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Il
faudrait commencer par les titres. Des titres qui en disent long sur
les intentions de Marielle Pinsard. Par exemple, et parmi tant de
titres qui sont autant d’aveux, d’interpellations et d’énigmes, on
retiendrait: La Truite; Comme des couteaux; Blonde Unfuckingbelievable Blond; Les Parieurs; Mon Pyrrhus; Pyrrhus Hilton; Built your jeep; Nous ne tiendrons pas nos promesses,
ce dernier titre apparaissant comme une douce provocation face une
société qui n’arrête pas, justement, d’en faire avec un cynisme le plus
officiel qui soit. Marielle Pinsard, c’est d’abord une observatrice
extrême, qui scrute et décrypte ce que l’on nomme réalité en faisant le
pari que son regard et son écoute donneront naissance à une autre
réalité. C’est quelqu’un qui se rend attentive aux autres – si
différents si semblables – qui prend le risque du mimétisme pour mieux
décaler et transposer son récit.
Le lieu commun est à l’origine du théâtre et Pinsard en constitue le
moteur de son travail. Pièces originales, pièces inspirées de et
réécrites, écritures improvisées, théâtre documentaire, son œuvre
multiplie les angles d’attaque pour raconter le monde d’aujourd’hui.
Elle n’a pas peur d’épouser les points de vue les plus communs, ceux
que la doxa impose et que nous sommes nombreux à reprendre à notre
compte, intellingentzia et petite bourgeoisie
confondues, masses médiocres face à la consommation. Elle en fait le
matériau de pièces qui irritent, déroutent et fascinent à la fois. Car
Pinsard épouse le point de vue de l’autre, le fait parler pour mieux le
comprendre et le critiquer, lui donne droit de cité, le fait voir et
entendre dans ses différences et jusqu’à ces écarts avec elle-même. Son
regard est sans illusion mais elle a l’élégance inquiète de ne pas nous
plomber la vie (ni l’art). Comme Rodrigo
Garcia, dont elle est à la fois proche et lointaine, elle n’esquive pas
la dimension morale de l’acte théâtral et dresse un tableau éclaté des
mœurs de notre société contemporaine.
Quand on lit Marielle Pinsard, il faut ne faut jamais oublier qu’elle
est comédienne, metteure en scène, dj et animatrice de soirée,
c’est-à-dire que ce qu’elle écrit est effectivement soumis à
l’expérience de la pratique scénique et à la confrontation avec le
public. Ses phrases semblent sorties telles quelles du quotidien et
pourtant elles sont plutôt à prendre comme des citations singulières
d’une parole commune et parfois dévoyées. Elles sonnent comme les
sentences dérisoires d’un rituel déboussolé et qui régit pourtant
encore nos modèles sociaux.
Mine de rien, Pinsard recycle le double héritage du théâtre de
l’absurde et du théâtre panique. Elle place l’acteur et le spectateur
face à la vacuité et l’inanité de l’expérience humaine, elle incite
l’un et l’autre, dans le temps de la représentation, à s’interroger sur
sa place au théâtre et dans la vie. Ayant lu un peu Brecht, elle sait
que l’ironie est le salut de l’esprit. Marielle Pinsard procède avec
discernement et sans préjugés. Elle passe des blondes à Racine, de
l’immigration à la gastronomie...Cette capacité à relativiser et
distancier les sujets s’apparente à une vision d’une monde où le
désapointement n’est jamais loin de la révolte.
PHILIPPE MACASDAR
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Théâtre. Marielle Pinsard et Valérie Poirier sont entrées dans la collection Théâtre en camPoche.
La collection Théâtre en camPoche
met en valeur les écritures contemporaines romandes. Dirigée par
Philippe Morand et publiée avec beaucoup de soin par Bernard Campiche,
elle s’enrichit de trois nouveaux volumes. Le premier, Enjeux 6, réunit six pièces de théâtre tout public, dont Les enfants chevaliers de la Fribourgeoise Isabelle Daccord, pièce créée par le Théâtre des Osses en 2002
Les deux autres volumes mettent en évidence le questionnement sur la
société d’aujourd’hui de deux auteures bien présentes sur les scènes
théâtrales romandes, Marielle Pinsard et Valérie Poirier.
Marielle Pinsard décortique nos réactions de pitié et de dégoût face aux mendiants dans une pièce dérangeante, Les pauvres sont tous les mêmes.
Trois femmes financièrement très à l’aise, qu’on imagine volontiers,
pour se donner bonne conscience, faire des dons pour un lointain
hôpital en Inde, mais causer sur un ton satisfait, à la terrasse d’un
café à la mode, des «dérangeants» pauvres d’ici. L’air de rien, en
vérifiant leur brushing dans la vitre, elles débitent des phrases
assassines et cyniques, qui virent à la culpabilisation des pauvres et
décrivent la mendicité comme un travail. Malaise.
