Dans Beau à vomir, le poète Julien Berri réinterroge le problème des apparences qui le hante depuis son premier texte en prose Je mange un boeuf
(L’Aire, 2001). À travers quelques récits très ramassés qui composent
une sorte de conte à la fois très réaliste et fantastique, il développe
une vision assez pessimiste de notre civilisation qui contraint chacun
à un culte de soi, à la solitude, à une provocation permanente d’un
désir toujours proche de l’épuisement. De fulgurantes évidences
poétiques portent parfois ces textes à incandescence et émeuvent, même
si les personnages auraient gagné en profondeur si davantage de liberté
leur avait été laissé par l’auteur.
FRANÇOISE DELORME, Viceversa littérature
Histoires
de jalousies, d’amours défuntes ou de désirs improbables, toutes ces
vies se heurtent un jour à Ralph, «beau à vomir», dont la présence indifférente sert de révélateur à leurs drames.
Le style est précis, glaçant, et sait décortiquer jusqu’à la cruauté les
efforts des personnages pour chercher un remède à leur solitude. Sa
retenue même le rend plus efficace et plus inquiétant.
C’est intéressant, bien écrit… et parfaitement démoralisant comme à chaque fois qu’on regarde l’existence de trop près.
JULIETTE DAVID, Le Messager suisse
Dans
ces six récits, des personnages en quête d’amour rencontrent un garçon
beau à vomir. Il est le miroir dans lequel chacun voit se refléter ce
qu’il désire: un leurre fantastique, un piège à guêpes rempli de sirop.
Leur désir inassouvi et leur solitude sont creusés par une écriture
cruelle, tantôt baroque ou ironique, qui ne laisse pas le lecteur
indemne.
Les histoires: il y en a cinq plus une qui, distillée à
petits coups, tient le texte ensemble. Elles racontent des rencontres
ratées, des illusions cruelles, dont celle de la beauté, des distances
abyssales («Elle ne souvenait pas qu’il avait ce profil», Pascale de son mari avec lequel elle a passé vingt ans).
La mort se révèle plus miséricordieuse que la vie. Cela se passe ici et
maintenant au royaume du Botox, du tatouage et de Madonna.
Ce qu’on en pense: L’auteur de ce roman Beau à vomir, c’est Julien Burri, journaliste à Femina. Nous avions recensé – et encensé –, son roman Poupée.
On retrouve ici la grâce de son univers glaçant. Cette exploration du
désir dans différentes relations et situations était un sacré pari.
Résultat, on est pris dans un tournoiement de sensations et de
sentiments. Et si certains ne sont pas agréables, ils interpellent
toujours.
LOYSE PAHUD, Femina
Les livres de poèmes de Julien Burri emportent mon adhésion
dès le premier mot et justifient ainsi l’estime et l’admiration qui me
poussent à désirer les faire connaître et reconnaître par le plus grand
nombre de lecteurs. Beau à vomir, son dernier livre, un ensemble de
récits en prose, me donne l’occasion d’essayer de comprendre pourquoi
depuis Je mange un bœuf
(L’Aire, 2000), les œuvres en prose de cet écrivain trouvent en moi
moins d’échos et me laissent toujours en partie déçue. C’est souvent,
il est vrai, le fait des écrits romanesques de poète.
Cet ensemble qui finit par ne faire qu’une seule œuvre bien nouée mêle
deux voix. L’une, cruelle, écrite sur le mode fantastique (et en
italique), développe une sorte de conte moral en fragments qui possède
beaucoup de force et se suffirait presque à lui-même pour rendre
sensible toute une réflexion, plutôt douloureuse et ironique, sur la
vanité des apparences, sur l’obsession mortifère de la beauté et de la
recherche de sa conservation, sur la difficulté d’être, et aussi une
méditation pressante sur l’impossibilité d’avoir à rendre compte avec
des mots de ce qui disparaît sans cesse, et n’existe peut-être pas.
