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Ce volme contient:
René Stirlimann contre le Docteur B. (2001)
N’Dongo revient (2002)
Opération Métastases (2004)
Tempête dans un verre d’eau (2006)
Building USA (2006)
Les Rois de la com’ (2007)
Affaires privées (2008)
Le théâtre de Dominique Ziegler est à coup sûr l’heureuse et singulière
synthèse d’une interprétation géopolitique du monde et d’une recherche
formelle. Il dénonce la vacuité d’une époque et notre capacité à la
soumission ou au bonheur.
Cette collection a pour mission de rendre compte, le mieux possible, de
la diversité des écritures théâtrales en Suisse romande. Dominique
Ziegler a donc une place légitime dans ce panorama.
Auteur et metteur en scène, il parle de sujets graves de la plus
ludique des façons. À chaque pièce, l’écriture de ce jeune dramaturge
s’enrichit et se complexifie; il est curieux, culotté et
remarquablement documenté. Il est inventif, audacieux et toujours
plausible.
Son théâtre convoque la farce tragi-comique, la satire mordante, la
parodie et parfois l’absurde, la comédie et le pamphlet, la provocation
et la dénonciation, enfin le rire comme une ultime subversion. Il se
réfère aussi au film d’espionnage, au polar, au thriller, à la bande
dessinée. Il défend un théâtre populaire qui parle de problèmes sociaux
sans compromis. Cette écriture procède d’un rire libératoire qui évite
toute pédagogie bien-pensante et tout ennui du politiquement
correct.
L’humour est une arme et le public s’y retrouve, jubile et s’y reconnaît.
PHILIPPE MORAND
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Vive le théâtre politique!
Heureusement qu’il y a un Dominique Ziegler dans le paysage théâtral suisse romand d’aujourd’hui!
En 2002 – la mode théâtrale était à l’esthétique, aux «people» de la
TV, au jeunisme, à l’eurocompatible, toute tentative de décrypter et de
démystifier les affaires du monde était déclarée ringarde – en 2002,
dans l’arrière-salle d’un bistrot genevois, j’ai découvert un soir,
avec bonheur, un auteur et metteur en scène qui imaginait, avec un
formidable culot, le tête-à-tête privé d’un président hexagonal avec un
dictateur africain. La rencontre des deux voyous était traitée sur le
mode de la farce, mais, dans un deuxième temps, elle devenait
horrifiante, car le spectateur se rendait compte qu’elle était tout à
fait plausible. Quand les puissants mêlent impudemment leurs histoires
privées et politiques et s’arrangent entre eux sans témoins ni
scrupules, c’est proprement scandaleux! L’alerte que donnait ainsi
Dominique Ziegler n’a-t-elle pas incité le gouvernement suisse à
empêcher que le spectacle soit joué en Afrique, dans le sillage d’une
visite du président Chirac!
Quelques mois avant les élections présidentielles américaines de
l’automne 2004, Dominique m’a fait lire une pièce qu’il venait
d’écrire: un vieux renard retraité de la CIA donne une master class
à un jeune agent en formation. Leur dialogue commence de manière
inoffensive, mais bientôt il se corse, le vieil espion jouant de plus
en plus cruellement avec le jeune, qui n’hésite pas à lui rendre les
coups. La vraie situation se révèle in extremis: nous assistons au
combat de vie ou de mort entre un terroriste et un agent américain!
Jouant le vieux lascar, j’ai fait une expérience curieuse (qui en dit
long sur les qualités d’écriture de Dominique Ziegler): mon personnage
racontait nombre de bouleversements politiques dans l’histoire des
cinquante dernières années, tous provoqués par la CIA au Guatemala, en
Iran, au Vietnam ou au Chili. Il se trouve que j’avais moi-même vécu la
plupart de ces catastrophes comme des moments de tristesse et de
désespérance. Je n’oublierai jamais la chute d’Allende le
11 septembre 1973, et, dans les jours qui suivirent, le massacre
de Victor Jara et de nombreux autres dans le stade de Santiago. Et
voilà que je revenais à ces moments douloureux comme acteur, jouant
l’un des instigateurs des coups montés par la CIA, et qui s’en vantait!
J’ai vécu les représentations de manière contradictoire, mon plaisir de
jouer un «méchant» se heurtant à des souvenirs gravés de peine et de
révolte ! Quand Dominique m’a fait découvrir la pièce, je me suis dit
qu’il fallait la jouer le plus tôt possible, avant les élections
américaines, car elle se situait nettement sous le régime Bush, et nous
espérions tous qu’il n’allait pas être réélu! Or Opération Métastases a
eu une longue vie tout comme, hélas, le règne désastreux de George W.!
