Un homme fatigué et affamé s’arrête à la Boisselière, maison
de retraite abandonnée où tout est en place comme si les habitants
venaient de partir. Il trouve quelques écrits, carnet ou journal, et
l’histoire se développe alternativement racontée par l’auteur et le
passant, histoire étrange dans un pays en danger, on ignore pourquoi.
L’auteur rend magnifiquement compte de la peur qui rôde, de
l’inconséquence des personnages, d’une fin qu’on ne connaît pas mai qui
s’annonce tragique. Poésie, mystère, langage superbe et tant de
tendresse pour les faiblesses humaines, ce récit où l’action est
confinée dans une période et un espace restreints ouvre toutes sortes
d’horizons.
La nature est très présente, même dans la très jolie description d’une
branche d’arbre qu’on appelle l’aile de l’ange et qui, contre la
fenêtre, dessine les saisons.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
Une atmosphère d’étrangeté nimbe la Boisselière, maison de
retraite en déclin, au milieu des forêts. Des êtres en fuite – hommes,
femmes, enfants – y trouvent asile puis s’y installent, en entente avec
les résidents. D’où viennent-ils? À quoi veulent-ils échapper? Guerre,
invasion, épidémie? On ne sait. Un jour, trois nouveaux arrivants
rompent le fragile équilibre autarcique: menaçants, violents, cyniques,
il font éclater la communauté. Plus tard, dans la maison abandonnée, le
narrateur tente de reconstituer le drame à partir de traces à demi
effacées: journal intime, notes, lettres. Le mystère pourtant reste
entier. Romancière au talent affirmé, Sylviane Chatelain maîtrise le
trouble et l’incertitude.
ISABELLE RÜF, Le Phare, Centre Culturel Suisse, Paris
Entretien avec Sylviane Chatelain
Le lecteur croit comprendre que dans La Boisselière nous sommes en temps de guerre, mais rien n’est dit. Était-ce une réelle volonté de ne pas vouloir situer l’action?
Écrire un roman, c’est toujours enfermer un nombre plus ou moins grand
de personnages dans un espace restreint, quelques centaines de pages,
et les observer. Jouer avec eux, les placer l’un en face ou à côté de
l’autre, les regarder s’affronter ou s’unir, se blesser ou s’aimer.
Voir comment ils vont réagir aux différents événements qui leur sont
imposés.
Ce huis clos est encore plus prononcé dans La Boisselière puisque mes
personnages sont confinés dans un lieu, une maison perdue dans la
montagne, dont il leur devient de plus en plus difficile de s’échapper.
Ce qui les a obligés à fuir, qui les maintient dans cet isolement, ce
sont les troubles, le chaos du monde, les dangers et les violences
d’une société qui s’effondre.
Pourquoi préciser davantage?
Hommes, femmes et enfants jetés sur les routes après avoir abandonné
tout ce qu’ils possédaient: une image malheureusement trop familière,
une situation qui s’est répétée tout au long de notre histoire, qui est
celle, aujourd’hui, de tant de gens, qui se reproduira encore.
Mon intention n’était pas de décrire une période de crise, de guerre ou
de révolution, mais de m’attacher à ceux qui en subissent les
conséquences, qui se voient arrachés à leurs habitudes, leurs
occupations, leurs demeures et leurs affections. Ce qui m’intéressait,
qui devait dans mon projet être le sujet de mon livre, c’étaient la
naissance et l’évolution de cette communauté précaire, les relations
tissées entre ses membres, leur évolution au gré des circonstances,
leur façon de gérer les conflits, les démêlés avec leur conscience, les
choix qu’ils sont amenés à faire.
De la même façon, le passé des
différents personnages, même celui du narrateur, est assez flou. Vous
avez imaginé leur biographie avant de vous lancer dans l’écriture de ce
roman, ou même pour vous il y a des parts d’ombre ?
Il y a toujours des parts d’ombre. Dans la connaissance que nous avons
des autres et de nous-mêmes. Et, de nouveau, ce n’est pas le passé de
mes personnages (même si j’évoque assez souvent leurs souvenirs pour
qu’on puisse l’imaginer en partie) qui me paraît important, mais plutôt
le rapport qu’ils entretiennent avec lui.
Au début d’un livre, il y a souvent une question, ou plutôt une
inquiétude, la question elle-même ne se précisant qu’au cours de la
rédaction. Une question, en ce qui concerne La Boisselière,
que j’ai amené Robert à formuler: Les circonstances changent,
constate-t-il, et nous changeons et de quoi serons-nous capables
encore, pour survivre, qui nous éloignera chaque jour davantage de ce
que nous avons cru ou voulu être ?
