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Un extrait:
J’étais à côté de l’interrupteur. J’ai hésité, renoncé, je ne sais
pourquoi, à allumer, d’ailleurs le couloir était faiblement, mais
suffisamment éclairé par la lune ou les lumières de la fête.
Et d’abord j’ai pensé que c’était un drap jeté là par une femme de
chambre occupée à changer un lit, à une heure pourtant inhabituelle, et
puis, au fur et à mesure que j’avançais, effrayé, que c’était un corps
évanoui ou sans vie, le corps de la mariée, mais ce n’était que sa
robe, la robe blanche des noces, étalée de biais dans l’étroit couloir,
le bouquet enlacé par une manche à demi repliée, en bas les souliers
couchés l’un à côté de l’autre, en haut le voile soigneusement déployé.
Une robe ample, au tissu somptueux, le corsage, je m’en souviens,
entièrement recouvert de fines et sinueuses broderies nacrées sur
lesquelles j’allais me pencher, attiré par la silencieuse lueur qui
émanait d’elles, par leur doux éclat de perles, quand j’ai cru entendre
un très léger bruit, un frôlement, le frottement peut-être, devant moi,
de pieds nus sur l’épais tapis de laine.
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Sylviane Chatelain, la passion du fugace
Enquêtrice et dentellière du réel, l’auteure jurasienne donne avec «Dans un instant» des nouvelles de ses explorations
Sylviane Chatelain, Prix Schiller en 1991 pour ses nouvelles De l’autre côté
(Bernard Campiche, 1990), rassemble ce printemps une série de textes
parus dans divers supports durant la décennie écoulée. L’occasion de
redécouvrir de cette femme de plume née à Saint-Imier en 1950 et qui
mène un patient et élégant travail d’écriture. Il y a quelque chose
de la broderie, de la dentelle dans la minutie avec laquelle Sylviane
Chatelain détaille le réel. Elle aime les entrelacs compliqués qui
dévoilent ou évident; elle aime rendre soudain visibles les fils qui
relient des histoires qui semblaient d’abord distinctes; elle aime la
belle ouvrage, mais ses toiles d’écriture restent en devenir, comme
effilochées, sans bordures bien définies... C’est qu’il s’agit de ne
pas trop fixer le contour des choses.
Sylviane Chatelain sait aussi se faire enquêtrice. Elle suit à la loupe
les méandres qu’elle trace. Elle aime les mystères qui planent et ne
les résout jamais tout à fait. Cette suspension fait le charme du
«Livre» – étonnante séquence d’observation d’un livre ouvert, feuilleté
par le vent, par un homme, séparé de l’objet par une frontière
grillagée. La longue nouvelle intitulée «Exils», presque un petit
roman, forme le cœur et le clou du recueil. Variation sur la
vieillesse, la fuite, la mort, elle fait s’entrecroiser des thèmes
comme la mort, la vieillesse, l’exil, la fuite, l’hôpital, les
filiations, le tout sans jamais peser, en conservant leur part de
pénombre à chaque personnage. Moins heureuses, les nouvelles plus
clairement autobiographiques, où une mémoire nostalgique l’emporte sur
l’imagination. L’ennui pointe parfois un peu.
Reste une inventivité réelle, un attachement presque passionné à la
disparition, au fugace, une délicatesse qui permettent à Sylviane
Chatelain de faire entendre sa voix particulière.
ÉLÉONORE SULSER. Le Temps
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L’Imérienne Sylviane Chatelain parvient toujours à surprendre ses lecteurs
Avec «Dans un instant», son dernier ouvrage, elle explore l’inconscient sous toutes ses coutures et fait exploser la réalité de la traquer.
