Et Dieu sait s’il est vaste, cet océan! L’ouvrage est une
compilation de textes courts où chaque lecteur trouvera matière à
réflexion ou plus simplement à déguster: ces flash-back sont comme
autant de petits lumignons sur le chemin de vie de l’auteur.
Fin érudit, il pose des jalons sur l’Histoire des trois dernières
décennies et s’interroge sur les hommes et les événements qui ont forgé
cette période pas toujours lumineuse de l’humanité. Le 11 septembre
2001 est un point de rupture: «Une lumière d’apocalypse, blanche,
aveuglante, messianique.» Le spectateur se réveille soudain, hagard,
découvrant les effets pervers de ce que l’on appellera le fanatisme
religieux. Le monde ne tourne plus rond.
Né à Bienne, le chroniqueur a étudié l’histoire et la littérature à
l’université de Genève. Il vit aujourd’hui en Valais. En tant
qu’éditorialiste et rédacteur en chef, il a travaillé pour de nombreux
titres de la presse suisse.
Souvent, il prend le lecteur à partie: «Je ne sais pas si vous êtes
comme moi…» Au lecteur de tenter l’esquisse d’une réponse aux questions
que l’écrivain lui propose. La notion de temps est très présente, fil
d’Ariane qui tisse ces récits, même s’ils ne sont pas répertoriés dans
un ordre chronologique. «Le temps, c’est une suite ininterrompue de
carrefours et de chemins qui vont dans tous les sens.»
Il a des traits d’humour, du genre: «L’antiaméricanisme est un des plus
vieux métiers du monde.» L’avenir avec les femmes? Il en est convaincu.
«De grands bouleversements, dans des pays, aujourd’hui plus ou moins
verrouillés, seront rendus possibles par la seule accession des femmes
aux multiples formes de la liberté, du savoir et de l’indépendance que
porte en elle la globalisation, entendue comme chance et élargissement
du monde.»
Il aime la Suisse, ce pays qui n’a pas de centre, mais mille
périphéries et il s’interroge sur l’avenir. «L’Europe se
réveillera-t-elle à temps alors que l’Asie et le Pacifique
redistribuent des cartes dont nous aurions tort de croire qu’elles nous
seraient favorables pour l’éternité.» Prémonition? Ayant fréquenté la
pensée de philosophes, d’historiens, de gens de lettres, on peut lui
accorder quelque crédit.»
L'Océan des émotions est un livre dense, essentiel pour qui s’intéresse à la marche du monde.
ÉLIANE JUNOD, L'Omnibus , No 630, 14 septembre 2018
La traversée du temps
Le temps résonne et vibre, intense et fraternel, dans ce vaste et bel
ensemble de textes que Jean-Christophe Aeschlimann, ancien rédacteur en
chef de Coopération a rassemblé dans L’Océan des émotions.
Il y est question de la marche du monde, de son histoire et de sa
mémoire, du présent. Un grand voyage, d’horizon et de perspectives, où
l’on rencontre par exemple Elie Wiesel, William Faulkner, Jacques
Chessex, Georg Christoph Lichtenberg, Saint-Exupéry comme aussi
Elliott, Nonno. Où l’on va voir les Rolling Stones ou le miracle
d’Ambri-Piotta. Et où chaque rencontre est un présent, unique.
JEAN-DOMNIQUE HUMBERT, Coopération
Cette manie! Jean-Christophe Aeschlimann cite sans cesse des
philosophes, Levinas en tête. C’est rude. Dieu merci, on peut naviguer
où on veut sur un océan de papiers. Éditoriaux publiés entre 1986 et
2017 dans différents journaux, ses textes parlent de la marche du monde
et du temps. Avenir de l’Europe, histoire de la Suisse, l’auteur aime
les vastes sujets. L’Amérique, Roosevelt et Elie Wiesel comptent parmi
ses admirations, ses sympathies englobent George W. Bush. Certains
textes agissent comme des piqûres de rappel. On l’avait presque oublié:
Amérique et al-Qaïda, au lendemain du 11 septembre, c’était kif-kif
bourricot pour Jacques Neyrinck et autres esprits nuancés du quartier.
On dériverait, un peu assoupi, si le capitaine ne prenait pas
régulièrement le large. Ouf. Avec un stylo rempli à l’eau de mer, il
évoque Nonno l’Italien qui fait aimer l’Italie, Laurel et Hardy, les
Stones et ses différents héros. Place aux hautes vagues! Aeschlimann
devient vrai, enfin sérieux. Et juste: qui n’a pas vu Keith Richards et
ses amis en concert, qui n’a jamais goûté à la magie du hockey à Ambri
ou Davos ignore ce qu’est le bonheur.
PASCAL BERTSCHY, La Liberté
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Ceux qui ont lu Tchekhov savent bien que le monde ancien est
généralement long à passer, pendant que celui qui vient n’est souvent
même pas perçu, sinon comme une blancheur aveuglante.
Du monde ancien, qui est loin d’avoir disparu, au monde à venir, qui
déjà a commencé, Emmanuel Levinas indique probablement l’une des
ruptures, quand il écrit que nous sommes entrés dans un temps qui
oblige à envisager la fin « de toute parole de la prédication », et « la
fin des valeurs qui (…), stables et sûres, se contemplent et se
possèdent ». De même, sans doute, le 11-Septembre – « Un tremblement de
temps », nous avait dit Elie Wiesel – et sa lumière en marquent aussi
l’un des passages.
Toujours en mêlant des sujets liés à la marche du monde et ceux issus
des circonstances les plus humbles, ces petits textes rédigés à
l’intention d’un public très large s’inscrivent dans un cheminement qui
obéissait, et obéit encore, à l’appel de Christophe Colomb: «On ne va
jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où l’on va.»
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