La Messe en si de
Bach, donnée en la cathédrale de Genève, occupe toute la soirée et tout
le livre qui est construit autour du destin de cinq femmes. La
quarantaine proche les rend plus fragiles et, chacune à sa manière,
elles se posent des questions qui remettent en cause leur raison
d’exister. Leurs destins sont tous différents et l’auteur nous en conte
quelques chapitres pendant que retentit la musique.
J’ai beaucoup aimé cette façon originale de terminer une phrase
et de reprendre au paragraphe suivant l’un des mots dans une acception
autre. Le style est très différent entre les dialogues et les
descriptions où on est séduit par une légère et attirante préciosité.
La ville est un personnage supplémentaire, toujours présent en
arrière-plan.
La musique, que l’on sent vécue par l’auteur, scande les péripéties du
récit et amène à la plus belle des conclusions: «Nous aimerons le monde
jusqu’à l’ivresse et la mort n’y changera rien, l’amour est la vraie
mesure du temps».
JULIETTE DAVID, Suisse magazine
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Un concert. Bach, la Messe en si.
Un chef d’orchestre qui disparaît. Cinq amies et leurs amours, cinq
femmes en quête de sens. Et cette absence que nul ne s’explique… Ces
quelques heures de musique apporteront-elles une réponse?
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La Beauté du geste, de Catherine Fuchs
«Qu’a-t-elle réussi à dire? Tout? Certainement pas, mais le plus
important n’est pas là, elle a chanté comme elle devait.»
On ne peut pas évoquer ce roman sans parler immédiatement de La messe
en si, puisqu’elle lui est (au roman, donc), un si formidable moteur,
et aussi un cadre structurel et temporel, qui rythme tout le récit et
lui donne une dimension importante.
À la première page, Marianne, un des personnages principaux du livre
(le personnage principal, en fait), se prépare à chanter cette messe de
Jean-Sébastien Bach dans la cathédrale de Genève. A la fin, 300 pages
plus loin, le concert est terminé, le public s’en va. Dans
l’intervalle, quelque chose d’important s’est dénoué au fil des
morceaux dans les vies des cinq personnages féminins du livre.
Elles se connaissent, sont de milieu bourgeois. Une journaliste, deux
musiciennes, une prof, un médecin. Catherine Fuchs les prend à ce
moment de la quarantaine où on se pose quelques questions essentielles
sur sa trajectoire, sur la justification de celle-ci et les
possibilités de sortir des rails sur lesquels on se croit. La diversité
des caractères et des réactions lui permet de dresser un bilan
conséquent de cet âge. Il y a celle qui reste fermement dans la
tradition, celle qui se laisse tenter par une aventure homosexuelle,
celle qui habitée d’un espoir fou ose la rupture complète et finalement
désastreuse...
La composition minutieuse du livre fait alterner leurs histoires qui se
croisent. Les passages s’enchainent naturellement, avec beaucoup d’art,
et mettent petit à petit en place les morceaux d’un vaste puzzle. Il
n’est pas seulement question de crise existentielle, mais aussi de
relations, de l’amitié, de l’amour, des attentes, de Genève aussi,
beaucoup, ville qui devient comme un personnage supplémentaire de la
fresque.
Et pour rythmer l’intrigue, il y a un mystère. Gianni, chef d’orchestre
qui dirige cette messe en si (à laquelle participent ou assistent
toutes ces femmes), Gianni, donc, a séduit une d’entre elles, lui a
proposé d’abandonner sa famille, de partir avec lui, mais a finalement
disparu seul, abandonnant tout pendant trois longues semaines, laissant
derrière lui des drames et des interrogations. Trouvant aussi, au
passage, on le découvre à la fin, une vérité.
Ce n’est pas le seul à établir un bilan dans ce livre réussi, à
l’écriture juste et sensible. Tout compte fait, grâce à la remémoration
et à la musique, les personnages parviennent à établir un accord avec
eux-mêmes et avec leur passé, acceptent leurs plénitudes et leurs
manques, s’avancent vers l’apaisement, assument la responsabilité de
simplement être.
ALAIN BAGNOUD, blogre.blog.tdg.ch
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La Beauté du geste, de Catherine Fuchs
Catherine Fuchs rêve le temps d’un concert
«La Beauté du geste» se déroule alors que résonne une Messe de Bach.