En
huit livres, Sylviane Chatelain a imposé son nom dans les lettres
helvétiques. Désormais grande dame des mots, reconnue, admirée,
respectée, elle a ses inconditionnels. Des auteurs traditionnels
romands, elle a hérité une espèce de profonde nostalgie, un ton
pathétique, une atmosphère sombre dont elle enrobe ses récits. On
n’aborde pas sereinement l’écrivaine de Saint-Imier. On s’y plonge pour
le délice de l’écriture, pour son classicisme épuré, mais elle dérange
très vite, car ses pages finissent par perturber l’humeur du lecteur:
«Et il se demande si, sa vie durant, il n’a pas marché entre deux hauts
murs transparents, dans l’étroite prison où il s’est trouvé enfermé,
dès sa naissance…» Derrière les phrases apparemment simples, Chatelain
jongle avec la mort, la fin des choses, avec l’inconscient qu’elle
torture savamment, pour en tirer des vérités universelles, de celles
que l’on n’a pas forcément envie de voir glissées noir sur blanc, sous
nos yeux, durant un moment de détente livresque. Mais c’est alors,
justement, qu’elle quitte le plancher des vaches à croix blanche pour
s’en aller rejoindre des plumes au lyrisme plus décalé, tel Italo
Calvino et son univers fantastique. Dans cet ultime recueil, elle frôle
par moments des atmosphères chères à Paul Auster à l’époque du Voyage d’Anna Blum.
Observatrice et sauvageonne
Vivant
dans la vallée austère qui l’a vu naître, Sylviane Chatelain s’en est
pourtant échappée, pour ses études d’abord, par amour ensuite. Les
hasards de la vie – et du mariage – l’ont ramenée, tel Ulysse, au point
de départ. Son parcours est peu banal: elle a fait les beaux-arts,
enseigné le latin, élevé quatre enfants, assumé des responsabilités
culturelles au niveau du canton de Berne, et elle adore le jardinage…
et ses chats. Éternellement sauvageonne, elle fuit les rencontres VIP,
qu’ils soient lettreux ou non. Son univers se cantonne de plus en plus
à l’écriture, dans un lieu minuscule, son bureau sous les toits de la
maison familiale. Sylviane Chatelain est une poétesse qui s’ignore,
une auteure qui flirte avec l’envers de la réalité. Dans les
arrière-cours de la banalité, elle pique ici et là des souvenirs,
qu’elle assaisonne à sa sauce. Dans ce recueil qui vient de sortir de
presse, elle évoque avec autant de tendresse une voiture qui a marqué
son enfance que l’horloge de son grand-père, laquelle, après avoir
peut-être sonné la mort du vieil homme, n’a pas repris sa course aux
minutes et aux heures. Ou alors elle se lance dans un curieux récit,
construit comme un lego, de pièces disparates, voir «Exils», qui finit
par trouver une unité, à travers un cheminement tordu. Que dire de «La
Mariée», autre nouvelle, dans laquelle un mariage très chic, reste… sur
sa faim, dans un bel hôtel abandonné de l’amoureuse. Chatelain
parle-t-elle de géranium rose, que c’est une aventure rocambolesque qui
se met en place. De même quand elle définit son «Bestiaire» à elle. Et
puis, dans «L’Autre ville», elle flirte avec la science-fiction,
soudain proche de Paul Auster.
La plupart de ces nouvelles ont précédemment paru dans des revues, des
journaux. Réunies dans un ouvrage, elles permettent de faire apprécier
cette écriture fine, profonde, qui transforme un fait-divers en
allégorie surréaliste.
BERNADETTE RICHARD. Le Quotidien jurassien
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Elle habite rue du Soleil
Écrivaine
un peu sauvage, Sylviane Chatelain vit à Saint-Imier. Et semble
parfaitement intégrée à la géographie de ce Jura sévère qui révèle
d’autant mieux une plume d’une finesse extrême.
Dans
son nid d’aigle – petit, le nid d’aigle, juste la place d’un bureau
avec sa chaise, une plante et une corbeille pour les chats – Sylviane
Chatelain concocte des histoires de plus en plus délirantes, les yeux
perdus sur la montagne. Chasseral, paysage austère qui inspire
peut-être les pages de la grande dame de la littérature romande qu’elle
est devenue: «Je me plais beaucoup ici, en été il fait très chaud,
j’aime ça.» Au-dessus de la table, un vélux inonde les pages
noircies par la très grande écriture, les dictionnaires et le siamois
qui s’en vient languir sous la main de cette maîtresse presque
silencieuse.
Au minuscule quatrième étage de la maison, c’est sûr, le rock’n’ roll
au rythme d’une hypothétique musique endiablée n’est pas au programme.
