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Ce volume, le dernier de cette collection, aurait eu sa place en
ouverture d’édition. C’est la reconnaissance et l’affirmation d’un
auteur important. L’Histoire se joue souvent du Temps. Ce temps
justement qui fut donné à pas comptés à Louis Gaulis (1932-1978) en
matière de longévité et qu’il vécut avec la frénésie de l’homme pressé
par ses curiosités.
Gaulis s’essaie à tout: scénarios pour la télévision et le cinéma,
pièces de théâtre naturellement, poèmes, chansons, pièces pour
marionnettes; il est aussi sculpteur, comédien de café-théâtre et
conteur. Il y a du Boris Vian dans cette personnalité. Il fut l’un des
fondateurs avec François Simon et Philippe Mentha du Théâtre de Carouge
en 1958.
Cet être hirsute est né coiffé… La réalité l’amuse, le porte, et lui
convient, selon Nicolas Bouvier. Il aime les gens de condition modeste.
Il aime l’Histoire, la Grèce, Chypre. Il aime l’humour. Il a été
délégué du C.I.C.R au Bangladesh, au Vietnam et à Chypre. C’est dans
cette activité qu’il a trouvé la mort au Liban.
Son théâtre conjugue avec un rare talent l’observation fine et
documentée, le sens du burlesque et de la farce. Toujours il s’y montre
lucide, exigeant et joueur. Dans la préface des «Césars», il a cette
formule magistrale: Spectacle horrifique et merveilleux qui commence
avant notre ère et se termine dans la nuit des temps.
Un auteur et des pièces à redécouvrir absolument!
Philippe Morand
Louis Gaulis comme un coup de théâtre
Je lis rarement des pièces de théâtre. Cette parole nue, en attente des
corps qui lui prêteront vie sur scène, me donne un peu trop
l’impression d’étreindre un squelette.
Je n’aurais donc sans doute jamais ouvert Le Vif Esprit
qui rassemble les œuvres théâtrales de Louis Gaulis si je n’avais
conservé, dans un coin de ma tête, le souvenir des pages radieuses que
Nicolas Bouvier lui avait consacrées dans L’Échappée belle (Metropolis, 1996).
Nicolas Bouvier parle de Louis Gaulis comme d’un frère vagabond, mal
peigné et attentif à tout ce qui fait la beauté polyphonique du monde:
«Mime, acteur, auteur, conteur, collectionneur de bricoles et
ethnographe sauvage, Louis avait des dons et des intérêts si divers
qu’on ne sait par quel bout l’empoigner.»
Je suis donc ravi de pouvoir l’attraper par ses habits de théâtre
puisque l’éditeur Bernard Campiche en fournit l’occasion: il publie un
volume consacré à Louis Gaulis qui est le dix-septième et dernier de la
collection «Théatre en camPoche» (dirigée par Philippe Morand).
Peut-être n’a-t-on pas accordé à cette collection toute l’attention
qu’elle mérite. C’est ce que je me dis aujourd’hui, après m’être frotté
au Vif Esprit.
Le volume réunit cinq pièces écrites entre 1956 et 1977. Selon Philippe
Mentha, qui signe l’avant-propos, Louis Gaulis est arrivé au théâtre en
passant par le cabaret littéraire. À Genève, où il est né en 1932, il
s’est notamment rapproché de François Simon pour qui il a écrit Noces de paille.
Petit regret: on aurait apprécié que Philippe Mentha en dise un peu
plus sur cette période germinale qu’il connaît bien, lui-même ayant
été, avec Louis Gaulis et François Simon, un des fondateurs du Théâtre
de Carouge en 1958.
Noces de paille (1956)
n’est qu’un galop d’essai, même si on y repère déjà cette gaieté
farceuse qui mûrira ensuite comme un beau fruit. Elle va s’épanouir
dans Capitaine Karagheuz (1960), sous le ciel d’une Grèce paillarde vers lequel montent les voix d’un chœur d’ivrognes. Puis dans L’Ingénieux Sancho Pança (1963) où file un thème qui sera repris et amplifié dans Les Césars du Cirque Suétone ou Les Cauchemars du pauvre Auguste
(1977): comment le pouvoir asservit les hommes en se mettant lui-même
en scène, empruntant ici la forme d’un récit légendaire et là celle
d’un spectacle de grand-guignol horrifique.
Mais c’est surtout Le Serviteur absolu
(1967), la seule pièce de Louis Gaulis localisée en Suisse, qui
stupéfie aujourd’hui. C’est un drame drôlatique et domestique. Un
couple de confiseurs enrichis et à la retraite, auquel se joint un
parasite en robe de chambre, accueille sous son toit un serviteur qui
brille par son dévouement et ses belles manières. Mais un climat
menaçant s’installe. Lettres et coups de fil anonymes: l’angoisse monte
au milieu des géraniums.
On ne tarde pas à comprendre le rôle que joue le serviteur dans tout
cela: il est le fils d’un tailleur juif que le couple de confiseurs a
spolié. Dans cette maison sans histoire, il y a une histoire qui ne
passe pas. L’honorabilité se défait; tout se décompose.
Moins exubérante que ses autres pièces, Le Serviteur absolu est une
mécanique de précision qui rappelle Monsieur Bonhomme et les
incendiaires de Max Frisch. Dans les deux cas, l’ordre d’une Suisse
trop complaisante avec elle-même se retrouve miné de l’intérieur, dans
la quiétude du logis. Louis Gaulis y ajoute cependant une dimension
visionnaire: dès 1967, il imagine un retour du refoulé historique qui,
en réalité, se produira près d’une trentaine d’années plus tard avec
l’affaire dite des fonds juifs en déshérence.
Louis Gaulis a disparu beaucoup trop tôt pour mesurer à quel point sa
parabole théâtrale aura été lucide. En 1978, il meurt à Tyr, dans un
Liban dévasté par la guerre où le CICR l’avait envoyé comme délégué. Sa
fille, Marie Gaulis, a publié en 2009 un livre dans lequel elle tente
d’élucider les circonstances de cette mort: Lauriers amers que l’on
trouve chez Zoé.
Blog de MICHEL AUDÉTAT, Passage du livre
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