«Approchez,
Mesdames et Messieurs, venez plus près, déposez votre obole et
glissez-vous sous la tente! En ce mois de mars, douzième de 1492,
Hardouin, le montreur ambulant, vous présen-tera la Chose, un
hermaphrodite adolescent conservé dans une bombonne d’eau-de-vie. Pour
votre plus grande édification, nous promenons de foire en foire cette
étrange créature, gagnée lors d’une mémorable partie de cartes qui vous
sera contée.» Vous apprendrez comment le vieux montreur a sauvé d’une
mort certaine Tyecelin, son actuel assistant, un gamin de sept ans.
Vous suivrez leurs péripéties, leurs rencontres, la tribu qui se
formera autour d’eux. Vous rencontrerez Grand Macabre, la
chiromancienne qui fabulera la vraie vie de l’hermaphrodite, vous
saurez l’histoire de Juan, le premier assistant parti avec Colomb aux
Indes Occidentales, vous découvrirez Face-de-lune le mongolien, Ava la
jeune aveugle et son fiancé défiguré, Delphin le délicat chevalier et
Carolingine la tortue. Vous verrez des routes qui se séparent, qui se
retrouvent, s’achèvent et recommencent. Approchez!»
La
cire perdue est un procédé consistant à mouler de l’argile autour d’un
modèle en cire, qui fond lorsqu’on coule le métal dans le moule (Petit Robert). Cette transmutation est un des thèmes conducteurs du roman.
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La Cire perdue
Écrivain,
cinéaste, plasticien, Olivier Sillig pratique le mélange des genres.
Ses livres aussi promènent sous différentes étiquettes –
science-fiction, polar, roman historique – des interrogations sur
l’identité sexuelle et sur la nature des relations humaines. Depuis Bzjeurd (L’Atalante, 1995, repris en Folio SF), Sillig a publié cinq autres romans, dont La Cire perdue,
certainement son livre le plus ample et le plus abouti. On est en 1492,
l’Amérique vient d’être découverte, mais le troupeau d’enfants sur
lequel s’ouvre le récit ne le saura jamais. Réfugiés dans les cendres
d’un village en ruines, ils sont déjà bleus et ne vivront pas au-delà
du premier chapitre. Seul Tiécelin, sept ans, sera sauvé. Emmené
par Hardoin, un vieil homme qui fait métier d’exhiber de foire en foire
un hermaphrodite conservé dans l’alcool, «la Chose». La Cire perdue est
un vrai roman picaresque, avec succès, déboires, rebondissements. À la
paire improbable du vieillard et du gamin vient s’agglutiner tout un
cortège de fous: une enfant aveugle, un idiot, une travestie rescapée
des délires de Gilles de Rais, et même une tortue. Le récit suit
l’errance de la petite troupe en des temps déraisonnables. Les récits
enchâssés enrichissent le fil principal et témoignent de la démesure de
l’époque.
Olivier Sillig sait l’évoquer avec une économie de moyens et une
générosité qui la rend proche et même contemporaine. Même s’il laisse
entendre qu’il s’agit là d’un conte sans fin.
ISABELE RÜF, Le Phare
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Le conte de toutes les dualités
L’écrivain vaudois imagine un monde de bonimenteurs, un monstre hermaphrodite, le tout à la fin du XVe siècle. Pour mieux s’interroger sur le désir et l’attirance des sexes.
Récipiendaire
de la Bourse à l’écriture du canton de Vaud 2009, s’apprêtant à en
profiter pour écrire un livre inspiré par New York, Olivier Sillig
prouve une fois de plus, en publiant La Cire perdue, qu’il est
un auteur polygraphe. Exit la science-fiction ou le polar. Voici un
conte. Et qui a du souffle à revendre. Mais au-delà d’un récit ne
manquant ni d’imagination ni de rebondissements, Olivier Sillig propose
un tout autre projet littéraire. Mais revenons tout de même à
l’intrigue.
Fin XVe, alors que l’on s’apprête à
découvrir l’Amérique, un homme nommé Hardouin s’arrête un soir dans une
grange, quelque part en France. Il y choisit un enfant orphelin,
Tiécelin, l’habille, le soigne et l’emmène. Pour lui proposer d’être
son assistant. C’est que Hardouin est un bonimenteur, allant de foires
en places publiques pour montrer sa «chose», un corps hermaphrodite
conservé dans de l’eau-de-vie. On commence à subodorer que l’entreprise
romanesque d’Olivier Sillig va virer au subtil jeu de pistes. D’autant
que vont surgir une jeune aveugle qui sait tout du monde, un délicat
chevalier défiguré, et que nous seront contées les histoires du premier
assistant d’Hardouin, leurs amours charnelles, et celle de
l’hermaphrodite, imaginée dans une Venise carnavalesque...
