recueil de Jean-François Sonnay et un de ses textes tirent leur titre de ce bout de phrase: Il n'y aura pas beaucoup de honte, dans le cas d'une infidélité involontaire.
Cet extrait donne le ton. Celui d'un moraliste qui, confronté à la
réalité, sait bien que les grands principes auxquels les hommes
prétendent obéir sont vite oubliés dans la vraie vie.
Dans «La cour des petits», il revient sur la honte mais dans un cas
différent, celui de la lâcheté, et fait cette remarque: «Il n'y a pas
de honte dans le troupeau. C'est une responsabilité que seules portent
les personnes…»
Le premier récit, «De bonne guerre», est dans cette lignée d'écriture,
puisque l'auteur y recense les noms de combattants et de batailles
donnés à des lieux de la capitale française:
«Le fait est qu'à Paris on chemine sous le vocable de nombreux généraux
et de nombreuses victoires, mais que les victimes de la guerre sont
infiniment plus discrètes…»
Dans «La guerre dite antidrogue», il ironise: «Dans toute guerre, il y
a une part de morale et la guerre, comme la morale, requiert des choix.
Les hommes civilisés sont heureusement dotés d'un cerveau pour
analyser, réfléchir et se déterminer.»
L'auteur qui a été «engagé à plusieurs reprises dans l'action
humanitaire» ne se fait guère d'illusion sur les individus de l'espèce
humaine:
«Qui n'ont pas leurs pareils pour exterminer les espèces qu'ils jugent
inutiles ou nuisibles et qui se pincent le museau en face de leurs
semblables dits mal léchés…» («Geste du coucou geai»)
Il compare l'homme aux autres animaux dans «Conte de la ménagerie»
(dont la morale est qu'expérience faite, il apparaît «de moins en moins
convenable, politiquement parlant, de déterminer quel animal serait le
plus formidable sur terre):»
«Quant au plus dangereux, toutes catégories confondues, l'homme n'a pas encore trouvé son maître.»
Il ne se fait pas plus d'illusion sur ce qu'ils racontent sur
eux-mêmes, ou leurs aïeuls, après coup. Il écrit ainsi dans «La fausse
légende des ours de Berne»:
«Volontiers manipulée par des gouvernements en mal de légitimité,
l'histoire, la grande comme la petite, se mêle souvent à la légende
quand elle ne s'y réduit pas.»
L'exigence morale qu'il apprécie toutefois dans l'histoire
d’«Alma» n'est pas qu'elle condamne «le vice pour promouvoir la
vertu comme certaines polices religieuses,» mais qu'elle met en cause
«les préjugés qui ne font voir que bien et mal là où précisément la
raison se perd…»
Il ne faut pas croire qu'il soit pour autant dépourvu d'humour. Il en
administre heureusement la preuve dans «Fanfaronnade» où, à deux
reprises, il semble que de fumer la pipe lui ait permis d'avoir une
influence sur la circulation aérienne... Cependant il ne se risqua
jamais à ce petit jeu une troisième fois:
«Les miracles sont trop précieux pour être transformés en trucs ou en calculs de probabilité.»
Il y a deux textes qui parlent de l'anonymat. Dans l'un, «Conte de
l'homme piano», un prodige qui joue de cet instrument ne présente plus
d'intérêt à partir du moment où est découvert son vrai nom et ce qu'il
est:
«Le rêve était brisé, ce n'était donc qu'un mauvais rêve, et on se dépêcha de passer à autre chose.»
A contrario, c'est l'anonymat, dans «Légende de l’affiche», laquelle
représente les yeux exorbités d'un enfant affamé, misérable, qui
indispose: «Être humain, c'est être reconnu, avoir un nom, être
respecté. On n'achète pas l'humanité, pas plus qu'on ne rachète
l’inhumanité.»
Dans l'ensemble de ces textes, l'auteur est donc, d'expérience,
critique à l'égard des hommes, voire désabusé. Même si on comprend
qu'il le soit, on n'est pas obligé de l'être comme lui, ni autant que
lui, mais, pour ce faire, il faut toujours vouloir rechercher et
trouver en eux ce qui peut être digne…
Blog de FRANCIS RICHARD
Choses vues, ouï-dire, morceaux d’histoire,
fables ou trouvailles scientifiques, ces dix-huit récits parlent de la
vie en société et du respect d’autrui, sans négliger le sauvetage des
apparences qui les accommode si souvent. On les espère utiles aux
citoyens, à tout le monde en somme, car il est souvent question de
morale et de calculs, mais aussi de l’étrange réconfort qu’y apporte
l’absence de vergogne. Inspirés par une vieille légende du Caucase, qui
donne son titre au recueil, ces récits font se croiser des gens de
guerre, des chiens de rue, des flibustiers, des petits oiseaux, un
président des États-Unis, des victimes d’honneur, des animaux qu’on dit
sauvages et des hommes qu’on pense ne pas l’être.
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