Rassemblés en un seul volume, les recueils publiés par le
poète au cours de ces vingt-cinq dernières années permettent de
traverser une œuvre qui se révèle d’une rare densité, une œuvre à la
fois raffinée, subtile, comme murmurée au creux d’une oreille
fraternelle, et en même temps terrienne, tracée d’une main forte,
ciselée avec la précision d’une pointe sèche.
Le premier recueil, L’Étendue,
construit sur le modèle de la fugue, donne sa tonalité à l’ensemble, et
indique un des principes de construction qui en assure l’unité. Il
s’agit d’imperceptibles déplacements des sens, L’Étendue
se faisant parfois infinie ou délimitée, parfois aquatique, parfois
maternelle, et souvent les trois ensemble sous la forme du pronom elle. Cette présence se prolonge dans L’Exilée, le deuxième volume, où «elle
se tourne vers l’eau / comme on fait pour l’être aimé». Voix amie,
réminiscence, quête de l’unité primordiale, cette présence sous-tend la
construction d’un monde dans lequel les bonheurs du passé, grâce à
l’alchimie de la mémoire, articulent et vivifient le plaisir ressenti à
voir se lever les «matins de mai».
Lors d’un séminaire donné à l’Université de Fribourg, Jean Roudaut
s’interrogeait en ces termes: «Que faire au monde, sinon tenter d’y
construire une demeure?» Cette question, portée en exergue à Vernicourt, chaque publication le creuse et l’explore à sa manière, jusqu’au recueil inédit qui clôt le volume, L’Air de ton nom.
Dans cet ouvrage au titre plurivoque, on entend une voix qui «Raconte
le vent qui va / Cette aile dans les branches», voix qui célèbre
l’irruption du bonheur à travers les cloisons du temps: «À l’instant te
parle / Ce goût de source / La mémoire dans.» Mais on l’entend aussi se
déchirer, cette voix, lorsqu’elle chante «Ce nom d’ardoise / Où se
fissurent / Amères tes lèvres». C’est l’éloignement envisagé, redouté,
de cette présence, sa fragilité, qui donne à l’ultime recueil, par
moments, une tonalité plus sombre. Pour rendre compte de ces
glissements vers le désarroi, il faudrait utiliser un vocable propre à
l’univers musical: stridence, phrasé haletant, choc des percussions.
Du coup vient au lecteur l’envie de connaître l’air donné à ce nom par
le compositeur Henri Baeriswyl, qui a créé une cantate à partir de
l’incantation scripturale, brute, taillée dans la seule langue du poète.
Car ce n’est pas la moindre singularité de cette œuvre, que la plupart
des recueils qui la jalonnent aient été mis en musique par des
compositeurs de notre temps. La poésie de Jean-Dominique Humbert, sa
scansion délicate, envoûtante, sa parole était prédestinée à enchanter
un auditoire réuni dans l’écoute, dans le partage de ces instants où
l’on voit s’ouvrir «Tout à coup l’horizon d’un monde».
OLIVIER BEETSCHEN, rbl, la revue de belles-lettres, 2012, 2
Nourissante poésie
La poésie elle aussi est au programme. Le Fribourgeois Jean-Dominique
Humbert parvient à faire cohabiter sous sa plume, celle du journaliste
et celle du poète. Voici L’Air de ton nom,
une anthologie de sa création depuis 1986, qui réunit des textes parus
en recueil, dans des revues, ou mis en musique par plusieurs
compositeurs.
La poésie de Jean-Dominique Humbert est d’ailleurs en soi un chant
mélodieux, une ballade à travers les mots, quand ceux-ci revêtent
l’habit d’un minimalisme évocateur de souvenirs, d’images enfouies, de
senteurs, de teintes et de rêveries. Certes, la poésie est un état
d’esprit auquel chacun n’a pas forcément envie de se plier. Et
pourtant, lire Jean-Dominique Humbert est aussi nourrissant que se
plonger dans un roman russe: mêmes vertiges où l’esthétique des mots se
conjugue avec leur force. L’Air de ton nom
entre dans cette catégorie de livres rares que l’on reprend sans cesse
et qui chaque fois murmurent à l’oreille des secrets à découvrir… en
soi. Une perle incontournable.
