Sur la montagne, des morts et des non-dits
Des mots sans élans magnifiques, le premier chapitre nous emmène de la
gare de Lausanne (qui n’a pas besoin d’être nommée pour qu’on la
reconnaisse) vers un village de montagne, après avoir longé le lac et
emprunté un car postal. «Mais ce matin-là, l’inspecteur Gross ne prend
pas le train. Il s’engouffre dans sa voiture…» Superbe trouvaille, qui
laisse augurer du meilleur pour ces Déshérités,
premier roman de Valentin Decoppet. L’enquête autour d’un double
meurtre commis sur un alpage ne tiendra pas tout à fait cette promesse:
l’écrivain vaudois s’intéresse aux histoires de village et de famille,
mais laisse l’étrange impression de rester à la surface. L’affaire de
jalousie et d’héritage qui grouille dans ces montagnes vaudoises
demeure finalement assez brumeuse.
N’empêche que ce flou n’est pas sans charme. Nous sommes dans un
univers de non-dits, de taiseux. L’essentiel, ici, ne se trouve pas
dans la résolution de l’affaire, mais dans cette drôle d’ambiance et
dans cet univers où l’on a l’impression de ne pas pouvoir pénétrer. Là
au milieu, l’inspecteur Jean-Pierre Gross se démène comme il peut, avec
ses maladresses, ses fêlures, ses difficultés relationnelles qui le
rendent profondément humain.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère, 9 mars 2022
«Ça avait l’air d’un cas assez simple.» Deux corps retrouvés
dans une ferme des Préalpes vaudoises, méthodiquement assassinés. Et ce
meurtrier vers qui tous les indices convergent, paysan qui passe
rapidement aux aveux et aide à retrouver l’arme du crime au fond de la
fosse à purin. Mais les coupables parfaits, «ça n’existe que dans les
mauvais polars», et celui-ci, tout à son dessein d’en être un bon,
s’efforce d’emmener son lecteur par-delà les évidences, dans
l’entrelacs des jalousies ancestrales qui hantent ce petit village de
montagne.
Formé à l’Institut littéraire de Bienne, le Lausannois Valentin Decoppet signe avec Les Déshérités
son premier roman, dont la trame policière est faufilée de diverses
fibres, sentimentale, littéraire (chaque chapitre emprunte son titre à
une œuvre emblématique), mais aussi linguistique – l’auteur est
également traducteur du suisse allemand, ici souvent sonore. On y perd
parfois le fil tant l’intrigue se révèle noueuse, mais ce polar vibre
d’une ambition narrative qu’il faut saluer. Et suivre de près.
THIERRY RABOUD, La Liberté, 20 février 2022
«On a deux victimes avec des blessures par balle, un couple.
Ça s'est produit hier soir, il y avait les tirs obligatoires dans le
stand d'à côté. Personne n'a rien entendu. L'homme est dans l'étable,
la femme au salon.»
Chacune des deux victimes a été tuée de trois balles, une à la tête,
une à la poitrine, une au ventre: «Les victimes ont été abattues selon
le même rituel», constate donc l'inspecteur Gross arrivé sur place en
voiture. Lequel apprendra que l'arme utilisée, militaire, est «du genre
fusil d’assaut.»
Le tueur a d'abord pris l'homme pour cible et l'a abattu, de loin,
d'une première balle dans la tête. Ce ne peut être qu'un excellent
tireur. L'homme s'appelle Alexandre Rochat, la femme, Marie, née
Walser. Leur ferme se trouve dans un village, La Rochaz, au-dessus
d'Aigle.
Cette ferme appartenait au cousin d'Alexandre, Jean Rochat, qui la leur
a vendu il y a quatre mois, qui habite le village et travaille au Volg.
L'information est donnée à l'inspecteur Gross par un paysan, Emanuel
Jotterand, qui se rendait à l'étable pour traire les vaches et les
sortir.
Tandis qu'il sort de la ferme, l'inspecteur Gross aperçoit un homme de
taille moyenne, manteau brun, à l'orée du bois. Ils se regardent.
L'homme saute une barrière, s'enfonce dans le bois. L'inspecteur se
lance à sa poursuite, mais l'homme le distance. Il finit par perdre sa
trace.
Or, justement, cet homme pourrait bien être Jean Rochat. Il a disparu
et ne s'est pas présenté à son travail. C'est le coupable idéal,
d'autant qu'il est membre de la société de tir du village. Reste à
savoir pour quel motif il aurait commis ce double crime. C'est là toute
la question.
L'inspecteur Gross enquête sur les familles Rochat et Walser. Il
apprend ainsi que le grand-père Rochat s'était présenté au Conseil
communal et que Georges Walser, le beau-père d'Alexandre, l'avait
emporté sur lui; mais qu'il avait acquis la ferme, promise de vente à
ce dernier.
Les Déshérités, ce sont
John, un des fils du grand-père Rochat, et sa descendance: l'aïeul
avait dévolu la ferme à son autre fils Eugène, après le décès de son
aîné, Laurent. Jean est un des deux fils d'Eugène et c'est de cette
manière qu'il est devenu héritier légitime de la ferme.
On ne voit toutefois pas pourquoi Jean aurait tué son cousin Alexandre
et sa femme après leur avoir délibérément vendu la ferme. Apparemment,
il se pourrait qu'il ait rechuté: Gross apprend en effet qu'il a fait
par le passé un séjour psychiatrique volontaire d'un an et demi.
Rien n'est simple dans un tel microcosme, où tout s'entremêle. Aussi,
quand Jean est appréhendé, l'inspecteur Gross veut-il «tout vérifier»
pour «donner l'image la plus exacte des faits,» comme le lui dira sa
mère, qui sait d'expérience que «les choses ne sont jamais ou noires ou
blanches.»
Blog de FRANCIS RICHARD
À
la poursuite de l’auteur d’un meurtre sordide, l’inspecteur Gross
découvre peu à peu les histoires d’un village montagnard. Jalousies
familiales, internement forcé et corruption s’entremêlent et forcent le
policier à s'immiscer toujours plus profondément dans la vie des
habitants.
|