À
parcourir «ces routes qui ne sont pas des routes, mais des états
d’esprit», l’auteur nous offre une œuvre d’une magnifique densité. Les
pérégrinations de deux êtres qui cherchent en vain leur «moitié d’âme»
passent par toutes sortes d’aventures où les moments de la vie frôlent
l’inexplicable. Mais le livre est ancré dans une solide et goûteuse
réalité, ce qui n’empêche pas l’auteur de se servir des événements
quotidiens pour accéder aux problèmes que pose l’existence, tout cela
dans un style dru, vivant qui mêle aussi bien les conversations de
bistrot que les réflexions profondes.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
À la bonne heure
Un attroupement, une foule dispersée par la police. Des regards qui se
croisent, à peine le temps de se donner rendez-vous le lendemain, même
heure, sur ce quai de gare… Mais le lendemain, l’un des deux aura pensé
à l’heure d’été, l’autre pas. Lune et Auguste s’attendront, se
chercheront longtemps…
Sur cette idée de départ, le Biennois Thierry Luterbacher tisse un
roman plein de charme, à mi-chemin entre onirisme et réalisme. Dernier dimanche de mars suit
le destin parallèle et si proche de ses deux personnages, la suite de
leur rendez-vous manqué. Ils vont se frôler sans le savoir, se croiser
presque, partager des connaissances peu fréquentables. Chacun avance
sur son propre chemin, sans pouvoir oublier cette fugace apparition,
avec la conviction que «l’important n’est pas avec qui on vit, mais
sans qui il est impossible de vivre.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
L’homme qui a tué la lune
Est-ce parce qu’il est toujours proche de l’enfance que Thierry
Luterbacher écrit? En tous les cas, ce qu’il se passe dans ce sixième
roman venant de paraître chez Bernard Campiche Éditeur, il faut
l’aborder avec le regard de l’enfant qui ne s’étonne de rien. Ni d’un
personnage qui ne serait qu’une présence, ni de l’étrangeté du monde,
ni des distorsions du temps. Dernier dimanche de mars,
c’est le titre de l’histoire, repose sur un calembour du temps, un bête
changement d’horaire oublié. Les gens ne cessent de s’y croiser, de se
perdre, de se chercher, de s’effleurer, de s’annuler même, comme un
reflet de lune dans un étang. Et c’est ce qui donne la charge poétique
au récit.
Ce dernier s’ouvre par cet homme au bord de l’étang qui raconte: «Je
tenais contre ma poitrine un fusil chargé. J’ai tiré et j’ai atteint la
lune en plein coeur.» Il répétait: «J’ai tué Lune…j’ai tué Lune…»
Thierry Luterbacher s’en explique sans sourciller. Le personnage de
Billy the Kid dans le film Le Gaucher
d’Arthur Penn a toujours fasciné l’écrivain. Dans cette oeuvre culte,
il y a une scène où Billy tire sur le reflet de la lune dans l’étang en
disant par deux fois, «I killed the moon».
Derrière le pastiche se cache l’exigence d’écriture: «Je ne me dis
jamais “Je veux écrire un livre”. Dans mes bouquins, il y a toujours
une image qui m’obsède, qui ne me laisse pas tranquille. Je l’écris
pour m’en débarrasser. Et les mots défilent dans ma tête comme ces
images», confie le Biennois.
Sous le signe de la lune
Mais Lune a une majuscule dans le livre. C’est un des deux narrateurs
principaux du roman. Lune est une jeune femme très particulière. Elle a
une cicatrice, née d’une scène traumatisante de l’enfance. Un jour de
pleine lune, une lune blafarde en plein jour dans le ciel, elle
s’aperçoit que celle-ci arbore le même tracé que la cicatrice qu’elle
porte au visage. Un sillon impressionnant qui part du front, traverse
l’oeil et cisaille, par en dessous, le galbe abîmé de la joue. «Cette
cicatrice, je l’ai rencontrée chez une magnifique jeune femme qui
servait dans une station d’essence. Elle me fascinait. Je pouvais lire
dans ce sillon comme dans les lignes de la main. C’était chaque fois
une autre histoire dans un pays inconnu. Nous n’échangions que des
pensées», s’émeut l’écrivain dont le regard se met à fuir dans une
fêlure de la mémoire.
Une fuite en avant
Le livre à vrai dire semble n’être qu’une fuite. Il se défait comme le
rouleau de Jack Kérouac. Il évoque des existences multiples. Des vies
mornes ou pleines, des amours naturelles, des haines ancestrales. Il
avance vers nulle part, mais il avance, dans une célébration de
l’éphémère et de la solitude. Et dans des lieux tout aussi anonymes.
