Vingt ans du Festival d’Ateliers-Théâtre suivis de deux pièces de Jacques Probst
Marie-Christine Epiney, passionnée de littérature et de théâtre caresse
un rêve: donner l’opportunité aux élèves du canton de Genève de se
produire sur scène dans des conditions techniques professionnelles et
face à un public exigeant. Ainsi naît le festival biennal des
Ateliers-Théâtre.
«En rentrant dans la peau de personnages imaginés par des auteurs
d’hier et d’aujourd’hui, le jeune éprouve les émotions les plus
universelles.» Ce projet hautement formateur, noble et ambitieux a
permis à des milliers d’élèves d’arpenter les planches de La Comédie et
du Théâtre de Carouge. Comédienne, metteur en scène, pédagogue,
Marie-Christine a la joie de transmettre le plaisir du jeu, le plaisir
d’être autre que soi. C’est une passeuse. Le théâtre, particulièrement
à l’adolescence, est le lieu de tous les possibles.
Ce livre est un témoignage de ceux qui ont œuvré à la réussite du
festival, un listing de toutes les créations qui y ont vu le jour. «Les
ateliers sont un terrain de liberté où se développe la pensée et où se
forge le citoyenneté» déclare Hervé Loichemol, directeur de La Comédie.
Les adolescents touchent aussi à tous les corps de métiers; ils sont
décorateurs, costumiers, éclairagistes, preneurs de son, graphistes,
poseurs d’affiches, responsables de la trésorerie ou de la gestion du
bar. Leçons de vie inoubliables pour celles et ceux qui on eu la chance
de participer à ces festivals!
Si Marie-Christine a eu à cœur de faire connaître et jouer de grands
textes, elle souhaitait que Jacques Probst, auteur dramatique et
comédien écrivit pour le festival. Un jour, devant sa fenêtre ouverte,
il capte des hurlements, des invectives. Il descend les cinq étages de
son immeuble pour être à la source même des voix. Il prend des notes.
Il commence l’écriture de Un trois-mâts pour Djakarta.
C’est une histoire, toujours la même: Léo aime Sonia qui aime Igor qui
n’aime personne. Igor, c’est un jeune voyou friqué. Lacérée par les
injures et les passages à tabac d’Igor, Sonia lui assène un coup de
couteau dans le cœur… La musique tient un rôle de premier plan.
On n’est plus des enfants précède Un trois-mâts pour Djakarta.
Là aussi, il est question d’un meurtre, mais par accident, celui de la
belle Makalia, pleurée par son ami Léo. C’est une succession de
séquences. L’écrivain a des envolées lyriques superbes. Les thèmes
évoqués sont ceux des ados, le langage de l’auteur est le même. Une
pièce forte, essentielle.
ÉLIANE JUNOD, L’Omnibus
Lorsqu’au printemps 1995 je demandai à Jacques Probst s’il avait déjà écrit pour les adolescents, sa réponse fut négative.
Douze ans plus tard, je lui proposai de diriger un premier stage
d’écriture aux Maisons Mainou dans le cadre du Festival
d’Ateliers-Théâtre 2007, qui se déroulait au Théâtre de Carouge. Deux
heures de discussion à bâtons rompus pour une réponse aussi positive
qu’évidente.
La même année, je l’invitai à écrire une pièce de théâtre avec et pour
des adolescents, un comble pour un rebelle qui avait quitté l’école à
seize ans. On n’est plus des enfants vit le jour en mai 2008 au collège
Rousseau. La rencontre fut suffisamment riche pour être renouvelée
l’année suivante avec Un trois-mâts pour Djakarta, joué au Théâtre Am
Stram Gram.
Au fil de ces dix dernières années de Festival d’Ateliers-Théâtre, mon
compagnonnage avec Jacques Probst s’est tissé avec la certitude
partagée que le théâtre adolescent est non seulement formateur, mais
qu’il laisse des empreintes artistiques et amicales profondes chez des
adolescents en quête d’identité.
Puisse ce vingtième anniversaire du Festival d’Ateliers-Théâtre
témoigner de l’enthousiasme revigorant des jeunes pour le théâtre.
MARIE-CHRISTINE EPINEY
J’habite au cinquième étage d’un immeuble en bordure d’un grand parc
public qu’entourent plusieurs grands arbres, chênes et marronniers,
quelques tilleuls aussi, de hauts sapins, et encore trois cèdres
libanais centenaires trois fois.
