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Au nom du feu est certes
un roman de Pierre Béguin, mais il est fortement inspiré de notes de
son narrateur, Alfred Luginbühl (1918-1995), prises peu avant sa mort.
Il y a deux périodes racontées en alternance dans ce récit: de 1925 à
1942 d'une part, de 1942 à 1946 d'autre part, la première période
expliquant la seconde, progressivement.
Le point d'inflexion des deux périodes est le 8 mars 1942, où, en
uniforme de lieutenant, Alfred déserte la Suisse pour rejoindre la
Waffen SS afin de combattre le communisme.
Entre 1925 et 1942, des événements très personnels expliquent pourquoi
il a pris cette décision, l'élément déclencheur étant, à son début, sa
récupération par sa mère naturelle.
À sa naissance, Rosa, l'a placé dans une famille adoptive, sa vraie
famille, celle qui l'a élevé. Elle le récupère non pas par instinct
maternel, mais pour en faire un domestique.
Il quitte donc Merliguen, canton de Berne, pour Montreux, canton de
Vaud, où sa mère puis son beau-père lui infligent des sévices corporels
qui nourrissent sa révolte et sa haine.
À partir de 1942, Alfred, qui a tout de suite déclaré ne jamais vouloir
combattre contre son pays, se bat avec les troupes allemandes en
Finlande contre les troupes soviétiques.
Les combats sont rapportés avec un grand luxe de détail, de même que
les captivités, lors desquelles se révèle la vraie nature des hommes,
qui n'ont pas tous son sens de l'honneur.
Alfred a un grand instinct de survie, sans doute parce que son
adversaire est à sa taille: lui-même. Face aux enfermements, il aura
multiplié d'abord les fugues, puis les évasions.
La personnalité d'Alfred est complexe, mais il réagit face à ses
malheurs en apprenant de ses échecs et en comprenant qu'on ne peut être
libre qu'en se pardonnant à soi-même.
Blog de FRANCIS RICHARD
La malédiction de l’abandon
Inspiré par la destinée d’un
déserteur de l’armée suisse parti rejoindre les forces allemandes en
1943. L’écrivain genevois signe un roman captivant, entre documentaire
et fiction.
En vingt chapitres couvrant la
période 1924-1945, Au nom du feu retrace l’enfance et l’adolescence
d’un jeune lieutenant suisse qui choisira de déserter pour
rejoindre les rangs de la Waffen SS où il servira sur le front russe.
L’auteur genevois Pierre Béguin – dont le style réaliste ne dédaigne
pas l’imparfait du subjonctif – alterne le récit des événements de la
vie d’Alfred Luginbühl en Suisse et de ceux vécus sur le front de
l’Est. Il décrit notamment les souffrances du jeune homme dans un camp
de prisonniers russes après la défaite de l’Allemagne, jusqu’à
l’évasion qui le ramène en Suisse. L’auteur, qui affectionne les
personnages ordinaires aux destins extraordinaires, signe ici un roman
captivant. Interview.
La Liberté. Vouliez-vous, en
décrivant les malheurs de Luginbühl durant son enfance et son
adolescence, réhabiliter celui qui choisit le camp nazi pour combattre
le bolchevisme?
Pierre Béguin. Un
romancier ne doit pas juger ses personnages, mais s’efforcer de les
animer dans leurs complexités. «Réhabiliter» suggère que je pense mon
personnage innocent. Or, ce que je veux, c’est que le lecteur comprenne
son geste à travers l’enchaînement des circonstances de la vie.
Le petit Luginbühl est littéralement expulsé du paradis, puisqu’il va
être repris par sa mère biologique qui l’avait abandonné dans une ferme
proche du lac de Thoune, dans une famille qu’il croyait la sienne.
Cette femme qui vit à Montreux voit un article relatant comment
l’enfant qui poursuivait un papillon avec son filet a failli se noyer.
Elle récupère alors Alfred chez elle et le traite en domestique, battu
au moindre faux pas par son beau-père communiste.
La Liberté.
Votre personnage l’affirme «Si je n’avais pas été en guerre contre moi,
jamais je n’aurais même songé à faire la guerre.» Avait-il besoin d’un
cadre?