Au début de leur histoire, je connais mal mes personnages. Ils
s’imposent et ne se dévoilent que peu à peu. À force de les côtoyer
chaque jour, pendant des années, ils me deviennent très proches. Ils
réclament mon attention, m’accaparent et me quittent quand ils ont
obtenu de moi ce qu’ils voulaient.
J’entends
souvent parler de la cohérence de votre œuvre, nouvelle et roman,
qu’est-ce qui définit à votre sens votre style ou le choix de vos
sujets…
Mes sujets naissent, comme je l’ai dit, d’une inquiétude, plus
précisément de la rencontre entre une préoccupation (consciente ou non)
et un événement extérieur, fait divers lu dans un journal, propos
cueillis au vol, visages croisés dans la rue, nouvelles du monde…
Alors surgit une image qui s’anime lentement, en suscite d’autres. Pour
ce roman, la première scène qui m’est apparue clairement est celle du
groupe épuisé dans la clairière, avant la découverte de la maison.
Quant au style, il est le fruit de la nécessité et de la difficulté de
traduire au plus près ce que je vois, ressens et désire communiquer.
Cette traduction exige une patiente recherche des mots qui souvent se
dérobent, elle exige de tenir compte non seulement de leur sens mais
aussi de leurs couleurs, de leurs sonorités, du rythme des phrases, de
la structure du récit avec suffisamment de rigueur pour ne pas hésiter
à supprimer une phrase qui sonne bien si elle ne semble pas juste. Et
souvent il faut savoir renoncer à des moyens qui ont fait leur preuve
pour se forger de nouveaux outils.
Quant à la cohérence de tout cela, j’ai de la peine à me prononcer. Je n’aime pas me relire. C’est au lecteur d’en décider.
Aux dires de votre éditeur,
vous êtes assez discrète dans la scène littéraire romande. Est-ce une
volonté de vous protéger? Peut-on toujours dissocier l’œuvre de
l’auteur?
On ne peut pas dissocier l’œuvre de son auteur. Elle se nourrit de sa
vie, de toute l’épaisseur de sa vie. Elle se nourrit même de ce qu’il
n’avouera jamais, ni aux autres ni à lui-même, de ce qui se cache au
fond de profonds et obscurs labyrinthes qui, quelquefois, par la grâce
de l’écriture, rejoignent ceux du lecteur. Alors le livre lui
appartiendra et il se sentira proche de celui qui l’a produit sans
éprouver le besoin de connaître sa biographie.
Volonté de me protéger, peut-être, mais surtout de protéger mon travail.
Pour écrire j’ai besoin de silence et de solitude. Il me faut aussi
travailler régulièrement, descendre lentement, par paliers, d’une
version à une autre jusqu’à la dernière. Rien n’aboutit si je me
disperse, si je me laisse distraire.
Vous avez reçu un certain nombre de prix et de distinctions. La reconnaissance de vos pairs est-elle importante?
Oui, c’est important pour moi qui doute continuellement de la qualité
de mes textes comme le sont aussi toutes les marques d’intérêt de mes
lecteurs. C’est un encouragement qui me donne la force et le droit de
continuer.
Si
vous deviez conseiller à nos lecteurs une bonne façon de découvrir vos
écrits, quel livre ou quel recueil de nouvelles lui conseilleriez-vous
en première lecture?
Quand un lecteur me pose cette question, j’essaie de connaître ses
goûts. Est-ce qu’il lit volontiers des nouvelles, est-ce qu’il préfère
les romans ? Je lui parle un peu de mes livres pour qu’il puisse se
déterminer lui-même. Puisque, en l’occurrence, ce dialogue n’est pas
possible, je proposerais le dernier recueil de nouvelles ou le dernier
roman et, si ces textes ont le bonheur de plaire, de remonter le
courant, d’un livre à l’autre.
Question subsidiaire mais toujours intéressante: quel type de lectrice êtes-vous? Quels genres de livres vous transportent?
Les livres qui élargissent, transforment mon regard.
Ceux qui ne m’entraînent pas en courant d’une page à la suivante dans
le seul désir d’en connaître le dénouement, mais qui me retiennent au
contraire, me donnent l’envie de m’attarder dans un monde qui ne
m’appartient pas, que je reconnais pourtant comme s’il m’avait
attendue. Quand les mots d’un autre deviennent les miens, s’offrent
comme un miroir dans lequel je me perds et me retrouve, me découvre à
la fois différente et plus proche.
Ceux que je referme à regret tout en sachant que, désormais, ils feront partie de ma vie.
