Une invitation à la lecture
Quiconque aime lire se réjouira d’en savoir un peu plus sur la vie
littéraire à Lausanne, de la Réforme à nos jours. La parie historique
et critique de ces Impressions d’un lecteur à Lausanne est passionnante et l’Abécédaire du lecteur Lausanne
en fin de livre propose un choix, résolument subjectif, mais éclairé,
de titres à lire et à relire, classés arbitrairement par ordre
alphabétique. L’auteur, Jean-Louis Kuffer, lui-même écrivain, qui fut
jusqu’à sa retraite (qu’il vient de prendre) le critique littéraire
d’un quotidien lausannois, jette un regard lucide, sans complaisance,
mais sans préjugé dénigrant sur sa ville et sur la place des lettres en
ses murs.
«Une ville qui a mal tourné»
À l’heure où l’on s’apprête à voter sur le toit du futur parlement
vaudois, on s’amuse à lire que déjà l’illustre historien Edward Gibbon
parlait en 1796 d’une «ville mal bâtie» tandis que Victor Hugo écrit:
«Lausanne n’a pas un monument que le mauvais goût puritain n’ait gâté».
Et Ramuz de dénoncer une «ville qui a mal tourné», oscillant, dit
Kuffer entre demi-mesures et sursaut grandiloquents dont procèdent la
«monstruosité pseudo-florentine du Palais de Rumine ou celle de la
triple masse de pierre grise de l’Hôtel des Postes et des deux temples
bancaires obstruant la vue du lac de la place St-François.» Le chapitre
sur la bohème lausannoise, Sainfe, le Barbare, la Cité, l’Expo 64 est
savoureux. «Ni bourgeoise ni populaire, ni toute paysanne, ni vraiment
urbaine», Lausanne n’a pourtant pas attendu longtemps pour faire ses
humanités.
Viret, premier écrivain romand
Voltaire parle de «la petite Athènes du Nord», car il y a rencontré du
côté de la villa de Montriond la meilleure société de la place qui
répète ses pièces mieux qu’à Paris. «Je dois à cette ville mes jours
les plus heureux», prétend-il! Il faut dire qu’il y fréquente le fameux
Docteur Tissot autour duquel se forme un début de milieu littéraire.
Vous remarquerez du reste très vite que, bon nombre de noms cités au
fil des pages sont ceux de nos rues lausannoises! Ainsi la rue Pierre
Viret rappelle «l’un des premiers écrivains romands par l’esprit et la
tournure de l’expression», humaniste, polémiste, un «protestant»,
Professeur à la toute nouvelle Académie, la première école supérieure
protestante implantée en territoire francophone, fondée à Lausanne en
1537 et qui devint un centre momentané de la vie intellectuelle.
Ville d’édition et de librairie
Cependant, du XVIe au XVIIIe siècle, Lausanne est surtout connue comme
un foyer d’édition et de librairie. C’est à Lausanne que sont édités en
1569 «L’Institution chrétienne» de Calvin et les Vies des hommes illustres de Plutarque, ainsi que, au milieu du XVIIIe siècle, une Encyclopédie de Diderot et d’Alembert en quarante-huit volumes de petit format et la Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire.
Lausanne est toujours une ville d’éditeurs. On pense, dès le tournant
du XXe siècle, aux éditions Bridel, Payot, Imer et Rouge, à Mermod, à
la Guilde du Livre, à Bertil Galland, à Vladimir Dimitrijevic fondateur
de l’Âge d’Homme, aux éditions Rencontre, l’Aire, les éditions d’En
Bas, et d’autres encore; plus récemment Empreintes, premier éditeur
romand en matière de poésie, Bernard Campiche en 1986, qui entretient
une relation très personnalisée avec ses auteurs.