Pierre Béguin. Exact! Comme pour Josette Bauer, la condamnée parricide de mon précédent livre (La Scandaleuse Madame B.),
c’est la parentalité défaillante qui est au cœur du destin de
Luginbühl, l’abandon. Une fois sorti de la maison de redressement,
alors qu’il a un emploi, il est quitté par celle qu’il aime. Nouvel
abandon qui ravive la blessure d’enfance.
Son histoire sera infléchie par l’Histoire, à savoir la Seconde Guerre
mondiale. D’abord la Carélie où, grâce à l’alliance opportuniste signée
par la Finlande et l’Allemagne contre les Russes, on l’envoie récupérer
les territoires finlandais annexés en 1940 par l’URSS, puis la Russie
où il est déporté après le retournement des Finlandais qui rejoignent
les Alliés en 1944.
La Liberté. Dans votre roman, où s’arrête le documentaire, où commence la fiction?
Pierre Béguin. J’ai lu
les notes qu’Alfred Luginbühl a prises pendant cette période et que m’a
remises son fils. Elles fourmillent de détails sur le quotidien, mais
elles ne sont pas le fait d’un écrivain. Pour nourrir le récit, j’ai
donc inventé des situations, des descriptions, des dialogues, des
personnages, dont certains, par leur humanité, font contrepoids à la
violence des événements qu’il traverse. En fait, j’a axé mon roman non
pas sur des scènes de guerre (seuls deux chapitres racontent les
combats) mais sur les conséquences de cette guerre, destructions
systématiques, épidémies, famines, vols, viols, etc.
La Liberté. On sent en vous lisant que la nature et les animaux souffrent aussi de la guerre…
Pierre Béguin. Je tenais
beaucoup à les intégrer, en effet. Comme Luginbühl est un enfant de la
campagne, il est particulièrement réceptif à cet aspect trop souvent
oublié de la guerre. Pour avoir lu beaucoup de livres de guerre, et vu
beaucoup de documentaires, je peux vous affirmer que le sujet des
animaux victimes de la guerre n’est presque jamais abordé. C’est
peut-être aussi un élément original de mon roman, dont le héros est un
garçon qui aurait pu vivre tranquille dans sa ferme s’il n’avait pas
été piégé par un filet à papillon.»
GENEVIEVE BRIDEL, La Liberté
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Un Suisse dans la Waffen SS
En 1942, Alfred Luginbühl traverse la frontière franco-suisse pour rejoindre l’armée allemande. Dans Au nom du feu, l’écrivain genevois Pierre Béguin raconte l’histoire vraie de ce jeune homme qui a pris la violence pour boussole.
Il a fait partie des 2'000 Suisses – militaires et civils – à rejoindre
les forces du Troisième Reich. Alfred Luginbühl avait 24 ans. Il
sortait d’un chagrin d’amour, après une enfance et une jeunesse
difficiles. Au sein de la Waffen SS, il va combattre en Carélie, sur le
front russe. Dans Au nom du feu, l’écrivain genevois Pierre Béguin retrace ce destin hors du commun. Avec la rigueur de l’historien et le souffle du romancier.
Le livre, en effet, est estampillé «roman». Il en a les contours et les
élans. La fiction, comme souvent, permet ici de combler les manques du
récit. À sa disparition en 1995, à 77 ans, Alfred Luginbühl a laissé
des notes autobiographiques «dans le but d’écrire ses mémoires», lit-on
dans la postface. Un de ses fils les a confiés à Pierre Béguin.
Ces carnets ne pouvaient tomber en de meilleures mains. L’auteur de Condamné au bénéfice du doute
(fondé sur l’affaire Jaccoud) aime s’appuyer sur le réel et apprécie,
en particulier, les trajectoires qui dévient. Ces personnes ordinaires
que le destin entraîne sur des chemins inattendus. Outre l’histoire de
la condamnation pour meurtre de Pierre Jaccoud en 1960, il s’est par
exemple intéressé à l’incroyable parcours de Josette Bauer (La scandaleuse
Madame B), qui a
intrigué Truman Capote. En fin connaisseur de l’Amérique du Sud, il a
aussi tiré deux romans du même fait divers survenu en Colombie en 1992 (Joselito carnaval en 2000, Et le mort se mit à parler en 2017).