Où tout est dualité
Au-delà
de cette débauche narrative qui se lit avec un plaisir sensuel, Olivier
Sillig a mis en place tout un système de dualités. L’aveugle qui seule
comprend ce qui se passe autour d’elle en est un exemple patent. Le
symbole de l’hermaphrodite fonctionne au centre de ce système comme une
interrogation centrale du récit: qu’en est-il de nos désirs, de notre
attirance pour un sexe ou pour l’autre? Ainsi dans l’histoire fabulée
de cette «chose», Olivier Sillig réussit habilement à imaginer une
danse macabre du désir d’un corps pour le féminin et le masculin.
Accentuant sa réflexion, il souligne en passant que si Hardouin a été
amoureux de son ancien assistant, ses émois homoérotiques n’ont rien à
voir avec de la pédophilie, puisque le jeune Tiécelin, 7 ans au début
du récit, n’est pas objet de désir, mais bien plutôt d’une sorte
d’amour paternel. D’ailleurs, en développant son conte essentiellement
du point de vue de Tiécelin, Olivier Sillig construit lentement une
transmutation. Ou comment un gamin qui dans les premières pages du
livre n’attendait que la mort dans le froid et le dénuement va
connaître un parcours étonnant, quelques révélations, et devra se
déterminer sur ses penchants amoureux.
La «cire perdue», nous rappelle-t-on en exergue, est un procédé
consistant à mouler de l’argile autour d’un modèle en cire, qui fond
lorsqu’on coule le métal dans le moule. C’est donc bien le thème de la
transmutation qui court tout au long du récit. Mais on dira surtout que
La cire perdue est
un conte profondément humain. On saisit assez vite comment Olivier
Sillig a moulé son argile romanesque autour du questionnement central
de l’identité sexuelle et du désir. Cire thématique sur laquelle il
déverse le métal de la réflexion et de l’introspection pour mieux
brûler quelques clichés tenaces.
Une joyeuse hallucination
Mais il faut aussi souligner que La Cire perdue est un
conte qui se lit avant tout dans une sorte de joyeuse hallucination. On
se demande où ce diable d’Olivier Sillig va encore nous mener par le
bout du nez. Les descriptions de la beauté et de la crasse, les scènes
grotesques, les récits fabulés, tout s’enchaîne dans un délire où
l’auteur, visiblement, a pris un immense plaisir à s’immerger. Jusqu’à
se laisser emporter dans le lyrisme d’une conclusion où, ultime
pirouette, l’auteur revient à la plus stricte logique: le monde ne
perdure que par les enfants des enfants des enfants que nous devenons
un jour. C’est un peu court peut-être, mais cela aura permis à Olivier
Sillig de s’interroger sur l’amour sans plomber son roman.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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Fin
du XVe siècle. Hardouin, montreur de monstres, va de village en village
pour exposer « La Chose », un adolescent hermaphrodite conservé sous
verre. Près d’une grange, il découvre des enfants mourant de froid et
sauve Tiécelin, un gamin dégourdi qui va rapidement devenir son
assistant. Durant leur périple, ils rencontreront des figures peu
habituelles, telle Grand Macabre, une mystérieuse voyante qui raconte
l’histoire de Carlocarla, et bien d’autres personnages. Un roman
historique surprenant et foisonnant d’images.
KARINE FANKHAUSER, Payot-Lausanne
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Un cortège de saltimbanques
S’installant au XVe siècle, Olivier Sillig déploie dans La Cire perdue ses talents de conteur autour d’une joyeuse troupe qui parcourt le monde, en tentant d’en apprendre un peu plus sur l’humain.
Difficile de ne pas penser un peu au Capitaine Fracasse, en suivant,
dans ce chariot qui va de ville en ville et de foire en foire à travers
l’Europe, les aventures d’Hardouin et de Tiécelin, transbahutés au pas
de la mule Riquette.
Le récit de La Cire perdue,
dernier roman du Lausannois Olivier Sillig, se déroule à la fin du XVe
siècle, quelque 150 ans avant celui de Théophile Gautier. Mais on
retrouve néanmoins dans ce roman, épais mais mené avec efficacité, un
souffle épique à la fois tragique et léger qui se développe au petit
bonheur des rencontres: brigands, compagnons de foires et de tréteaux,
bonimenteurs et diseurs d’aventure, amoureux violents ou doux,
travestis ou masqués. A l’image de «La Chose» qu’ils transportent et
montrent aux badauds non sans l’entourer d’une mise en scène
mystérieuse, les rencontres des deux compagnons de fortune et
d’infortunes sont ambiguës: un même être peut s’avérer porteur de
bonheur et dévastateur. Au début du roman, Hardouin, le vieux,
sauve Tiécelin, l’enfant, d’une mort certaine dans la nuit d’hiver.
