camPoche 23


Anne-Lise Grobéty

La Corde de mi

roman
Édition originale: Orbe: Bernard Campiche Éditeur, 2006
2008. 528 pages. Prix: CHF 22.–
ISBN 978-2-88241-212-6, EAN 9782882412126

Prix Bibliomedia Suisse 2007
Prix «Coup de cœur» Lettres frontière 2007


Biographie

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Réédition du grand succès de 2006-2007.

Racheter l’amour manqué

Avec La Corde de mi, Anne-Lise Grobéty revient au roman: cette histoire de rencontres manquées et de paroles perdues a pour protagonistes un luthier et sa fille et pour cadre le haut pays neuchâtelois.

C’est une belle histoire de rencontres manquées et de paroles perdues que raconte ici Anne-Lise Grobéty: entre une mère et son fils, entre deux frères séparés contre leur gré, mais surtout entre un père et sa fille, le luthier Marc Favrod et Luce, la narratrice trentenaire, qui ne se réconcilie qu’après sa mort avec cet homme au caractère difficile. «Bander étroitement/les deux parts de moi-même/serrer dur/le présent le passé» (selon José-Flore Tappy citée en épigraphe), c’est aussi pour Luce s’ouvrir à la possibilité d’un avenir partagé avec Nicola, le peintre italien dont le nom apparaît très tôt, quoique fugacement, dans ce quatrième roman ample et maîtrisé. Après plusieurs volumes de récits et de nouvelles, La Corde de mi marque ainsi le retour de l’écrivain à un genre qu’elle n’avait plus abordé depuis Infiniment plus (1989, réédité en camPoche en 2006).
Comme toujours chez la romancière neuchâteloise, la mise en forme du récit compte autant que son contenu, d’où les questions que se pose la jeune narratrice sur la véracité, la composition ou le cadrage. Ces interrogations, de même que le décalage temporel entre le temps vécu et le temps de l’écriture, nourrissent la complexité narrative de ce projet littéraire longuement mûri, si l’on en croit la page liminaire qui annonce les thèmes musicaux traités dans les quatre chapitres, auxquels s’ajoute un court envoi ironiquement baptisé «Trémolo» – car Luce n’est pas pour rien la fille de son père, qui se défendait de l’émotion par le cynisme.
Situé dans «un pays de baumes, de dolines, de gouilles et de mouilles glacées» auquel renvoie tout un lexique familier (goger, hucher, houffer, crocher, etc.), le roman se déroule de mai 1945 à fin 2005, mais sans respecter l’ordre chronologique, bien qu’il fasse allusion aux événements politiques du moment: invasion de la Hongrie, Baie des Cochons, Mur de Berlin, guerre d’Irak…
Orphelin de père, le petit Marc a beau s’enchanter des sonorités étrangères du Grand Atlas où il apprend tout seul à lire: sa mère, qui le couve, flaire là un danger et s’en défait, pour son bien pense-t-elle, comme elle n’hésitera pas plus tard à se débarrasser du fardeau que représente son fils aîné, sourd et autiste, en mentant au cadet sur sa disparition. Le thème de la fraternité court en sourdine dans tout le livre grâce à la figure rayonnante des «vieux frères», Jocelyn et Aubin Pelet, qui acceptent de prendre Marc comme apprenti luthier dans leur atelier de la Combe-Verrat. Ce lieu-dit proche d’une tourbière est le cœur matriciel du livre, qui s’ouvre et se referme sur lui. La narratrice y est née mais sa mère s’est très vite enfuie avec elle, loin de ce mari incapable de les aimer parce que son art et sa quête de l’instrument parfait passaient avant tout.
«Comment pousser haut et fort sans l’effort des racines?» La question vaut pour le père autant que pour la fille, à lire cette dernière qui s’appuie sur le journal du vieil Aubin. Adolescente et jusqu’à ses 18 ans, Luce s’est beaucoup interrogée sur sa difficile relation avec ce père dont elle entend se faire aimer, comme lui-même avait jadis tenté d’apprivoiser son frère Rémi. Après leur rupture, devenue historienne de l’art, elle n’a cessé d’investiguer sur «ce qui commence aux confins du tableau» pour éclairer de biais le travail du peintre. La métaphore du vide parcourt d’ailleurs tout le récit: creux du violon, interstices du récit, trous du paysage, failles de l’être. Mais, transmise d’outre-tombe comme un talisman, une corde de mi (celle sous laquelle est placée l’âme du violon) suffira à racheter l’amour manqué.

ISABELLE MARTIN, Le Temps

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