Dans cette pièce, l’écriture du jeune dramaturge s’est enrichie, les
rapports entre les personnages sont devenus plus complexes, le conflit
est traité avec à la fois gravité et humour féroce. Le modèle du combat
des cerveaux de Strindberg n’est pas loin…
J’ai découvert René Stirlimann contre le Docteur B.
lors d’une représentation qui montrait bien les défis que jette son
écriture à la réalisation théâtrale : il faut trouver le bon équilibre
entre farce et férocité, entre caricature et réalisme. En plus des
problèmes existentiels de l’anti-héros m’est restée l’image frappante
de ces grands avocats genevois qui pratiquent la chasse à l’homme dans
une belle propriété de Cologny! C’est écrit avec culot et avec une
sauvage imagination, d’une plume vive. J’en suis sorti soulagé que la
pensée unique n’ait pas empêché un tel théâtre d’exister! Une année
plus tard, c’était la découverte, en représentation, de Building USA,
une fable simple et musclée, qui décrit avec force et pertinence des
procédés qui sont à l’origine des catastrophes de notre société
libérale et sauvage. Et je viens de lire le dernier texte de Dominique,
Affaires privées, dont la fable pénètre sans retenue au cœur
de ce qui fait la «crise» que nous vivons actuellement. Comme chez
Shakespeare, les affaires privées des puissants déterminent le cours
des événements… Avec Dominique Ziegler, le théâtre politique – si
souvent déclaré comme démodé, alors que la situation de notre pays et
du monde est plus inquiétante que jamais – a trouvé un relais précieux.
Le public se retrouve et se reconnaît dans son théâtre! L’auteur décrit
et dénonce des mécanismes qu’il a bien étudiés, en consultant des
ouvrages spécialisés et en recourant à des référents
cinématographiques, de bande dessinée, de littérature d’espionnage.
Ainsi naît un langage théâtral direct, efficace, intelligent, à la fois
provocant et divertissant, un théâtre populaire en lutte pour la cause
populaire. J’éprouve une grande reconnaissance pour son œuvre
littéraire grandissante, pour le théâtre nécessaire qu’il écrit et
qu’il pratique.
FRANÇOIS ROCHAIX, juillet 2009
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Auteur de théâtre choulésien
Dominique Ziegler «investit» la banque!
Dans de précédentes pièces de théâtre, telles que N’Dongo revient ou Opérations Métastases,
il a excellé dans l’exploration de la nature humaine et fait preuve
d’un talent certain pour «échafauder» un thriller psychologique.
Dans la même inspiration, avec Affaires Privées,
sa nouvelle création dont il assure la mise en scène, Dominique Ziegler
nous immerge dans une fiction à l’actualité brûlante: le monde obscur
et calfeutré de la finance dans le cadre d’une banque privée genevoise.
Le spectateur est entraîné dans la spirale infernale vécue par un des
personnages qui, poussé par le goût de l’intrigue, de l’ambition, voire
de la servitude et du sens de la compromission, connaîtra un destin
tragique, pris au piège de son propre système. Démontant les
rouages du système financier, l’auteur choulésien révèle combien
l’activité et le destin de cette poignée d’hommes de l’ombre aux
pouvoirs considérables sont intimement liés aux nôtres et à quel point
notre environnement immédiat en est façonné.
Davantage que de pourfendre le système capitaliste, il s’agit plutôt
pour Dominique Ziegler de souligner que les imbrications entre ce monde
secret de la finance et de l’individu lambda sont multiples,
puissantes, insondables, voire inquiétantes, mais, comme toujours chez
l’auteur, avec une bonne dose d’humour noir qui vient colorer le
tableau.
Son autre actualité, la parution du recueil de toutes ses pièces: N’Dongo revient et autres pièces – théâtre 2001-2008, dans la collection Répertoire des Éditions Campiche; émotions, rires et suspenses garantis!
CHRSTINE SCHAUB, Tribune de Genève, Les Rives du Lac
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Sexe, mensonges et théâtre
Dans sa dernière pièce, Affaires privées, Dominique Ziegler laisse les banquiers genevois s’entretuer. C’est son père Jean qui doit être content.