AMANDINE G., litterature-romande.net
La romancière et nouvelliste jurassienne a construit, au fil
du temps une œuvre aux accents singuliers. Ses intrigues, hors du
temps, sont habitées par des personnages déboussolés, en quête de leur
identité, prisonniers de leurs rêves et de leur solitude métaphysique. La Boisselière
raconte l’histoire d’un petit groupe d’hommes, de femmes et d’enfants
de tous âges, réfugiés dans une ancienne maison de retraite située à
l’écart de tout. Ambiance de fin du monde. Ils ont fui les troubles
violents qui agitent le pays et tentent de survivre en autarcie.
L’apparition de trois hommes va créer un climat tendu et menaçant.
Longtemps après les faits, le narrateur tente de reconstituer leur
destin, sur la bas d’indices ténus, d’affaires abandonnées dans la
précipitation d’un départ inexpliqué, mais surtout en lisant le journal
intime écrit par l’une des pensionnaires, créant ainsi une mise en
abyme du récit. Les personnages de différentes générations, chacun à
leur manière, portent un poids d’humanité et de détresse que Sylviane
Chatelain excelle à explorer, leur offrant la muette compassion des
bêtes et un cadre naturel tantôt consolateur, tantôt hostile.
L’intrigue garde son mystère jusqu’au bout, laissant le lecteur trouver
sa propre interprétation.
CHANTAL CALPE-HAYOZ, Jura l’original
Tous ces mystères
Une ancienne maison de retraite, isolée, La Boisselière. Un groupe
d’hommes, de femmes et d’enfants y réside, dans un pays qu’on devine
troublé. Le narrateur a trouvé un journal, quelques objets, et tente de
reconstituer leur histoire. Cette communauté vivait dans un fragile
équilibre, quand trois hommes peu amènes se sont incrustés.
Sylviane Chatelain (Le Manuscrit, Le Livre d’Aimée, Dans un instant…) maîtrise l’art subtil de ne pas trop en dire. Tant de mystères restent irrésolus dans La Boisselière,
qui sont ces hommes et ces femmes? que leur est-il arrivé? quels
troubles vit ce pays jamais nommé? Son étrange roman avance en douceur
dans une atmosphère trouble, dans l’épaisseur d’une menace confuse. Et
l’auteure de Saint-Imier de confirmer un talent singulier pour combiner
finesse d’écriture et climat inquiétant.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
Un vieux château au cœur de la forêt, ancienne maison de
retraite, perd ses pensionnaires, son personnel, sa mémoire, dans une
ambiance de fin du monde. Il reste cependant pour ceux qui s'y trouvent
un lieu de paix, une protection contre le monde qui l'assiège.
Mais de mystérieux réfugiés apparaissent dans la région, fuyant on ne
sait trop quel sinistre. Ils demandent l'hospitalité, certains
repartent, d'autres s'installent. De nouveaux liens se créent, se
désintègrent, inquiètent. Un drame menace, que tout le monde perçoit
sans pouvoir le cerner. Quelque chose va se passer, le lecteur le
devine, mais où, quand, et qui en seront les protagonistes, les
victimes?
Tout fuit, tout se délite, tout menace dans le nouveau roman de Sylviane Chatelain, La Boisselière. Un monde éclaté nous vient à travers une femme âgée qui perd la mémoire, à travers de vieux journaux intimes abandonnés...
Est-on dans l'avenir? Dans un pays incertain? Dans une vision déformée
de la réalité que produirait la peur de l'autre et du monde extérieur?
Pour créer son roman fascinant, Syviane Chatelain procède par touches,
allusions, évocations, laissant le lecteur combler les vides de son
récit. Du grand art.
Blogres ALAIN BAGNOUD
Le jeu des mots est une bataille
Sylviane Chatelain vient de publier un nouveau roman, La Boisselière, chez Bernard Campiche Éditeur. Étrangeté garantie dans un huis clos douloureux aux relents de fin du monde.
À chaque fois que Sylviane Chatelain publie un récit, un recueil de
nouvelles ou un roman, c’est comme si vous receviez le bristol
d’invitation au bal du grand Meaulnes, d’où la fiancée s’est enfuie par
une porte dérobée. Une maison cossue et isolée, trop spacieuse, aux
bruissements étranges, des mots qui vous escortent dans un autre monde,
une introspection sensible, une nature frémissante de vitalité,
l’écrivain de Saint-Imier ne cesse de jouer sur les petits intervalles,
sur les effleurements et les traces de la vie. Cette fois-ci, elle
accule étrangement ses personnages aux confins de l’«humanitude».