Son petit visage triangulaire s’éclaire dès qu’elle sourit. Or, Catherine Fuchs s’illumine en parlant de La Beauté du geste.
Il faut dire qu’elle a longtemps porté ce roman. «J’en ai écrit une
première version en 2001. J’avais alors été déçue par mon texte.» Après
quelques versions supplémentaires, la structure du récit a gagné en
densité. «Au départ, je décrivais les choses tout en les expliquant.
C’était lourd. Il faut laisser une place au lecteur.»
La Beauté du geste
(«le titre m’est venu avant même de rédiger la première ligne») est un
livre unanimiste, ou plutôt polyphonique. Normal! Il se déroule le
temps d’un concert genevois à la cathédrale, où se donne la Messe en Si
de Bach. Les cinq protagonistes féminines sont là. Certaines sur scène.
Les autres dans le public. Des souvenirs peuvent affleurer. «La musique
laisse davantage de place pour le va-et-vient de la pensée que le
théâtre ou le cinéma.»
Projection partielle
Si Catherine nous parle de musique, ce n’est pas seulement pour ça. La
Genevoise («j’adore cette ville, qui se situe au nord l’hiver et au sud
l’été») se partage entre l’écriture, le hautbois et l’enseignement. «Je
me sens fascinée et angoissée par le passage du temps. Il faut lui
conférer un sens. La musique peut en donner un, dans la mesure où elle
est liée à l’instant. Par définition, une note tue l’autre.»
La romancière a commencé par créer ses personnages. Cinq femmes en
crise dans la quarantaine. «Sans remise en question, pas de
progression, donc pas d’histoire.» Elles ont gardé cet âge qui était au
départ celui de Catherine, même si le livre a mis une décennie à
paraître. «Je n’allais pas les vieillir, même si elles me correspondent
moins aujourd’hui.» L’auteure s’est en effet projetée dans plusieurs
d’entre elles. «S’incarner dans deux sœurs permet d’explorer ses
contradictions.»
Le mot qui revient
Ces cinq femmes sont des intellectuelles. L’une enseigne. La seconde
pratique la médecine. La troisième fait du journalisme. Venue de
Hongrie, la quatrième joue du violoncelle. La cinquième donne des
leçons de musique. «Ces métiers se sont imposés à moi. Il fallait aussi
que mes personnages entrent en contact.» À leurs côtés vivent les
hommes, dont un impérieux chef d’orchestre italien. Ce médiocre
cristallise mystérieusement les passions, «Normal! Un chef attire les
regards.»
L’action peut donc avancer par petites touches. Les chapitres restent
minuscules. Le dernier mot de l’un devient souvent le premier du
suivant. «Une discipline que je me suis imposée. La reprise d’un terme
me permet de changer de personnage, tandis qu’une phrase nouvelle
indique une rupture dans le temps.» Le lecteur le sentira-t-il? «Je ne
sais pas, mais j’apprécie l’idée.»
À la fin de ce récit bien conduit, le concert se termine. Certaines
histoires sont d’évidence conclues. D’autres pas du tout. Une clarté
que s’était fixée Catherine Fuchs. «Je suis consciente que les auteurs
romands, et d’une manière plus générale les écrivains francophones, ont
des problèmes avec la narration depuis que le nouveau roman l’a
fracassée dans les années 60. Je ne voulais pas tomber dans ce
travers.» Mission accomplie!