Victime, bourreau, sauveur. Le premier appelle le deuxième qui implore
le troisième, dans une course sans fin. Quand ce triangle infernal
vient écarteler banquiers et financiers genevois, cela donne un
résultat qui nous fait définitivement oublier que la Suisse pourrait
encore être un pays au-dessus de tout soupçon. «Ce n’est pas un
pamphlet anticapitaliste», répète à l’envi Dominique Ziegler, auteur et
metteur en scène des Affaires privées,
actuellement déballées au Poche à Genève. Contrairement à son père,
Jean, qui n’hésite pas à sortir l’artillerie lourde pour tirer sur tout
ce qui ne bouge pas en Suisse, Dominique pratique plutôt le duel à
fleurets mouchetés. Au final, il y a autant de morts montrés du doigt
par le papa que par le fiston. Mais avec le «polar ethnologique» de
Dominique Ziegler, les victimes n’ont pas eu besoin d’être exécutées.
Elles se sont bousillées elles-mêmes. Inutile de flinguer le
capitalisme, il s’autodétruit. Il n’y a juste qu’à attendre.
Violence feutrée. Dans cette fresque «préapocalyptique», magistralement
interprétée par des comédiens brillants et convaincants, il est vain de
s’attendrir sur les gentils qui seraient vilainement exploités par des
méchants. L’appât du gain, la recherche inlassable du pouvoir,
l’ivresse de la séduction, bref la dégradation totale des rapports
humains rendent les personnages aussi pitoyables les uns que les autres.
Qui peut bien se cacher derrière le banquier français établi à Genève
«Edmond» Weinstein (Raoul Teuscher), le jeune loup aux dents longues
«Olier» (David Gobet) ou l’empire «Safia»? Difficile de ne pas penser à
l’affaire Stern à la vue des scènes sado-maso qui pimentent la pièce,
de ne pas voir Jean-Marie Messier dans le personnage de Jean-Marc
Mortier, «qui a eu le nez fin avec l’audiovisuel», de ne pas se
souvenir de la noyade de Robert Maxwell ou de l’assassinat d’Edmond
Safra. Mais Dominique Ziegler se refuse à faire l’amalgame. C’est,
dit-il, une ambiance qu’il a voulu brosser. Celle d’un monde feutré
cachant une violence permanente qui implose quand elle n’explose pas.
Banquiers honteux. Étrangement, l’auteur semble éprouver un brin
d’admiration pour Edmond Weinstein à qui il fait dire à propos de ses
«confrères» banquiers privés genevois: «Vous savez ce qu’ils savent
faire ici pour étaler leur culture? Investir dans l’art. Tous ces cons
pleins de fric ont leurs couloirs remplis de tableaux. De la merde en
général, mais acquis très chers. C’est moins épuisant que de lire un
livre et en plus c’est déductible d’impôts.»
Au final, on se dit que Dominique Ziegler appartient sans doute à la
catégorie des marxistes esthètes. Et que, à ses yeux, il y a bien pire
qu’un capitaliste ravageur et destructeur: un capitaliste sans une once
de culture. Apparemment, il en rencontrerait quelques-uns sur la place
de Genève. Heureusement, pour lui, il côtoie parfois un banquier «qui
n’est pas vraiment à l’aise dans son milieu et qui écrit des romans en
cachette». Il le qualifie volontiers de «banquier honteux». À l’image
d’Edmond Weinstein, un «empereur». Ce financier a des lettres, des
références philosophiques. Finalement nihiliste, il est capable de
brûler son propre vaisseau, il en a l’audace. Un geste que le «petit
requin» Olier est à mille lieues d’imaginer.
Paix des braves. Le spectacle terminé, chacun peut se consoler en se
persuadant que si la vie réelle n’est que mobbing, trahisons et
égocentrisme, il n’est nullement concerné. Son voisin, peut-être, sans
doute même, mais pas lui. Ainsi la cité de Calvin peut s’endormir en
paix. Et Dominique Ziegler quitter tranquillement le théâtre sur son
vélo électrique.
PHILIPPE LE BÉ, L’Hebdo
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«Affaires privées» de Dominique Ziegler perce l’étanchéité du monde de la finance. Convaincant.
Manipulation, trahison, complot. L’actualité de la crise financière
nous avait donné quelques vagues aperçus de ce menu détonant. Mais,
enjeux de taille et discrétion professionnelle oblige, on en ignorait
toujours les mécanismes. Par le biais d’une fiction théâtrale,
Dominique Ziegler nous en offre une proposition (tristement) crédible:
le mobbing – harcèlement sur le lieu de travail – a en effet trouvé un
terrain d’autant plus fertile dans le milieu bancaire que les enjeux y
sont de taille. Décidément, haute finance ne rime pas avec hauts
sentiments.
