Réédition d’un livre paru en 1940, c’est un thème qu’il
serait aisé de transposer dans un contexte moderne, tant il est encore
d’actualité.
Il nous conte les amours à épisodes d’Hilaire et de Félicie dans le
cadre somptueux de la haute montagne, belle histoire de fidélité à la
vie et de découverte de l’autre.
Et aussi, toujours dans le style magnifique de Landry, la vie des
paysans de montagne qui, vers la fin du XIXe siècle, se laissent tenter
par la Compagnie des Charbonnages, vendent leurs maisons et voient la
nature s’effondrer irrémédiablement autour de la mine.
Si l’auteur manifeste son amour des petites gens et de leur montagne,
il est par contre d’une cruauté ironique pour ceux que la recherche du
profit pousse aux excès.
Pas grand-chose de nouveau sous le soleil, à la montagne ou en plaine, certains thèmes sont éternels!
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
Quand la littérature romande se cantonnait au monde rural
La réédition d’un roman de C.-F. Landry, un cas d’école exemplaire
Charles-François Landry (1909-1973) semble être un écrivain bien oublié
aujourd’hui. Plus connu sous le nom de C.-F. Landry, il connut
pourtant, sinon la gloire, du moins une belle notoriété régionale et
helvétique. Il reçut de nombreux prix, dont trois fois le prestigieux
Prix Schiller.
L’éditeur Bernard Campiche a pris l’initiative de rééditer Bord du monde, initialement paru en 1940 à L’Abbaye du livre à Lausanne. De quoi nous parle ce roman?
Nous sommes dans une vallée isolée des Alpes. En France, car il est
fait mention de juges à Paris, et avant 1848, ce qu’indiquent plusieurs
allusions à la royauté. Mais le village qui est au centre du roman,
avec sa rivière qui coule en bas, pourrait fort bien aussi se situer en
Valais. Hilaire Venéjan est amoureux de Félicie. Or celle-ci est
promise par ses parents à un meilleur parti, Amédée Champetier. Le
nouveau marié est assassiné le jour de ses noces. Soupçonné, Hilaire
s’en va vivre, solitaire, dans la montagne. La jeune veuve épouse
ensuite un ingénieur, Pierre Rozier. C’est qu’entre-temps, des mines de
charbon ont été ouvertes près du village. Mais ce second mari se révèle
être un joueur criblé de dettes. Finalement, Hilaire et Félicie se
retrouvent. Le roman connaît une «chute» inattendue, que nous ne
révélerons pas au lecteur…
Celui-ci est frappé dès les premières pages, et presque jusqu’au
malaise, par un style extrêmement ramuzien: goût des comparaisons
introduites par «comme», distorsion de la syntaxe, usage très fréquent
du participe présent, répétition quasi obsessionnelle de mots,
restitution d’un «parler paysan» en fait réinventé. On croit voir le
vigneron de Ramuz remontant ses murs de vigne lorsqu’on lit: «Et
pendant des saisons, on saurait chaque matin en se levant ce qu’on veut
faire, parce qu’il y aurait la maison tout entière à construire, comme
nos anciens ont construit les nôtres, une pierre et puis une pierre, et
sans un seul outil que deux mains et le petit marteau, et ce sont des
pierres grandes comme des assiettes, et il a fallu certes beaucoup
d’amour pour remuer tant de pierres plates.» Alors, hommage stylistique
de Landry au Maître …ou imitation un peu servile?
Mais le plus intéressant est la vision antinomique du village
traditionnel et celle de l’industrie qui pénètre dans la vallée et
force ses flancs. La vie au village est présentée comme quasi
idyllique, un peu à la manière des peintres de l’École de Savièse qui,
autour de 1900, fixaient sur leurs toiles un Valais rural ancestral,
catholique, traditionaliste, alors déjà en voie de lente disparition.
Les rapports humains hommes-femmes, parents-enfants y répondent à des
canons qui semblent fixés pour l’éternité. La grand-mère d’Hilaire, par
exemple, vit totalement au service de son petit-fils, le seul mâle de
la maison, qui ne répond guère à ses généreuses attentions que par
monosyllabes. Quant au travail des villageois dans leurs maigres champs
d’altitude, il est certes dur mais il est représenté comme une activité
libre et dotée d’un sens profond, quasi mystique: «C’est que nous, nous
transportions de la terre en vue d’une oeuvre de lumière.»
En revanche, l’opprobre est jeté sur le travail industriel moderne.