ETIENNE DUMONT, Tribune de Genève
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Catherine Fuchs – La romancière hautboïste
Lorsqu’on
se penche par la fenêtre de sa cuisine, on voit la cathédrale
Saint-Pierre. À son pied, la chapelle de l’Oratoire. Catherine Fuchs
habite dans la Vieille-Ville de Genève une maison aux escaliers en
colimaçon et aux plafonds de bois. Son premier roman, Rue des Chanoines, un polar historique (Zoé, 1986), plongeait dans la Réforme. Son second, En mal d’innocence (Slatkine, 1997), avançait au temps de la Restauration, au début du XIXe. Deux recueils de poèmes plus tard, La Beauté du geste fait un saut en avant et arpente l’univers d’un orchestre classique à Genève, de nos jours, qui interprète un soir la Messe en si de
Bach. Le chef d’orchestre disparaît, chamboulant la vie de cinq amies
dont la vie tourne autour de cette personnalité flamboyante. «Mon
premier roman m’avait libérée, j’avais apprécié pouvoir me laisser
guider par le cadre d’un polar historique. Je suis plus personnelle
dans ce nouveau livre. J’avais envie de parler des relations entre les
hommes et les femmes et de la musique.» Cinq amies – Béatrice, sur
le point de quitter son mari, Isabelle, une enseignante en pleine crise
de la quarantaine, la belle Tatiana, Katalin, qui cherche l’amour
idéal, Marianne, en proie au trac avant de chanter – et cinq époques –
un printemps, des vacances d’été, un Noël, l’automne qui suit et le
moment de la disparition – se mêlent pour former une structure
narrative complexe, procédant par va-et-vient impressionnistes dans le
temps et l’esprit des personnages. «Les chefs d’orchestre sont des
personnalités qui cristallisent beaucoup de désirs. Toutes les
choristes sont amoureuses de lui…» Les femmes de La Beauté du geste
sont fortes et remplies d’interrogations, indépendantes et parfois
seules, les hommes discrets, la musique des phrases harmonieuse et
chorale. Regard doux, frisottis bruns sur les tempes, la
cinquantaine mutine et détendue, Catherine Fuchs aime Bach, Haendel et
Mozart. Elle découvre le hautbois à dix-neuf ans et s’y engouffre avec
l’énergie du désespoir, déçue par ses études de lettres. «Il était
impossible de dire qu’on écrivait soi-même, c’était tabou, alors que
nous passions la journée à disséquer des textes! La musique, découverte
à quinze ans au Chœur du collège, m’a libérée.» Elle passe sa
virtuosité en 1986 et intègre, en 1987, le Collège de Saussure, où elle
enseigne le français et la musique, tout en jouant dans des orchestres
de chambre. Depuis, elle avance entre écriture et musique, l’une
nourrissant l’autre dans une cohabitation parfaitement assumée. «J’ai
besoin des deux pour vivre. L’écriture est préexistante chez moi, mais
la musique permet d’exprimer quelque chose de l’ordre de l’indicible.
La musique est très proche de l’énergie vitale.»
De son éducation par un père théologien protestant, l’éthicien Erich
Fuchs, elle a gardé une grande liberté spirituelle. «Il m’a montré le
chemin de la tolérance, m’a appris à me poser les bonnes questions. Il
ne m’a jamais donné une image sévère du protestantisme. Sans doute
parce que, tout comme ma mère, il ne vient pas d’une famille
protestante de longue date.» De sa mère, la comédienne Rose-Marie
Nicolas, elle tient un intense amour de la langue et de sa lecture.
Lorsque la Messe en si s’achève,
cinq amies ont fait le tour de leur vie. Lorsque la porte de la salle
de concert s’ouvre, la «promesse de l’été» leur arrive comme une
caresse chaude sur le visage.
ISABELLE FALCONNIER, L’Hebdo, Payot – Les meilleurs livres de l'été 2010
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Musiques de mots pour l’été
…Autre musique, autre nostalgie et autres espoirs, La Beauté du geste,
de Catherine Fuchs. La hautboïste genevoise fait de sa ville l’unité de
lieu et de la musique de Bach l’unité de temps qui soutiennent ce roman
polyphonique.
Cinq vies en un concert – la Messe en si,
dont les moments principaux articulent la narration; cinq femmes
revivent, en cinq temps, des épisodes charnières de leurs vies. Ce qui
les relie, ce qui les lie aux hommes, aux amis, à l’existence… tout
cela apparaît, dans la complexité de la vie, au fil de réminiscences
organisées en brefs épisodes. La musicienne s’est faite
compositrice pour entremêler les lignes harmoniques correspondant à
chaque personnage. Les reprises du dernier mot d’un paragraphe à
l’autre signalent le changement de personnage, un terme nouveau le
changement de temps, les initiales des mouvements de la Messe
les grandes articulations du récit… Loin d’être artificielle, cette
virtuosité formelle permet à Catherine Fuchs de déployer la virtuosité
essentielle qui fait sa réussite, la réflexion sur les relations entre
les êtres, la recherche du bonheur. Beaucoup de romans se servent de la
musique, celui-ci s’en nourrit, et nourrit le lecteur…
JACQUES POGET, 24 Heures
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Lectures en partage
Mon coup de cœur littérature en ce début d’été? Sans hésiter La Beauté du geste
de Catherine Fuchs, un roman à la prose délicate, poétique et sensible,
et qui se lira tant sur la plage qu’au coin du feu. Le temps d’un
concert, la Messe en si de Bach, cinq femmes, qui se
connaissent et sont amies, se retrouvent dans la cathédrale de Genève.