Au-delà des a priori
Les écrivains du pays trouveront donc à être publiés, mais leurs livres
auront peine à passer la frontière, à quelques exceptions près. De
Vinet à aujourd’hui, la liste est longue, variée. Les auteurs cités
sont pasteurs ou professeurs, moralistes ou historiens, bien-pensants
ou contestataires, romanciers, nouvellistes, poètes. Ont-ils des points
communs? Juste Olivier disait: «Si en nous, quelque chose se met en
mouvement, nous lui jetons aussitôt des bâtons dans les roues… Nous
aimons à nous faire petits». Amiel a-t-il raison d’écrire que «le
Vaudois sent plus qu’il n’exprime»? Eh bien, exprimer sera précisément
la réaction des Cahiers vaudois
créés en 1914 dont l’emblème «j’exprime» est une main qui presse une
grappe! Ramuz, Gillard, Cingria, Budry sont aujourd’hui reconnus par
ceux qui les ont honnis jadis; dans leur lignée le regretté Gaston
Cherpillod, Anne Cuneo et d’autres. Une prise de conscience sociale et
politique caractérise la littérature romande de la seconde moitié du
XXe siècle, avec la création de la revue Rencontre
et les Debluë, Haldas, Velan, Schlunegger. Il serait fastidieux de
citer tous les noms connus et inconnus qui ont marqué la littérature
romande et plus particulièrement lausannoise; on mesure vite son
ignorance, ses préjugés, ses a priori que le livre de Kuffer démasque.
Et l’on fait la liste de tous les livres qu’on a envie soit d’emprunter
dans l’une de nos bibliothèques soit d’acheter ou d’offrir.
MYRIAM TÉTAZ, Le Courrier de l’AVIVO
Si Lausanne ne fut jamais vraiment un haut-lieu de littérature, la
capitale vaudoise n’en a pas moins été, du Moyen Age à nos jours, le
cadre d’une activité constante de l’édition et de la vie littéraire,
avec des échappées sur l’Europe entière.
Qualifiée de «petite Athènes du nord» au temps de Voltaire, notre ville
vit naître au début du XXe siècle, avec C. F. Ramuz et les Cahiers vaudois,
une littérature romande à part entière marquée par la triple influence
de la Réforme, du romantisme allemand et du goût français. Les grandes
aventures de la Guilde du Livre et de Rencontre, avant l’essor
impressionnant de l’édition romande dans les années 60, ont permis à
plusieurs générations d’écrivains de s’exprimer et de trouver un public.
Après une évocation de Lausanne à travers ce que les écrivains en ont
écrit, un portrait caustique de l’âme romande, un bref aperçu de chaque
époque et un hommage aux artisans et passeurs du livre, ces Impressions d’un lecteur à Lausanne invitent à la découverte plus détaillée des œuvres contemporaines foisonnant à l’enseigne de la «seconde jeunesse» annoncée.
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Visions de lecteur
Impressions d’un lecteur à Lausanne entraîne son… lecteur dans une chevauchée historico-critique.
Bien
que Voltaire la nommât «petite Athènes du Nord», Lausanne, note
Jean-Louis Kuffer, «ne fut jamais un haut lieu de littérature». Voire.
Au fil de ses huit chapitres, le critique littéraire de 24 Heures aborde toutes les facettes de la relation de la ville – et de ses environs – avec le livre.
Y compris les libraires-imprimeurs puis éditeurs dont dépend la
diffusion de l’abondante production d’auteurs fort divers. Le coup de
chapeau de l’écrivain Kuffer aux éditeurs, en particulier ceux de ces
dernières décennies, rappelle le rôle de ces individualistes inspirés,
perpétuellement écartelés entre désirs artistiques et nécessités
économiques.
Mais, ouvrage d’érudition adroitement vulgarisée autant que vision
personnelle d’un critique chevronné, ce petit livre dense se concentre
sur les écrivains liés au chef-lieu vaudois et à sa région. Survol
historique, examen critique, commentaire personnel, Kuffer aborde cette
matière littéraire sans craindre de s’engager – même si ces Impressions sont plus construites, concertées et étayées que celles d’un passant à Lausanne,
le divin Cingria étant reconnu par Kuffer comme l’auteur du «seul écrit
littéraire entièrement consacré à notre ville, et le plus original
aussi». Se mêle ainsi au rappel érudit une précieuse évaluation
critique, sans complaisance. De l’apport de Ramuz à celui des deux
générations suivantes, la perspective cavalière tracée par Kuffer
débouche sur l’état de la littérature d’aujourd’hui et une tentative
d’ouverture sur l’avenir.
