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Festival d’Ateliers-Théâtre 1997-2017
sous la direction de Marie-Christine Epiney

Suivi de

Jacques Probst. On n’est plus des enfants
Jacques Probst. Un trois-mâts pour Djakarta


2017. 304 pages. Prix: CHF 18.–
ISBN 978-2-88241-422-9


Biographie

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Manifestations, rencontres et signatures
Index des auteurs


Vingt ans du Festival d’Ateliers-Théâtre suivis de deux pièces de Jacques Probst

Marie-Christine Epiney, passionnée de littérature et de théâtre caresse un rêve: donner l’opportunité aux élèves du canton de Genève de se produire sur scène dans des conditions techniques professionnelles et face à un public exigeant. Ainsi naît le festival biennal des Ateliers-Théâtre.
«En rentrant dans la peau de personnages imaginés par des auteurs d’hier et d’aujourd’hui, le jeune éprouve les émotions les plus universelles.» Ce projet hautement formateur, noble et ambitieux a permis à des milliers d’élèves d’arpenter les planches de La Comédie et du Théâtre de Carouge. Comédienne, metteur en scène, pédagogue, Marie-Christine a la joie de transmettre le plaisir du jeu, le plaisir d’être autre que soi. C’est une passeuse. Le théâtre, particulièrement à l’adolescence, est le lieu de tous les possibles.
Ce livre est un témoignage de ceux qui ont œuvré à la réussite du festival, un listing de toutes les créations qui y ont vu le jour. «Les ateliers sont un terrain de liberté où se développe la pensée et où se forge le citoyenneté» déclare Hervé Loichemol, directeur de La Comédie. Les adolescents touchent aussi à tous les corps de métiers; ils sont décorateurs, costumiers, éclairagistes, preneurs de son, graphistes, poseurs d’affiches, responsables de la trésorerie ou de la gestion du bar. Leçons de vie inoubliables pour celles et ceux qui on eu la chance de participer à ces festivals!
Si Marie-Christine a eu à cœur de faire connaître et jouer de grands textes, elle souhaitait que Jacques Probst, auteur dramatique et comédien écrivit pour le festival. Un jour, devant sa fenêtre ouverte, il capte des hurlements, des invectives. Il descend les cinq étages de son immeuble pour être à la source même des voix. Il prend des notes. Il commence l’écriture de Un trois-mâts pour Djakarta. C’est une histoire, toujours la même: Léo aime Sonia qui aime Igor qui n’aime personne. Igor, c’est un jeune voyou friqué. Lacérée par les injures et les passages à tabac d’Igor, Sonia lui assène un coup de couteau dans le cœur… La musique tient un rôle de premier plan.
On n’est plus des enfants précède Un trois-mâts pour Djakarta. Là aussi, il est question d’un meurtre, mais par accident, celui de la belle Makalia, pleurée par son ami Léo. C’est une succession de séquences. L’écrivain a des envolées lyriques superbes. Les thèmes évoqués sont ceux des ados, le langage de l’auteur est le même. Une pièce forte, essentielle.

ÉLIANE JUNOD,
L’Omnibus

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Lorsqu’au printemps 1995 je demandai à Jacques Probst s’il avait déjà écrit pour les adolescents, sa réponse fut négative.
Douze ans plus tard, je lui proposai de diriger un premier stage d’écriture aux Maisons Mainou dans le cadre du Festival d’Ateliers-Théâtre 2007, qui se déroulait au Théâtre de Carouge. Deux heures de ­discussion à bâtons rompus pour une réponse aussi positive qu’évidente.
La même année, je l’invitai à écrire une pièce de théâtre avec et pour des adolescents, un comble pour un rebelle qui avait quitté l’école à seize ans. On n’est plus des enfants vit le jour en mai 2008 au collège Rousseau. La rencontre fut suffisamment riche pour être renouvelée l’année suivante avec Un trois-mâts pour Djakarta, joué au Théâtre Am Stram Gram.
Au fil de ces dix dernières années de Festival d’Ateliers-Théâtre, mon ­compagnonnage avec Jacques Probst s’est tissé avec la certitude partagée que le théâtre ­adolescent est non seulement formateur, mais qu’il laisse des empreintes artistiques et ­amicales profondes chez des adolescents en quête d’identité.
Puisse ce vingtième anniversaire du Festival d’Ateliers-Théâtre témoigner de ­l’enthousiasme revigorant des jeunes pour le théâtre.

