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Mais
qui sont ces personnages décalés, habités par des rêves et que la
réalité ne ménage pas ? Des grands ducs humains, un grand-père mutant,
un toxicomane qui croit avoir mangé du soldat de Napoléon, un autre qui
confesse appartenir au monde des fantasmes nocturnes, un vieil homme
infirme qui prend un pan de son passé en pleine figure, une montagnarde
aspirée par le monde, un fantôme largué près d’un abribus, divers héros
ou héroïnes deviennent les interlocuteurs d’une passionnée de lecture,
une jeunesse engouffrée dans le silence. Dans ces onze nouvelles, des
personnages interrogent sur la société actuelle et ses mutations
ELLE JONGLE AVEC LES MOTS
La Vaudoise Janine Massard publie un recueil de nouvelles
Auteure du beau récit autobiographique La Petite Monnaie des jours, du passionnant travail d’ethnographie régionale Terre noire d’usine, paysan ouvrier dans le Nord vaudois au XXe siècle, et du poignant Comme si je n’avais pas traversé l’été
inspiré par un deuil personnel, Janine Massard vient de publier un
recueil de onze nouvelles. Certaines d’entre elles, par leur intrusion
dans le merveilleux ou le fantastique, pourront décontenancer ses
lecteurs fidèles. On y retrouve pourtant une subtilité dans l’analyse
des rapports humains entre les êtres qui fait parfois penser à Nathalie
Sarraute. Par ailleurs, ces nouvelles ont leur ancrage dans le réel,
les problèmes de société : pauvreté, alcool, drogue, prostitution
masculine, femmes battues, inceste, etc. Et les réminiscences
autobiographiques n’en sont pas moins absentes. Ironique envers sont
propre passé militant, l’écrivaine évoque à travers l’un de ses
personnages les « cours de marxisme du dimanche où, sur l’air de
l’Internationale, on trinquait à l’amitié entre les peuples
zopprimés ». Mais le plus intéressant dans ce recueil est sans
doute la capacité de l’auteure à jongler avec les mots, et son
interrogation sur la faculté ou l’impossibilité de « mettre des
mots sur les choses ». Comment Judith nommera-t-elle désormais son
père qui a changé de sexe ? « il, elle, ielle »?
« Quel comportement développer face à l’impair de ce père :
accepter cet impère qui ne passe pas ? » Comment entendre le délire verbal du jeune marginal ? L’héroïne de La Silenciaire ne parvient pas, elle, à dire
son mal-être et disparaîtra. Quant à Marthe, elle « étudierait les
mots » pour écrire l’histoire injuste, tragique et occultée de sa
jeune sœur, la belle Petite-Lune. Ces nouvelles racontent des
histoires, mais elles sont aussi une réflexion sur l’écriture.
PIERRE JEANNERET, Gauchebdo
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Childéric et Cathy sont dans un bateau
Janine
Massard a toujours eu l’art de susciter des présences, de faire vivre
des personnages, parfois très proches d’elle, de sa vie, de son
enfance, mais également, comme dans le présent recueil, des «types» de
la société contemporaines, brossés avec verve et sensibilité.
Childéric et Cathy, c’est un grand-père décidant de changer de sexe et
de nom. Cas de conscience pour la famille. Comment expliquer l’affaire
aux petits-enfants ? Sur un registre tout aussi marginal, les gens
de la rue, clients de la soupe populaire, petits drogués se prostituant
pour quelques tunes, schizo affolé par l’idée d’un veau Marengo, autant
de portraits rudes, pris sur le vif de la réalité. La misère ramène
l’auteur à une enfance, la sienne? de famine et de petits sous glanés
pour le lait de la benjamine.
Histoires de femmes, secrets de violences gardés dans une «niche de
douleur», incestes des fonds de vallées qui poursuivent longtemps
«l’œuf de coucou», drames à peine murmurés et disparition d’une
« silenciaire » dans une crevasse. Le «fantôme» d’un soir
d’orage est devenu un classique de la littérature fantastique, mais,
rayon de soleil dans la galerie de portraits plutôt tragiques, il y a
le sourire d’Anne, collectionneuse passionnée de livres. Passés à la
casserole par une baby-sitter imaginative, les vieux bouquins se muent
en personnages de légendes en papier mâché peinturluré.
MIREILLE CALLU, Vevey-Hebdo
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Grand-papa
Childéric va changer de sexe. Il n'y a plus d'âge pour ça. Le petit
aura deux mémés. C'est par cette histoire que s'ouvre le recueil de
Janine Massard. La Vaudoise raconte une Suisse qui aura passé en une
génération (et demie) des pâturages immuables à la peur de l'avenir,
après deux décennies de folle prospérité.