Son nouveau roman au titre énigmatique, La Boisselière,
est un huis clos douloureux qui se préserve d’un événement extérieur
aux relents de fin du monde, de vieillesse et de mort. En même temps,
l’intrusion de personnages vient perturber l’ordre interne des choses.
Ce récit se découvre avec le même ravissement d’un passage d’outardes
étourdissantes dans un ciel vide. Comme la spatule de la couverture,
cet échassier parfaitement tendu vers l’ailleurs. Rencontre avec
l’écrivain pour parler de ces mots qu’elle pressure avec tant de talent
depuis plus de trente ans.
Vous commencez votre roman par l’appel à un «ancien désir des mots». Quelle est donc cette nouvelle quête?
C’est celle d’un narrateur, voyageur solitaire qui s’arrête dans une
ancienne maison de retraite et retrouve des traces d’anciens
pensionnaires. Lui-même veut renouer avec l’écriture et redonner
consistance aux personnages à partir du journal d’Hélène, du carnet
d’Henriette, de lettres de son fils, quelques photos.
Une entreprise difficile quand on n’a que des lambeaux de prétendue réalité pour opérer la greffe...
Au niveau du narrateur, j’introduis ma relation aux personnages. Après,
il y a différents thèmes. Henriette, par exemple, qui se perd dans sa
mémoire. En même temps, elle sait que sa mémoire est riche, ce n’est
pas de l’amnésie. C’est autre chose.
Et la mort gagne du terrain...
Oui, mais cette femme a toute cette densité de vie. Elle est consciente
qu’elle perd la mémoire. Elle a une empathie pour les autres. Ce qui se
passe dans cette histoire, c’est qu’on y insinue des choses précaires,
comme dans la réalité d’aujourd’hui, les migrations, les désastres
économiques, la guerre en Ukraine, les catastrophes nucléaires. Il y a
le choix.
Et la perte des valeurs?
Justement, je fais référence à une société désabusée, au vieillissement
aussi. Mais il y a l’enfant pour donner l’espoir d’une continuité. Mais
ce n’est pas l’essentiel. Je voulais surtout ce huis clos où les
personnages interagissent, qu’ils soient réduits à eux-mêmes, soumis à
aucune régulation. Ma question était de savoir qui on est réellement.
Dans quelle mesure, on dépend des circonstances. Chacun se fait une
idée de soi-même, mais comment cela est-il solide?
Pourquoi savoir cela?
Cela vient des doutes que j’ai. Étant une personne dite civilisée, je
me demande si je changerais dans une situation extrême? Mes personnages
doivent prendre une décision qui ne leur ressemble pas. Leur évolution
est confrontée à un contexte de violence. Dès que ces trois personnages
débarquent à la Boisselière, la situation se dégrade, il n’y a
finalement plus de solution. Et pourtant, il y a bien un responsable.
Et vous ne baissez pas la garde poétique du récit...
J’avais envie de raconter cette histoire, mais c’est vrai que le jeu
des mots est une bataille. Quelques fois, les mots nous entraînent dans
des labyrinthes et des impasses. Mon narrateur se met à parler à voix
haute. Il est proche de la folie. Par l’écriture, il arrive à rétablir
un certain calme. Il avait renoncé à écrire. Lui, c’est l’écrivain qui
sait que cette situation ne pouvait durer.
Auriez-vous une posologie, un conseil pour lire ce livre?
Se laisser embarquer par les mots. Accepter l’incertitude. Un texte est
intéressant dans la mesure où le lecteur peut s’y installer. Que le
texte laisse la place aux propres questionnements de ce dernier. Le
texte doit rester ouvert, qu’il entre en résonance avec celui qui s’en
laissera conter.
Du côté de l’écriture, j’aime bien l’image du palier. On a besoin
d’étapes de silence. C’est dans le silence que les mots arrivent à
trouver leur place.
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Journal du Jura et L'Impartial
Vivant dans un village horloger du Jura bernois, elle a été prof de
latin, a élevé quatre enfants et aime fort les chats. Discrète au-delà
du raisonnable, Sylviane Chatelain est une grande dame de la
littérature romande. Elle vient de publier son neuvième livre, La Boisselière,
une villa ainsi nommée où débarque un individu solitaire après des
jours d’errance dans un univers vidé de sa substance, humains et
animaux. Après s’être sustenté, il entreprend de fouiller à la
recherche d’indices. Il comprend que les habitants sont partis, sans
doute définitivement. Trouvant un journal, il se met à raconter
l’histoire de ces inconnus. Il voudrait comprendre qui ils étaient, ce
qu’ils ont vécu, pourquoi ce départ. Car ormis l’ombre du chat,
toujours plus transparente, aucun signe de vie. De son écriture si
finement ciselée, Sylviane Chatelain offre au lecteur le décor d’un
après catastrophe peut-être proche de nous.