L’autre voix, plus réaliste, inscrit cette fable intemporelle dans la
vie contemporaine du consommateur moyen, soumis à des craintes plus ou
moins cruciales, aimant, mangeant, dormant, baisant. Claire et sans
fioritures, elle raconte des moments de la vie de personnages gouvernés
par des désirs violents et des rêves factices qui les orientent dans la
vie, rester jeune, briller dans le regard d’un autre, assouvir une
pulsion, ressembler à Madonna… Les élancements douloureux de l’autre
voix, celle merveilleuse, surgissent et se souviennent de la puissance
évocatrice des contes: «Même avec la lumière vive et le miroir
grossissant de la salle de bains, on ne décèle rien. Pascale se trouve
belle, plus belle aujourd’hui qu’à vingt ans. Peut-être qu’elle ne
devrait pas le penser. Elle se souvient d’un conte qu’on lui racontait
enfant, l’histoire de bijoux qui se transformaient en ronces si la
femme qui les portait ne les méritait pas. Ou d’une pluie d’or qui se
transformait en goudron.» Tous ces récits éveillent nombre de souvenirs
de contes, effectivement, qui rapportent avec eux la puissance
énergique et envahissante des imaginations enfantines.
Animés par le désir de désirer et d’être désirés, ces personnages
développent tous, même le trop beau jeune homme froid Ralph qui
traverse tous les récits, un étrange sentiment de soi, comme s’ils se
dissolvaient, tel Narcisse, à force d’hypertrophier leur désir de se
sentir exister, étrange paradoxe qui résonne juste sous la plume de
Julien Burri, dont le style si dépouillé convainc souvent.
Curieusement, la très grande crudité de la description des phénomènes
des désirs relationnels, sexuels, mais aussi sensuels et amoureux, qui
donne à ressentir jusqu’au frémissement du moindre poil sur la peau, ne
rend pas les personnages vraiment vivants, comme si un mouvement
personnel leur manquait, comme s’ils ne s’étaient pas encore
complètement détachés de leur auteur. Celui-ci ne leur aurait pas
laissé l’entière liberté nécessaire de se déplacer dans ses mots, ils
ne pourraient dès lors nous dire tout ce qui leur brûle les lèvres. La
nudité de leur faim – dans laquelle se distingue mal le désir de manger
de celui d’être mangé, ne touche pas, parfois semble un peu convenue,
comme si elle se soumettait à une mode littéraire qui consiste à croire
plus vraisemblable une description clinique et sans affectivité, sans
réelle subjectivité mise en jeu. Faim de soi, faim de l’autre, faim de
vie qui est la vie même, si puissamment évoquée dans chacun des poèmes
de Julien Burri dès qu’il assemble ne serait-ce que quelques mots en
suspens sur une page fragile. C’est peut-être là défaut de poète que de
ne pas toujours savoir faire prendre corps à des personnages, défaut
qui va s’effaçant peu à peu, me semble-t-il, à chaque nouvelle
parution. La vie des personnages ne semble pas assez tenaillée, par
leur douloureuse condition mortelle, aussi menaçante et menacée que
celle des hommes vivants. Il manque ici, et c’est encore un paradoxe,
une dimension historique, politique, interindividuelle,
transindividuelle quoique toutes ces directions soient, il est vrai,
prises en charge par la tournure morale que prend le conte. Mais c’est
réduire le champ d’interprétation du lecteur qui n’entend pas de
résonances dans les petits récits de la vie ordinaire.
Et la présence de marionnettes en papier découpé sert en revanche à
merveille le conte moral qui finit par envahir peu à peu chaque récit
et par leur insuffler en retour la riche dynamique qui emporte le
lecteur à travers des mues successives et très émouvantes jusqu’au
constat implacable de l’impossibilité d’une fusion avec le monde,
jusqu’à l’aveu d’un échec: on ne peut arrêter le temps, on ne
peut rien amasser pour se protéger de la destruction progressive des
relations, des élans, pour protéger la vie mouvante de la beauté, pour
clore la vie sur elle-même. Et même la mettre en bocaux après l’avoir
fait cuire pour qu’elle «prenne» enfin une consistance
durable restera probablement sans effet. Pire, ce geste de conservation
aura des effets dévastateurs. Devenu immobile, même l’air transparent
et immatériel blessera la chair si exposée et ne renverra que de
multiples fragments d’images, vains eux aussi, facilement solubles dans
le temps: «C’est le soir. Il n’y a plus de chant d’oiseau, plus de vent
dans les arbres. L’air se cristallise puis se fissure comme du verre
Securit, myriade de petits glaçons en suspension qui vont s’abattre sur
le sol. […] On entend grincer la balancelle. Le jardin disparaît, se
vide comme une baignoire. Une bonde est ouverte, loin dans le passé, et
le monde s’y engouffre.» Aucune construction, même esthétique, ne peut
emprisonner la pulsation vitale, son mouvement, sa beauté. Plus encore,
tout geste de conservation serait un geste destructeur, frappé d’une
sorte de malédiction originelle, désespérante.
