Gaudence Maréchal est né au milieu du XIXe siècle. Bâtard et
orphelin, il est élevé par ses grands-parents en Franche-Comté. À
vingt-trois ans, il part pour l’Algérie, terre promise où il suffit de
se baisser pour devenir riche, dit-on. Il aura moult occasions de
s’apercevoir que ce n’est pas vrai.
Sans idée préconçue, avec une bonne foi de paysan, il essaie de
comprendre pourquoi les musulmans haïssent les Français qui leur ont
pris leurs terres, pourquoi chrétiens et musulmans détestent les Juifs
qui sont censés diriger la finance. Pris entre un patron raciste et un
«Mohamed» révolté, il s'accommode de ce pays où il ne sera jamais
vraiment chez lui.
Si sa propre histoire ne manque pas d’étonnants rebondissements, les
descriptions de cette période de la conquête de l’Algérie sont
particulièrement intéressantes, d’autant qu’elles préfigurent déjà un
avenir que l’on connaît.
JULIETTE DAVID, Le Messager suisse
Dans le destin de Gaudence Maréchal
«Demain, j’ai cinq ans. J’en ai fièvre. J’ai cru que ce jour
n’arriverait jamais. Demain, j’aurai grandi de façon extraordinaire.»
Ainsi s’ouvre le roman de Sylvaine Marguier (Prix Georges-Nicole en
1997) où s’incarne la figure de Gaudence Maréchal. Orphelin de mère, né
de père inconnu. Dans une écriture remarquablement documentée, nous
voici embarqués dans les pas et la quête de Gaudence, de France vers
l’Algérie, dans la seconde moitié du XIXe.
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT, Coopération
Voici un texte plein d’images et d’histoires de vie. Les hommes s’appellent Mohamed
est le roman d’un homme, nommé Gaudence, un Francs-Comtois, orphelin de
mère et de père inconnu – il est l’enfant de Jeannette, héroïne de Miracle des jours,
précédent roman de Sylvaine Marguier (Campiche, 2003) –, parti pour
l’Algérie en plein XIXe siècle. Il y rencontre peu de Mohamed en
vérité, sinon les employés de son patron, un colon de souche, raciste
en diable, mais qui le prend sous son aile et lui offre une situation
dans sa plantation. Le voilà menant sa vie d’homme, d’intendant et
bientôt de père dans un pays dont il sent bien, malgré l’amour
grandissant qu’il lui porte, qu’il n’est pas vraiment la terre des
Français. Malgré ses doutes, il déroulera bravement son existence de
bon citoyen, en grommelant certes, mais sans jamais se révolter contre
l’ordre établi. Sylvaine Marguier a le souci du détail véridique. Elle
se montre pédagogique émaillant son texte de notes de bas de page. Une
imposante bibliographie clôt ce livre où le récit, parfois émouvant,
sert la grande histoire.
ÉLÉONORE SULZER, Le Temps
L’Algérie, revanche d’enfance
C’est un roman ambitieux, qui couvre plusieurs décennies de la vie de
Gaudence Maréchal. Orphelin de mère et bâtard, élevé par son grand-père
et sa tante dans un petit village au pied du Jura français, il a 23 ans
quand il débarque à Alger en 1872. Pour compenser la perte de l’Alsace
et de la Lorraine, tombées aux mains des Allemands, la France donne
alors à ses ressortissants des terres en Algérie. Attiré par
l’aventure, le jeune Gaudence sera engagé dans une exploitation
agricole et passera sa vie à tirer des richesses de cette terre promise
où Kabyles, Arabes, Français et Juifs cohabitent sans se mélanger.
L’auteure franco-suisse Sylvaine Marguier plonge à la source de la
colonisation française en Algérie, dans ce récit où le trajet d’une vie
éclaire une époque. Car c’est le vieux Gaudence qui parle, se souvenant
au soir de sa vie des joies, des peines et des rencontres de son
existence.
Les Hommes s’appellent Mohamed
s’ouvre de manière prometteuse, porté par une voix puissante où sourd
la révolte et le rêve. «Demain, j’ai cinq ans. J’en ai la fièvre. J’ai
cru que ce jour n’arriverait jamais.» L’écriture est rapide, inquiète,
pour dire les dialogues de l’enfant avec sa mère défunte, évoquer des
personnages hauts en couleur et les premières expériences du jeune
homme. Au fil du roman pourtant, elle perd de sa force, le récit se
contentant d’aligner chronologiquement les péripéties. Dommage. On
regrettera aussi les inutiles notes en bas de page. Reste l’intérêt
historique de ce troisième roman de Sylvaine Marguier – lauréate du
Prix Georges-Nicole 1997 pour Le Mensonge –, très bien documenté et clos par une riche bibliographie.
ANNE PITTELOUP, Le Courrier
Arides colonies
Il porte le doux nom de Gaudence Maréchal et débarque en Algérie. En
1872, cette colonie française apparaît comme une terre promise pour cet
orphelin qui a grandi en Franche-Comté. Entré au service d’un riche
propriétaire terrien, Gaudence va toutefois découvrir les clivages de
cette société, loin de celle qu’il imaginait.
Les Hommes s’appellent Mohamed
revient sur un pan de l’histoire des colonies, à travers des
personnages fort bien dessinés et une langue qui colle parfaitement à
ces terres arides.
Quelques passages tirés par les cheveux (la recherche du père de
Gaudence, par exemple) et l’abus de notes en bas de page ne gâchent
guère le plaisir. Révélé par le Prix Georges-Nicole en 1997 (Le Mensonge), la Genevoise Sylvaine Marguier signe là un roman prenant, rigoureux, solidement documenté.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Les Hommes s’appellent Mohamed,
un livre qui se déroule essentiellement en Algérie, au XIXe siècle, sur
les traces d’un immigré de Franche-Comté, qui est parti là-bas pour
faire fortune, Geneviève?