Par les nuits sans pluie, celles de printemps, d’été, de premier
automne, sur trois ou quatre bancs cachés aux fenêtres de mon immeuble
par un demi-cercle autour d’eux, des marronniers bien feuillus, se
réunissent des jeunes gens, filles et garçons de quinze à vingt ans, ou
treize ou quatorze à vingt et un, vingt-trois ans, comment savoir ? Ils
sont des ombres à l’abri des feuillages.
Deux heures avant minuit viennent s’installer sur les bancs les trois
ou quatre premiers venus, dont quelques fois fuse une voix à travers le
parc silencieux. Ensuite, très vite, un appareil à musique qui jamais
ne les quitte, vient tabasser l’air tranquille de la nuit par le
martèlement dictatorial du rap, histoire de combler le silence de ceux
pas encore venus. Mais qui arrivent et sont bientôt quinze ou vingt à
se faire entendre aux fenêtres de l’immeuble comme cent cinquante. Du
demi-cercle de marronniers monte le bourdonnement de caquetages, de
pépiements, la réunion en un seul arbre de douze mille étourneaux aux
époques de grandes migrations. Mais sur les bancs sous les arbres, au
pied de mon immeuble, ce ne sont pas des oiseaux : seulement des
adolescents dont les ailes n’ont pas fini de grandir, mais de plus en
plus tonitruants, et dont l’énorme présence sous la nuit finit par
submerger celle des étourneaux.
Soudain jaillie de la masse sonore, la voix furieuse d’une fille qui
crie on ne comprend pas quoi, car elle a perdu la maîtrise des aigus et
se perd en sanglots comme des chaînes de grelots. Pour lui répondre, la
voix forte et ferme d’un jeune gars qui vient d’en finir avec sa mue
vocale et veut le faire savoir.
Un peu avant minuit, les voix de quart d’heure en quart d’heure se font
plus éraillées, plus agressives, rugissantes. On en entend qui
appellent à tue-tête le sang, et l’on pense qu’un couteau sorti d’une
poche allume sa lame automatique. C’est que, le long des cordes
vocales, l’alcool a grimpé, toutes griffes dehors. Les jeunes apportent
l’alcool dans des bouteilles de coca à moitié remplies de whisky bon
marché par-dessus le soda, ou bien, dans des flacons au fond desquels un
résidu de thé froid, de la vodka jusqu’au goulot que l’on se passe et
se repasse, et alors ne montent jusqu’à nos fenêtres plus rien que des
gueulées, des beuglements, hennissements, cris d’ânes qui sont les plus
puissants, des cris de bêtes quand les bêtes se mettent à parler entre
elles.
C’était tout pareil une nuit d’été d’il y a quelques années. Il était à
peu près minuit, et dans ma chambre, à ma table, je cherchais comment
écrire pour la deuxième fois une pièce pour les adolescents du collège
Rousseau, pour lesquels, un an plus tôt, j’avais écrit une première
pièce très bien mise en scène par Marie-Christine Epiney, à qui je
devais la commande de ce deuxième texte. La première fois, j’avais
écrit, après quelques conversations privées dans des cafés avec
quelques-uns des élèves, filles et garçons, une pièce qui se présentait
en une petite suite de tableaux d’adolescence, selon les récits
qu’eux-mêmes m’avaient faits, mais aussi selon mes souvenirs, qui ne
sont pas à chercher loin dans des temps anciens, puisque je suis, à
soixante-cinq ans, un adolescent qui aura peut-être dix-huit ans demain
matin.
J’écoutais donc, cette nuit-là, fenêtre grande ouverte, les hurlements
et invectives incompréhensibles sous les marronniers quand, deux
heures après minuit, j’ai descendu les cinq étages me séparant de la
source des voix, de ce qui vaguement tenait encore à des voix, pour
aller m’assoir, derrière un autre groupe de marronniers, dans leur
proximité, avec sur mes genoux un carnet de notes. L’odeur jusqu’à moi
de la fumée du haschich, ou de l’herbe d’Afrique, et, par les voix,
l’odeur imaginaire du whisky, de la vodka, mais une odeur audible, une
odeur respirée par les oreilles.
Entre un type et une fille s’était engagée une formidable dispute dont
je pouvais être sûr que l’un des deux se ferait par l’autre tuer avant
l’aube. Et tout à coup, très claires, ces deux phrases, la première du
garçon :
— Tout c’que t’as de bien, sale putasse, c’est ton cul !
Et la voix à sa dernière extrémité de la fille :
— Tu saurais pas comment t’en servir, pauvre grande gueule de merde !
J’ai noté. Je suis remonté dans ma chambre. J’ai commencé d’écrire Un
trois mâts pour Djakarta. Ce ne serait pas une suite de tableaux, mais
une espèce de fresque, c’est-à-dire une histoire.
JACQUES PROBST
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