Ambre et Lune, d’Anne-Claire Decorvet
«La Chose est entrée chez nous dans les derniers jours de juin:
répugnante, innommable... Et dès le premier instant je fus inapte à lui
donner son nom. C'était un soir de peur, un soir d'alerte. Un soir que
je n'ai jamais oublié.»
Ambre Amaury accepte finalement de répondre aux questions d'une
étudiante, rencontrée au musée, lors de la rétrospective consacrée à
son oeuvre, intitulée Encres d'une vie.
Sur le moment, elle lui a menti. Elle lui a dit qu'il n'y avait pas eu
d’«événement fondateur» à son inspiration, alors que «l’arrivée de la
Chose», quand elle avait dix ans, le fut, justement:
«N’est-ce pas depuis ce jour précis que tu dessines et peins sans
répit, poursuivant ton trait de feuille en feuille comme un allumé
court après l’opium.»
Aujourd'hui, quelque cinquante ans après, elle en raconte la genèse à
l'étudiante (qui a une grande faculté d'écoute et qui l'enregistre) et
lui restitue le monde dans lequel elle vivait.
Les allées et venues de chacun y étaient surveillées; quand les sirènes
retentissaient, les gens devaient rentrer chez eux; les parents
n'étaient autorisés à n'avoir qu'un enfant.
La mère d'Ambre était, semble-t-il, une cible particulière; elle
recevait régulièrement des lettres comminatoires de la Préfecture, qui
lui envoyait un émissaire pour l'intimider.
Sa mère avait caché la Chose dans un coffre et ne voulait pas s'en
débarrasser en dépit de ses supplications: Ambre ne pouvait pas mesurer
à quel point elle lui était attachée...
Son amie Lola, qui, maintenant, vit sous son toit, s'étonnait alors de
sa naïveté. À plusieurs reprises, elle l'avait mise en garde parce
qu'elle se croyait libre, en n'étant pas «pucée».
En effet, en raison d'une allergie au «micronium», elle avait été
dispensée de cette opération. Restaient les caméras, mais elle avait
appris qu'inactives, ce n'étaient que des leurres.
Les yeux d'Ambre, qui parcourt ce monde pour le découvrir et alimenter
sa «fabrique à dessiner», se dessillent peu à peu, mais insuffisamment
pour réaliser jusqu'où aller trop loin...
Ambre et Lune, dont le
titre ne s'explique qu'à la fin, met en parallèle le récit de la
naissance de l'artiste, cinquante ans plus tôt, et celui où elle se
livre à l'étudiante mésestimée.
Dans le monde totalitaire d'alors, ce n'est pas le talent d'Ambre qui
apportera du malheur, mais la paranoïa des Grands qui voient partout
des complots et règnent par la peur.
Aussi, ce que la narratrice dit de la peur, à propos de l'étudiante,
apeurée par la présence du chien adopté par Lola, a-t-il une portée
beaucoup plus générale que dans le cas particulier:
«Elle est haïssable, la peur, bien davantage que la mort en face ou la
folle témérité, car elle ronge l'âme et la détruit peu à peu, comme une
eau lime la pierre en un millier d'allers et retours.»
De même la culpabilité que ressentent les victimes quand le malheur
survient ne doit-elle être imputée qu'aux bourreaux, qu'il faut savoir
fuir, pour survivre, avant l'engloutissement.
Blog de FRANCIS RICHARD
À
quoi ressemble la créature arrivée chez elle en secret? Ambre l’ignore.
Elle fuit cette Chose dont il lui faut taire l’existence et le nom, car
ce genre de créature n’a pas sa place dans le monde où elle vit.
Un monde asservi par un maître aussi lointain qu’absolu. Chacun se
soumet, sauf Ambre! À dix ans, elle s’évade toujours plus loin des
limites imposées. Mais un jour elle ira trop loin, ce sera la fin du
voyage.
Rebelle et téméraire, Ambre a payé chèrement sa liberté. Devenue
célèbre, une fois son monde écroulé, seul lui restera le dessin: la
création qui libère et l’œil de la Chose exposé sur les murs d’un musée
d’art.
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