Deux récits alternés
Avec Au nom du feu, Pierre
Béguin poursuit donc sa réflexion sur la destinée humaine. Sur ces
événements ou ces moments qui dérèglent les rouages. Pour Alfred
Luginbühl, tout débute après quelques années d’enfance insouciante, au
bord du lac de Thoune. Un jour, après avoir failli se noyer, il apprend
que ses parents, si aimants, ne sont pas ses vrais parents. Il a six
ans. Sa mère biologique revient le chercher. Début de ses malheurs.
Pierre Béguin articule son roman en deux récits alternés. Le premier
commence le 8 mars 1942, quand Alfred Luginbühl franchit la frontière
franco-suisse au Suchet, entre Vallorbe et Sainte-Croix. Il déserte
alors l’armée suisse, où il a le grade de lieutenant, pour rejoindre la
Waffen SS.
Le second récit suit l’enfant puis l’adolescent malmené. Les deux
histoires vont finir par se rejoindre. D’un côté, l’horreur de la
guerre, en Finlande, face aux Russes. De l’autre, une jeunesse
violentée, d’abord dans son nouveau foyer, à Montreux, puis aux
Croisettes, une maison de correction sur les hauts de Lausanne. Envoyé
là-bas en 1933, Alfred Luginbühl subira, une nouvelle fois, les coups
et les humiliations.
Le Führer, image du père
Dans ces lieux sordides, sa vie continue de dériver. «Par une sorte de
romantisme propre à l’adolescence, il me semblait alors impossible de
donner un véritable sens à ma vie sans le faire d’abord passer par la
souffrance, écrit Pierre Béguin. La violence subie prenait ainsi toute
sa signification, comme si, à l’instar d’une boussole, elle me montrait
la direction à prendre.»
À l’évidence, Pierre Béguin ne cherche pas à excuser ni à juger. Son
livre s’intéresse à l’humain, avec ce qu’il comprend de côtés sombres.
Le jeune Alfred se retrouve dans une spirale de maltraitance et
d’incompréhension. Quand il retrouve la liberté, «après douze ans de
régime carcéral, à Montreux et aux Croisettes», il se sent désemparé.
Avec en lui «une charge de violence que des années de sévices corporels
avaient nourrie».
Après une déception amoureuse, il décide de franchir la frontière, afin
de «lutter contre le communisme». Telle est sa principale motivation,
ajoutée à une fascination pour le Führer: «[Il] incarnait à mes yeux,
l’image du père de la patrie telle que je l’imaginais idéalement, forte
et tutélaire, une image qui avait cruellement fait défaut à mon
adolescence.»
La Shoah, en revanche, n’apparaît pas dans le roman, si ce n’est en
arrière fond furtif: à la fin de la guerre, Alfred Luginbühl, libéré de
son camp de prisonniers, voit passer d’anciens déportés, «silhouettes
hâves et déguenillées». Pour le reste, le soldat suisse traverse le
conflit apparemment sans avoir conscience de cette horreur-là.
«J’y suis allé tout seul»
Blessé, prisonnier, évadé, ce jeune homme emporté par le tourbillon de
la guerre connaît son lot d’atrocités. Pierre Béguin les raconte avec
force détails en s’appuyant aussi bien sur les faits historiques que
sur son sens de l’image qui frappe. Il évoque, par exemple, le «silence
livide» et «unique au monde» qui suit un bombardement. Ou le bruit des
pas: «On n’entendait plus que le léger craquement des semelles sur la
neige, semblable à un grincement de dents.» Et «l’odeur grasse et
sucrée des poux», les pieds gelés, la faim… La guerre, monstrueuse.
À son retour en Suisse, Alfred Luginbühl mènera une vie paisible, après
avoir purgé une courte peine de prison pour «désobéissance aux
autorités militaires» et «service militaire étranger». Sous la plume
affûtée de Pierre Béguin, il reste droit, dans ses souffrances comme
dans ses erreurs: «Si les hommes sont toujours prompts à s’attribuer
les mérites de leurs lauriers, ils admettent difficilement les torts
dans leurs échecs. Moi, j’assume sans retenue avoir été le principal
artisan de mes malheurs. Je suis allé voir dans les recoins les plus
sombres de la vie. J’y suis allé tout seul. Personne ne m’y a poussé.
Regretter n’aurait aucun sens.»