En annexe, un abécédaire consacre une notice à plus de septante romans. D’Adolphe (Benjamin Constant, 1816) à Vorace
(Anne-Sylvie Sprenger, 2007), notations concises et pertinentes
invitent à lire, peut-être à relire, des œuvres emblématiques d’un
lieu, d’un temps, d’une mentalité.
Entreprise téméraire, ces Impressions
étreignent moins qu’elles n’embrassent, par force: de 1481 (premier
fascicule imprimé en Pays de Vaud) à 2007, le livre à Lausanne est un
phénomène hétéroclite. Et pourtant Kuffer – qui se cite à la troisième
personne – réussit l’exercice: un ciment tient tout cela ensemble, et
sa personnalité, son sentiment pour la littérature, tel qu’on les
retrouve dans ses chroniques de 24 Heures et sur son riche blog.
JACQUES POGET, 24 Heures
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Impressions d’un lecteur à Lausanne
Ceci
n’est pas une enième histoire de la littérature vaudoise. Mais une
invitation à lecture, en préférant les textes à la sociologie de leur
production. De la Réforme à nos jours, Jean-Louis Kuffer explore ce qui
relie, de près ou de loin, des livres et une ville, Lausanne. Décor de
romans ou lieu de vie littéraire. C’est aussi, en dernière partie de
ces impressions de lecture, l’occasion de saluer l’effervescence
éditoriale qui anima la capitale vaudoise dès les années 1960. Et,
peut-être, de s’interroger sur la pérennité de cet engouement pour le
livre en Suisse romande.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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Impressions d’un lecteur à Lausanne
Entretien de Serge Molla avec Jean-Louis Kuffer
Si
Lausanne ne fut jamais un haut-lieu de littérature, la capitale
vaudoise n’en a pas moins été, du Moyen Age à nos jours, le cadre d’une
constante activité du point de vue de l’édition et de la vie
intellectuelle et littéraire, avec des échappées sur l’Europe entière.
— Vous publiez un essai intitulé Impressions d’un lecteur à Lausanne.
Serait-ce à dire que vos impressions sont liées précisément à cette
ville? En outre, vous avez donné pour sous-titre à vos pages «Une
seconde jeunesse», pourriez-vous l’expliciter?
—
L’ancrage lausannois de ce livre, dont j’ai passablement débordé, est
essentiellement lié au projet de la collection dans lequel il paraît,
intitulée Lausanne, scène culturelle, et qui visait, dans
l’esprit de ses initiateurs (notamment Marie-Claude Jequier et René
Zahnd) à documenter l’effervescence de la culture à Lausanne depuis la
fin des années soixante. Mes impressions de lecteur sont de partout,
mais je savais trouver à Lausanne, et surtout au XXe siècle, une
matière littéraire abondante et de qualité. Le titre est un clin d’œil
aux Impressions d’un passant à Lausanne de Charles-Albert
Cingria, qui a été l’un de mes premiers «maîtres» à sentir et à écrire,
et qui a évoqué Lausanne comme personne alors qu’il ne faisait qu’y
passer. Quant à la «seconde jeunesse», elle désigne précisément, après
ce qu’on pourrait dire la naissance d’une littérature romande
consciente d’elle-même, autour des Cahiers Vaudois fondés vers 1914 par
Ramuz, Budry, Gilliard et quelques autres, le deuxième souffle qu’ont
marqué, autour de Bertil Galland, d’une part, et de Vladimir
Dimitrijevic, fondateur de L’Age d’Homme, d’autre part, les
foisonnantes dernières décennies du XXe siècle, jusqu’aujourd’hui.