Notre avis: Inégal, comme tous les livres de nouvelles. Mais Janine a un vrai souffle, du genre décoiffant.
ÉTIENNE DUMONT, Tribune de Genève
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Le
dernier est de Janine Massard, vous nous avez déjà présenté plusieurs
livres de cette auteure suisse romande, elle vient de publier un
recueil de nouvelles intitulé Childéric et Cathy sont dans un bateau. Alors, Geneviève, lequel tombe à l’eau?
Eh
bien c’est difficile à dire puisqu’en fait l’un et l’autre sont la même
personne. Il s’agit d’un homme, Childéric, qui, après une vie passée à
remplir son rôle d’époux et de père, décide de donner place, priorité,
à la part féminine qui a été étouffée en lui et donc de se faire
opérer. Je ne vous raconte pas la réaction de sa descendance, car il
est déjà grand-père. Cette première nouvelle du recueil donne le ton
général de l’ensemble. Il s’agit de fragments de notre réalité
contemporaine: la solitude, les loisirs à tout prix, la spéculation
immobilière, la conservation de la nature, la toxicomanie. Bref, ce
sont onze textes qui nous renvoient en pleine poire notre monde
d’aujourd’hui.
Bon, alors, le titre était drôle, mais ce n’est pas le cas du contenu, si je comprends bien?
Disons
que le contenu n’est peut-être pas vraiment drôle, mais le regard que
porte Janine Massard est suffisamment humoristique et son ton
suffisamment caustique pour qu’on ne referme pas le livre complètement
accablé. Elle alterne en plus le registre, elle est parfois argotique
parfois même légèrement grossière, parfois plutôt lyrique ou encore
elle utilise ce monologue très lucide qui est en quelque sorte sa
marque de fabrique.
Est-ce qu’on peut avoir des exemples?
Alors par rapport au monologue, je pensais à une nouvelle intitulée L’Aile des grands ducs,
dans laquelle s’exprime une femme qui a souffert de la pauvreté de ses
parents étant petite et se souvient des humiliations d’avoir à demander
par exemple au laitier d’inscrire les dépenses sur l’ardoise familiale,
mais elle se souvient aussi de la charité que lui faisait la famille
d’antiquaires bondieusards qui habitait à côté de chez eux, qui la
recevait à souper, mais qui, en fait, cherchait à l’endoctriner.
Alors un autre?
Le dernier, alors, le dernier du recueil, Petite lune,
où il est question des brutalités d’un mari ivrogne sur sa jeune
épouse, de l’impunité dont il jouit, car comme l’écrit la romancière,
je cite, «Entre la cohésion et la justice, tous avaient choisi le
silence pour maintenir l’ordre. Pourquoi se bouger pour une fille qui
n’était pas de la région et n’avait plus de parents?» Tout le texte si
vous voulez est traversé par cette conscience du fossé social qui
marquait déjà le premier livre de Janine Massard, il y a vingt-cinq
ans, La Petite Monnaie des jours et qui avait fait dire à Gaston
Cherpillod dans sa préface: «Janine Massard est d’abord une honnête
femme, elle se soucie moins de plaire que de dire. Quand vous aurez
refermé son bouquin, vous en saurez un peu plus sur ce foutu pays, le
vôtre et le mien, la patrie suisse.» Fin de la citation. Même si
vingt-cinq ans plus tard ce que dit Cherpillod de Janine Massard est
toujours vrai, faudrait peut-être pas réduire ces nouvelles à une
simple dénonciation des injustices de notre monde, il y a dans ce
recueil une forme d’émerveillement pour le travail que l’écriture opère
sur l’écrivain et sur la mémoire, tous ces mots sur ce qui est
indélébile, comme elle le dit, touchent vraiment le lecteur, parce
qu’on y sent un besoin chez l’auteur qui n’a rien à voir avec la
reconnaissance sociale justement.
GENEVIÈVE BRIDEL, Quartier Livre, RTS
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«Qui reste dans le bateau? Personne»
Trente ans après Christine au dévaloir, Janine Massard reprend sa plume de nouvelliste. Elle nous revient avec Childéric et Cathy sont dans un bateau,
un recueil de onze nouvelles qui naviguent entre réalité et imaginaire.