BERNADETTE RICHARD, Le Quotidien jurassien
Jean-Dominique
Humbert, «ce poète qui croit au pouvoir de la délicatesse», sort un
recueil de ses textes. Un recueil de poème? Un roman!
Présentation
L’Air de ton nom et autres poèmes,
un recueil qui invite au ressourcement. Jean-Dominique Humbert saisit
les mots. Délicatement, comme l’aile d’un papillon. Avec légèreté. Avec
respect. Avec amour. L’image, peu à peu, se révèle. Les idées se
colorisent. Le tableau prend forme. L’espace se remplit.
Imperceptiblement. Dans toutes ses dimensions. Impression de plénitude.
Jean-Dominique Humbert cisèle les mots, à l’image d’un artisan.
Selon Jean Roudaut, sa poésie est «celle du mieux perçu» et comporte
«ce sens de la lenteur énergique et discrète». Parcourir ce recueil,
c’est aussi prendre la liberté de savourer un voyage teinté de
subtilité et parfumé de volutes sensuelles. Une âme semble se promener
au milieu de ses poèmes. Discrètement. En filigrane. Et pourtant
omniprésente. Celle de feu son père? Un indice peut-être… Ce père qui
aimait lire dans le «Pavillon Flaubert» de son chalet, lieu également
où le fils, poète, aime se recueillir.
Bernard Campiche met en lumière de magnifiques poèmes tels L’Étendue, L’Exilée, Les Éphémères, Vernicourt, L’Été dernier, L’Air
de sa venue, Traversées, La Nuit l’été, Comme tu vas cet autre
été, Où se dirait la demeure, Au passage du pré.
Sur un banc, au bord du lac, ici ou ailleurs, cette poésie nous enchante à toute heure du jour ou «entre le ciel et la nuit»…
Extrait
Lente, lointaine
Quand elle vient lente et lointaine
c’est le pré sous la pluie
Le premier pas du jour
qu’on croyait disparu
La marche du ciel
dans le long nuage,
l’eau, l’herbe, et la terre qu’on espère
si ce n’est la promesse du pommier
où grimpe la fleur de mai
*
Aux fontaines
Quand elle vient joyeuse
la voix qu’elle donne au vent
emporte le chant du jour
dans l’air des fontaines
le ciel est dans sa main
l’haleine du matin
Qui vient aux fontaines
va son chemin au gré du vent
Où chante une voix d’argile
Le ciel est à portée de main
EUROMEDIA
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L’Air de ton nom et autres poèmes, un recueil qui invite au
ressourcement. Jean-Dominique Humbert saisit les mots. Délicatement,
comme l’aile d’un papillon. Avec légèreté. Avec respect. Avec amour.
L’image, peu à peu, se révèle. Les idées se colorisent. Le tableau
prend forme. L’espace se remplit. Imperceptiblement. Dans toutes ses
dimensions. Impression de plénitude. Jean-Dominique Humbert cisèle les
mots, à l’image d’un artisan.
Selon Jean Roudaut, sa poésie est «celle du mieux perçu» et comporte
«ce sens de la lenteur énergique et discrète». Parcourir ce recueil,
c’est aussi prendre la liberté de savourer un voyage teinté de
subtilité et parfumé de volutes sensuelles. Une âme semble se promener
au milieu de ses poèmes. Discrètement. En filigrane. Et pourtant
omniprésente. Celle de feu son père? Un indice peut-être… Ce père qui
aimait lire dans le «pavillon Flaubert» de son chalet, lieu également
où le fils, poète, aime se recueillir.
Bernard Campiche met en lumière de magnifiques poèmes tels «L’Étendue»,
«L’Exilée», «Les Éphémères», «Vernicourt», «L’Été dernier», L’Air
de sa venue», «Traversées», «La Nuit l’été», «Comme tu vas cet autre
été», «Où se dirait la demeure», «Au passage du pré».