BERNADETTE RICHARD, Notre temps
La Boisselière, un roman inquiétant et sensible
Depuis Les Routes blanches,
une première collection de nouvelles parue à L’Aire en 1986, Sylviane
Chatelain, née en 1950 à Saint-Imier, alterne romans et textes plus
brefs. En 1988, paraît – chez Bernard Campiche déjà – son premier
roman, La Part d’ombre, un
texte remarqué qui lui vaut le Prix Hermann-Ganz de la Société des gens
de lettres et celui du canton de Berne. Une voix pleine de finesse est
née, qui se trouve, en 1991, saluée par un Prix Schiller, cette fois, De l’autre côté, un autre recueil de nouvelles. Avec Une main sur votre épaule,
elle remporte en 2006 le Prix Lettres Frontière. Nombre de ses textes
ont été traduits en allemand. Plus récemment, en 2010, Sylviane
Chatelain signait un nouveau recueil de textes, intitulé Dans un instant, tout en dentelles littéraires, diaphane et attaché à saisir la fugacité du monde et des êtres.
Voici maintenant que paraît un roman, La Boisselière.
On y retrouve, en partie, le ton et les thèmes qui traversaient ses
dernières nouvelles: la vieillesse, la mort, l’exil, l’hôpital, les
rapports entre générations. Mais l’intrigue de La Boisselière
ne s’en tient pas à ces thèmes récurrents. Elle prend place dans un
futur inquiétant, marqué par la guerre, la violence et la destruction.
Tout semble instable, dangereux. Une inquiétude sourde plane sur
l’ensemble du récit. Des échos de massacres, de tragédies remontent
comme des vagues jusqu’à la grande maison, d’où sourd le récit.
La Boisselière est «une sorte de petit château, flanqué d’un côté par
une bâtisse en bois […], de l’autre, par une construction plus récente,
allongée, de deux étages. Un mur autour d’un jardin…» La Boisselière a
eu jadis des pensionnaires. Certains sont restés, mais la villa sert
désormais d’asile provisoire à une communauté de hasard, plus mouvante.
Elle se trouve aussi colonisée de proche en proche par de sinistres
individus. Le groupe qui s’abrite dans la grande maison a priori
rassurante – mais elle peut aussi, isolée et solitaire, se faire piège
– est sans cesse menacé d’éclatement, de mort. L’abri, fragile, peut
aussi devenir une prison, un lieu sordide.
Dans La Boisselière, rien
n’est jamais certain. Les contours des lieux et des êtres sont
mouvants, insaisissables, aussi bien pour les personnages eux-mêmes que
pour le lecteur. Le récit lui-même avance par à-coups, toujours
inquiétant, toujours sur le qui-vive, parfois obscur.
Si certaines figures et certains motifs ne parviennent pas à se
détacher des pages, Sylviane Chatelain en crée aussi qui vous touchent
véritablement: ainsi cette magnifique vieille dame à la mémoire
intermittente, Henriette, qui – tout comme le lecteur – perçoit la
réalité par bribes. Cela ne l’empêche pas de regarder la nature, la
forêt, les animaux et les êtres avec une grande intensité, ni de vivre
une existence profondément poétique dans ce monde pourtant
dangereusement instable et violent. On retrouve dans ce beau personnage
la finesse et la sensibilité de l’auteure.
ÉLÉONORE SULSER, Le Temps
La Boisselière, c’est le nom d’une maison de retraite perdue
dans la forêt. Un homme découvre cet endroit par hasard, y entre pour
se reposer et y trouve un journal relatant la vie des pensionnaires
d’antan. L’auteure nous propose d’entrer avec délicatesse dans un monde
particulier: on ne sait qui est cet homme, on ne sait qui sont ces gens
qui vécurent là, on se demande qui sont ces étrangers qui débarquent et
ce qu’ils veulent. Et on ne peut refermer ce livre avant le dénouement
final, tant la tension est forte, tant le drame est sous-jacent. Il y a
dans ce roman comme dans tous ceux de l’écrivaine immérienne quelque
chose d’indéfinissable et de subtil dans l’écriture. Comme une petite
musique de nuit séduisante, inscrivant Sylviane Chatelain dans le
cercle restreint des grands auteurs romands d’aujourd’hui.
VINCENT BÉLET, Générations-plus.ch
Entre L’Orphelinat de Juan Antonio Bayona et Les Autres d’Alejandra Amenabar
Entourée d’une région plongée dans un chaos de nature mystérieuse, la
Boisselière, maison de retraite isolée, apparaît comme un havre de paix.