MARIE-CHRISTINE EPINEY

J’habite au cinquième étage d’un immeuble en bordure d’un grand parc public qu’entourent plusieurs grands arbres, chênes et marronniers, quelques tilleuls aussi, de hauts sapins, et encore trois cèdres libanais centenaires trois fois.
Par les nuits sans pluie, celles de printemps, d’été, de premier automne, sur trois ou quatre bancs cachés aux fenêtres de mon immeuble par un demi-cercle autour d’eux, des marronniers bien feuillus, se réunissent des jeunes gens, filles et garçons de quinze à vingt ans, ou treize ou quatorze à vingt et un, vingt-trois ans, comment savoir ? Ils sont des ombres à l’abri des feuillages.
Deux heures avant minuit viennent s’installer sur les bancs les trois ou quatre premiers venus, dont quelques fois fuse une voix à travers le parc silencieux. Ensuite, très vite, un appareil à musique qui jamais ne les quitte, vient tabasser l’air tranquille de la nuit par le martèlement dictatorial du rap, histoire de combler le silence de ceux pas encore venus. Mais qui arrivent et sont bientôt quinze ou vingt à se faire entendre aux fenêtres de l’immeuble comme cent cinquante. Du demi-cercle de marronniers monte le bourdonnement de caquetages, de pépiements, la réunion en un seul arbre de douze mille étourneaux aux époques de grandes migrations. Mais sur les bancs sous les arbres, au pied de mon immeuble, ce ne sont pas des oiseaux : seulement des adolescents dont les ailes n’ont pas fini de grandir, mais de plus en plus tonitruants, et dont l’énorme présence sous la nuit finit par submerger celle des étourneaux.
Soudain jaillie de la masse sonore, la voix furieuse d’une fille qui crie on ne comprend pas quoi, car elle a perdu la maîtrise des aigus et se perd en sanglots comme des chaînes de grelots. Pour lui répondre, la voix forte et ferme d’un jeune gars qui vient d’en finir avec sa mue vocale et veut le faire savoir.
Un peu avant minuit, les voix de quart d’heure en quart d’heure se font plus éraillées, plus agressives, rugissantes. On en entend qui appellent à tue-tête le sang, et l’on pense qu’un couteau sorti d’une poche allume sa lame automatique. C’est que, le long des cordes vocales, l’alcool a grimpé, toutes griffes dehors. Les jeunes apportent l’alcool dans des bouteilles de coca à moitié remplies de whisky bon marché par-dessus le soda, ou bien, dans des flacons au fond desquels un résidu de thé froid, de la vodka jusqu’au goulot que l’on se passe et se repasse, et alors ne montent jusqu’à nos fenêtres plus rien que des gueulées, des beuglements, hennissements, cris d’ânes qui sont les plus puissants, des cris de bêtes quand les bêtes se mettent à parler entre elles.
C’était tout pareil une nuit d’été d’il y a quelques années. Il était à peu près minuit, et dans ma chambre, à ma table, je cherchais comment écrire pour la deuxième fois une pièce pour les adolescents du collège Rousseau, pour lesquels, un an plus tôt, j’avais écrit une première pièce très bien mise en scène par Marie-Christine Epiney, à qui je devais la commande de ce deuxième texte. La première fois, j’avais écrit, après quelques conversations privées dans des cafés avec quelques-uns des élèves, filles et garçons, une pièce qui se présentait en une petite suite de tableaux d’adolescence, selon les récits qu’eux-mêmes m’avaient faits, mais aussi selon mes souvenirs, qui ne sont pas à chercher loin dans des temps anciens, puisque je suis, à soixante-cinq ans, un adolescent qui aura peut-être dix-huit ans demain matin.
J’écoutais donc, cette nuit-là, fenêtre grande ouverte, les hurlements et invectives incompré­hensibles sous les marronniers quand, deux heures après minuit, j’ai descendu les cinq étages me séparant de la source des voix, de ce qui vaguement tenait encore à des voix, pour aller m’assoir, derrière un autre groupe de marronniers, dans leur proximité, avec sur mes genoux un carnet de notes. L’odeur jusqu’à moi de la fumée du haschich, ou de l’herbe d’Afrique, et, par les voix, l’odeur imaginaire du whisky, de la vodka, mais une odeur audible, une odeur respirée par les oreilles.
Entre un type et une fille s’était engagée une formidable dispute dont je pouvais être sûr que l’un des deux se ferait par l’autre tuer avant l’aube. Et tout à coup, très claires, ces deux phrases, la première du garçon :
— Tout c’que t’as de bien, sale putasse, c’est ton cul !
Et la voix à sa dernière extrémité de la fille :
— Tu saurais pas comment t’en servir, pauvre grande gueule de merde !
J’ai noté. Je suis remonté dans ma chambre. J’ai commencé d’écrire Un trois mâts pour Djakarta. Ce ne serait pas une suite de tableaux, mais une espèce de fresque, c’est-à-dire une histoire.

JACQUES PROBST

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