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
«La guerre n'est jamais une histoire entre des gentils et des méchants»
Au journalisme, Pierre Béguin a préféré l’enquête romanesque. Après La Scandaleuse Madame B., il tente de comprendre, dans Au nom du feu, ce qui a pu pousser un jeune soldat suisse à déserter pour rejoindre la Waffen SS sur le front russe.
Huit mars 1942: un homme de 24 ans, officier de l'armée suisse, chargé
de tout son barda militaire, gravit le versant suisse du Suchet, dans
le Jura vaudois. Son but: passer en France, de l'autre côté de la
montagne, et rejoindre la Waffen-SS pour aller se battre sur le front
russe. Côté français, un paysan ou un garde forestier, voyant ce soldat
suisse dévaler la forêt à grande vitesse, tente de le mettre en garde:
«Arrêtez. Monsieur! Ne descendez pas plus loin! En bas, il y a les
Boches...» Le jeune lieutenant Alfred Luginbühl ne s'arrêtera pas. Il a
fait le choix de déserter. Il a fait le choix de l’Allemagne.
Ainsi s'ouvre le nouveau roman de Pierre Béguin, Au nom du feu,
basé sur la véritable histoire de l'officier Luginbühl. Qu'est-ce qui
pousse un individu à faire bifurquer sa vie d'une telle manière? À
rompre avec son pays, sa famille? Qu'est-ce qui conduit à choisir le
mauvais camp? Ces questions sous-tendent de part en part ce livre
remarquablement construit qui offre des reconstitutions salsissantes
d'une enfance martyrisée dans la Suisse romande de l'entre-deux-guerres
puis une plongée plus vraie que nature sur le front est en Carélie,
dans un camp de prisonniers en URSS, puis sous les tapis de bombes
déversés par les Alliés sur les habitants de Berlin et de Königsberg.
Enfance paradisiaque
Pierre Béguin n'a pas choisi le récit chronologique des événements. À
la scène inaugurale de la désertion succède un retour à la petite
enfance paradisiaque d'Alfred à Merligen, au bord du lac de Thoune.
Tout le roman va progresser dans cette alternance entre les années de
guerre et celles qui ont précédé le basculement du côté de l'Allemagne
nazie. Le lecteur découvre ainsi comment la violence de la guerre est
apparue comme la seule issue pour expurger une somme inouïe de
violences endurées après avoir été brutalement arraché à sa famille de
Merligen alors qu'il avait 7 ans.
Cette violence va devenir institutionnelle lorsque l'adolescent sera
placé à 15 ans dans la Maison de correction pour mineurs des
Croisettes, à Vennes, au-dessus de Lausanne. Un centre de détention où
tout enfant jugé déviant (parents divorcés. enfants fugueurs, etc.) se
retrouve soumis à des travaux de forçats, des humiliations, des
passages à tabac. Grâce aux souvenirs précis qu'Alfred Luginbühl a
consignés dans un journal, c'est tout un passé, difficilement
concevable aujourd'hui, qui se déploie avec la force d'un cauchemar où
tout serait vrai: les surnoms des adultes bourreaux, les stratégies
pour recevoir les repas, les rituels, les brimades.
Littérature du réel, roman vérité: toute la carrière d'écrivain de
Pierre Béguin est placée sous le signe de l'enquête, qu'il s'agisse de
faits divers fameux ayant défrayé la chronique dans la Genève des
années 1950 ou de drames intimes qu'il a lui-même vécus. C'est au cours
d’une soirée chez des connaissances à Genève il y a quelques années
qu'il entend quelqu’un raconter être le fils d'un déserteur de l’armée
suisse ayant fait le choix de la Waffen-SS. «Tout écrivain entendant
cela ne peut que dresser l'oreille», explique-t-il dans un café de la
place Neuve.
Depuis la mort d'Alfred en 1995, le fils avait conservé les notes que
son père avait prises sur sa vie. «Il a noté une somme extraordinaire
de détails du quotidien, sur les Croisettes à Lausanne, sur ses
conditions de vie dans un camp SS en Carélie, sur le camp de
prisonniers où il a été amené en URSS. Il énonçait les faits mais ne
les racontait pas. Il ne dit rien sur les conditions de son évasion du
camp de prisonniers par exemple. Il écrit qu'en Finlande, il a tué un
officier allemand qui voulait appliquer une politique de la table rase
et tuer les civils. Alfred s'y est opposé. Mais il ne raconte pas
l'événement. J'ai comblé les trous. À partir d'une ligne de notes.
j’écrivais 60 pages», explique le romancier.