Au début de l’hiver, Henriette, résidente âgée et désorientée, y
assiste à l’arrivée de réfugiés demandant l’hospitalité. Ceux-ci sont
accueillis généreusement et ils finissent par rester.
Entre les résidents et le personnel de la Boisselière et le mystérieux groupe se tissent des liens étroits.
Au printemps, trois hommes menaçants font leur apparition dans la
propriété. Ils s’y installent en dépit de l’hostilité générale. La
méfiance, l’agressivité et la
peur de l’autre conduisent à la désintégration du groupe et au meurtre.
La Boisselière est un
roman mystérieux et intrigant sur les effets de la peur de l’autre, du
monde extérieur et de l’avenir. Le mystère provient d’abord d’une
narration fragmentée. Le lecteur découvre l’histoire tantôt à travers
le regard d’Henriette, une femme âgée, désorientée et victime de pertes
de mémoire, qui peine à comprendre ce qui se passe autour d’elle,
tantôt par un membre de la communauté qui tente de retracer l’histoire
de la communauté grâce aux journaux intimes laissés par ses membres.
L’autre énigme du roman est l’environnement chaotique de la maison de
retraite qui apparaît comme un véritable havre de paix à la plupart des
personnages. On sait les réfugiés poursuivis et menacés dans un monde à
la dérive où chacun semble lutter pour la survie. Le sentiment qui
domine à l’égard de l’ailleurs est une peur paralysante.
Néanmoins, le lecteur ne sera jamais éclairé sur ce contexte
inquiétant. Plutôt que de ménager un suspense sur les raisons de la
fuite, l’auteur s’intéresse surtout aux effets délétères de la défiance
mutuelle et de la solitude au sein d’une communauté en état de siège et
le processus qui va la conduire au meurtre et à la désintégration.
Pour une adaptation cinématographique, La Boisselière
possède des atouts non négligeables à commencer par la simplicité du
dispositif dramatique. Ce roman est un huis clos entre des personnages
qui vivent isolés dans une grande propriété au milieu d’une forêt. Le
narrateur distille habilement des informations annonçant la
catastrophe, tout en restant suffisamment allusif pour ménager à la
fois une ironie dramatique et un suspense captivant: on suit les
personnages, leurs actions et leurs états d’âme en sachant pertinemment
que les choses vont mal tourner en dépit de leurs efforts, et en même
temps, on soupçonne sans pouvoir l’affirmer avec certitude que les
victimes et les bourreaux ne seront probablement pas ceux auxquels on
s’attend.
Néanmoins, ce roman servi par un style élégant, raffiné et sensible ne
contient que très peu d’action. Le récit est essentiellement tissé à
partir du point de vue de personnages qui s’observent et se jugent.
Ceux-ci se livrent constamment à une intense introspection, induite par
le recours du narrateur à des journaux intimes.
Peu de scènes sont traitées avec ampleur; le récit fonctionne plutôt
par petites touches à partir desquelles les personnages émettent des
hypothèses les uns sur les autres, spéculent ou expriment des regrets.
Ce procédé très subtil rend le roman difficile à exploiter pour
composer les scènes d’un film.
La Boisselière possède
toutefois une force singulière susceptible d’inspirer un cinéaste à
défaut de lui procurer une trame narrative aisée à porter à l’écran.
Bulletin rentrée littéraire, Initiativefilm, Paris, octobre 2014
Dans les époques troubles, il est bien difficile de savoir quel
comportement adopter. D’aucuns, poussés par la nécessité, font ce
qu’ils ne feraient pas d’ordinaire, d’autres révèlent leur vraie
nature, qui peut être de subir sans regimber ou, au contraire, de
s’imposer, sans scrupules et sans gêne.
Dans La Boisselière, Sylviane
Chatelain met en présence de tels personnages, dans leur diversité. La
période est troublée. L’auteur ne précise pas pourquoi. En tout cas, il
semble que les villes ne soient pas sûres et que, finalement, les
villages et les demeures isolées dans les campagnes le soient davantage.
La Boisselière est le nom d’une maison de retraite, qui a connu son
heure de gloire et qui comprend d’un côté d’une route étroite
goudronnée un manoir, une villa, une remise, de l’autre un jardin avec
des pelouses, des plates-bandes, des allées dallées et des bancs, le
tout situé près d’une forêt, loin de toute habitation, à l’exception
d’une ferme, sur les hauteurs, celle du vieil Armand.