Pourtant, la trace légère et invérifiable d’un souvenir sans ambiguïté
pousse celui qui écrit à continuer un chemin de mots souvent
labyrinthique, à composer des personnages dont il sait qu’ils ne
tiendront pas leurs promesses, à se laisser terrasser par la Beauté.
Devenue un mythe monstrueux, exigeant, sexué et vorace, qui ne pourra
prendre ni forme, ni figure, sauf celle d’un personnage de rêve, elle
reviendra relancer sans cesse l’écrivain: «La seule constante était le
tatouage qu’elle portait sur le sexe, encore que son dessin fût
impossible à démêler. La femme s’impatientait, le suppliait de finir.
Elle venait le hanter pendant son sommeil pour lui dicter le roman.
Au réveil, il avait tout oublié. Il se souvenait juste qu’elle était
venue et qu’elle l’avait rendu heureux.»
Le garçon qui révélait les désirs
«Beau à vomir». L’expression vient de Belle du Seigneur d’Albert Cohen. Elle pourrait aussi s’appliquer au Théorème
de Pasolini. C’est le titre des récits de Julien Burri. Six variations
du même thème: un garçon «beau à vomir» révèle les désirs et les
fantasmes, les failles de celles et ceux qu’il croise, indifférent.
Écriture précise, sans fioritures, avec parfois une pointe d’ironie. Et
un subtil réseau de correspondances entre les différents récits, la
plus repérable étant l’évocation des clips de Madonna! Le tout est
étrangement entrecoupé d’un autre récit, celui de Bella, la petite
fille. Des souvenirs suspendus dans le temps improbable. Bref un livre
«atmosphérique» dont certaines pages sont agréablement troublantes.
JACQUES STERCHI, La LibertéHaut de la page
Loïc ne désire plus Pascale, qui se tue en montagne. Le dandy
Dorian renaît de prendre la chair fraîche du jeune Caryl dans ses
filets. À la piscine, Ralf obsède Boris, qui crée un avatar à son image
dans un jeu vidéo pour mieux le manipuler. Un critique d’art au corps
tatoué tente de capturer ainsi la Beauté sur terre.
Placé sous le signe d’Albert Cohen – «Toute cette beauté au cimetière
plus tard (...)» – et d’André Gide – «(...) ce que l’homme a de plus
profond, c’est sa peau» –, la nouvelle fiction de Julien Burri se lit
comme une suite de récits ramassés et souples dont les personnages,
liés les uns aux autres, jouent au jeu du chat et de la souris!
Il y a entre les lignes des corps nus et beaux, de la peau douce se
consumant dans un ince! ndie, des cadavres. Observateur aguerri des
parades amoureuses contemporaines, le regard impitoyable, les mots crus
et tendres, Julien Burri écrit les corps, leur odeur, leur texture,
avec une gourmandise infinie et vaguement écœurée, comme d’avoir trop
humé. Reste la danse toujours recommencée des regards et des destins.
ISABELLE FALCONNIER, L’Hebdo
«Belle du Seigneur a changé ma vie»
(…) «Beau à vomir» est une expression qui vient tout au début du livre. Albert Cohen laisse entrevoir très vite la morbidité de Solal. Pendant l’écriture de Beau à vomir,
j’avais sur mon bureau une photo de Madonna sur scène, en plein
concert. Le micro tout petit qu’elle portait lui faisait comme une
verrue sur le visage. Son corps, musclé, travaillé, semblait
douloureux, artificiel. Son corps ressemblait à un écorché. Il était
effrayant. J’avais aussi une autre image: celle d’une Ève médiévale à
deux faces, l’une jeune, l’autre grimaçante.»
LISBETH KOUTCHOUMOFF, Le Temps
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