Les personnages ont naturellement embarqué avec eux les réalités de la
société qui les entoure: les nouvelles proposent trois regards sur les
liens entre rêve, langage et réalité, chacun placé sur le signe de
Lacan, Musil ou Wittgenstein.
La première perspective peint les contorsions du langage qui s’efforce de concilier passé et présent: le réel c’est quand on se cogne
(Lacan). Ainsi, Judith tente de prendre acte de la nouvelle identité
sexuelle de son père qui a décidé de défier les lois de la nature et de
la linguistique: faudra-t-il le désigner par «il, elle, ielle»? Ou
c’est un vieil homme qui retrouve son passé et devient lui-même le
conteur de sa «tristoire». Plus loin, un toxicomane ayant mangé du veau
marengo croit avoir avalé du soldat napoléonien, faisant ainsi
prévaloir la suggestion des mots sur leurs significations. C’est enfin
Clara, une vieille dame «bah… bat… batte, non battue plutôt» qui met à
rude épreuve la maîtrise langagière de son interlocuteur.
La deuxième perspective souligne le clivage entre rêve et réalité: on a perdu en rêve ce qu’on a gagné en réalité
(Musil). Avec l’histoire d’une femme qui rencontre un fantôme, c’est
également l’interdépendance de l’imaginaire et du réel qui est relevée;
la charge émotionnelle dont sont investis certains objets se trouve à
son tour remise en question: Anne considère les vieux bouquins comme
des incunables. La troisième perspective confronte l’écriture même des
dernières nouvelles à la fameuse injonction de Wittgenstein: sur ce dont on ne peut parler il faut garder le silence.
Le silence et le suicide d’une jeune fille engendrent de nombreuses
voix, et finalement c’est la voix même de la plume témoin qui « sombre
» dans la quiétude. Des nouvelles qui offrent des voix à des non-dits dits et qui offrent des vues inédites sur la société actuelle.
NOÉMIE LATHION, Le Courrier
L’écriture pour renaître et dire sa résilience.
«Le temps d’apprendre à vivre,
il est déjà trop tard», écrivait Aragon, que Janine Massard aime à
citer. Et pourtant à ce «trop tard» s’oppose, dans la vie même de
l’auteure romande, marquée par le «scénario de fou» de deux grands
deuils prématurés, un effort de résistance qui aboutit à un retour à la
vie prolongé, aujourd’hui, en la personne d’un petit Tanguy, fils de sa
seconde fille.
Janine Massard, fille de «prolo», n’est pas du genre à se payer de
mots, et pourtant c’est bien par les mots qu’elle a conquis sa liberté
et surmonté ses années de détresse. Les titres de ses premiers livres
annoncent d’ailleurs la couleur, qui n’a rien de rose: Christine au dévaloir (1981), L’Avenir n’est pas pour demain (1982) et La Petite Monnaie des jours (1985,
Prix Schiller). Qui faisait dire à son ami Gaston Cherpillod: «Janine
Massard voit clair, frappe juste {…} Sa vision n’est point brouillée
par la démagogie et sa clairvoyance la défend du délire populiste » Ce
qui se confirme un quart de siècle plus tard, avec une douzaine de
livres frappés au même sceau du vrai nuancé d’émotion.
Née en novembre 1939, deuxième fille d’un jardinier sans terre
contraint de travailler en usine, à Rolle, pour nourrir ses quatre
enfants, la mère ajoutant quelques travaux de couture à l’ordinaire du
ménage, Janine Massard a toujours eu le sentiment d’être «décalée».
D’abord par le fait d’une vie précaire, dans une maison «pourrie» qui
prenait l’eau. Ensuite à cause d’un climat moralement sévère, marqué
par l’engagement protestant des parents. La pièce policière du lundi, à
Radio-Lausanne, et les premières lectures font diversion, mais ce n’est
qu’avec le collège que l’horizon s’ouvrira sur le monde, même s’il
n’est pas question d’études supérieures.
Quand Janine Massard raconte ses jeunes années, on pense aux héroïnes
d’Alice Rivaz, romancière de l’émancipation féminine en terre romande,
qu’elle appréciera d’ailleurs entre toutes. Son rêve serait de «faire
les Lettres», mais dès ses dix-huit ans il lui faut gagner sa vie.