Le deuxième narrateur s’appelle Visage. Simplement parce que Lune l’a
rencontré sans qu’elle puisse le dévoiler. Ils se sont loupés. Visage
vit dans le monde de la marge, dans tout ce qui s’oppose à l’utile, au
rationnel, à la société. «Il s’évade par tous les pores de la société»,
constate Thierry Luterbacher. Il part en quête de Lune. Sans la
décrocher. Et puis, il y a Miranda, magnifique personnage
insaisissable. Et la tante de Lune, la fleuriste, qui a sa moitié dans
l’éternité. «En dehors du temps, il existait l’éternité pour celles et
ceux qui n’ont pas leur place dans la contrainte du monde», lit-on dans
Dernier dimanche de mars, jour du changement horaire.
Le plus curieux, c’est que le lecteur se sent happé dans des fils de
narration que les personnages projettent et nous font voir plus de
choses qu’il n’en existe. Et c’est bien là le rôle de toute
littérature. Et on se dit qu’à défaut de tuer le temps, on finit par
flinguer la lune. Un roman à lire et relire.
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Journal du Jura
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Depuis
près de quarante ans, chaque dernier dimanche de mars, c'est le passage
à l'heure d'été. Cette mesure, néfaste et inutile, est maintenue
arbitrairement sur le continent par l'Union Européenne... Ce méfait
n'est toutefois pas complètement perdu puisqu'il fournit un magnifique
argument romanesque à Thierry Luterbacher.
En effet le début de son roman, celui de Blandine Théia et d'Auguste
Geste – leurs patronymes ne sont pas fortuits – se passe un Dernier dimanche de mars.
Les deux se sont rencontrés ce jour-là pour se perdre aussitôt. Ils
assistaient l'un comme l'autre à un concert de rue, interrompu par un
quarteron de flics, au grand dam des badauds, dont les poings s'étaient
levés pour protester.
Auguste raconte: «J’ai vu se lever un poing gracieux. Une nuée de
bracelets tintinnabulaient sous mon nez. J’ai suivi le bras vêtu de
sombre et je suis tombé sur Lune, une coiffure sage des années trente,
noir de corbeau, une peau porcelaine, ciselée par une cicatrice
poignante qui déchirait le sourcil de son œil-mousse et reprenait son
sillon sur la joue gauche, une fêlure qui racontait un roman.»
Il se souvient: «Elle était ma moitié féminine sans laquelle, jusqu'à cet instant, je n'avais pas été homme.»
Blandine raconte: «J’ai tourné la tête et j'ai rencontré des yeux
sombres, qui n'étaient là que pour absorber la lumière, des yeux dans
lesquels se reflétait une demi-lune, des yeux paisibles où je lisais
une plénitude de solitude. La carrure solide, de longues mèches brunes
en désordre qui effleuraient les yeux, le visage ovale au sourire
délicat.»
Elle se souvient: «Nous nous sommes regardés et nous étions amis d’enfance.»
Auguste reçoit des coups de matraques de la part des pandores. Il est
séparé d'elle, mais, instinctivement, il suit Blandine disparue et la
retrouve dans une gare, quai n°2, à la fenêtre du train de 19 h 11 qui
s'ébranle.
Blandine lui crie, à plusieurs reprises: «Comment faire…». Il lui
répond, en courant à côté du wagon: «Ici, même heure, même train…».
Mais sa montre à lui indique encore 18 h 11... Ce décalage du temps,
d'une heure tout juste, sera suffisant pour qu'ils se perdent...
Pendant les trois ans que dure le récit, ils vont l'un comme l'autre
poursuivre leur route. Leurs chemins vont se croiser plusieurs fois
sans qu'ils ne se rencontrent vraiment. Pour lui, elle est Lune. Pour
elle, il est Visage. Des noms aimés qu'ils se donnent, chacun de leur
côté, pour s'invoquer.
Lui ne cessera de penser à sa moitié d'âme: quoi qu'il fasse tous les
jours seront des jours sans elle. Elle, qui finit par accepter qu'elle
voit l'inexplicable (que les autres ne voient pas: cette vision
divergente s'immisce à sa seule réalité), ne cessera de penser que «ce
quelque chose de supérieur, d’indéfinissable» peut rendre possibles
leurs retrouvailles.
En attendant ces hypothétiques retrouvailles, l'un comme l'autre
traversent des tribulations et connaissent des émois avec d'autres:
«Parfois le corps ressent le besoin de faire diversion pour libérer le
coeur et la tête.» Mais cela ne les empêche pas de toujours s'imaginer
un jour ensemble.