Sur un banc, au bord du lac, ici ou ailleurs, cette poésie nous
enchante à toute heure du jour ou «entre le ciel et la nuit»…
Aux Fontaines
Quand elle vient joyeuse
la voix qu’elle donne au vent
emporte le chant du jour
dans l’air des fontaines
le ciel est dans sa main
l’haleine du matin
Qui vient aux fontaines
va son chemin au gré du vent
Où chante une voix d’argile
Le ciel est à portée de main
Sur le chemin, l’arbre
Sur le chemin l’arbre monte
on dirait qu’il va son chemin
Il porte en lui le temps
le silence des champs
Ce qu’on croyait perdu
nous revient en secret :
l’écorce, la peau du jour
l’ombre, le regard
et la main que l’on prend
Qui laisse venir le ciel
est une part ailée
que l’on emporte les soirs d’été
Lente, lointaine
Quand elle vient lente et lointaine
c’est le pré sous la pluie
Le premier pas du jour
qu’on croyait disparu
La marche du ciel
dans le long nuage,
l’eau, l’herbe, et la terre qu’on espère
si ce n’est la promesse du pommier
où grimpe la fleur de mai
La vie, en vers et contre tout
Jean-Dominique Humbert, «ce
poète qui croit au pouvoir de la délicatesse», sort un recueil de ses
textes. Rencontre avec un homme qui cite Guillevic et le capitaine
Haddock.
Hélas, il y a des jours où il faut s’incliner devant un confrère. Dans L’Hebdo,
Michel Audétat a dit de Jean-Dominique Humbert: «C’est un poète qui
croit au pouvoir de la délicatesse.» Belle formule qui résume l’homme
et l’œuvre. Qu’ajouter, si ce n’est le silence de l’admiration.
Mais quand même! Il faut dire que derrière ce poète, cet être si
sensible au temps, aux saisons, aux couleurs, aux mots, au monde, il y
a un sacré déconneur. Il nous reçoit dans son «Pavillon Flaubert», un
chalet de La Roche, que l’on dirait construit en livres et en lettres,
où les bibliothèques montent jusqu’au toit. Il nous montre une
inscription latine que son père, ce père tant aimé, a fait graver sur
la porte d’entrée: «Porta tibi patet et cor magis.»
Ce qui veut dire, vous l’aurez compris, «Ma porte t’est ouverte et mon
cœur davantage». Il fait tinter une cloche tibétaine, il vous montre un
symbole du Pérou lourd de tout un ésotérisme précolombien, puis il
saute sur la radio d’où monte, con sordino, je ne sais quel oratorio: «Je vais éteindre Espace 2, ils sont trop rock!»
«Un père merveilleux»
Les poètes ne sont plus ce qu’ils étaient. On les imagine tout
bourrelés, perdus dans des paradis artificiels, tétant l’absinthe au
sein de la muse Polymnie, intimant à leur douleur l’ordre d’être sage
et l’on tombe sur Jean-Dominique Humbert, amateur de canulars
téléphoniques, imitateur de Chappaz, qui rit à chaque césure, qui cite
Guillevic et le capitaine Haddock: «Un soir, t’en souvient-il? Nous
voguions en silence… C’est Lamartine dans Rackham le Rouge»…
«Je pense, dit-il, que nous sommes restés sur l’image du poète telle
qu’elle fut imposée par le romantisme: le poète serait celui qui
confond l’encre et le sang… Quand j’écris, j’ai une attention plus vive
au monde, mais le rire est aussi une forme d’attention, une attention à
l’autre en tout cas.»
Né en 1958, fils de Loyse, qui aimait les mystiques, Thérèse d’Avila,
saint Jean-de-la-Croix, et de Jean Humbert, linguiste, professeur à
l’Institut de français de l’Université de Fribourg, Jean-Dominique
manque de plier sous le fardeau de l’hérédité: «J’étais le fils du
linguiste et pourtant, raconte-t-il, j’avais fait une quinzaine de
fautes à la dictée. La maîtresse avait convoqué mes parents pour
discuter du problème. Mon père est venu et il a dit: “Mademoiselle,
vous n’allez quand même pas gâcher l’enfance de ce garçon pour une
question d’orthographe!” C’était un père merveilleux.»