Après une formation d’éducatrice, qui l’amène à s’occuper quelque temps
des enfants de mineurs belges, elle fugue en Italie puis se retrouve au
secrétariat de la Fédération horlogère, avant un raccord d’études au
Gymnase du soir. La rencontre de Maurice Ehinger, enseignant et
intellectuel de gauche, comme elle-même, puis la naissance de
Véronique, en 1971, et de Martine, en 1974, lui donneront le sentiment
que «tout roule» du côté de la vie. Pour exorciser un vieux sentiment
d’injustice, on milite au POP (de 1965 à 1969), on boit des pots au
Barbare, on refait le monde non sans constater que les lendemains
déchantent à Prague…
Dans la foulée, le désir d’écrire s’est concrétisé, qui restera
toujours en phase avec la vie: la sienne ou celle des autres. Plusieurs
nouvelles de son dernier recueil, Childéric et Cathy sont dans un bateau,
filtrent sa grande empathie. On découvre chez elle le monde tel qu’il
évolue sous nos yeux, et que la fiction saisit et transforme pour en
dégager un sens plus universel.
C’est cela même que «travaillent» les deux plus beaux romans de Janine Massard: Ce qui reste de Katharina (1997, Prix Bibliothèque pour Tous), et Comme si je n’avais pas traversé l’été (2002, Prix Edouard Rod), où l’exorcisme de son propre drame passe par la voie romanesque.
Double drame, puisqu’elle «vivra» la fin de sa première fille, dont le
sarcome synovial a été dépisté en 1992, jusqu’en 1997, entre peine et
colère mais rires partagés aussi. À quoi s’ajoutera entre-temps pour
l’achever la mort de son compagnon, en 1994, lui aussi terrassé par le
cancer en quinze jours. «N’étant pas croyante, je ne pouvais trouver
aucun réconfort dans la foi, et pourtant j’ai découvert que l’être
humain possédait en lui de grandes ressources de résistance. Par
ailleurs, le livre de Boris Cyrulnik m’a aidée à accomplir ma propre
résilience »
Enfin voici, à soixante-douze ans, Janine Massard évoquant sa propre
mort à laquelle elle aimerait se «présenter dignement». Et d’ajouter,
sereine: «J’aimerais la voir venir aussi, moi qui l’ai beaucoup
engueulée dans certains de mes livres »
JEAN-LOUIS KUFFER, 24 Heures
Janine Massard : «Écrire c’est mettre des mots sur les choses qui m’ont blessée»
La Suisse, invitée d’honneur au quinzième SILA, nous donne l’occasion de
nous rapprocher un peu plus de l’univers livresque et éditorial qui lui
sont propres à travers une production en langue française. Cette
opportunité nous est donnée de rencontrer Madame Janine Massard, femme
de lettres, dont la production littéraire connaît dans son pays un
succès reconnu et distinguée par des prix. Janine Massard, la parole
directe comme son regard d’ailleurs, donne l’apparence d’une personne
quelque peu impénétrable qui ne veut pas se livrer. De prime abord
seulement. Mais lorsqu’au cours de sa présentation au public algérois
on l’entend lire son texte, on a l’agréable surprise de découvrir
l’humour de cette auteure suisse.
Janine Massard est née dans la périphérie de Lausanne, dans un milieu
ouvrier, «On ne fait pas
de cadeau aux enfants issus du milieu travailleur. J’ai eu à subir une
discrimination par rapport à mon origine sociale.» Entre le travail
pour gagner sa vie et les études, Janine Massard a pu montrer que même
née d’une famille salariale, elle pouvait à force de témérité émerger
et devenir une écrivaine à succès. «J’ai eu un parcours compliqué,
difficile et j’ai dû me battre pour accéder aux études.» La force en
cette femme est palpable. L’écriture lui a été d’un grand secours pour
surmonter un double deuil, celui de son époux et celui de sa fille.
«J’ai traversé une période difficile en perdant des êtres chers. J’ai
été littéralement démontée moralement. J’étais devenue moi-même un
personnage de fiction», confie-t-elle, pour expliquer le désarroi, la
période tragique traversée, ajoutant: «De là est né mon roman intitulé Comme si je n’avais pas traversé l’été.»
Elle avouera que tous ses récits sont imprégnés de son milieu familial,
de la réalité, des mœurs de la société suisse. «Écrire, c’est avoir des
choses à dire, de mettre des mots sur les choses qui m’ont blessée.»
Les épreuves de la vie reviennent souvent dans les propos de la femme
de lettres même si elle ne laisse pas entrevoir sa blessure, elle la
porte en elle mais avec une certaine distance. Janine Massard est très
proche de la nature et des paysages de son enfance, elle nous le
révèle. Son bonheur est régi par son petit-fils, la lecture, l’écriture
et son entourage familial. Une femme courage.
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