— Existe-il véritablement, à vos yeux, une littérature romande, ou seulement une littérature en Romandie?
—
Quand on veut esquiver le débat, on se contente de dire qu’ «il y a de
la littérature en Suisse romande», mais je suis de plus en plus
convaincu que la littérature de ce pays n’est en rien un «bricolage
identitaire», même s’il est réducteur ou stérilisant de la typer comme
elle l’a été à l’enseigne d’une sorte de spiritualisme esthétisant. Je
me suis souvent élevé, pour ma part, contre la notion d’«âme romande»,
qu’Etienne Barilier a raillée lui aussi dans un pamphlet au titre
explicite de Soyons médiocres. Cela étant, il y a bel et bien
une complexion romande, absolument distincte et souvent incomprise de
l’esprit français, que je me suis attaché à décrire dans la première
partie de ce livre. Cette idiosyncrasie composite est liée autant à nos
sources protestantes qu’à notre façon de vivre la latinité, à
l’influence du romantisme, au nomadisme de nos pères, à notre
enracinement terrien, à nos pratiques de la démocratie – toutes choses
distinctes du goût français qui nous guide pourtant lui aussi…
—
Quel est aux yeux du lecteur l’influence du protestantisme sur la
littérature romande? Hier? Aujourd’hui? Ne faut-il le percevoir que
d’un point de vue moral, jusqu’à ne le considérer qu’à travers
l’adjectif «calviniste»?
— Elle est encore considérable,
jusque chez ceux qui s’en croient «libérés», n’y voyant souvent qu’un
poids ou qu’une entrave. Issu d’une génération qui n’a justement vu du
«calvinisme» que la contrainte morale, de type puritain, et qui a fait
de la transgression une règle, j’ai moi aussi réagi contre cette
«oppression», sans me rendre compte que c’était encore une forme de
protestantisme que de s’y opposer, sans voir non plus le ferment
puissant du puritanisme en littérature, comme l’illustre un Jacques
Chessex. J’ai bien tenté, dans mes jeunes années, de me rapprocher du
catholicisme, mais je me sens essentiellement un protestant, à savoir
un individualiste peu soucieux des dogmes et guère attiré par la magie,
en phase avec la nature, qui tutoie Dieu et le Christ et dont la
religion relève de l’éthique et de la poésie, voire de la mystique
contemplative, plus que de l’Église, de ses rites et de ses liens. Or
cette complexion morale, de Viret à Vinet et d’Amiel à Philippe
Jaccottet, me paraît caractéristique de la littérature romande.
—
Que représente pour vous la lecture, aujourd’hui où de plus en plus
d’ouvrages sont édités, qu’au même moment ferment de nombreuses
librairies et que l’avenir de nombreuses maisons d’édition en Suisse
romande est incertain? — Quatre questions en une ! Mais je dirai
d’abord que la lecture est multiple, et que l’essentiel tient à
instaurer ou restaurer un lien vivant avec le monde, les autres et
soi-même. Dès qu’il y a une conscience éveillée, une attention, une
lecture du monde au sens le plus large, je dirais que la moitié du
chemin est faite. La seconde moitié passe par la relation à l’autre, le
partage et l’échange. De lecteur, je deviens libraire ou éditeur en
transmettant ce que j’ai reçu. C’est comme une respiration: recevoir et
donner, lire et en parler ou en écrire. C’est comme l’amour aussi, et
c’est rare. La Qualité est rare. Dans un monde courant de plus en plus
derrière le Chiffre, qui est plutôt de l’ordre de la Quantité, la
Qualité en pâtit souvent, mais pas toujours. Je ne suis pas contre le
commerce du livre, si celui-ci me ramène au foyer intime de la Qualité.
Reste à discerner celle-ci et à lui permettre de survivre, qui implique
alors une politique – et là je deviens pessimiste…
— Vous dirigez une revue littéraire intitulée Le Passe-Muraille? Quelles murailles sont aujourd’hui à passer, voire à faire tomber?