Les pensionnaires ne sont plus très nombreux. Il y a Henriette et son
chat, Hortense, le couple Bertin. Le personnel est réduit de même,
puisqu’il n’est composé que de Robert, le responsable de
l’établissement, d’Hugo, l’homme à tout faire, et de deux femmes,
Hélène et Sarah, laquelle est toujours un peu triste et n’a qu’un
souhait, celui de s’en aller retrouver Jérôme qu’elle aime et qui ne
lui écrit plus.
Le narrateur, pour reconstituer cette histoire, tant bien que mal, ne
dispose que de peu d’éléments. Il a lu le journal d’Hélène, le carnet
d’Henriette, les lettres que cette dernière a reçues de son fils, il a
trouvé également sur la place, maintenant désertée, quelques
photographies, quelques mots sur des feuilles isolées, des vêtements et
des objets laissés par les uns et les autres:
«Je dois comprendre, savoir pourquoi ils sont partis, ce qu’ils sont devenus.»
Trois couples et les enfants de deux d’entre eux viennent faire halte à
La Boisselière: Marc, Julie et leurs deux petits garçons, Étienne et
David; André, mal en point, Marthe et leur fille Chloé, accompagnée du
chien Martin; Paul et Irène. Ils fuient la menace imprécise. Ils
veulent gagner un village, où ils ont de la famille, à quelques jours
de marche. En fait, ils vont rester plus longtemps que prévu en ce
début d’hiver:
«Le temps passe et la maison s’engourdit.»
Un jour, Robert ouvre la porte à trois hommes, en exode eux aussi, Léo,
Denis et Daniel, lequel paraît encore très jeune. Mais ils n’ont rien à
voir avec les premiers arrivés. Ils sont pour le moins inquiétants.
Robert n’aurait pas dû leur ouvrir. Car ils vont s’incruster,
bouleverser l’ordre précaire des êtres et des choses, construire, dans
un but inconnu, une cabane, aujourd’hui détruite par un incendie...
Le narrateur n’apparaît que de temps en temps, à la première personne.
Le reste du temps, jouant son rôle, il narre, recréant l’atmosphère
lourde qui règne alors dans ces murs, la menace imposée de l’intérieur
par les trois derniers arrivés s’ajoutant à la menace extérieure
indéfinie, qui fait fuir les gens sur les routes; reconstituant souvent
les mêmes événements du point de vue de l’un des personnages, puis de
celui d’un autre.
Une des seules lueurs dans cette sombre histoire, où les départs se
succèdent et où le mystère ne se dissipe finalement qu’en partie, est
cette branche d’arbre qui s’appuie à la fenêtre de la chambre
d’Henriette et qui apparaît comme l’aile d’un ange à ses yeux... Une
autre est le style superbe de l’auteur qui, par exemple, décrit en ces
termes le retour timide du printemps:
«Le temps passe. Les heures transparentes d’un après-midi de printemps.
Les feuilles ne sont pas encore ouvertes, leurs petits poings tendus
entre les mailles serrées des branches. Les prés sont rêches, l’herbe
meurtrie par le gel. D’innombrables piques d’un vert acide en percent
la surface, seule partie visible d’une armée engourdie dans les
profondeurs de la terre, qui attend pour s’ébranler le signal du
départ, la première brûlure du soleil.»
Blog de FRANCIS RICHARD
Sylviane Chatelain publie son livre le plus mystérieux
Mondes étranges: La Boisselière,
dernier roman d’une écrivaine jurassienne discrète au-delà du
raisonnable, est un ouvrage à tiroirs et à interprétations diverses
La Boisselière. Un titre
qui ne ressemble à rien, n’annonce rien, trop neutre pour titiller le
lecteur. La couverture, elle, évoque les grands espaces, la liberté
offerte aux oiseaux. Or, à peine entamé le récit, que l’air de la
liberté se raréfie: un quidam tente d’écrire, mais les mots se
dérobent, les présences également, fantômes qui bientôt s’animeront,
pas même le temps d’un livre, puisque les personnages disparaissent
entre le début et la fin du roman. Qui sont-ils? D’où viennent-ils? Où
sont-ils allés? Ont-ils seulement vécu? Le chat lui-même participe du
mystère ambiant.