Pourtant, si les unes participent au concert sur scène et les autres y
assistent en simples auditrices, toutes sont en train de vivre un
moment clé de leur existence. Il y a Marianne, professeur de musique,
Katalin, violoncelliste, Isabelle, enseignante, Béatrice, médecin, et
Tatiana, journaliste. L’auteur les saisit dans cet instant de remise en
question que peut être la crise de la quarantaine: la recherche du
sens, les regrets et les espoirs. Le récit passe alors subtilement
d’une femme à l’autre, alternant les voix, les souvenirs et les
questionnements profonds, tout ceci reconstituant petit à petit le
vaste puzzle de ces destins croisés qu’une intrigue mystérieuse lie
tout de même ensemble. En effet, Gianni, le très séducteur chef
d’orchestre italien, disparaît trois semaines durant, laissant derrière
lui sa dernière conquête à laquelle il fit comme aux autres mille
promesses. Cette absence interroge, questionne, rapproche ou éloigne
ces femmes en quête d’elles-mêmes. Grâce à la musique, un lieu de
réflexion où les pensées vont et viennent, se font et se défont, la fin
du concert apportera pour certaines des réponses, pour d’autres
l’acceptation d’être ou encore un certain apaisement. Un merveilleux
plaisir de lecture où, assurément, ces personnages attachants nous
accompagnent encore longtemps une fois le livre refermé.
CÉLINE BESSON, Librairie À l'Étage, La Région
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La musique secrète de Catherine Fuchs
Hautboïste
virtuose, férue d'histoire genevoise et enseignante de français et de
musique au Collège de Saussure, Catherine Fuchs (née à Genève en 1957)
parvient à marier ses passions avec succès. Après deux romans et trois
recueils de poésie (parus chez Éliane Vernay et Empreintes), elle nous
donne aujourd’hui La Beauté du geste, une vaste fresque
polyphonique, subtilement orchestrée, qui fait entendre cinq voix de
femmes, au seuil de la quarantaine, dont les destins se croisent, à
l’occasion d’un concert où toutes les passions s’exacerbent. Elle s’en
explique ici.
Entretien
—
Vous avez publié deux romans et trois livres de poésie. Quelle
différence faites-vous entre écriture narrative et écriture poétique?
—
Catherine Fuchs: Pour moi, il n'y a pas vraiment de différence entre
écriture narrative et écriture poétique. Il s'agit avant tout d'une
question de forme, de cadre. Le poème est plus ramassé, plus concentré,
certes, mais la démarche est la même: trouver les mots qui résonnent,
qui correspondent au mieux avec l'envie de dire... En plus, mon dernier
roman est construit par petites séquences et j'ai conçu plusieurs
d'entre elles comme des textes poétiques. Seuls les dialogues supposent
un type d'écriture bien spécifique.
— Plusieurs de vos livres ressuscitent des époques passées. La Beauté du geste se passe de nos jours. Pourquoi ce saut?
— Je suis a priori toujours passionnée par l'histoire, et je n'exclus
pas d'y retourner, mais j'avais envie, cette fois-ci, de parler au
présent et de mettre moins de distance entre mes personnages et
moi-même.
— Votre roman est polyphonique. Cinq voix de femmes s'entremêlent et se répondent. D'où vous est venue cette idée?
Je
ne me souviens plus exactement ! Il faut dire que j'ai commencé ce
livre en 1998... Donc entre les ré-écritures, les corrections, les
doutes divers et variés, du temps a passé ! Mais je sais que j'avais
envie de parler des femmes d'aujourd'hui (de mon milieu, évidemment, je
n'ai pas essayé de me glisser dans la peau d'une ouvrière ou d'une
immigrée clandestine) et ces différents personnages se sont sans doute
assez vite imposés à moi. C'était aussi une manière de me diviser en
cinq, de ne pas concentrer tout ce qui m'appartient dans une seule
femme.