—
Muraille de la Masse et du Chiffre. Muraille de la saturation. Muraille
de l’indifférence et du blasement. Muraille du conformisme et de
l’agitation grégaire. Muraille des idéologies et des préjugés. Muraille
de la stupidité et de la vulgarité. L’inventaire est loin d’être
exhaustif. Passons à travers…
— Vous êtes critique
littéraire depuis bien des années et probablement l’un des plus libres,
aussi comment jugez-vous l’état de santé de la littérature francophone?
Et secondement de la littérature publiée en Suisse romande? Et la
critique précisément?
— J’ai de la peine à donner des
notes par «cantons». La francophonie littéraire est un archipel
littérairement foisonnant, mais je suis de moins en moins porté à la
séparer de la «littérature-monde», pour citer une nouvelle notion
intéressante lancée par Michel Le Bris et Jean Rouaud. En ce qui
concerne la périphérie helvétique francophone, j’y vois une quantité
d’œuvres fortes ou originales, mais complètement inaperçues de la
«centrale» française. Voyez Georges Haldas, Maurice Chappaz, Alexandre
Voisard, Jean-Marc Lovay, Corinne Desarzens, Anne-Lise Grobéty, bien
d’autres: inexistants à Paris ! Dans les grandes largeurs, tous pays
confondus, je constate un évident étiolement de la littérature
européenne, dont la relève est plus encore sporadique. Quant à la
critique en Suisse romande, je me contenterai de rappeler qu’il y a
trente ans, lorsqu’un livre d’un auteur paraissait, il avait des
chances d’être lu et commenté par une quinzaine de critiques suivant
fidèlement la production. Actuellement, ce chiffre est tombé à moins du
tiers. L’attention réelle à la littérature romande est devenue rare,
tant d’ailleurs chez les libraires que chez les critiques, sans parler
des enseignants…
— Parallèlement à votre engagement de critique, vous écrivez vous-même (de la fiction), une chance ou un handicap?
—
Les deux activités relèvent de la même démarche, mais à des niveaux
d’implication très différents. Le critique travaille à l’explication,
dans un langage visant à l’immédiate communication. L’écrivain,
romancier ou poète, s’approprie pour ainsi dire le langage et le
travaille, le malaxe, le rêve, le féconde en s’engageant plus
entièrement dans l’écriture. Du point de vue de l’approche critique,
l’engagement dans l’écriture peut être un handicap («mon verbe contre
le tien») comme il peut être une chance: d’apprécier l’ouvrage de
l’intérieur, en humble ouvrier ou en maître artisan, mais non en juge
ou en pion. Les meilleurs critiques littéraires sont souvent des
écrivains, mais ceux-ci font parfois de piètres critiques.
Actuellement, la critique cède hélas le pas au bavardage ou à la glose
pseudo-scientifique, en Suisse romande comme partout ailleurs. Enfin,
je dirais qu’être critique ne vous garantit pas, si vous êtes aussi
écrivain, la bienveillance de vos pairs: bien au contraire…
— Si vous recommandiez trois ouvrages récents, un roman, un recueil de poèmes et un essai, quels seraient-ils?
— Je ne saurais vous recommander moins de trois romans (Lignes de faille, de Nancy Huston; Fracas, de Pascale Kramer; et La Corde de mi, d’Anne-Lise Grobéty), trois recueils de poèmes (Partie de neige, de Paul Celan; La Part des anges, de Jean-Luc Sarré; et Partition rouge, anthologie des poèmes et chants des Indiens d’Amérique du Nord) et trois essais (La littérature en péril, de Tzvetan Todorov; La Construction de soi, d’Alexandre Jollien; et Tous les enfants sauf un, de Philippe Forest) mais je vous en proposerai trois fois trois autres demain…
Propos recueillis par SERGE MOLLA, Le Protestant
Propos recueillis par Serge Molla
Cet entretien a paru dans Le Protestant, No 5, mai 2007.