Après l’école à Saint-Imier, la jeune Sylviane entre aux beaux-arts à
Genève. «Je me suis trompée en choisissant les arts décoratifs. Ce
n’était pas ce que je voulais.»
Une erreur d’aiguillage qui lui permet néanmoins de gagner sa vie
durant quelques mois. Le graphisme n’étant pas sa tasse de thé,
réaffirme-t-elle en préparant un petit café, elle entame une formation
au gymnase du soir à Lausanne et passe un bac littéraire, puis rejoint
son amoureux en études à Neuchâtel. Elle l’avait connu à l’école
secondaire, ils ont fini par se marier. Il est encore son compagnon de
route: «Il m’encourage à écrire, j’ai de la chance.»
Sylviane Chatelain n’est pas réellement bavarde quand il s’agit
d’elle-même. Par contre, elle s’étale volontiers sur le sapin planté au
jardin, «qui a tellement grandi en quinze ans», et raconte qu’il est
nécessaire de couper les noisetiers devant la maison, sinon ils
absorbent pour eux seuls tous les rayons du soleil. Le jardin est sa
passion… Certes, l’écriture également. Et puis la vie: «Mon frère était
plus âgé que moi, je l’ai regretté. Quand j’ai eu le premier enfant,
j’ai décidé d’avoir tout de suite une tribu, je suis du genre mère
épanouie.»
Les aléas du travail de son mari les bousculent. Après Neuchâtel,
Genève «c’était l’enfer pour les enfants». Rochefort ensuite.
En 1984, elle gagne un premier prix de littérature, et en 1986, publie
un recueil de nouvelles. Dès lors, les livres se suivent, sans hâte:
«C’est tellement angoissant, la publication d’un livre, d’ailleurs, je
m’angoisse pour tout», alors que la presse l’encense et que les prix
littéraires pleuvent.
Mais de ça, elle ne dit mot, préférant montrer la rocaille, où bientôt
les pivoines vont éclore. Et même si elle passe son temps à se dérober
– elle déteste les interviews –, elle estime qu’elle se dévoile dans
ses écrits. «C’est ma manière de communiquer.» Mais une marmaille, des
livres, le ménage et le jardin, c’est peu pour une femme!
Après le retour à Saint-Imier, où le mari a trouvé en 1986 un job qui
lui convient, et toute la smala une maison chaleureuse, au pied de la
montagne, la voilà qui reprend des études et passe à l’université un
certificat de latin: «J’ai moins de peine avec les langues mortes
qu’avec les langues vivantes», avoue-t-elle.
Quatre petits qui grandissent, il faut assumer. Elle mettra la main à
la pâte en enseignant le latin durant quelques années. Passionnée de
polars nordiques, réjouie à l’idée d’être bientôt grand-mère, Sylviane
Chatelain hante la maison et le jardin de la rue du Soleil en laissant
mûrir ce qui deviendra un jour un prochain livre: «Je ne peux pas ne
pas écrire»…
Son dernier livre
Belles nouvelles
Dans un instant,
huitième ouvrage de fiction de Sylviane Chatelain, comporte dix
nouvelles, dont plusieurs publiées dans divers médias. Fidèle à son
écriture poétique, Chatelain fait preuve d’un incroyable talent pour
transformer un détail en conte féerique. Raconter ses nouvelles
tiendrait d’une ridicule présomption, car l’auteure décortique des
situations, des lieux, des objets, elle capte une attitude, suppose des
faits, des couleurs, réinvente un univers fantastique à partir de
souvenirs… Sous sa plume, les mots s’agencent de telle manière
qu’aujourd’hui, elle s’approche de rêves littéraires à la Calvino.
Madame Chatelain Elle est aussi…
Bien
que très éloignée du monde des VIP, auquel elle préfère l’atmosphère
paisible de son environnement, Sylviane Chatelain a néanmoins quitté sa
tour d’ivoire pour assumer des responsabilités culturelles, telles être
membre, puis présidente de la Commission de littérature de langue
française du canton de Berne. Elle a fait partie de la Commission
francophone chargée des affaires culturelles générales. Elle a aussi
représenté l’exécutif bernois au sein du Conseil de Direction de la
Fondation Ramuz.