Entre science-fiction et poésie
Alors quoi: science fiction? Fantastique? Métaphore d’un monde à
l’agonie? Poésie post-apocalyptique? Dernier soubresaut de la race
humaine représentée par une poignée d’errants? À n’en pas douter, La
Boisselière s’inscrit dans une vision prophétique, synonyme ici de
pessimisme absolu. Il n’y a plus rien, chantait déjà Léo Ferré. C’est
le sentiment du lecteur à la découverte de ce livre à tiroirs, qu’il
est possible de déguster au premier degré: dans une ancienne maison de
retraite, La Boisselière. Un groupe d’hommes, de femmes, d’enfants
s’est réfugié, loin d’un pays dont les troubles sont évoqués ici et là,
à mots à peine audibles. Ils partagent l’immense espace avec quelques
anciens résidents, dont Henriette. Sa mémoire s’étiole, laissant la
place à une vision décalée du lieu où elle vit. Arrivent trois
individus, autres errants, peu recommandables. La fragile communauté va
se diviser à cause de leur comportement. Pourtant, vaille que vaille,
la vie continue, au gré des humeurs des nouveaux venus, il y aura même
une naissance. Mais l’atmosphère est lourde, les échos du pays peu
amènes. Les tensions sont tangibles à La Boisselière. Seuls Henriette
et le chat arpentent l’espace hors des contraintes. Tant que les
réserves de nourriture sont là, et le bois pour se chauffer, l’histoire
se poursuit, entre fatigue, doux désespoir, hésitation à s’en aller.
Mais pour aller où? Pour témoigner de cette vie repliée, apparemment
dénuée d’avenir, l’ultime visiteur de la villa trouve le journal
d’Hélène, qui ne lui donnera pas la solution à la disparition des
locataires de l’ancienne maison de retraite. D’ailleurs, lui-même, qui
est-il? Restera-t-il dans la villa, alors que le chat lui aussi finit
par disparaître?
À coup de fils d’or
Peut-être faut-il simplement se laisser porter par les pages qui
défilent, sans chercher à percer les intentions de l’auteure, plus
mystérieuse que jamais. Comme à son habitude, Sylviane Chatelain tisse
une histoire à coups de fils d’or que sont les mots qu’elle aligne avec
la délicatesse caractérisant son écriture, toujours sibylline,
apparemment légère, évocatrice et sans heurts. Le lecteur glisse sur
les phrases, n’en retenant que l’infinie beauté, alors que le propos
est plus sombre qu’une nuit sans lune.
Affirmons que les grands esprits finissent par se rencontrer: La Boisselière résonne en écho parfait au roman le plus connu de l’Autrichienne Marlen Haushofer (1920-1970), Le Mur invisible:
même solitude, même décor de fin des temps, même manière d’écrire,
imposant un monde suspendu, et puis chat, chien, mur invisible –
Sylviane Chatelain évoque des «murs invisibles» dans son roman. Et
enfin, même remarque sur le manque de papier qui bientôt privera un
personnage de l’acte d’écrire. Sans doute la pire crainte pour un
auteur lors d’époques troublées. Et comme un appel discret à protéger
les manuscrits, quels qu’ils soient. Le hasard qui fait lire l’un après
l’autre les deux livres laisse songeuse. Cette parenté de pensée
au-delà du temps et des frontières est saisissante. La Boisselière, jumelée au Mur invisible: de quoi passer des heures de lecture hors du monde, dans un ailleurs qui peut-être est déjà à nos portes.
BERNADETTE RICHARD, Le Quotidien jurassien
Loin
des troubles du pays, à l’écart de tout, un groupe d’hommes, de femmes
et d’enfants tente de survivre dans une ancienne maison de retraite, la
Boisselière. Un équilibre précaire, menacé quand trois hommes
taciturnes demandent l’hospitalité. Peu à peu ils s’installent et
bientôt il est évident qu’ils n’ont plus l’intention de s’en aller.
Confrontés à ces individus imprévisibles et sans scrupules, la
communauté se divise, partagée entre la volonté de maintenir une paix
de plus en plus illusoire et la nécessité de se défendre.
Et voilà, constate Robert, ce
que les circonstances ont fait de nous. Elles changent et nous
changeons et de quoi serons-nous capables encore, pour survivre, qui
nous éloignera chaque jour davantage de ce que nous avons cru ou voulu
être?
Que dirait Paul s’il était ici?
Qu’ils ont manqué de confiance, de courage, qu’ils ont trahi leurs
convictions, que la violence n’entraîne que la violence?
Oui, mais il est parti. Pour
tenter de les aider, c’est vrai, peut-être aussi pour ne pas avoir à
sacrifier ses rêves, admettre qu’ils n’étaient que des illusions, pour
se soustraire au choix qu’ils ont dû faire? Est-ce qu’il leur parlerait
de fidélité, de ceux qui sont morts pour leur foi, leurs idées? Mais la
mort des autres? Il aimerait qu’il lui réponde, qu’en est-il de
l’innocence quand on a négligé de sauver ceux qui, grâce à vous,
auraient pu l’être?
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