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Impressions d’un lecteur à Lausanne, par Jean-Louis Kuffer
Jean.Louis Kuffer est un immense lecteur. On le savait attentif à tout ce qui se passe ailleurs et ici. Les Impressions d’un lecteur à Lausanne prouveraient son implication aux littératures de chez nous, s’il était nécessaire.
Impressions d’un lecteur à Lausanne,
par Jean-Louis KufferJean-Louis Kuffer y a en effet entrepris de parler
de tout ce qui tourne autour de Lausanne littérairement. Imprimerie,
édition, écriture, écrivains, depuis les grands hommes qui ont passé
dans la ville (Voltaire, Gibbon, Hugo...) jusqu’aux auteurs dont le
rayonnement est resté plus local (Juste Olivier, le Doyen Bridel...) Ce
livre qui se place sous le patronage des Impressions d’un passant à
Lausanne, de Charles-Albert Cingria, donne donc un vaste panorama
passionnant, qui suit trois veines. La veine historique d’abord.
Des premiers textes publiés (des écrits de «prélats catholiques de
passage dans la ville épiscopale, comme il en va d’un Antitus ou d’un
Martin Le Franc, dont les œuvres émargent de près ou de loin à la
littérature édifiante ou divertissante de l’époque») à l’époque
actuelle et même future: des projections sur ce que sera l’édition
romande dans quinze ans.
Deuxième veine, il y a aussi dans le livre une analyse de l’âme
romande. Telle que l’ont formée les circonstances particulières,
historiques et religieuses. Telle que l’ont critiquée aussi
Henri-Frédéric Amiel, lequel voyait dans les Vaudois «pesanteur,
profondeur, rêverie, défiance, sauvagerie...», ou Étienne Barilier,
dans son pamphlet Soyons médiocre.
Ce pamphlet qui a fait tant de bruit lors de sa parution accusait les
Romands d’accueillir toute création littéraire avec une «vigilante
apathie», et citait par exemple comme devise de l’écrivain romand idéal
ce vers de Jaccottet: «L’effacement soit ma façon de resplendir».
Et enfin, troisième veine: un point de vue personnel et critique.
Subjectif, forcément subjectif. C’est ce qu’on demande à ce type
d’ouvrage pour qu’il soit vivant. Une vision, un point de vue, le
regard d’un écrivain sur ses pairs et compagnons de route. Regard qui
passe par quelques critiques d’auteurs que Kuffer pense surévalués
(Ivan Farron ou Noëlle Revaz) et par les éloges à celles et ceux qui
font œuvre originale et forte (Pascale Kramer, par exemple, ou Anne-Lou
Steininger).
L’ouvrage est suivi d’un délicieux abécédaire. Qui part d’Adolphe, finit à Vorace et est composé avec la rigueur teintée de fantaisie qui mène tout l’ouvrage.
Kuffer, justement sera à Morges samedi 9 juillet 2007. À La librairie
Sylviane Friederich, rue des fossés 2, avec quelques amis. Rafik Ben
Salah, Asa Lanova, Janine Massard, Antonin Moeri, Jean-Michel Olivier
et Pierre-Yves Lador. Que du beau linge. Dans un décor, en plus, qui
rendra hommage à Horst Tappe en exposant un choix de ses photographies
consacrées aux auteurs romands. Une bonne occasion pour vivre un moment
littéraire, rencontrer des écrivains, parler de livres et d’auteurs,
qu’ils soient dans les Impressions ou pas: Kuffer a tout lu.
Et bien entendu, on n’oublie pas de visiter les carnets de JLK, son blog, un des plus riches du web en ce qui concerne la littérature.
Blog d’ALAIN BAGNOUD
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Lausanne en toutes lettres
Voilà
un livre bien précieux. Il aura fallu qu’il sorte de presse pour qu’on
s’aperçoive qu’il nous manquait. Lausanne, dans son rayonnement
vaudois, ciblée dans sa littérature, se donne une dimension nouvelle.