L’enfant, orphelin, se rebelle d’abord puis se laisse apprivoiser par
cet homme devenu montreur de «monstre» un peu par hasard, histoire de
gagner de quoi manger et de parcourir le monde, tout en continuant d’en
sonder les mystères. Belle figure que ce Hardouin, amoureux des hommes,
frère de ces Séfarades qu’il croisera, fuyant sur les routes d’Espagne,
ami des savants et des peintres. Le voilà soudain devenu père, chargé
d’un petit Tiécelin, qu’il emmène avec lui pour lui enseigner à la fois
la cruauté et la beauté du monde. C’est aussi l’histoire d’une
compagnie qui crée peu à peu: Face-de-lune, un jeune garçon attardé,
grimpe sur le chariot. Ava, une jeune rousse sans yeux, l’y rejoint.
Les amours des uns et des autres ajoutent d’autres attelages à la
troupe qui forme peu à peu un cortège de saltimbanques.
Dialogues directs
Les dialogues entre personnages sont directs, très simples, pas de
grandes descriptions mais un réel art du conte. On sent bien, à la
lire, que malgré la présence de la grande Histoire qui secoue parfois
le chariot de Hardouin et Tiécelin, cette Cire perdue n’est pas tout à
fait de son époque. Elle a plusieurs siècles d’avance, comme si
Hardouin savait déjà ce que de futurs psychologues découvriront
beaucoup plus tard sur les enfants. Le respect de toute différence au
sein du petit groupe répond lui aussi à des exigences très
contemporaines.
Roman épique, roman d’apprentissage, conte humaniste, La Cire perdue
d’Olivier Sillig se nourrit de tout cela. L’auteur jette un regard
somme toute joyeux sur le monde. Il jette l’un après l’autre les
problèmes par-dessus bord. Il n’élude pas le malheur, mais ne s’y
attarde guère, lui préférant les bienfaits de la tolérance et de
l’amitié. Après tout, comme le dit Tiécelin à qui une voyante fait le
récit tragique de la vie de l’hermaphrodite: «Ton histoire ce n’est
qu’une histoire.» Cette histoire n’est qu’une histoire parmi d’autres,
certes, mais bien enlevée et qui possède un certain charme.
ELEONORE SULSER, Le Temps
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Fantaisie médiévale
Olivier
Sillig suit, au cœur du Moyen Âge, un saltimbanque qui gagne sa vie en
présentant au public un hermaphrodite conservé dans un bocal
d’eau-de-vie.
La Cire perdue, qui
vient de paraître chez Bernard Campiche Éditeur, est le sixième roman
d’Olivier Sillig, auteur installé à Lausanne et âgé de cinquante-huit
ans. Ce livre, qui mêle allégrement les genres, est séduisant, même
s’il explore parfois des mondes troubles. L’histoire est pour le
moins singulière. Hardouin, un saltimbanque, sauve la vie d’un enfant
qui va mourir avec vingt-quatre autres. Il l’emmène sur les routes pour
en faire son assistant. Âgé de sept ans, Tiécelin va apprendre le
métier de bateleur pour aider Hardouin à attirer le public des villes
et des foires vers une attraction pour le moins étonnante: Hardouin et
Tiécelin présentent au public «La Chose», un hermaphrodite adolescent
enfermé dans un bocal d’eau-de-vie.
Au fil des pages, le lecteur ira, selon pérégrinations du duo, de
surprise en surprise. La petite histoire se mêle à la grande lorsque le
premier assistant d’Hardouin, Juan, s’engage comme mousse, en 1492, sur
les bateaux de Christophe Colomb. Une étonnante galerie de portraits
parsème également le texte: la chiromancienne Grand Macabre, le
mongolien Face-de-Lune, Ava la jeune aveugle ou Carolingine la tortue…
Au final, la petite bande s’élargit et c’est une tribu qui tient de la
cour des miracles qui marche sur les routes médiévales.