Le point de vue de l’autre
Il a aussi donné à Alfred l'épaisseur d’un personnage de roman: «Je
voulais comprendre comment quelqu'un peut être amené à faire un tel
choix. J'en ai fait un personnage qui évolue depuis les conceptions de
l’honneur, de la guerre, de l'ordre qu'il s'était construites.
L'expérience de la guerre va les déconstruire.» On fait remarquer à
Pierre Béguin que les passages où Alfred déambule dans Berlin détruit,
au milieu de civils hagards et en haillons, sont d'un réalisme, là
encore, impressionnant: «Le point de vue des Alliés prédomine sur la
Deuxième Guerre mondiale. Le point de vue allemand est ignoré ou
minimisé. Or la guerre n'est jamais une histoire de gentils d'un côté
et de méchants de l'autre. Quatre-vingts ans après la fin de la guerre,
on peut, je pense, s'intéresser au point de vue des civils allemands.»
Après de longs périples en Amérique du Sud, Pierre Béguin a fait toute
sa carrière professionnelle comme professeur de français au Collège
Calvin à Genève. «J'avais pensé au journalisme mais je craignais de me
retrouver aux chiens écrasés. Ce dont je rêvais, c’étaient les grandes
enquêtes! J'ai préféré les faire en tant que romancier», admet-il
aujourd’hui. Dans Condamné au bénéfice du doute
(Bernard Campiche, 2016), il plonge dans l’affaire Jaccoud, du nom du
grand avocat genevois condamné pour meurtre en 1960, un scandale qui a
ébranlé Genève et captivé les médias internationaux.
Des trajectoires qui bifurquent
Dans La Scandaleuse Madame B.
(Albin Michel, 2020), il revient sur une affaire concomitante à
l'affaire Jaccoud, l'affaire Josette Bauer, condamnée pour parricide.
Le procès, de nouveau, est très suivi. Truman Capote, qui venait
d'écrire De Sang-Froid, se
penche dessus. En vue d’un nouveau livre? Il ne sera jamais écrit mais
Pierre Béguin fait de Truman Capote un personnage central de La Scandaleuse Madame B.
imaginant une correspondance entre l'écrivain américain plusieurs
proches de Josette Bauer «la diabolique» comme la surnommaient les
journaux l'époque. «Genève a tout fait pour casser cette femme qui
n'entrait pas dans les codes moraux de l'époque. Josette Bauer, Truman
Capote, Pierre Jaccoud, Alfred Luginbühl: tous ont dévié du cours
normal de leur existence et tous ont souffert d'abandon dans l'enfance.
Ces trajectoires qui bifurquent me fascinent. Le réel dépasse alors la
fiction la plus échevelée.»
LISBETH KOUTCHOUMOFF ARMAN, Le Temps
Dernier livre de Pierre Béguin
L’histoire vraie d’un Suisse qui voulait servir le IIIe Reich
L’auteur de La Scandaleuse Madame B. évoque une autre destinée hors du commun dans Au nom du feu
L’écrivain genevois Pierre Béguin aime les destinées hors du commun.
Surtout celles qui ont un ancrage genevois ou tout au moins suisse
romand. Après Condamné au bénéfice du doute (2016), un ouvrage qui explorait l’affaire Jaccoud, et La Scandaleuse Madame B. (2020), consacré à la vie rocambolesque de Josette Bauer, voici Au nom du feu.
On y découvre l’existence d’un certain Alfred Luginbühl citoyen suisse
au passé tumultueux. Il choisit en mars 1942 de quitter son pays à pied
pour rejoindre l’occupant allemand outre-Jura et lui proposer de servir
sous la bannière du IIIe Reich. La motivation avouée d’Alfred réside
dans l’inaction imposée aux mobilisés suisses, dont il fait partie, et
à son désir de lutter sur le terrain contre le communisme.
Pierre Béguin s’est intéressé aux autres raisons d’Alfred Luginbühl,
celles que le déserteur n’avait sans doute pas analysées lui-même, car
elles sont étroitement liées à sa personnalité façonnée par un terrible
parcours de vie. L’auteur n’a pas cherché à disculper son personnage en
lui cherchant des excuses. Il s’est simplement passionné pour les
origines de la décision insolite de ce garçon de rejoindre les
Allemands.