Ce n’est plus seulement cette ville tendue vers un avenir économique et
technocratique, architectural et estudiantin, où l’EPFL l’emporte sur
l’université. C’est redevenu, par la magie des évocations, cette ville
un peu rêveuse et molle, étalée plus qu’étendue devant son lac et ses
montagnes maternantes. Une ville que chacun s’acharne à voir laide,
ratée, la ville qui a mal tourné et qui, pourtant, sûre d’elle et de
son charme, se moque éperdument de ce qu’on peut en penser. Avec ses
bâtiments très lourds, son urbanisme anarchique et ses couleurs mal
ajustées, Lausanne, à la barbe de tous ses détracteurs, a toujours
trouvé les moyens d’être une belle ville, selon des critères qui
n’appartiennent qu’à elle. Jean-Louis Kuffer nous présente sa ville
sous une autre facette, dont on découvre qu’elle était indispensable
pour pénétrer plus avant dans sa définition. Lausanne, c’est aussi
cette auréole de livres, de textes, d’écrits, de considérations, de
réflexions nés à partir d’elle. Il y a ce qui s’est écrit sur Lausanne,
mais surtout ce qui s’est écrit à Lausanne, à partir de Lausanne, et
qui n’aurait pas été pareil venu d’ailleurs. On n’écrit pas à Lausanne
comme on écrit à Genève et plus encore à Paris. Il y a un génie du lieu
et c’est le recensement de tout ce qui est sorti de ce creuset
particulier et très personnalisé qui constitue la matière historique et
vivante du livre de Jean-Louis Kuffer.
Il y a d’abord l’Histoire. Lausanne n’est pas née d’hier. On peut
remonter au Moyen Âge ou à la Réforme. C’est, en fait, le XVIIIe siècle qui ouvre les feux. L’Anglais Edward Gibbon écrit à Lausanne son grand livre Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain
et Lausanne, avec sa position légèrement surélevée et face à son
paysage grandiose y acquiert une sorte de statut d’arbitrage au-dessus
des tempêtes de l’Histoire. L’hiver, il croise Voltaire qui trouve le
climat de Lausanne plus doux que celui de Ferney et qui consulte le
docteur Tissot pour des maux d’estomac.
Le XIXe
siècle lausannois est très riche. Lausanne, qualifiée de «petite
Athènes du nord» par Voltaire, recueille dans son université de grands
esprits, tels Sainte-Beuve ou encore Adam Mickiewicz. Benjamin
Constant, né à Lausanne en 1767, est devenu le porte-parole des idées
libérales. Alexandre Vinet est au centre de la constellation littéraire
proprement lausannoise. En 1840, il peut écrire: «Cette ville qui était
alors un simple chef-lieu de baillage bernois possédait un renom étendu
de politesse et d’urbanité. Les lettres y étaient cultivées; les
étrangers en aimaient le séjour; une société brillante et choisie s’y
trouvait habituellement réunie.» Mais si tout cela était bon et
utile à rappeler, il faut bien dire que ce qui nous a le plus intéressé
dans le livre de Jean-Louis Kuffer, c’est notre histoire à nous, celle
de la littérature de l’après-guerre, celle de nos contemporains et
voisins.
Bien sûr, il y a eu d’abord la première moitié du XXe
siècle, dont il faut rappeler, modestement, pour ceux qui en sont les
héritiers, qu’elle fut le grand moment de la littérature à Lausanne
comme dans toute la Suisse romande. Mais surtout à Lausanne dans la
mesure où Ramuz et les Cahiers vaudois ont été à l’origine de
ce qu’il faut appeler l’identité littéraire romande. Une identité comme
une invention: une manière d’écrire, de ressentir, d’appréhender le
monde qui n’était plus celle de Paris et de son génie propre.
L’écrivain vaudois et plus généralement romand pourra revendiquer et
revendiquera désormais une littérature autonome, confinée dans un
espace très petit, mais pas provinciale pour autant, parce que dégagée
d’un mode d’être issu de la capitale. À partir des années 1920, nos
écrivains auront un pied dedans (la Suisse politique, économique,
administrative) et un pied dehors (la France qui reste notre espace
culturel). C’est à Lausanne, à partir du début du siècle, que
s’élaborera cette forme d’ambiguïté qui nous définit encore aujourd’hui.
