camPoche 11


ELISABETH HOREM

Le Ring

Roman
2004. 192 pages. Prix: CHF 14.–
ISBN 2-88241-150-2, EAN 9782882411501

Prix Georges-Nicole 1994,
Prix 1994 de la Commission de littérature française
du Canton de Berne,
Prix Michel-Dentan 1995
Traduction allemande: Der Ring. Bâle: Lenos Verlag, 1996
Collection CH

Traduction allemande:
«Der Ring»
Traduit par Markus Hediger.
Bâle: Lenos Verlag, 1996.
Collection CH

Traduction anglaise:
«The Ring»
Translated by Jane Kuntz.
Champaign, London, Dublin: Dalkey Archive Press, 2013.



Biographie


C'est bientôt le week-end. Des envies de lire?

L'équipe de Lire à Saint-Brieuc vous propose aujourd'hui le très, très grand coup de coeur de ses lecteurs masqués pour le premier roman d’Elisabeth Horem, Le Ring, publié en 1994, aux éditions Bernard Campiche (Suisse), et réédité en poche en 2015 dans la même maison.
C’est une langue hypnotique, envoûtante, qui accompagne la lente et inéluctable dérive de Quentin Corval – qui n’est pas sans rappeler le Meursault de Camus –, au travers d’une ville lointaine, imaginaire et vénéneuse. Tout est ici habilement distillé. Aucune scène n’est anodine et on s’attache d’autant plus à ce personnage déchirant qu’on pressent sa trajectoire sans pouvoir l’en détourner. Une très belle découverte...

Voici deux extraits de ce roman fascinant :

«Il ne faudrait pas se laisser distraire trop longtemps de cette petite faille noire qu’il y a au bout de la vie, pensait-elle. Elle est là, qui grossit un peu chaque jour, et la plupart des gens avancent vers elle à reculons. Et quand vient pour ceux ce jour prévisible entre tous, ils sont comme de petites bêtes encore palpitantes, posant sur le chasseur qui se penche leur oeil arrondi d’effroi, toutes surprises d’avoir vu leur course interrompue.» Pages 66-67

«Il préférait imaginer qu’à la poupe, appuyé au bastingage, il verrait un moment encore l’image de Tahès se débattre dans sa mémoire, puis sombrer finalement dans l’écume du sillage . Alors, en titubant à cause du roulis devenu plus fort depuis que le bateau aurait pénétré en haute mer, il irait à la proue, le regard cinglant vers l’horizon violet et, plus loin encore, vers les longs bras ouverts des digues, dans quelque grand port italien.» Page 143

«Lire à Saint-Brieuc»

C’est un premier livre très fort qu’a couronné le Prix Georges-Nicole, un roman tout à fait dans la lignée à la fois exigeante et originale de ses précédents choix.
«En l’espace de quelques minutes Louise venait de lui annoncer des faits nouveaux pour lui et fort désagréables», ainsi commence Le Ring, semblant promettre une cascade d’événements qui entraîneront la lecture. C’est le cas dans les toutes premières pages: Quentin, ayant découvert sa maîtresse sur le point de partir avec son frère (à lui) en Amérique et de l’y épouser, part lui-même pour Tahès, «au hasard», répondant à une obscure offre d’emploi. Mais, passés la déclaration ultrarapide de la rupture et le coup de tête qui propulse le héros dans le tiers monde (au sens physique et métaphysique du terme), le roman aussitôt s’englue dans une sorte d’attente, ou de vide, de permanente béance qu’un style sobre et sans faille excelle à représenter.
Tahès, qu’on chercherait en vain sur une carte, mais que caractérisent nombre de traits orientaux, est une capitale vague et morne, au climat pénible, dont la singularité (si c’en est une) consiste en un «Ring», «large boulevard dessinant sur le plan de la ville un cercle parfait». N’habite le long de ce circuit que la population cosmopolite et favorisée des Européens, préservée des embouteillages, mais condamnée, sans que personne ne s’en rende bien compte, à sans cesse tourner en rond pour aller les uns chez les autres, à l’occasion de cérémonies du reste parfaitement affectées et autistiques, comme le vernissage du fils Sanariglia. Emblème d’une superficialité, voire d’une nullité des rapports humains, le Ring enferme ses distingués résidents dans une sorte de no man’s land, où Quentin ne sent pas même l’envie de s’intégrer. Au contraire, il y étouffe, par l’effet aussi de l’hostilité sournoise du décor et du climat, magnifiquement décrits : plutôt que d’user d’effets faciles de température, Elisabeth Horem laisse peser dans ses tableaux certaine invisible moiteur, certaine morosité lourde de lumière, beaucoup plus efficaces, tandis que maint détail précis, noté froidement (le regard méprisant du portier, la laideur du logis, la chasse aux cafards), commence à faire sentir l’aigu d’une détresse absolue, dans un univers littéralement impitoyable.
Sortant alors du Ring pour pénétrer dans la ville «indigène», Quentin fait trois principales rencontres. D’abord Nina, maîtresse de danse exilée, amicale et maternelle, puis Clara, avec qui il aura une brève liaison amoureuse, puis Ghazi, jeune homme dont la beauté ambiguë ne le laisse pas insensible. Le roman n’analyse pas les motivations profondes du héros, mais ces trois personnages semblent représenter des figures à la fois essentielles et impénétrables, dont la force d’attraction conduit Quentin à s’engluer davantage encore dans la solitude et l’incommunication. La Nina maternelle rentre en Europe, Clara ne donne plus signe de vie, il ne sait pourquoi, et Ghazi, résurgence peut-être du frère brutal et voleur, se révèle une ignoble crapule. Ainsi le Ring est l’emblème aussi de l’enfermement du personnage sur lui-même, sans cesse rejeté, incompris, indifférent aux êtres et aux choses. Enfermement encore face à l’ennemi qui cogne, qui blesse – et face à l’ami qu’il blesse, qu’il déçoit, par inadvertance, cloîtré dans l’anneau opaque de son égoïsme.
Comment sortir du cercle infernal? Quitter Tahès? C’est insuffisant. À l’instant du reste où il va annoncer son congé à son employeur, ce dernier lui signifie son licenciement. Étrange écho du départ initial, congédié en quelque sorte par sa maîtresse, et comme renvoyé maintenant à la case départ. La mort semble dès lors la seule issue possible. Elle s’offre à Quentin sous la forme d’une très belle dérive, dans une barque, au fil du fleuve Ovir, enfin une voie qui ne se recoupe pas. Vraiment? N’est-ce pas plutôt le cycle suprême qui se referme autour de la figure d’une mère suicidée lorsque Quentin n’avait que 7 ans, parée d’un «trèfle de diamants», que le frère a osé offrir ensuite à sa/leur maîtresse avant de l’emmener?
Énigmatique sans le moindre obscurantisme, lancinant, de page en page meilleur, Le Ring fait preuve d’une charge latente considérable, d’une véritable épaisseur de roman, même si la ligne du récit demeure très simple. Signe qui ne trompe pas, ce livre fait partie de ces œuvres assez rares dont la lecture se continue dans un mouvement spontané, comme indépendant, et c’est par quoi Elisabeth Horem se pose à l’évidence comme une romancière plus que prometteuse.

JACQUES-ÉTIENNE BOVARD, Le Nouveau Quotidien, 1994

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Articles (Acrobat, 56.7 Ko)

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