— La musique est le vrai centre du
livre. Quelle place occupe-t-elle dans votre vie? Est-ce la première
fois que vous en parlez dans vos livres?
— Non, j'ai déjà évoqué la musique ou certains compositeurs dans plusieurs poèmes et dans mon roman précédent, En mal d'innocence,
le personnage principal est pianiste et compositeur. Toutefois, c'est
effectivement la première fois que je donne à la musique cette place
centrale. Il faut dire que je suis musicienne moi-même (j'ai fait des
études de hautbois et j'ai joué comme professionnelle pendant de
nombreuses années, et continue à la faire occasionnellement) et je
m'étais toujours dit que je tenterais un jour de parler de la musique,
de dire tout ce qu'elle m'a apporté. «Sans la musique, la vie serait
une erreur» a écrit Baudelaire. Je partage cette opinion, je crois que
de tous les arts, c'est celui qui me nourrit le plus immédiatement,
physiquement. Bien sûr, il y a la peinture, la littérature, le cinéma,
etc. mais la musique a quelque chose d'unique, lié aux sons et à leurs
propriétés. Pour moi, elle nous met en rapport avec l'indicible.
Précisément ce que les mots ont parfois peine à... dire! Et ce n'est
sans doute pas un hasard si la musique est si souvent utilisée par
toutes les religions ou spiritualités. Si j'ai choisi la Messe en si,
c'est aussi pour rendre hommage à Bach et à sa formidable capacité
d'illustrer musicalement sa foi en Dieu; sa musique témoigne,
elle chante mieux qu'aucune autre un espoir fou, celui que notre vie a
un sens qui nous dépasse.
— Tous les personnages du livre ont quarante ans et sont en quête de sens ? Est-ce la fameuse crise de la quarantaine?!
—
Oui, on peut dire cela comme ça (d'ailleurs Isabelle évoque cette
crise, même si elle en sourit), même si je pense que les crises
n'attendent pas les chiffres ronds pour s'annoncer. Mais si tout va
bien., ça ne fait pas un roman, n'est-ce pas? Il est tjs plus
intéressant de montrer des personnages en train de se remettre en
question, de douter, de chercher.
— Les
hommes, dans votre livre, sont souvent des ombres qui passent. Comme ce
chef d'orchestre qui fascine par ses gestes et son mystère? —
Effectivement, les hommes ne sont vus qu'à travers les personnages
féminins dans ce roman. C'est un choix, car un des sujets du livre, ce
sont précisément les rapports hommes-femmes et je trouvais plus juste,
plus honnête, d'en parler du côté que je connais, que je maîtrise, à
savoir celui des femmes ! Voilà pourquoi on ne suit aucun homme en
focalisation interne. Cela dit, les personnages masculins jouent un
rôle immense dans cette histoire. Ils sont sans cesse présents dans les
pensées des héroïnes. Le chef, Gianni Orsini, symbolise le séducteur,
celui qui s'impose dans une vie, qui la bouleverse de fond en comble.
— Les musiciennes sont-elles toujours fascinées par le chef d’orchestre?!
— Il est clair qu'un chef d'orchestre, de par sa position de pouvoir,
exerce un attrait sur ceux — et surtout celles — qui dépendent de son
autorité (on connaît bien le principe!), et ce d'autant plus s'il est
compétent et qu'à ses qualités propres s'ajoute le charme de la
musique. C'est un mélange explosif! Mais au-delà de ça, je
voulais symboliser par ce personnage essentiellement absent
l'importance des manques qui nous construisent et nous font avancer.
Chacun cherche, plus ou moins assidûment, avec plus ou moins
d'intensité suivant les moments de sa vie, mais personne (du moins me
semble-t-il) ne peut se prétendre complet, abouti. Les jeux de
séduction tournent souvent là autour et si l'on s'y précipite avec tant
d'ardeur parfois, c'est souvent parce qu'on espère y trouver une forme
de réponse. Mais cette réponse, souvent, fuit encore plus loin. C'est
ce que vont vivre plusieurs de mes héroïnes dans le roman.
Heureusement, peut-être, car la quête se poursuit...