Un projet effroyablement dangereux qui manque lui coûter plus d’une
fois la vie sur le front de l’Est. Pierre Béguin plonge le lecteur dans
l’enfance et l’adolescence désastreuses de cet homme abandonné à la
naissance, adopté par de bons parents nourriciers au bord du lac de
Thoune, repris à eux par sa mère biologique qui ne l’aime pas,
régulièrement battu par le mari de celle-ci, à Montreux où ce couple
diabolique vit avec lui.
Goût du détail réaliste
Alfred s’endurcit, fugue et fugue encore, la violence qu’il subit
devient banale pour lui. Le récit de cette détresse et du perpétuel
besoin de fuir qui en découle, occupe plusieurs chapitres entre
lesquels on découvre les aventures du soldat en Allemagne et en
Finlande, décrites avec une puissance d’évocation et un goût du détail
réaliste qui font honneur à Pierre Béguin. L’écrivain s’est documenté
aux meilleures sources pour donner vie à ses descriptions et nous
précipiter sans pitié dans le feu de l’action. Ses scènes de guerre
contre les Russe, ses récits de captivité et d’évasions, résonnent
particulièrement à l’heure où de telles horreurs se répètent sur le
front russe d’Ukraine.
Comment Pierre Béguin a-t-il découvert l’histoire vraie d’Alfred
Luginbühl? «Les hasards de la vie m’ont mis en présence de l’un de ses
fils. Après son retour en Suisse et une condamnation légère, l’ancien
déserteur avait fondé une famille à Genève où il a vécu jusqu’à sa mort
en 1995. La conversation est venue sur les notes qu’il avait laissées
sur sa vie. Son fils me les a confiées et je suis parti de là», confie
l’auteur de Au nom du feu.
BENJAMIN CHAIX, Tribune de Genève
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Lors de l’instruction ouverte contre Le lieutenant Alfred Luginbühl par
la justice suisse en 1947, il assuma son choix d’avoir combattu le
bolchevisme, tout en précisant qu’il n’avait jamais œuvré contre les
intérêts de son pays, qu’il n’avait jamais appartenu à un groupement
politique, ni exercé la moindre activité pro-nazie sur territoire
helvétique.
Le juge d’instruction, ne parvenant pas à prouver le contraire, renonça
à demander des compléments d’enquête. Et comme ni crimes de guerre,
tels que figurant dans le droit international, ni crimes contre
l’humanité, ni violation de secrets militaires, ni espionnage au profit
de l’Allemagne, ne purent lui être imputés, les deux chefs d’accusation
finalement retenus contre lui furent celui de «désobéissance aux
autorités militaires», en réalité le fait d’avoir franchi illégalement
la frontière, et celui de «service militaire étranger», interdit par la
loi suisse. Son passé d’avant désertion (une enfance plus que
malheureuse) plaidant pour son avenir d’après guerre, ces deux chefs
d’accusation ne lui valurent qu’une condamnation de douze mois
d’emprisonnement, une dégradation et une exclusion de l’armée, ainsi
que deux ans de privation de ses droits civiques.
Ce dernier bénéficia d’une libération conditionnelle après huit mois, et fut finalement amnistié.
Il s’installa alors à Neuchâtel, toujours en tant que jardinier, et
enfin à Genève où il devint secrétaire syndical de la Fédération
Ouvrière du Bois et du Bâtiment (FOBB), activité qu’il exerça durant
dix-huit ans, défendant et aidant les ouvriers de toutes nationalités.
Il se murmurait même, dans son entourage, qu’il avait pris sa carte du
parti communiste, ce qu’il nia toujours avec véhémence. De son mariage
en 1953 naquirent trois fils.
Alfred Luginbühl mourut en 1995 à l’âge de soixante-dix-sept ans. Peu
avant sa mort, il avait commencé à compiler des notes dans le but
d’écrire ses mémoires, des notes qui ont finalement inspiré ce récit.
Il fut l’un des deux mille Suisses, militaires ou civils, la plupart
double nationaux ou Suisses de l’étranger, à s’être engagés aux côtés
des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Il fut surtout, selon
les estimations des historiens, l’un des deux cent mille volontaires de
tous les pays à avoir franchi clandestinement des frontières pour se
rallier aux forces du Troisième Reich.
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