Les textes de Marielle Pinsard, La Truite, Construis ta jeep, Nous ne tiendrons pas nos promesses,
sont tous des textes coups de poing, sans ponctuation, qui relèvent de
l’oralité, d’un jet capté sur le vif et testé sur scène. Valérie
Poirier, elle, a construit Les bouches comme une énigme: on
découvre les indices petit à petit, par sous-entendus. L’auteure décrit
un monde noyé dans le whisky et dopé aux antidépresseurs, dont même les
rêves sont d’une pauvreté affligeante. S’y mêlent l’argent, Dieu et la
mort. De quoi laisser un goût aigre en bouche.
Cette veine tragicomique, Valérie Poirier la cultive aussi dans Objets trouvés, Quand la vie bégaie et la pièce Loin du bal, qui pose un regard décalé sur la vieillesse et la vie en EMS.
ÉLISABETH HAAS, La Liberté
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«Mon théâtre est ouvert, ce n’est pas du théâtre sentencieux.»
Comédienne, «performer», Marielle Pinsard écrit des pièces et les met en scène depuis dix ans. «Les pauvres sont tous les mêmes et autres pièces» en réunit quatre qui interrogent une certaine attitude face à la consommation.
Construis ta jeep, Les pauvres sont tous les mêmes, Nous ne tiendrons pas nos promesses sont trois pièces clairement réunies par un thème commun.
Oui,
il s’agit de notre rapport à la consommation dans un microcosme
spécifique qui est celui dans lequel je vis, parce que je ne parle pas
de ce que je ne connais pas. Les personnages de ces pièces ont un
discours engagé et critique, par lequel ils essaient de se mettre en
valeur, mais leur position soi-disant sensible au monde est contredite
par une attitude égoïste. Mon milieu exprime une inquiétude vis-à-vis
de notre monde qui devient fragile, mais, en même temps, il se voue à
la consommation et au plaisir. C’est facile de se donner bonne
conscience en signant une pétition sur Internet, en un clic. C’est
comme si dire permettait de s’absoudre de quelque responsabilité que ce
soit.
De quel milieu parlez-vous?
D’un
microcosme, le mien, d’une classe de gens un peu cultivés. Je ne parle
que de moi, des gens plus responsables, il y en a plein, mais je n’en
fais pas partie. Je dirais que je suis engagée à ne pas être engagée.
Nous sommes ce que j’appelle les égoïstes au grand cœur.
Et vos pièces sont une critique de cette attitude?
Non,
c’est le public qui est censé faire la critique. Moi, je dis comment je
suis, comment je vis. Si les gens veulent se reconnaître, ils se
reconnaissent, et s’ils trouvent ça ennuyeux, ils trouvent ça ennuyeux.
Je ne cherche pas à faire un procès et je n’apporte pas de réponse. Mon
théâtre est ouvert, ce n’est pas du théâtre sentencieux.
Construis ta jeep, le monologue d’un chirurgien riche passionné par sa voiture, est plus ambigu que Les pauvres sont tous les mêmes et que Nous ne tiendrons pas nos promesses.
Parce que c’est un texte politiquement incorrect écrit en réaction à un texte agaçant pour moi: L’avantage avec les animaux, c’est qu’ils t’aiment sans poser de questions,
de Rodrigo Garcia. Il critique les riches, mais les riches ont de quoi
critiquer les gens qui se prétendent moins riches et qui ne vivent pas
si mal en réalité, surtout ici, dans les pays industrialisés. Les gens
vraiment pauvres qui auraient une conscience écologique et qui
souhaiteraient recycler leurs déchets n’en ont peut-être pas les
moyens, par exemple. Par ailleurs, j’ai aimé cet exercice d’écrire par
rapport à un autre texte, et j’adorerais que quelqu’un écrive en
réaction à Construis ta jeep.
Certaines de vos pièces sont très drôles.
Je
n’utilise pas l’humour exprès, ce sont les situations qui sont drôles,
car souvent vraies, non? On rit plutôt parce qu’on est souvent
pathétique et de mauvaise foi. Je ne veux pas faire rire en fait!
Vous écrivez et vous mettez en scène tout le temps, votre vie est faite de théâtre?
Oui,
mais je suis en train de me calmer un peu. Récemment, j’ai vécu une
formidable histoire d’amour qui s’est terminée sans tristesse, mais qui
me pousse à chercher ce que sont mes vrais désirs. Je vais essayer
d’arrêter de regarder autour de moi, ou en moi à travers les autres, et
de vraiment trouver mes désirs profonds. Donc je vais peut-être arrêter
de tourner autour de la question du rapport à la consommation, dont
j’ai l’impression d’avoir fait le tour. Maintenant que j’ai quarante
ans, je m’interroge sur la mort et la peur, c’est un sujet plus intime.
Je suis en train de travailler sur un texte qui met en rapport l’homme
et la bête, pour mieux parler de l’homme, mais je ne sais pas encore où
ça va me mener.
LAURENCE DE COULON, La Vie protestante
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