Théâtre en camPoche 3


ANNE CUNEO

Rencontres avec Hamlet

Ce volume contient:
Naissance d’Hamlet (2005); Ophélie des bas quartiers (1987); Les Enfants de Saxo (1991);
Benno Besson et Hamlet (1987);
Le Fratricide puni (joué en Allemagne, par des acteurs anglais;
traduction inédite par Anne Cuneo)

Théâtre
2005. 432 pages. Épuisé
ISBN 2-88241-156-1, EAN 9782882411563

Publié en partenariat avec la SSA (Société Suisse des Auteurs)
Biographie

Hamlet, du Grütli au Sentier

Un spectacle, des pièces, un livre: feu d’artifice shakespearien signé Anne Cuneo. Sous l’influence de Benno Besson.

Tandis que la Compagnie du Clédar crée le 17 août au Sentier Naissance d’Hamlet, une pièce d’Anne Cuneo, celle-ci publie Rencontres avec Hamlet, recueil de textes inspirés par la pièce de Shakespeare.

Hamlet est un pays qu’on n’en finit pas d’explorer, et le trop célèbre «to be or not to be» occulte la richesse de ses significations. Dépossession du pouvoir, fidélité au père, amour impossible, certes: thèmes privilégiés par la plupart des mises en scène. Mais bien d’autres sens coexistent dans ces vers par conséquent si délicats à traduire; messages politique (derniers sursauts de la féodalité), social (voire féministe) et bien sûr philosophique (sens de la vie, engagement) et métaphysique (réalité de l’au-delà). La seule lecture ne suffit pas à exprimer cette multiplicité, c’est à la mise en scène de le faire, de façon existentielle et non verbale.

L’alchimie d’un spectacle

Dans Benno Besson et Hamlet, noyau central de son recueil, Anne Cuneo réussit à éclairer l’alchimie qui transmue une pièce classique en un spectacle renouvelé. L’essai montre à son meilleur la méthode qui a fait d’elle l’auteur de romans historiques à succès, tels Le Trajet d’une rivière, Objets de splendeur (sur Shakespeare).
Car c’est à l’Yverdonnois d’origine Benno Besson qu’elle la doit, sa méthode: en suivant trois de ses mises en scène de Hamlet, en trois langues, sur trois ans et de Genève à Helsinki en passant par Zurich, la journaliste-écrivaine s’imprègne de la dialectique par laquelle l’ancien assistant de Bertolt Brecht décortique les réalités à forger pour aboutir au spectacle fini: texte, acteurs, décor.
Du premier, il extrait toutes les significations possibles, dans tous les registres: vie quotidienne, psychologie, histoire (événementielle, sociale, celle des idées). Des seconds, il exploite toutes les ressources: aura, traits de caractère, traits physiques sont mis au service d’une dramaturgie qui progresse en fonction de leur évolution, tandis que le décor – sol bosselé, formes contraignantes – contribue à stimuler encore les acteurs. Pourquoi Besson passe-t-il trois heures sur quelques répliques anodines destinées à planter le décor? Justement parce que cet échange détermine une atmosphère, qui imprégnera toute la suite. Si quelque chose cloche au départ, les prouesses ultérieures perdront de leur pertinence.

Limites du reportage

Le récit d’Anne Cuneo se joue des limites du reportage; on est sur place, on se glisse dans les pensées des acteurs, du metteur en scène… et de l’auteur, on se passionne pour cette aventure (re)créatrice comme pour un roman.
Il devrait en aller de même lors de la Naissance d’Hamlet, mercredi 17 août à la Vallée de Joux. Nouvelle illustration de la méthode Cuneo, la pièce reconstitue le chaînon manquant entre Le Fratricide puni, c’est-à-dire l’Hamlet originel, et la tragédie définitive. Londres, vers 1602, la troupe de Shakespeare répète en son théâtre du Globe sa toute dernière œuvre… encore en cours d’écriture! Grâce à une documentation béton, les personnages-acteurs sont historiques, les lieux précisément restitués. L’imagination garde pourtant ses droits, on n’est pas dans un cours ex cathedra mais dans une œuvre qui, tout en vous éclairant, vous enchante, et vous emporte. 