Non, adolescent, Jean-Dominique Humbert aimait bricoler, tremper les
mains dans le cambouis: «J’ai démonté et remonté un Solex, que j’ai
toujours quelque part au garage. Je n’avais pas une accointance très
forte avec les mots. Mais finalement, bricoler, c’est mettre des choses
ensemble, ce n’est pas très loin du poème, qui consiste à assembler des
mots, faire une pièce qui sonne et que l’on façonne. D’ailleurs,
Guillevic a écrit un poème où il compare l’art du poète à celui du
menuisier.» Lui-même travaille de ses mains: ces bibliothèques «d’un
rouge basque», construites en caisses de vin recyclées, dûment équipées
d’une tirette, figurent parmi ses œuvres, au même titre que Si tu venais (2008) ou le récent L’Air de ton nom et autres poèmes (2011).
Il a connu une scolarité à rebondissements, «laborieuse» concède-t-il,
de Bulle à Fribourg, du Collège du Sud au Collège Saint-Michel, où il s’y
prit à deux fois pour passer sa maturité. «C’était l’heureux temps où
l’on était dispensé de toutes les branches où l’on avait fait 5 et
plus. Ce qui veut dire que, cette année-là, j’ai eu beaucoup de temps
pour lire.» Jusqu’à ce choc: «Je devais avoir vingt-deux ans. Je m’étais abonné
aux Éditions Bertil Galland et j’ai reçu par la poste ce livre à la
couverture vergée, rouge et gris…» Il court à l’étage, revient avec un
livre encombré de post-it, aux marges annotées, au papier écorné par
les lectures. C’est le livre de Jean-Pierre Monnier, Écrire en Suisse romande, entre le ciel et la nuit.
«Avec ce titre, on entre dans une autre dimension… Qu’est-ce que cela
veut dire: entre le ciel et la nuit? Ça m’a ouvert un autre
monde.»Trente et un ans plus tard, Jean-Dominique Humbert lit l’amorce
de poèmes dont il sait la suite par cœur: «C’était il y a longtemps, la
guerre, un jour d’octobre…» Il pourrait continuer jusqu’au bout des
post-it multicolores, qui font de ce livre comme un vitrail.
Dans le recueil de Monnier, qui est le missel de Jean-Dominique
Humbert, il y a une lettre datée du 26 novembre 1980. On y trouve les
félicitations du poète: «Je te serais reconnaissant d’en remercier pour
moi ce jeune critique, M. Humbert, que je n’avais pas encore lu et dont
j’ai apprécié l’aisance à comprendre – et à dire.» Car, sous le coup de
cette révélation poétique, Jean-Dominique Humbert a publié sa première
critique dans le Journal du Jura. Ce sera le début d’un long
compagnonnage entre littérature et journalisme, qui le voit aujourd’hui
occuper de hautes fonctions au journal Coopération:
depuis 1998, Jean-Dominique Humbert est rédacteur en chef adjoint.
Autant dire qu’il est assis à la droite du rédacteur en chef.
Le temps retrouvé
Jean-Dominique Humbert lit par-dessus l’épaule la date de cette lettre
porteuse des mots de Jean-Pierre Monnier: «Trente et un ans… Des fois, on se
demande si l’on n’a pas rêvé le temps qui nous a été donné…»
Mélancolique? «Non, nostalgique. D’ailleurs, je me demande si je
n’écris pas pour ça: pour garder une trace et aiguiser le rapport que
j’ai eu à un moment précis. Cet instant s’enfuit à moins qu’on ne le
retienne d’une phrase. Quand j’ai écrit Si tu venais, j’ai jeté sur le
papier des poignées de temps retrouvées. Et en les écrivant, je les
revivais. Et en les revivant, je comprenais que j’avais été heureux à
ce moment-là. C’est comme lorsqu’on tombe sur une vieille photo: nous
étions heureux, mais nous ne le savions pas. Écrire, c’est une manière
de vivre plus intensément.»