Absolument. C’était entre 1872 et 1918 ou 1920, en tout cas après la
Première guerre mondiale et, au cas où nous l’aurions oublié, l’auteur,
Sylvaine Marguier, nous rappelle à la fin de son livre que cette année
on fête le cinquantième anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie.
C’est drôle parce que l’autre livre, vous l’avez dit tout-à-l’heure,
sur lequel on va zoomer se passe aussi en Algérie, en partie, mais
soixante-cinq ans plus tard, non pas à la fin de la guerre de 1870,
mais au début de la Deuxième guerre mondiale, celui-là…
Alors, restons sur Les Hommes s’appellent Mohamed, un titre qui peut sembler quand même un brin raciste… Non?
Mais alors, en fait, pas vraiment, bien sûr c’est une remarque un peu
légère faite par une Métropolitaine, comme on disait, fraîchement
débarquée en Algérie, mais surtout c’est la réflexion du héros du
livre, Gaudence Maréchal, qui pense que les Français ont sous-estimé la
culture algérienne, il le dit, Napoléon parlait de les faire participer
aux bienfaits de la civilisation mais il oubliait que tant d’hommes ici
s’appellent Mohamed, c’est-à-dire le nom du Prophète. Tous, absolument,
ajoute-t-il, ont la foi, leur foi musulmane. Comment préjuger que des
religions aussi différents puissent cohabiter sur une Terre occupée de
manière indue, donc volée, comment de simples péquins ont-ils pu
penser à cela qui n’est pas un détail et pas les militaires qui étaient
sur place et pas l’Empereur des Français.
Comme quoi il y avait des Indépendantistes français en Algérie, déjà au XIXe…
Exactement. C’est une des choses que nous montre Sylvaine Marguier dont
ce roman-ci fait suite, mais avec une autre histoire, et avec un
autre regard aussi, au «Miracle des jours», son précédent livre, dans
lequel elle racontait, avec un passage en Algérie, le voyage en
Palestine d’un couple d’aristocrates à travers le regard de leurs
domestiques. Ici, pareil, le héros est un «gueusard» comme il dit, un
bâtard dont la mère est morte en couches, qui ne connaît pas son père
et qui a quitté son Jura natal à la mort de son grand-père et de sa
grand-mère qui l’avaient élevé…
Et son enfance, elle est racontée dans le livre?
Ah oui, assez longuement même. Avec des régionalismes expliqués en bas
de page. Parfois un peu trop nombreux, disons-le, et puis alors, dès
l’arrivée à Alger, le ton change ou plutôt le personnage se modifie, se
complexifie. Bien sûr, il reste un provincial naïf, un jeune homme
fougueux qui va s’encanailler au bordel, une force de travail aussi,
mais en même temps l’auteur lui prête une grande lucidité et puis une
certaine fragilité, celle d’un orphelin à la recherche de son père.
Plus le récit avance, plus l’on s’attache à ce Gaudence, d’autant que
Sylvaine Marguier évite le piège didactique, à propos de l’Algérie. En
plus elle fait des allers et retours dans le temps, des ellipses et des
raccourcis, qui fonctionnent un petit peu comme la mémoire humaine. La
construction de ce roman historique, qui a des accents très
contemporains, est donc très naturelle et, puis alors, la bibliographie
à la fin du livre, assez impressionnante…
GENEVIÈVE BRIDEL, Quartier livres, RTS «La Première»
En 1872, Gaudence Maréchal, âgé de vingt-trois ans, enfant
bâtard et orphelin de mère, débarque à Alger. Il n’y connaît personne
mais il a la ferme intention de réussir. Ne dit-on pas alors aux jeunes
gens que l’Algérie appartient à la France et qu’il suffit de se baisser
pour devenir riche, très riche ?
Les hommes s’appellent Mohamed couvre plusieurs décennies de la vie de
Gaudence Maréchal qui découvrira une société traversée par des clivages
politiques, culturels et religieux parfois sanglants : une société bien
différente de l’eldorado annoncé. À l’histoire tourmentée d’un pays
s’ajoute celle, intime, d’un homme honnête, soucieux de fraternité et
de justice.
En cette année 2012, l’Algérie commémore le cinquantenaire de son Indépendance
Un extrait:
Il ne me fait pas
peur. Comme tout domestique avisé de se garantir, je veux protéger mon
maître d’un mauvais coup qui rejaillirait sur moi. Je veux également
protéger Mme Jonquère. Que deviendrait-elle si le second frère
Paune-Jonquère était assassiné ?
Ses cheveux humides et plats laissent apercevoir son crâne dégarni. À
présent, cet homme fatigué ne se bat plus que contre la mouche qui
bzille autour de sa tête. Ses beaux habits de maître sont fripés.
J’ai l’impression de participer à l’expérience des vases communicants,
je me remplis et je m’affirme. Il s’affaiblit et se vide. Il me regarde
par en dessous.
— Vous êtes jeune, mais je vais vous apprendre ceci : l’Algérie est une
femme. Parfois un homme consent au mariage. Il tombe dans le piège
qu’on lui a tendu. Les années passent puis, un jour, il s’aperçoit
qu’il est trop tard. Comment dire à cette femme qu’il s’est trompé,
qu’il voudrait la quitter, qu’il ne l’aime plus ? Il ne le dit pas.
Impossible de démériter publiquement. Il lui faut travailler pour cette
femme et continuer de vouloir son bonheur.
Une fois dans l’escalier, il dit d’une voix affermie :
— Madame a écrit. Elle rentre plus tôt que prévu. Elle sera de retour pour la Noël.
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