Ce qui est vrai pour Ramuz l’a aussi été pour Cingria et pour tous les
écrivains de ce pays nés ici et qui sont restés ici. Ceux qui n’étaient
pas d’accord sont partis, tels Cendrars, Pinget ou, dans une moindre
mesure, Denis de Rougemont. On remarquera que la plupart d’entre eux
n’étaient pas vaudois, si l’on excepte Édouard Rod. On pourrait presque
dire que les Vaudois, et d’abord les Lausannois, sont ceux qui sont
restés ou n’ont pas été voyageurs, comme Nicolas Bouvier. Ceux qui sont
restés, finalement, ont trouvé les moyens d’écrire et de publier dans
leur pays.
À partir des années 60, Jean-Louis Kuffer a lu, suivi, connu tous les
acteurs de la littérature romande et, bien entendu, avant tout les
écrivains et éditeurs lausannois. Il a été si proche d’eux, et pendant
quarante ans, que personne en Suisse romande n’était plus autorisé à
écrire ce livre qui raconte la littérature vue de Lausanne. Il est né à
Lausanne et vit et travaille toujours à Lausanne. Il était si pressé
d’être critique littéraire qu’il a court-circuité ses études de
lettres. D’abord à l’ex-Tribune de Lausanne, de René Langel, puis à 24 Heures, il est l’écho, le miroir, l’interlocuteur des écrivains d’ici (en priorité), mais aussi d’ailleurs.
L’histoire littéraire lausannoise, avec ses acteurs, ses mœurs, ses
rituels, a trouvé ainsi son historien. D’autant plus complice qu’il est
l’un des leurs. Proche de l’édition, présent dans toutes les
manifestations, il est aussi écrivain et non des moindres. Il n’est pas
un aspect de la vie lausannoise culturelle qu’il ne connaisse. Nous
avions déjà beaucoup de livres sur nos écrivains, mais très peu qui
aient su faire le pont entre le passé et un présent tout proche. La
meilleure façon de connaître Lausanne, c’est d’entrer dans ses livres
et la meilleure façon d’entrer dans ses livres, c’est de commencer par
lire les Impressions d’un lecteur à Lausanne de Jean-Louis Kuffer.
CLAUDE FROCHAUX, Le Passe-Muraille No 74
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Des richesses à découvrir
De
son côté, Jean-Louis Kuffer, un des meilleurs connaisseurs du sujet,
propose un parcours, à la fois subjectif et très complet. Même si elles
se concentrent sur le chef-lieu vaudois, ses Impressions d’un lecteur à Lausanne livrent un éclairage passionnant sur cette littérature. Auteur et critique à 24 Heures,
Jean-Louis Kuffer retrace la riche vie littéraire de cette ville, avec
ses figures marquantes (où l’on retrouve, entre autres, Ramuz, Roud ou
Jaccottet) et ses moments clés comme l’aventure des Cahiers vaudois ou l’essor de l’édition dans les années 1960.
En s’intéressant aux écrivains, aux éditeurs et aux passeurs du livre,
il ne se contente pas d’un panorama, accessible à tous: il y a là une
fine analyse d’un certain état d’esprit – cette mystérieuse «âme
romande» – et une subjectivité assumée, notamment dans la façon
d’aborder les écrivains d’aujourd’hui. Ses pages sur Chessex, par
exemple, sont remarquables.
L’ouvrage se conclut par un abécédaire, sorte de bibliothèque idéale de
la littérature vaudoise, la plus riche de Suisse romande. Une manière
d’inviter encore davantage à la lecture. Derrière la légèreté que
pourrait suggérer son titre (qui renvoie à Cingria), ces Impressions d’un lecteur à Lausanne ont déjà les allures d’un ouvrage de référence.
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
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