«On
est comme ces oiseaux dans le lilas. On vit au jour le jour, sans
savoir le malheur qui nous guette», pensait Jean Martin, directeur en
«ressources humaines» de la banque cossue qui règne sur la place
Saint-François à Lausanne. Mais le banquier fonctionnaire est à des
années-lumière de se douter du bonheur
Qui le surprendra.
Jean Martin, personnage du dernier roman de Michel Bühler, ne diffère
pas des personnages que l’auteur jurassien-vaudois met habituellement
en scène: un conformiste qui érige le travail et la hiérarchie sociale
en principes absolus d’existence; ou plutôt de non-existence; un
passionné d’ordre dont la vie simple se déroule, rythmée par de petites
choses, de petits gestes qui permettent de ne pas penser, une vie
ritualisée par le coup de blanc et la goguenardise des copains qui
vissent leur amitié à une table ronde de bistrot à heures fixes; on
l’aura reconnu, c’est l’Homo helveticus vadensis, le Vaudois dans toute sa splendeur comptable.
…Jamais Michel Bühler n’a écrit avec autant de clarté. Son écriture est
celle d’un aquarelliste vaudois. En cela, elle se rapproche de celle de
Ramuz. Différence notoire, Bühler aime ses personnages. En
marionnettiste virtuose, il les épuise dans leur marche sans but comme
celle des notables et des gens sans tendresse. Ou alors il les lâche en
plein vol comme le syndicaliste breton en lutte pour sa survie. Parce
que la vie est ailleurs? L’écrivain ne le dira pas. Il soulignera
seulement « la guerre sournoise que l’argent fait à l’homme ». Jamais
l’écrivain ne se met en avant dans sa narration. Sa maîtrise du verbe
sans fard et du détail sera l’arme du crime: Michel Büühler trucidera
l’homme respectable.
YVES-ANDRÉ DONZÉ, Le Quotidien jurassien
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