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Trente-cinq contes cruels
Longuement attendu, le deuxième livre d’Anne-Lou Steininger confirme sa
maîtrise dans tous les registres de l’écriture : à déguster à petites
doses quotidiennes.
Anne-Lou
Steininger, Valaisanne vivant à Genève, a fait en 1996 une entrée
remarquée en littérature en publiant un premier livre hors norme chez
Gallimard: poème polyphonique et fable politique, La Maladie d’être mouche
révélait un beau tempérament d’écrivain, confirmé deux ans plus tard par
le premier Prix FEMS attribué à la littérature, une bourse de 100
000 francs destinée à la réalisation du recueil des 35 Contes des jours volés qui paraît aujourd’hui. Le fantastique y flirte avec le merveilleux sur le modèle des Mille et Une Nuits,
puisque le narrateur des «Jours qu’il me reste à vivre» retarde
l’échéance de sa mort en séduisant par une nouvelle histoire
l’ange-percepteur qui vient chaque matin le plumer d’un jour. Ce
récit d’ouverture est à lire comme une déclaration d’intention: il fait
l’éloge de la lenteur et proclame la volonté de «donner chair au temps.
Pour le goûter, pour l’éprouver, pour le sentir passer.» Rien
d’étonnant donc que la conteuse ait longuement poli ses textes pour
livrer ce deuxième livre très abouti et d’une composition réfléchie qui
ne doit rien au hasard. De fait, ces récits composent une suite de
variations sur le temps, thème majeur associé à tout un système d’échos
thématiques et de répons ainsi qu’à un réseau d’images autour de la
musique et de l’eau sous toutes ses formes.
Parmi les variations les plus virtuoses, on signalera celles de
«Manège» où Anne-Lou Steininger résume tous les âges de la vie des
femmes à travers une ronde et ses ritournelles; de «Capitaine des
nausées» où elle imagine, dans un vertigineux compte à rebours, que
l’existence d’un homme qui s’est efforcé d’échapper à sa mère se
rembobine jusqu’à sa première dent de lait; de «L’Irréparable» enfin, où
elle ralentit la vitesse d’un coup de poignard mortel jusqu’à permettre
l’incarnation de l’injure lancée par l’agressé à son assassin. La
narratrice a le souci de l’alternance et du rythme, elle varie ses
attaques et la longueur de ses textes (de neuf lignes à douze pages)
aussi bien que leur ton et leur tempo, grave ou burlesque, et elle
soigne aussi ses chutes. Même si elle poursuit obstinément sa réflexion
sur la mort, elle ne s’abstient pas de clins d’œil philosophiques à
l’endroit d’Héraclite (à qui elle attribue un clone par jour de
baignade) ou de Zénon (dont le sourire ne peut être qu’un astre éteint).
Surtout, la conteuse n’oublie pas le plaisir des mots, leur pouvoir de
séduction et leur humour décapant. Comme les enfants ou les poètes,
elle les invente au besoin : ainsi les drolatiques invectives machistes
de «Mulier qui galipet», la «verbaille splendoriphore» des discoureurs
à cloque-langue de « Rondisalabalanque mirapolisalice », la chevauchée
du «grand Mélancocasse» qui «rêvedouille» et «gloussigole» dans
«Cavalcade». Ailleurs, elle parle joliment d’« abricots pas mûrs
serrant leur petit poing de boxeur », et elle invente des personnages
fabuleux : démêleuses de sang et leveuses de chair douce, adorateur de
l’odeur du café, voyante «flaireuse de Destins tragiques» ou régleur des
fumées à qui il convient de sourire ou d’annoncer une bonne nouvelle,
même fausse, pour qu’il puisse continuer à remplir son office.
Malgré toute sa fantaisie et son ironie, la vision du monde d’Anne-Lou
Steininger apparaît plutôt sombre, marquée au coin de l’aphorisme selon
lequel «Au commencement est la douleur». Et à la fin un paradis moderne,
« avec fitness, vitrines et pince-fesses », qui ne se distingue de la
vie terrestre que par la couture de l’habit, aux points délicatement
piqués dans la chair… Ces fables cruelles sont à déguster comme elles
ont été écrites, par petites doses de poison insidieux délicatement
pesées.
ISABELLE MARTIN, Le Temps
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Des
contes poétiques, des mots magiques, des rêves éveillés, des voiles à
soulever, et, surtout, une langue à aimer. Il y a une dimension
onirique et fantastique, une part d’insaisissable dans ces récits qui
évoquent la nostalgie du temps passé, l’espoir dans celui à venir. Ce
temps, comme ces amours, qui nous échappe, fuyant et impalpable.
Réédité en poche, ce livre avait obtenu le Prix Michel Dentan 2006.
PATRICIA WEBER, Sélection Payot, L’Hebdo
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