JEAN-MICHEL OLIVIER, http://jmolivier.blog.tdg.ch/
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Les secrets de la Messe en si
Gianni Orsini, chef d’orchestre autour duquel tourne l’intrigue
principale du roman, a comme suspendu son «geste». Sa disparition
laisse perplexe son entourage, parmi lequel les cinq héroïnes, qui ont
toutes quelque chose à voir avec lui (musique, amour, rencontre de
hasard…) et qui ont toutes à voir les unes avec les autres. Il y a donc
Gianni, il y a Marianne, Isabelle, Tatiana, Katalin, Béatrice, et il y
a Jean-Sébastien Bach, dont l’œuvre est «si puissamment rassurante», et
envers qui Béatrice, entre autres, «se sent transportée de
reconnaissance».
Le roman de Catherine Fuchs, elle-même musicienne, est un concert. Les
mots, «miraculeux assemblages qui exaltent le banal et disposent le
merveilleux à hauteur d’homme», et les notes, qui n’expliquent rien
mais dont la combinaison peut éclairer bien des choses, développent le
même récit, suivent la même structure: celle de la fameuse Messe en si,
avec ses cinq parties auxquelles correspondent les cinq sections du
livre: Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei.
Le concert donné en la cathédrale de Genève est la caisse de résonance
des souvenirs, des sentiments, des questionnements des protagonistes,
interprètes ou auditrices, pour lesquelles les mots, dits ou tus,
forment une chaîne traçant une continuité de l’une à l’autre.
Continuité complexe, faite d’anticipations et de retours en arrière, de
mouvements et tonalités divers, de reprises thématiques, par lesquels
le lecteur, ne maîtrisant plus rien, ne peut que se laisser guider,
comme par la musique. Celle-ci permettra-t-elle de lever les
mystères, celui de la disparition de Gianni comme ceux que chaque femme
recèle en elle? Au contraire, en augmentera-t-elle la puissance? En
tout cas, elle contient tout ce qui fait la vie, et ce que Marianne,
chantant son dernier solo sur «Miserere nobis», évoque en son
inconscient: «Prends pitié de toutes ces ébauches, de ces
réconciliations impossibles, de ces amours inavouées, de ces timides
amitiés, de ces jugements si vite définitifs; regarde ces dévouements
admirables, ces haines dévastatrices, ces promesses tenues, ces
reniements quotidiens».
JEAN-PIERRE LONGRE, http://jplongre.hautetfort.com/archive/2010/09/06/les-secrets-de-la-messe-en-si.html
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Dialogues en musique
Catherine Fuchs met l’amour en musique. La Messe en si
(BWV 232), l’un des sommets de l’œuvre de Bach, rythme la puissante
fugue de vie que tissent les personnages du roman. Ce qui peut
apparaître d’abord comme un patchwork compliqué et plus subtilement
tout un art du contrepoint romanesque. Marianne, l’un des personnages
pour la plupart féminins et dans la quarantaine, doit chanter dans la
cathédrale mais ne trouve de prime abord ni la motivation ni l’énergie,
avant tout absorbée par l’évocation d’un vécu charpenté d’amitiés
intenses et traversé de relations passionnelles. Les autres femmes qui
déroulent cette partition existentielle, toutes conviées à ce concert,
ont également maille à partir avec les errements de la vie parfois
vache, auxquels le roman donne forme et sens. Cela enfle peu à peu en
un long fleuve tout sauf tranquille qui s’achemine vers son estuaire
d’acceptation. La tonalité de cette messe exprime à la fois la
célébration et le recueillement, parfois la révolte. Car les deuils et
les ruptures jalonnent également le parcours de ces femmes qui se
livrent à l’exercice impitoyable du bilan existentiel. Et c’est là la
grande réussite du roman: les dialogues. S’expriment et communiquent
entre elles des voix, chacune portant la marque et l’intensité d’une
individualité propre, tel un instrument. Et ces voix se distinguent
par leur discours analytique et émotionnel où percent des tempéraments
bien définis. Cela pourrait former une symphonie, mais le terme de
fugue convient mieux pour poursuivre l’analogie musicale; tensions et
apaisements, conflits, loyautés et instants de réconciliation – mais
aussi l’irréparable – donnent à ce beau roman une temporalité et un
rythme d’alternances qu’il serait sans doute intéressant d’analyser
plus à fond.
JEAN-RAYMOND TSCHUMI, Les lettres & les arts
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