Les choses se mêlent dans ce roman, sans qu’on sache toujours où
l’auteur veut nous conduire. Les thématiques centrales du livre – à
l’exception certainement de celle de la pendaison – pourraient
s’exprimer aussi bien dans un contexte contemporain, car le Moyen Âge
de ces pages, sans jugement de valeur, est parfois de pacotille. On y
sent un auteur qui a eu du plaisir à se plonger dans cette époque et
qui ne s’est pas gêné de l’exploiter pour ses visées romanesques:
«Quand j’ai démarré le livre, je me suis acheté un dictionnaire du
Moyen Âge et ensuite j’ai beaucoup utilisé Wikipédia, en croisant avec
le dictionnaire pour m’assurer des informations.»
Une auberge espagnole
Le
point fort du livre tient dans la relation entre Hardouin et ses deux
assistants dont il devient en quelque sorte le père. Mais cette belle
image est parfois troublée par les soucis rencontrés par Hardouin qui
craint d’aimer trop Juan, son «fils» spirituel, lequel découvre au fil
des pages qu’il partage avec Hardouin une attirance vers les êtres du
même sexe. Olivier Sillig explique que «beaucoup de mes romans
tournent autour de l’identité sexuelle. Et là, je voulais aborder un
thème qui nous interpelle tous, celui de la pédophilie.»
Mais il ne faut pas trop compter sur l’auteur pour l’auto-analyse de
ses romans, il se dit peu compétent pour l’exercice. Lorsqu’on lui
demande si son livre est historique, ou fantastique, il répond: «En
tout cas pas historique, à mon avis un peu fantastique. Mais je suis
toujours en bordure de tous les genres.» Quant au pourquoi de la figure
centrale de cet hermaphrodite médiéval? «Quand j’écris, je ne m’occupe
pas trop des thèmes.» Autant dire qu’il faudra vous faire une idée
personnelle du roman: «Peut-être que mes bouquins, ce sont des auberges
espagnoles.» Une chose est certaine, dit-il, «je ne me censure pas,
même si ce roman est moins dégueulasse que d’autres que j’ai écrits.»
Déconcertant
Comme on peut s’y attendre au vu de ce qui précède, l’homme Olivier
Sillig est déconcertant et peu conventionnel. Il a étudié un peu la
psychologie – «une erreur de jeunesse» – travaillé plusieurs années
dans l’informatique – «ça c’était bien» – et beaucoup créé: «C’est
décidément quand je fais de la création – même la cuisine – que je suis
heureux.» Après avoir peint, «sans aimer la nécessité de commercialiser
les œuvres», fait du cinéma, «mais, c’est laborieux», construit avec
passion des petits bateaux et s’être obstiné à faire des croquis, il
s’est lancé dans l’écriture: «Il a fallu du temps avant que je sois
publié. Je ne savais pas si mon premier livre était lisible, j’ai fait
sept ans avant de le publier.»
Ce premier roman, Bzjeurd, une œuvre de science-fiction, a connu un succès qui a permis à Olivier Sillig d’être publié dans la collection Folio science-fiction.
Aujourd’hui, il a le sentiment que «c’est romancier que j’aime le mieux
être, que j’aime le mieux faire et c’est ça que je fais le mieux. J’ai
plein de romans en stock.» Mais il ne se contente pas de ce seul art:
il vient de réaliser un nouveau projet pour le cinéma et il se fait
aussi connaître dans le monde du slam, dans le canton de Vaud, sous le nom de 512.
Il semble que sa vie ne supporte ni le vide ni l’ennui, il essaie de
faire en sorte que ses romans n’en apportent pas non plus à ses
lecteurs: «J’écris avec un petit lecteur en peluche sur mes épaules et
je fais en sorte de ne pas l’ennuyer.»
CHARLY VEUTHEY, La Gruyère
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La Cire perdue
L’action
du roman se déroule en 1492, l’année même où l’Amérique fut découverte.
Cependant, pour les personnages qui évoluent en toile de fond de cette
épopée, il s’agit d’une information dont ils n’auront jamais vent. Ils
ne sont, en effet, pas de ceux qui les subissent. Tiécelin, sept ans,
est le seul survivant parmi une myriade d’enfants retrouvés au milieu
d’un village en ruine par Hardoin, un vieil homme qui mène une caravane
de phénomènes de foire afin de gagner sa vie. On y retrouve, notamment,
un hermaphrodite conservé dans l’alcool, une enfant sans yeux, un fou
du village, une travestie et, même, une tortue. Hardoin se retrouve
ainsi dans le rôle du père par procuration pour Tiécelin, mais
également pour toute sa petite troupe, qui, au fil de ses
pérégrinations, jettera un regard innocent sur les grandeurs ou les
atrocités propres à cette époque. Un roman riche et complexe qui
plaira, sans aucun doute, à tous ceux et celles qui sont attirés par
l’histoire.
BENOÎT MIGNEAULT, Fugues
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