Dans la mine, «ils faisaient l’œuvre de l’enfer. Ils sortaient de
là-dedans noirs. D’une noirceur qui n’est pas saleté, mais pire que
saleté, d’une noirceur qui est punition, pour une œuvre défendue. D’une
noirceur qui est condamnation. Ils étaient voués au noir. Ils
crachaient noir. Ils mouchaient noir.» Si nul ne conteste le caractère
malsain du travail dans les mines dénoncé par Zola, Jaurès et tant
d’autres, on notera que, chez Landry, le jugement est de portée morale.
Par ailleurs, ce travail est salarié, et donc considéré comme inférieur
au travail «libre» des paysans. Enfin, il s’accompagne de turpitudes
morales : le fait notamment que les ouvriers se défoulent en fêtes
bruyantes et bien arrosées, et attirent vers leurs baraques des femmes
de mauvaise vie…
Dans le roman, les villageois se révoltent donc contre la mine. Certes,
leur révolte est en partie justifiée, car les boiseries des galeries,
bâclées par l’ingénieur, ont entraîné des éboulements de terrain. Mais
peut-on pour autant parler d’«écologisme avant l’heure», comme le fait
l’éditeur en dernière de couverture? Le terme nous paraît à la fois
anachronique et usurpé. Nous voyons plutôt là – et c’est à ce titre que
Bord du monde de C.-F.
Landry nous paraît emblématique - une caractéristique de la littérature
romande, particulièrement vaudoise, qui a longtemps perduré:
l’attachement conservateur à une forme de vie ancestrale, considérée
comme spirituellement noble, et le refus des activités économiques
liées au monde moderne. D’où une complaisance, jusque et y compris au
romancier romand le plus comblé d’honneurs du XXe siècle, Jacques
Chessex, à décrire une société rurale, non atteinte par «la vulgarité
d’une exploitation industrielle», comme l’écrit Landry. Une société de
surcroît composée de paysans, éventuellement de petits artisans …mais
où la classe ouvrière est inexistante.
Il était bon de rééditer Bord du monde,
quel que soit le jugement que l’on porte sur ses qualités littéraires
intrinsèques. Le roman nous paraît à nous, stylistiquement, assez
vieilli. Mais on peut être d’un avis différent. Il nous permet en tout
cas de mesurer cet immense vide social dans la littérature romande. Et
de prendre conscience du renouveau qu’a signifié, par exemple, le roman
Je d’Yves Velan, paru en 1959 : un livre qui – ô horreur - parlait de
classe ouvrière, de militants du POP nyonnais, de classes sociales, de
fichage politique, donc de problèmes actuels. On était loin, soudain,
des plaines agricoles de la Broye, du labeur séculaire des vignerons
avant l’ère du sulfatage par hélicoptère, des villages de montagne
autarciques et engoncés dans leurs traditions.
PIERRE JEANNERET, Gauchehebdo
Fermez les yeux.
Citez les noms d’auteurs suisses romands du XXe siècle que vous
connaissez. J’entends d’ici Ramuz, Chessex, Chappaz, Bille, Cingria,
Mercanton, Cendrars ou Bouvier. Les audacieux nommeront Rod. Mais quid
de Landry? Trois fois lauréat du prix Schiller, prix Veillon, prix
Chatrian, quatre voix au Goncourt. Une œuvre impressionnante dont il
est inutile de faire la liste ici. Heureusement, Bernard Campiche a eu
l’heureuse idée de rééditer son roman Bord du monde. Si l’on omet les quelques coquilles typographiques, la lecture ravit. Immédiatement.
«Le vent passait comme un torrent. Il giclait entre les roches. On
pouvait presque le voir, quand il rebondit, brusquement détourné, lancé
en hauteur comme une vague contre une jetée. Il y avait, très loin, des
nuages minces, et si griffés de la force du vent qu’ils en étaient
devenus presque transparents, et bleutés comme un lait dont on a levé
la crème lourde. Et quand le vent tomberait – en une nuit – ces longues
palmes blanches dans le ciel prendraient du poids, pour devenir le
temps si lourd des orages d’été.»
En quelques lignes, voici posé le ton du roman. Certains y verraient
une imitation de Ramuz, il n’en est rien: certes, la langue en est une
autre, pas la nôtre, mais pas la sienne non plus, ni celle de là-haut
(avec ou sans jeu de mots) ou pas tout à fait. Avec un régionalisme
assumé, Bord du monde prend place en montagne, en France, et croque les
villageois des petits hameaux, soumis au rythme du temps, qui vont se
faire rattraper par le rythme de l’homme : c’est qu’on veut extraire du
charbon de la montagne, pensez, un ingénieur est venu tout droit de la
ville, et des ouvriers aussi. Et de l’argent, et de belles tenues, et
des promesses. Et des ennuis. Oui, nous y sommes, bien au bord et,
comme le personnage principal, Hilaire, nous regardons par dessus
passer ceux-ci et ceux-là, dans la ronde du pouvoir, des mauvais coups,
des ambitions, de l’amour.