BERNADETTE RICHARD. Coopération
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Remarques des participants au prix littéraire Roman des Romands
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Des géraniums et des hommes
Dans un instant regroupe
dix nouvelles de l’auteur suisse Sylviane Chatelain. Pour la plupart,
ces récits ont été publiés séparément dans diverses revues ou sur
différents sites Internet. Ce dernier-né de l'auteur est donc un
recueil: si on y décèle partout la plume caractéristique de Chatelain,
qui assure une grande cohérence à l’œuvre, le lecteur ne se sentira pas
forcé, en revanche, d’effectuer sa lecture d’une seule traite. Une
tâche qui de toute manière s’avérerait ardue: les longues phrases
surponctuées ne laissent pas à la pensée le temps de reprendre son
souffle. Les nouvelles se prêtent davantage à être «picorées»
qu’englouties par le lecteur, s’il ne veut pas se voir submergé par les
images, écrasé par le poids de formules interminables. Pas plus que
l’amour de l’auteur pour les phrases proustiennes, ses intrigues
n’incitent à une lecture continue: Sylviane Chatelain affectionne les
récits imbriqués et décousus, les tranches de vie, qui, telles les
pièces d’un puzzle, doivent être réorganisées pour assurer la
compréhension de l’œuvre. La lecture s’annonce exigeante.
«Les Géraniums roses» donne le ton: plus que d’un simple vol de
géraniums, la nouvelle (et il en sera ainsi pour la plupart du recueil)
traite de la perte et de l’absence, car «on dit que le temps efface les
peines, ce n’est pas vrai, il nous apprend seulement l’art d’une navigation
prudente» (p. 14). Heureusement, cette absence violente, ressentie dans
la majorité des nouvelles, est parfois contrebalancée par des
retrouvailles, émotions solaires illuminant d’un seul coup tout le
récit. Il en sera ainsi pour «Exils» qui évoque des rencontres simples,
mais non moins formidables, comme elles savent l’être quelquefois. Mais
la joie retombera vite; même dans les ambiances confortables, Chatelain
sait distiller quelque chose de trouble et d’évanescent, qui laisse
comme un goût de malaise, parce qu’il colle à la réalité sans vraiment
la décrire.
La description est au cœur de l’œuvre: le style, davantage descriptif
que narratif, met de côté l’action pour se concentrer sur les
ressentis, les émotions et la vision du monde de chacun de ces
personnages. C’est au travers de leurs émotions que le lecteur
comprendra les histoires de ces «ils» et «elles», héros anonymes qui
meublent les nouvelles. Il saisira au final que l’action s’est muée en
alibi de peu d’importance, dans cette myriade de représentations et de
sensations. Si Rousseau sentit avant de penser, le lecteur de Chatelain
ressent avant de comprendre.
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Dans un instant
La
prose somptueuse de l’auteure jurassienne, née en 1950, sert à
merveille ses nouvelles, souvent empreintes de mystère. Une étrange
douceur enrobe les personnages dans leurs destins, entre résignation et
désir de fuite. Tout comme dans son envoûtant roman précédent, Le Livre d’Aimée
(2002), Sylviane Chatelain aime dessiner des situations à haute teneur
métaphorique, en jouant savamment sur le registre du métadiscours. Dans un instant
s’ouvre ainsi sur une nouvelle («Les Géraniums roses ») qui présente à
la fois l’histoire bizarre du vol d’un pot de fleurs et la façon par
laquelle cette aventure émerge et se développe dans l’imagination de
l’auteure. Tantôt mémorielles («Mes deux côtés», «Une voiture de
rêve»), tantôt troublantes et kafkaïennes («L’Autre ville»), ces
nouvelles trouvent leur point d’orgue dans la sublime métaphore portée
par «Le Livre»: les pages mouillées par la pluie d’un volume retrouvé
tout près de barbelés par un homme désespéré rappellent douloureusement
que la littérature n’est qu’une trêve parmi les horreurs de l’Histoire.
PIERRE LEPORI. Viceversa Littérature
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