Jusqu'à la fin, indécise, le lecteur peut se demander si Auguste et
Blandine sauront illustrer cette sentence, plus profonde qu'il n'y
paraît: «L’important n'est pas avec qui on vit, mais sans qui il est
impossible de vivre.»
Blog de FRANCIS RICHARD
Auguste
a quitté sa famille excentrique, la campagne, un garage bohème, pour la
ville. C’est alors que ça arrive. Dans la rue, un attroupement autour
d’un concert. Une fille, une cicatrice sur le sourcil en forme de lune.
Une apparition.
Il la perd de vue lorsque la police disperse la foule, la retrouve à la
gare, derrière la vitre d’un train, et lit sur ses lèvres: «Comment
faire...» Il lui donne rendez-vous le lendemain au même lieu, à la même
heure au même train, ce train qu’il prend désormais chaque soir. Mais
il n’y a aucune trace de l’inconnue dans les wagons.
On comprend assez vite les raisons de ce rendez-vous manqué: la passage
à l’heure d’été dont c’était le premier jour. La rencontre est arrivée
le dernier dimanche de mars. La fille a avancé sa montre, pas Auguste.
On me pardonnera de donner la solution de l’énigme, qui est d’ailleurs
dans le quatrième de couverture. L’essentiel du roman de
Luterbacher n’est pas là. Plutôt dans une ambiance poétique, lunaire,
dans des scènes qui émargent d’un réel rêvé ou rêveur, lorsque Auguste,
abandonnant sa recherche de l’aimée, décide de rentrer dans sa famille
à pied.
Quelques aventures l’attendent en chemin, un voyou gominé, un sac de
jute plein d’argent, une beauté campagnarde vieillie et sa nièce qui
deviennent ses maîtresses, des coups de feu, des morts.
Puis l’histoire recommence selon le point de vue de la fille à la
cicatrice. D’autres personnages apparaissent, reviennent sous des
angles différents. Ils se croisent, se retrouvent, dans une sorte de
labyrinthe romanesque et temporel où le lecteur se promène en
découvrant une histoire doublée d’onirisme, de charme et de fantaisie.
Blog d’ALAIN BAGNOUD
Thierry Luterbacher publie Dernier dimanche de mars, son sixième roman
Thierry Luterbacher, né en 1950, à Péry-Reuchenette, dans la partie
francophone du canton de Berne (Suisse), est journaliste, réalisateur,
auteur, metteur en scène et artiste peintre. Bien que résidant à
Bienne, ce passionné de l’écrit et de l’image a passé ses vacances à
Issirac, où sa famille possède une résidence.
Il a gardé de ces moments-là, d’agréables souvenirs qu’il aime
d’ailleurs se remémorer avec ses amis qui ont toujours plaisir à le
rencontrer. Malgré sa célébrité due à ses nombreux talents, il est
resté le Thierry de son enfance.
À ce jour, il vient de publier son sixième roman aux éditions Bernard Campiche. Il s’intitule Dernier dimanche de mars, qui arrive après Un cerisier dans l’escalier en 2001, Le Splendide Hasard des pauvres, Quidam et Le Sacre de l’inutile en 2008, et Évasion à perpétuité.
L’histoire de son dernier roman est palpitante. «Au
coin d’une rue, des badauds écoutent un concert. Auguste croise le
regard d’une passante. Une noce secrète. La police disperse la foule.
Ils se perdent de vue. Auguste retrouve l’inconnue derrière la fenêtre
d’un train en partance, le train de 19 h 11. Nous sommes le dernier
dimanche de mars, jour où l’heure d’été a remplacé l’heure d’hiver.
L’inconnue a avancé sa montre d’une heure. Pas Auguste. Tous les soirs,
il prend le train de 18 h 11 pour revoir celle qu’il a appelé Lune et
qui porte sa cicatrice». Il tarde au lecteur de connaître le dénouement de cette histoire.
Midi libre
Au
coin d’une rue, des badauds écoutent un concert. Auguste croise le
regard d’une passante, une cicatrice poignante déchire le sourcil de
son œil mousse et reprend son sillon sur la joue gauche, une fêlure qui
raconte un roman. Une noce secrète. La police disperse la foule. Ils se
perdent de vue. Auguste retrouve l’inconnue derrière la fenêtre d’un
train en partance, le train de 19 h 11. Nous sommes le dernier dimanche
de mars, jour où l’heure d’été a remplacé l’heure d’hiver. L’inconnue a
avancé sa montre d’une heure, pas Auguste. Tous les soirs, il prend le
train de 18 h 11 pour revoir celle qu’il a appelée Lune. La lune qui
porte sa cicatrice.
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