Il y avait qu’Amédée Champetier aurait droit de prendre cette main que
lui, Hilaire, avait vue posée sur une pierre, comme un petit morceau de
la beauté du monde. Il y avait qu’entre ce bras et ce buste, il
glisserait son bras. Ce serait arrondi, comme un piège. On verrait
cette main d’homme qui revient en avant, contre cette hanche, et c’est
un langage. Ça veut dire: «Cette femme est à moi.»
On le lit, il y a ces temps qui roulent, se bousculent, comme dans le
torrent d’un langage réinventé, comme les échos qui frappent les
contreforts avant d’être bouffés par la vallée. Il y a du «on» en
veux-tu, en voilà. Ah, ces gens de la ville, ceux en redingote avec
leur dictionnaire, ont dû être bien agacés. Et Landry emploie des
tournures impersonnelles, des subordonnées insoupçonnées, des verbes
réfléchis sans les réfléchir ailleurs quand dans nos yeux. Rarement un
texte aura autant résonné depuis ma découverte de certains grands
stylistes – Ramuz, certes, mais Céline aussi, ou d’autres encore.
Chacun à sa manière. Mais le texte de Landry résonne, claque, sonne.
Jugez donc.
Mais voilà: juste entre deux sommeils, la vieille Finette l’entendit
qui ouvrait sa porte. Il revint dans la cuisine, où elle dormait. Elle
avait tiré les rideaux du grand lit. Mais il ne fit pas lumière. Il
allait, à pas feutrés, sur ses chaussettes. On comprit, à des bruits
très minces, qu’il bouclait une cartouchière. Et puis, on comprit
moins. Il avait tiré le tiroir et prenait des choses. Que pouvait-il
prendre? Il n’y avait dans ce tiroir que des ficelles, et un pot pour
le sel, qu’on tenait là, quand on veut resaler sur la table. Il dut
mettre du sel dans un morceau de papier, ou dans une boîte.
Car Landry joue avec la narration, sans s’en amuser pour autant: on
devine parfois, les sujets se font changeants, ça oscille, ça remue de
partout. Il prend également l’air en allant de l’un à l’autre, en
racontant cette vieille femme pour mieux dire le jeune homme. Et, tout
à la fin, comme dans une pirouette, il fait usage de sa liberté de
conteur, nous emmène en bas pour mieux nous montrer ce qui s’est joué,
plus haut, depuis le début. Avec brio, douceur, tendresse. Il nous
laisse avec une larme et des mots plein le cœur.
BERTRAND SCHMID, litterature-romande.net
Dans le dernier roman réédité, Bord du monde,
Hilaire endure sans desserrer les mâchoires le supplice d’un amour
devenu impossible après avoir été à peine esquissé. Un regard, un
baiser… Il avait nourri l’espérance d’un avenir avec Félicie. Mais elle
épouse Amédée qui est assassiné le soir même de ses noces. Soupçonné,
Hilaire prend le large à travers les paysages que l’auteur peint avec
bonheur.
Publié en 1940, le roman se situe un siècle plus tôt, dans les
montagnes du sud de la France où débarque la Compagnie de charbonnage.
Au drame amoureux se superpose une affaire de modernité corruptrice:
elle soumet à la tentation des montagnards, gens de peu, silencieux,
âpres comme le roman lui-m^me dont les phrases semblent taillées au
burin. La force de cette écriture est indéniable: Landry transmet une
gratitude devant la beauté du monde qui touche encore.
MICHEL AUDÉTAT, Le Matin Dimanche
Dans ce roman, on retrouvera le style extraordinaire de C.-F. Landry, son amour pour la montagne et les «petites gens».
Vers 1850, Hilaire Venéjan, est amoureux de sa montagne et de Félicie.
Félicie décide d’épouser l’ancien meilleur ami d’Hilaire, Amédée
Champetier, lequel est assassiné le soir de ses noces. Hilaire est
aussitôt soupçonné de l’assassinat…
Félicie épouse ensuite un ingénieur, Pierre Rozier, lequel est criblé
de dettes de jeu… Félicie le quitte, et rencontre Hilaire dans la
montagne…
On pourra deviner l’inquiétude de l’auteur face à un village qui, pour
de l’argent, abandonne ses habitudes séculaires pour se retrouver
«prisonnier» de la Compagnie de charbonnage…
De l’écologisme avant l’heure…
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