Rendre un tant soit peu intrigant le milieu glaçant des bureaux n’était
pourtant pas chose aisée. D’autant plus que les moments de crise se
prêtent à tomber dans le piège des jugements hâtifs et des préjugés.
Mais les premières répliques balayent vite les craintes d’une pièce
«pédagogique». Car dans Affaires privées
on rit d’emblée. Jaune, certes, mais l’on rit tout de même. Les
dialogues sont bien ficelés et les boutades révélatrices du cynisme
ambiant: «La perversité du milieu ferait passer le Marquis de Sade pour
Barbara Cartland», remarque René Pierrol, ancien collègue de Weinstein,
personnage central de la pièce. Si les répliques de comédie font
rire l’assistance, l’intrigue assume petit à petit des dimensions de
complot (mobbing sentimental, sexuel, culturel). La pièce tourne au
thriller et le décryptage du milieu et de ses rouages pervers se
déploie à travers un savant mélange tragicomique (farce, comédie,
thriller). Et ce mélange – véritable fer de lance stylistique de
Ziegler – devient jubilatoire.
Au final, si la démonstration d’Affaires privées glace,
c’est par la précision et la vraisemblance de l’ensemble. Car, une fois
n’est pas coutume dans un milieu qui se nourrit de métaphores
animalières («être un requin de la finance»), l’accent est mis sur
l’humain. Et, surprise, l’arbre cachait une forêt. Sous le regard
attentif de Dominique Ziegler, le rouage du mobbing devient ainsi une
machine dramatique parfaite et insoupçonnée qu’il se fait un plaisir de
mettre en branle. Servi en cela par une distribution réussie et un
puissant Raoul Teuscher dans le rôle de Weinstein.
NICOLA DE MARCHI, Le Courrier
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De bonnes «Affaires privées» à saisir au Poche
Est-ce
la signature de l’efficacité? Toujours est-il que l’on ressent un léger
sentiment de malaise en sortant de la nouvelle pièce de Dominique
Ziegler, Affaires privées. C’est sans doute que le
dramaturge genevois, de plus en plus à l’aise dans son écriture,
parvient à développer son propos en évitant les écueils du didactisme
et du manichéisme. Entre le noir et le blanc, des zones d’ombre sont
glissées, zones mouvantes qui rendent compte de la complexité du sujet.
Si l’intrigue – bien ficelée – se déploie dans le cadre d’un
établissement bancaire privé, ce sont bien les mécanismes du pouvoir
(financier, politique, sexuel) qui s’exposent dans leur cheminement
tortueux. En dépit de l’intransigeance de son trait, l’auteur n’est pas
indemne de la fascination qu’exerce le banquier Edmond Weinstein (Raoul
Teuscher, confondant) sur ses proches. Refusant d’en faire une machine
aveugle, il laisse poindre les contradictions et les névroses.
Chaque personnage est d’ailleurs traité avec soin. Une distribution
talentueuse (Sophie Lukasik, David Gobet et Daniel Wolf) en affermit la
crédibilité, sans toutefois verser dans un réalisme inapproprié. Même
s’il se nourrit d’un fait divers authentique, c’est un thriller de
théâtre qui se joue là. Les dialogues percutants ainsi qu’une mise en
scène nerveuse en organisent le flux spectaculaire. Sur le mode du
divertissement, Dominique Ziegler débusque l’homme derrière le golem de
la finance. Un homme schizophrène et cynique, suffisant mais
insatisfait, à l’image de l’époque qui l’a enfanté.
LIONEL CHIUCH, Tribune de Genève
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«Je veux que le public se divertisse»
Dominique
Ziegler. Le metteur en scène genevois, fils de Jean, se bat pour un
théâtre en phase avec l’actualité et qui attire le grand public.
Rencontre.
