Avec l’humain au cœur
Sur fond de meurtres et de
jeunesse en perdition, Jean-François Haas signe un émouvant roman
d’amour filial. À l’image de son auteur, La Folie du pélican se révèle
pétrie d’humanisme.
Rencontre.
L’histoire aurait pu donner lieu à un polar, mais là n’est pas le propos. Dans La Folie du pélican,
l’écrivain fribourgeois Jean-François Haas dépasse largement le fait
divers pour, au fond, signer un roman d’amour. Celui d’un père pour son
fils, malgré tout.
Au départ, non pas un, mais deux faits divers. Deux drames similaires
aux États-Unis. D’un côté l’affaire Whitaker en 2003, un jeune homme a
commandité le meurtre de ses parents et de son frère. Le père a survécu
et s’est battu pour que son fils échappe à la peine de mort. Dans
l’affaire, une fille a été arrêtée après avoir organisé le meurtre de
sa famille.
Dans le roman, l’histoire se déroule à Fribourg (aisément
reconnaissable, mais jamais nommé) et dans les environs. Un soir d’été
de 1998, une famille rentre chez elle et se retrouve face à un homme
armé. Il tue la mère et le fils aîné, blesse le père (Simon) et le
cadet (David). L’enquête révèlera que ce dernier a organisé
l’assassinat. Il est condamné à vingt ans de prison.
«Je suis père et ce qui m’intéressait, c’était de me demander comment
un père peut réagir devant un tel acte», explique Jean-François Haas.
Au cœur de livre se trouve le thème du pardon. «Ou plutôt l’idée de
continuer à aimer.» Le pardon a en effet un côté définitif. «Alors que
l’on est toujours en train de pardonner.»
Il aurait pu en faire un polar, disions-nous. «J’ai voulu griller cet
aspect dès la quatrième de couverture. Sinon, le lecteur risquait de
passer à côté de mon propos, le cheminement du père par rapport au
fils.» Pas de mépris pour le genre, toutefois. «J’aime le polar et je
crois que ce goût transparaît, mais un vrai roman policier, c’est autre
chose. Il suppose une autre façon d’écrire, de travailler.»
À chaque roman sa langue
Jean-François Haas, par exemple, ne s’échine guère à décrire des lieux
précis ni les exactes procédures judiciaires ou policières. «Je n’ai
pas envie de faire quelque chose de réaliste.» Ses histoires, il les
rêve parfois si longtemps, avant de les écrire. Et ses romans gardent
une part de liberté.
Comme Le Chemin sauvage (2002) dont il s’approche sur plusieurs aspects, La Folie du pélican demeure limpide, d’une langue claire, moins complexe que celle de l’extraordinaire Dans la gueule de la baleine guerre
qui l’a révélé en 2007. «Je pense que chaque roman exige sa langue. Il
y a aussi chez moi une évolution. Je suis fou de Claude Simon, de
longues phrases, et je me suis donné beaucoup de liberté dans mon
premier roman. Dès le deuxième, je me suis rendu compte que je risquais
de me pasticher.»
Jeune homme à la dérive
Alors, Jean-François Haas a épuré son écriture. «Je m’exprime de
manière moins torturée, avec plus de sérénité.» Ce qu’il a pu perdre en
complexité (quoique son travail sur la temporalité demeure très
raffiné), il le gagne en touchante humanité. Le livre décrit par
exemple avec justesse la dérive d’un jeune homme vers des paradis
artificiels.
Retraité depuis quelques années, Jean-François Haas s’est souvenu de
ses années d’enseignement au Collège de Gambach. «Mon côté
compassionnel ressort toujours! Comme prof, vous voyez des élèves
joyeux, qui, un jour, se renferment, commencent à manquer des cours…
C’est tragique de se retrouver devant des parents qui se demandent
“Qu’avons-nous fait de mal? De faux?” La plupart temps, vous ne pouvez
que leur répondre : “Rien. Vous n’avez rien fait de faux.”»
Cette même justesse se retrouve chez Simon, le père, qui, comme ceux de
sa génération, dans nos régions, peine à montrer ses sentiments. Il
n’est pas un homme de mots. Alors il emmène ses enfants la pêche. Il
leur confectionne des biscôme, cuisine des croûtes aux champignons.
Entre abstrait et concret
Au fil du roman, on découvre que Simon a connu une enfance difficile,
aux côtés d’un père violent. «Quand j’étais gosse, se souvient
l’écrivain, j’ai été terrifié par le père d’un copain, un homme très
brutal». Simon, peu à peu, fera la paix avec son histoire. «Mais sans
cette dimension, je pense qu’il aurait été trop lisse. Il a des
aspérités et des mauvais côtés. Il est aussi confronté à ses propres
abîmes.»
Le roman parvient ainsi à un séduisant équilibre entre les envolées
poétiques, l’inconditionnel amour filial et les éléments les plus
concrets. Les odeurs de mandarine ou de tilleul, la «clarté de rose et
de lavande» du soir, la lenteur de l’eau dans le canal, une raclette au
feu de bois… La Folie du pélican est ainsi parcourue de sensations et
de souvenirs, d’anecdotes vécues ou entendues. La boulangerie de Simon,
par exemple, vient de celle de Courtepin, ce «lieu magique» de
l’enfance.
Relié à la nature
Et puis, il y a la nature, qui joue un rôle essentiel dans le livre,
comme pour Jean-François Haas. À Courtaman, où il a grandit et où il
vit toujours, il se sent «relié aux animaux, aux plantes», à son
environnement à la forêt qui l’entoure. «Quand j’étais gamin, nous
n’avions que ça, c’était notre Amazonie!»
Après sept romans aux prestigieuses Éditions du Seuil, La Folie du
pélican est le premier qu’il publie en Suisse. «Je n’ai pas vendu assez
de livres pour l’entreprise Dupuis-Dargaud», sourit-il, en référence au
rachat de la prestigieuse maison d’édition par le groupe
Media-Participations.
«J’ai toujours trouvé que Bernard Campiche faisait de beaux livres. Je
suis très content. C’est la première fois que j’ai pu suivre la
naissance de l’ouvrage du début à la fin.» Plutôt que de rester dans
une «machine à fric», le voici chez un éditeur plus modeste, mais avec
qui se noue une vraie relation. L’humain avant tout, une fois encore.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère, 15 décembre 2022
«Vous
croyez qu’on peut demander pardon quand on fait ce que j’ai fait? Je
suis sorti du pardon. Mon père peut dire qu’il m’aime et me le faire
dire par d’autres tant qu’il voudra, je ne mérite pas qu’il continue à
me regarder comme son fils…» Après un silence, David avait ajouté: «Cet
amour est insupportable… Inhumain!… J’aimerais mieux qu’il me rejette,
qu’il me haïsse… Alors je pourrais peut-être
parfois dormir.»
La nuit du 8 au 9 juillet 1998, une famille rentre chez elle après une
journée passée ensemble; elle se trouve face à un homme armé qui tue la
mère, Lucie, le fils aîné, Maxime, et blesse le père, Simon, et le fils
cadet, David. L’enquête aboutit, une année plus tard, à l’arrestation
du meurtrier, et à celle de l’instiguateur des meurtres, qui est David,
le fils cadet. À partir de là, le roman devient l’histoire d’un homme
qui aimait son fils et continue de l’aimer. Il essaie d’entrer en
contact avec lui, lui dit qu’il l’aime jusque devant ceux qui le
jugent, commence à attendre après sa condamnation le moment où ils se
rencontreront, moment que David n’ose ou ne veut pas affronter.
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