L’histoire de Séverine, née en Valais dans une famille
pauvre, suit le cours du Rhône jusqu’au Léman pour remonter dans le
pays de Fribourg. Servante ici puis là, engrossée par un fils de
famille, fuyant le couvant où on veut la caser, vivant alors
d’expédients, de rencontres avec d’autres paumés, rescapés des guerres
napoléoniennes comme son père, elle subit la dure condition de la femme
au début du XVIIIe siècle, sans jamais perdre pourtant la force
lumineuse de sa personnalité; elle traverse les heures sombres de la
guerre du Sonderbund, y perd celui dont elle est devenue la femme, et
découvre finalement l’amour passion… sans lendemain, si ce n’est cet
acte de générosité qui l’a fait mère de l’enfant d’une autre.
La multiplication des épisodes pourrait paraître un rien surfaite, mais
elle nous permet de découvrir un pays, ses habitants, leurs us et
coutumes, dans un vocabulaire qui est le leur, avec une diversité, une
richesse de termes pour décrire métiers, croyances, sorcelleries,
recettes culinaires, sentences et chansons, mais aussi d’une époque,
sans épanchements sentimentaux, avec l’œill aiguisé de la cinéaste
qu’était aussi Gisèle Ansorge, femme de Nag (Ernest Ansorge), célèbre
pour ses films d’animations.
MYRIAM TÉTAZ, Avivo
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Autour
de Séverine évoluent, pêle-mêle, curé, ursuline, famille, anciens
mercenaires du Corse, soudard tatoué de boutonnières, le bon pasteur
Charles-Auguste, bigotes pincées, pêcheur avec sa voile latine,
belle-mère acariâtre, et toute une frise d’hommes et de femmes, tout un
peuple avec ses beautés et ses laideurs. L’intrigue se trouve nourrie
par une connaissance qui englobe l’histoire, les us et coutumes, les
parlers régionaux, Gisèle Ansorge n’ignore pas plus les concoctions
médicamenteuses que la manière de mener un train de ferme ou de griller
une carpe sur la braise. D’une précision admirable, la langue se teinte
parfois de couleurs locales.
Dans Prendre d’aimer,
Gisèle Ansorge a su saisir un pays et ses gens, leur mentalité, leurs
réactions, comme peu ont su le faire. Son livre embrasse quelques
thèmes, par exemple la condition de la femme au début du XIXe
siècle, mais surtout il en émerge une figure lumineuse, qui traverse
des heures sombres, nomade sur les chemins de la vie, qui puise sa
force au plus profond d’elle-même, au nom de l’amour. Après la lecture,
Séverine vient habiter la mémoire. Elle laisse le même souvenir qu’une
personne réellement rencontrée. Aussi espère-t-on que nombreux seront
ceux qui feront sa connaissance.
RENÉ ZAHND, Le Matin
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