Installé dans les coulisses sur
un sofa du Théâtre Le Poche, le metteur en scène Dominique Ziegler se
montre prolixe en évoquant sa dernière pièce, un thriller psychologique
teinté d’humour noir situé dans le cadre d’une banque d’affaires: «Je
voulais faire depuis longtemps un spectacle sur le mobbing et la dureté
desrelations humaines en général et dans le monde professionnel en
particulier. Et j’ai trouvé que la crise financière apportait un
éclairage encore plus violent sur la déréliction des rapports humains
avant tout due à l’organisation actuelle de la société.» L’auteur
genevois de trente-neuf ans est scandalisé par le volet suisse de la
crise. «Le Conseil fédéral a déboursé soixante milliards de francs pour
sauver la banque UBS. Le vrai gouvernement, c’est elle!» Pour Dominique
Ziegler, il est temps de se réveiller. «C’est valable pour tous les
peuples du monde et le sujet de toutes mes pièces. Il y a une classe
dominante qui fait ce qu’elle veut et qui se perpétue. Et, en fin de
compte, le peuple se fait toujours avoir. Il faut absolument remettre
en question l’organisation de la société et la notion de pouvoir.»
Pas de doute, Dominique Ziegler est bien le digne fils de Jean, homme
politique de gauche, sociologue, écrivain et polémiste très connu en
Suisse et au-delà, notamment pour ses attaques virulentes contre le
grand capital (helvétique) et ceux qui le représentent, ainsi que pour
son engagement humanitaire.
Le fils et le père entretiennent des relations cordiales. «Je suis
reconnaissant d’être né dans cette famille (ndlr: sa mère est
Égyptienne), car mon père est une encyclopédie vivante. Comme il a une
grande connaissance de beaucoup d’événements politico-historiques, j’ai
pu et je peux toujours lui poser moult questions. Nous avons toutefois
quelques divergences sur certains points de détail idéologiques.
J’ajoute que, grâce à mes parents, j’ai beaucoup voyagé en Afrique, en
Amérique latine, en Asie, où j’ai rencontré des gens fascinants.» Le
metteur en scène aurait d’ailleurs voulu vivre en Afrique: «J’ai
toujours fantasmé sur ce continent. Mais j’ai mes racines et mes
attaches en Suisse et je suis fasciné par les paysages de ce pays.
Quant à son système démocratique, il me plaît. C’est pourquoi je
pourrais difficilement m’établir ailleurs.»
Pour en revenir à Jean, Dominique Ziegler n’a eu aucune difficulté à
s’affranchir d’une telle personnalité. «Dans ma vie quotidienne,
franchement, il n’y a pas le moindre problème. J’ai suivi mon propre
parcours, j’ai mes centres d’intérêt et relations sociales personnels.
Le seul hic, c’est le regard des autres, parfois intrusif, du genre,
vous êtes tranquillement assis à la terrasse d’un bistrot et un gars
vous lance: ah! tu es le fils de… Ça, c’est effectivement casse-pieds.»
Il regrette que les médias ne s’intéressent pas suffisamment au parcours
d’auteur de Jean Ziegler: «C’est un intellectuel et un écrivain
d’abord, qui a publié une vingtaine de livres. Il a été formé par le
philosophe français Jean-Paul Sartre et a partagé un appartement avec
Elie Wiesel, Prix Nobel de la paix! Son itinéraire intellectuel et
culturel est plus intéressant que diverses polémiques.»
Quant à la culture, l’auteur romand se réjouit de «l’effervescence
fabuleuse qui règne en Suisse romande. Il y a des troupes de théâtre
impressionnantes, une forte émulation. C’est également valable pour la
musique, la danse et les arts plastiques en général. Il existe un
terreau, une vivacité, une faune d’artistes extrêmement foisonnante. Ce
constat vaut aussi pour la Suisse alémanique.»
Cela dit, à l’ère d’Internet et des jeux vidéo, comment intéresser les
jeunes au théâtre, un terme presque passéiste? «En faisant précisément
de la publicité sur le Net et en mont(r)ant les pièces les moins
chiantes possible! Ce qui implique que nous soyons exigeants envers
nous-mêmes.» Dominique Ziegler a constaté que, dans le théâtre
d’aujourd’hui, «nous avons tendance à adopter une espèce de langage
interne, qui ne parle pas au grand public. Attention, donc, à ne pas
être trop élitistes, à ne pas mépriser la culture du divertissement».
Au Théâtre Le Poche, l’auteur se bat certes pour aborder des sujets
sociaux et politiques, mais veille à ce qu’ils constituent
parallèlement un bon divertissement.
«Je veux que le spectateur frissonne, s’amuse, bref passe un bon
moment.» Les sources d’inspiration du Romand sont diverses et se
nourrissent de ce que lui apprécie comme «consommateur», c’est-à-dire
Molière, Boris Vian, Astérix, Largo Winch, etc. «J’adore en outre le
rock. J’espère avoir l’esprit rock, autrement dit être un peu rebelle,
irrespectueux à l’image de la bande dessinée Hara-Kiri.»