JACQUES POGET, 24 Heures


Haut de la page


Rencontres avec Hamlet regroupe l’ensemble des textes écrits pour ou sur le théâtre par Anne Cuneo entre 1987 et 2005. Leur point commun, Hamlet, qu’il s’agisse de la pièce ou du personnage de Shakespeare qu’Anne Cuneo s’approprie en trois pièces (Naissance d’Hamlet en 2005, Ophélie des bas quartiers en 1987, Les Enfants de Saxo en 1991), du «reportage» (passionnant) sur Benno Besson grâce auquel Anne Cuneo a «rencontré» Hamlet. L’ensemble étant complété d’une traduction inédite du Fratricide puni, «Hamlet primitif» dont l’auteur retrace l’histoire en notice.
Il s’agit d’un volume documenté, qui propose appareil critique, préfaces et notices pour chacun des textes. À conseiller aux étudiants qui veulent «tout» apprendre sur l’histoire d’Hamlet, sur l’authenticité ou non du Ur Hamlet ou encore sur Saxo Germanicus, père à la fois d’Hamlet et de Guillaume Tell.
Mais le volume réserve d’autres surprises. Son organisation en miroir rappelle encore les constructions savantes du Nouveau Roman. Le livre s’ouvre sur La Naissance d’Hamlet qui raconte la genèse de la pièce, sa ré-invention par Shakespeare, à partir de cette première version (Ur Hamlet ou Fratricide puni) qui boucle le livre. Naissance d’Hamlet est de plus redoublé par le récit d’une autre création, celle de Benno Besson, où l’on voit se dessiner progressivement, non pas Hamlet tel que Shakespeare (à en croire la pièce d’Anne Cuneo) est en train de l’inventer mais Hamlet tel que Benno Besson est en train de la monter. Les deux genèses se font écho, brouillant la différence du réel et de l’inventé. Qu’est-ce ici qui relève de la fiction? La pièce d’Anne Cuneo qui raconte la naissance d’Hamlet ou le récit qui raconte la naissance d’une mise en scène ? Des deux côtés, l’essentiel tient au désir d’interroger le sens profond de l’œuvre, tel qu’en son temps Shakespeare la voulut peut-être, telle qu’au XXe siècle un Benno Besson peut la lire à son tour. C’est dans ce battement entre sens anciens et sens contemporains que tout le livre est construit.
Les personnages dans Naissance d’Hamlet ne cessent de se raconter la pièce les uns aux autres, ce qu’ils en ont compris, ce qu’ils croient savoir du stade où en est Shakespeare, ce qu’ils s’imaginent de la fin qu’il va écrire. On oscille ainsi entre une nette volonté de vulgarisation, le désir de rendre Hamlet accessible à un public populaire, d’ailleurs représenté sur scène par les femmes qui assurent la matérielle (nourriture, couture etc); et des reprises, des variations sur le texte shakespearien, comme si Anne Cuneo faisait sienne l’idée borgesienne selon laquelle tout est déjà écrit.
Les deux autres pièces relèvent de part en part de l’art de la réécriture. Dans Ophélie des bas quartiers comme dans Les Enfants de Saxo, l’un des (deux) personnages est amené à raconter à l’autre l’histoire d’Hamlet.
Ophélie, dite Lili, est une fille du peuple, elle fait le ménage dans un théâtre où elle finit par découvrir l’histoire de celle dont elle porte le nom. À son tour de la raconter à un autre enfant du peuple, Amleto: «Un paysan du sud de l’Europe, ou nord-africain, timide, perdu, totalement étranger, ne comprend pas un mot et préfère se taire.» Personnage muet, il ignore tout de son nom et ne comprend rien à l’histoire que lui raconte Lili-Ophélie… Rêverie ressassante sur une histoire qui hante l’auteur? Oui et non, il s’agit bien de tenter de comprendre Hamlet dans le monde d’aujourd’hui. La parodie est amusante, Hamlet le beau parleur est réduit au silence tandis qu’Ophélie est intarissable. Revanche de la femme. C’est son histoire à elle (qu’elle se met à raconter à travers celle d’Ophélie) qui nous occupe, de son point de vue qu’on se demande si dans ce monde encore il faut envoyer les filles au couvent…
Ce n’est plus la question féminine qui agite Les Enfants de Saxo. Dans sa notice, Anne Cuneo propose de voir en Saxo Grammaticus, « un lettré danois du XIIe siècle», le père de deux héros, Hamlet et Guillaume Tell. L’auteur imagine leur rencontre, quand c’est leur tour d’être devenus des fantômes, hantant la Suisse le jour de la Fête nationale. Hamlet et Tell se racontent leurs histoires respectives, l’homme de la pensée, de la conscience individuelle, s’oppose à l’homme d’action, «dont le destin est essentiellement collectif et toujours représenté comme tel». Chacun défend « sa » version, qui rejoint celle de la vulgate, «sa» version de sa propre histoire contre celle de l’autre.
Débat à peine voilé sur les valeurs de notre temps. Qui finit par l’être explicitement, lorsque surgit Helvitica les rappelant à l’ordre, à leur nécessaire participation aux cérémonies de la Fête nationale. Leur dialogue à trois est l’occasion d’une courte et sévère satire de la Suisse que l’auteur ne prête pas au seul Hamlet mais aux deux compères pour une fois d’accord. Ils finiront d’ailleurs, réconciliés, par inventer le nouveau héros dont la Suisse a besoin: Superman? James Bond? Non, «Hamlettell, le héros mythique de demain. Celui dont on parlera au coin du radiateur, celui qui fera battre les cœurs et courir les foules.» Hamlet lui prêtera «Charme, intelligence», Tell « force tranquille et amour de la patrie…» Il sera «le héros d’hier et de demain, pour grands et petits.» Héros télévisuel, à la mesure de notre temps? Dans le théâtre d’Anne Cuneo, le pessimisme n’est pas de rigueur. Mais la drôlerie si.

MIREILLE HILSUM, www.sitartmag.com


Haut de la page