On peut rassurer Dominique Ziegler. Après une heure en sa compagnie,
son caractère irrévéren- cieux et révolutionnaire saute aux yeux!
DIDIER WALZER, Coopération
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AFFAIRES DU MONDE, ARCHIPELS POÉTIQUES
Dans
sa collection dédiée au théâtre, en partenariat avec la SSA, Bernard
Campiche publie «N’Dongo revient et autres pièces» de Dominique Ziegler
et «Pièces 2003-2009» de Sandra Korol.
Leur
théâtre témoigne d’une même attention au réel, mais portée par deux
écritures radicalement différentes: là où Dominique Ziegler utilise la
farce tragicomique, la satire ou le pamphlet pour aborder des sujets
politiquement engagés, Sandra Korol tricote des personnages hauts en
couleur, souvent torturés, baroques et romantiques, dans des pièces
traversées par un souffle de fantaisie. Au fil de son travail, la
dramaturge dessine les contours d’un «archipel ailé, mobile », comme le
formule René Zahnd dans sa préface: les titres mystérieux de ses pièces
évoquent un monde à part, géographie poétique en extension. Il y a KiLombo,
où deux femmes enfermées dans un sous-sol mangent les ordures déversées
par le monde d’en-haut en rêvant au grand amour qui viendra les
chercher; CarGo 7906, monologue à deux voix écrit pour le
comédien Darius Kehtari, où le Roi et le Clown plongent dans une quête
des origines baignée des larmes de l’exil. Ou encore Liwyatan,
qui met en scène des personnages bloqués sur une île, échappant à
l’enfermement et à une mère abusive par le rêve et l’imaginaire. Dans
le texte qui raconte la genèse de cette dernière pièce, l’auteure
explique ne pas pouvoir démarrer sans titre; une fois trouvé celui-ci,
«il ne me resta plus qu’à en dérouler les interstices, comme on le fait
d’une hélice d’ADN. Et d’amener à la lumière les méandres intérieurs de
ceux que j’appelle les liwyatans, les monstres tapis sous la surface de
la conscience.» On est ici au cœur de sa démarche. Sandra Korol
part d’événements vécus et explore certaines préoccupations – les
manipulateurs pervers dans Lywiatan,
mais aussi l’enfermement, l’exclusion, l’exil, la mort d’un être cher,
la quête de l’amour, le désir de liberté et de transcendance, etc.
Autant d’éléments qui entrent en résonance avec le titre surgi
d’ailleurs, relié à une dimension plus vaste, à cette part
d’inconscient qui guide l’imaginaire. Le tout alors se fond dans le
creuset d’une langue qui laisse place à l’intuition et balise un
territoire poétique d’une grande liberté. Le titre de la pièce TsimTsoum,
par exemple, est emprunté à un ouvrage de Marc-Alain Ouaknin sur la
méditation hébraïque, lu par Sandra Korol alors qu’elle se questionne
sur le «Sens» de retour d’un voyage dans la région des Grands Lacs,
théâtre du massacre rwandais, et qu’elle a carte blanche pour créer une
pièce avec quatre comédiennes... Résultat: une malicieuse «quête de
verticalité» où quatre bonnes sœurs tentent de prouver l’existence de
Dieu en la mettant à l’épreuve de leur foi – on retrouvera leurs
extases et leurs blasphèmes au Théâtre de Vidy-Lausanne en janvier,
dans la mise en scène de Georges Guerreiro. Au final, impossible de
démêler tous ces fils. Reste cet univers étrange, empreint d’humour, de
fantaisie et d’une sorte de grâce, marque de fabrique du théâtre de
Sandra Korol.
Un théâtre citoyen
C’est un tout autre ton qui porte les pièces de Dominique Ziegler, où
culot et dénonciation forment un cocktail censé réveiller les
consciences des spectateurs. Nourris de sa propre révolte et de ses
interrogations face aux injustices du monde, les textes de l’auteur et
metteur en scène genevois sont conçus pour toucher et faire réfléchir.
Entre pillage de l’Afrique, soutiens occidentaux aux dictateurs et
magouilles de la CIA, il y dénonce des mécanismes qu’il a pu observer,
au fil de ses voyages notamment, et sur lesquels il s’est documenté. N’Dongo revient,
sa première pièce jouée, en 2002, dans le sous-sol d’un bistrot
genevois, montre un tête-à-tête entre un président africain et un
président français dont les intérêts soudain divergent – surgit alors
la farce, glaçante et scandaleuse. La pièce a remporté un succès
critique et public; elle a été jouée à Paris pendant neuf semaines,
avant que la Confédération ne bloque sa tournée africaine pour des
raisons diplomatiques (attitude dénoncée par l’auteur dans Tempête dans un verre d’eau, qui a surtout valeur de catharsis).
Cette frilosité témoigne de l’efficacité des constructions dramatiques
de l’auteur. Ziegler puise ses références dans les genres de la bande
dessinée, du cinéma (le western dans Building USA) ou des romans d’espionnage (Opérations Métastases). Rapide, rythmée, riche en retournements de situations, sa dernière pièce Affaires privées semble
emprunter sa structure au genre du sitcom et évoque aussi l’univers de
David Mamet, expert en fauxsemblants: montrant les rouages d’un piège
qui se referme autour d’un jeune cadre, elle dévoile avec une ironie
grinçante les manipulations, la perversion et la violence policée à
l’œuvre dans le monde de la haute finance. Ce théâtre politique et
citoyen – «théâtre populaire en lutte pour la cause populaire», écrit
François Rochaix dans sa préface –, se doit d’être dérangeant,
divertissant, provocant. C’est ici la construction des pièces qui
prime, la langue elle-même reste secondaire par rapport au propos.
Humour corrosif, personnages souvent parodiques: pour dénoncer,
Dominique Ziegler force le trait, et joue en équilibre sur le fil entre
caricature et réalisme.
ANNE PITTELOUD, Papiers, bulletin d’information de la SSA
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Ziegler en camPoche
«L’action
du théâtre, comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les
hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle
découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartufferie.»
ANTONIN ARTAUD
Dominique
Ziegler est devenu en quelques années un auteur de théâtre reconnu par
ses pairs. En témoigne notamment la récente publication aux Editions
Campoche de ses œuvres complètes, véritable entrée officielle dans la
grande famille des écrivains dramatiques romands. Le public, moteur
incontestable quoique souvent contesté, le savait déjà, puisque dès ses
premières pièces, Dominique Ziegler a su le faire venir dans les
diverses salles, à géométrie variable, où il était invité à se produire
et à se mettre en scène.
On se souvient d’une de ses premières pièces N’Dongo revient,
montée à Genève, à l’Auberge du Cheval Blanc, en 2002, qui a plu
d’emblée et même au-delà des frontières, puisqu’elle a tourné à Paris,
avant d’être reprise en 2004 et 2006 au Théâtre de Carouge. On ignore
peut-être qu’elle avait fait l’objet d’une invitation en Afrique en
bonne et due forme, mais qu’au dernier moment le projet a capoté,
politique et affaires étrangères, voire ‘affaires’ tout court ayant eu
une sorte de dernier mot.
Les saletés du monde
Comment
expliquer cet engouement tout à fait mérité pour celui que l’on finit,
dans les débats, par confondre avec son père Jean, tant est vissé en
lui l’envie de dénoncer scandales, mafias, et inhumanités en
général ? À la différence de son universitaire de père,
Dominique ne règle pas son compte à la société par des pamphlets ou des
rapports, voire des engagements politiques au plus haut niveau, non,
lui préfère l’écriture théâtrale pour faire comprendre toutes les
saletés du monde. Car l’écriture dramatique permet de mettre en
perspective de manière poétique ou comique, le grotesque, l’absurde, et
la hideur du monde.
Écrire le monde
Écrire pour le théâtre, aujourd’hui, pose un certain nombre de
questions, auxquelles d’ailleurs les Éditions Campiche tentent de
répondre au fil de leurs publications. En cela, Philippe Morand et son
équipe font vraiment œuvre utile, donnant à voir le vaste territoire
des possibles en la matière.
Dominique Ziegler, qui a déjà obtenu quelques récompenses littéraires,
a bel et bien une écriture, et cela frappe dès la première lecture,
dans le silence de la chambre, c’est-à-dire d’emblée, sans jeu, sans
décor, sans acteurs. Sans théâtre presque. Écriture qui s’immisce
narquoise dans les sujets traités, et plus précisément dans la ‘langue’
parlée par chacun de ses personnages. Dans N’Dongo revient par exemple, il réussit dès la première réplique à montrer comment Président Blanc ne parle pas du tout la même langue que N’Dongo. Et
il ne s’agit pas de marquer ainsi une simple et évidente altérité entre
gens de pays différents, mais plutôt de faire sentir une condition
sociale, un statut de légitimité/illégitimité de la parole au sens où
le décrivait Bourdieu, bref, de faire entendre à haute voix la
géographie intérieure des protagonistes pour que le lecteur saisisse en
un seul mouvement d’où ‘ils’ parlent. Dans Affaires privées
également. D’entrée de jeu, la langue de la banque, de la finance, de
la ‘flibuste’ comme il dit, claque entre les deux héros de la scène
première, scène primitive.
Succès
Son sens de l’observation linguistique, Dominique Ziegler le met au
service de sujets modernes, et c’est probablement l’une des
explications de son succès. Il y a quelques années, on prédisait la
mort du théâtre politique, la mort d’un certain théâtre d’idées, et
peut-être même qu’on le souhaitait tacitement. Le spectateur avait le
choix entre aller au théâtre voir des classiques à la thématique
universelle - donc aussi politique – dans de merveilleuses mises en
scène, prenons au hasard le Malade imaginaire de Stratz, le Macbeth d’Engel, ou encore les Trois sœurs
de Pogrebnitchko; ou pouvait se gausser en famille d’une non moins
universelle situation vaudevillesque et bourgeoise, ou encore se mettre
à penser à la misère du monde, assis sur un joli siège de velours
rouge. Ziegler a en quelque sorte mélangé ces trois directions. Ses
pièces sont en fait assez classiques, souvent grinçantes et vénéneuses,
et nous disent la vie telle qu’elle est, cruelle, ridicule et parfois
‘bête et méchante’. La dichotomie entre les thèmes abordés et la
manière de les traiter ont assuré la réussite de son entreprise
théâtrale. Il a su redonner au public l’envie d’aller voir là-bas s’il
y est, en prenant soin de ne jamais flatter ce public ni le prendre de
haut, ce qu’il est peut-être bon de souligner en ces temps de
ricanements planétaires généralisés, souvent ‘téléphonés’ d’ailleurs.
Le théâtre de Dominique Ziegler fait réfléchir sans les inconvénients
supposés de l’exigence de la réflexion; d’autre part, il ne racole pas,
il ne diabolise ni les uns ni les autres, il ne démoralise pas, il
cherche juste des partenaires-spectateurs capables de partager idées,
idéaux, et points de vue documentés. C’est ce que le public avait entendu dès le début, et avait su relever. C’est ce que vient confirmer cette publication.
ROSINE SCHAUTZ, Scènes Magazine
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N’Dongo revient de Dominique Ziegler et la censure suisse
L’éditeur
suisse Bernard Campiche vient de publier, dans sa collection de poche,
un recueil de sept pièces de théâtre de Dominique Ziegler. De René Stillimann contre le Docteur B. (2001, inspiré par l’affaire de la secte du Temple solaire) à Affaires privées
(2008, histoire de l’assassinat d’un banquier), l’auteur et metteur en
scène (né à Genève en 1970) développe une forme de théâtre politique,
satirique et populaire, provocant et divertissant, branché sur
l’actualité. Dans Opération Métastases (2004), il revient, à
travers l’affrontement de deux espions américains, sur le rôle joué par
la CIA au Vietnam, au Chili, en Afghanistan. Dans Les Rois de la Com’
(2007), il ridiculise les publicitaires impliqués dans la défaite du
candidat de gauche Emmanuel Jasmin, arrivé troisième derrière le
candidat xénophobe Jean-Marc Pinoff, au premier tour d’une certaine
campagne présidentielle.
La politique étrangère d’un grand pays, patrie des droits de l’homme, est au centre de N’Diongo revient:
un président blanc reçoit un dictateur africain, rencontre drôlatique
et terrifiante entre deux hommes liés par une rapacité commune. Pour ne
pas faire oublier que la Suisse est aussi une terre porteuse de valeurs
démocratiques et pour les promouvoir dans le monde, le ministère des
affaires étrangères helvétique avait eu la bonne idée d’organiser une
tournée de la pièce en Afrique. Après s’être engagé contractuellement,
il avait courageusement fait marche arrière, annulant cette tournée
quinze jours avant son début... pour éviter toute confusion avec la
politique africaine d’un pays ami et ne pas nuire à une visite de son
président. Ziegler raconte l’histoire de cette censure diplomatique
dans une pièce du recueil intitulée Tempête dans un verre d’eau.
Elle a également fait l’objet d’un documentaire filmé, Boulevard
France-Afrique, réalisé par les cinéastes Cédric Flückiger et Simon
Soutter.
Bibliothèque Armand Gatti
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