«Une phrase à apprendre»
Homme de foi, s’appuyant parfois sur une phrase de saint Jean de la
Croix laissée «comme un signet» par sa maman dans un coin de sa
mémoire, il croit en un sursis paradisiaque, il dit que la vie est «une
traversée terrestre»: «Au cours de cette traversée, il nous faut
apprendre à murmurer une phrase qui servira à passer de l’autre côté,
vers cet éblouissement qui sera au-delà des mots.» Bien que ne croyant
guère en la survie de l’âme, mais inquiet quand même de l’avenir
post-mortem, nous demandons à Jean-Dominique s’il n’aurait pas, à tout
hasard, un viatique pour le Styx et un bakchich pour Charon, il nous
donne ces vers de Guillevic: «Tu n’as pas réussi à faire de chaque
instant de ta vie un miracle. Essaie encore.»
BIO EXPRESS
Jean-Dominique Humbert
1958 Naissance à Fribourg, fils de Jean, linguiste, et de Loyse. Il a une sœur, Myriam, née en 1947.
1961 La famille s’installe à La Roche, dans un chalet baptisé «Pavillon Flaubert».
1976 Il publie son premier recueil de poèmes, Soliloque.
1979 Il passe son baccalauréat au Collège Saint-Michel.
1980 Première critique littéraire dans le Journal du Jura, sur un livre de Jean-Pierre Monnier. Jusqu’en 1998, il collaborera à La Liberté, à La Gruyère, au Matin, à la revue Écriture, à La Revue de Belles-Lettres.
1980-1998 Il enseigne à l’Institut de la Gruyère.
1997 Il signe la préface des œuvres de Jean-Pierre Monnier, parues aux Éditions Bernard Campiche.
1998 Il est nommé rédacteur en chef adjoint du journal Coopération, à Bâle.
2010 En novembre, parution de L’Air de ton nom et autres poèmes (1986-2011), Éditions Bernard Campiche.
JEAN AMMANN, La Liberté
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La poésie pour demeure
L’Air de ton nom et autres poèmes réunit vingt-cinq ans de poésie de Jean-Dominique Humbert. Rencontre dans sa maison de La Roche.
Son art est subtil, à la fois raffiné et puissant, lyrique et ancré dans le réel. Avec L’Air de ton nom et autres poèmes,
le Gruérien Jean-Dominique Humbert réunit vingt-cinq ans de cette
poésie des saisons, des ombres et des jours, des arbres et du vent. Au
départ, une proposition de l’éditeur Bernard Campiche. Jean-Dominique
Humbert choisit alors les recueils qu’il souhaite voir reparaître.
«Tirées de manière confidentielle, toutes ces plaquettes sont
épuisées.» S’y ajoutent des suites parues en revue, en particulier dans
La Revue de Belles-Lettres. De quoi offrir un regard d’ensemble, découvrir la cohérence d’une œuvre. Elle s’écoule discrètement de L’Étendue (1986) à L’Air de ton nom, texte inédit d’une cantate composée par Henri Baeriswyl, créée en l’abbatiale de Payerne en juin 2011. L’Étendue
aussi contient douze textes mis en musique, par douze compositeurs, à
l’initiative de Jean-Daniel Scyboz, alors directeur du chœur mixte de
Vuadens. Parue l’année suivante, L’Exilée
(écrite vers 1982-1983) figure dans un oratorio de René Oberson. Toute
l’œuvre de Jean-Dominique Humbert est ainsi marquée par un rapport à la
musique. «Le texte porté par la mélodie prend une autre dimension,
souligne-t-il. Il faut être attentif différemment aux sons, aux
homonymies.» Et de citer l’exemple d’un vers, «elle marche dans
l’attente du matin», qui, une fois chanté, s’entendait “dans la tente
du matin”»… Outre cette extrême attention aux sonorités et au rythme,
la poésie de Jean-Dominique Humbert se caractérise par sa brièveté, son
art de l’ellipse. Peu de mots pour dire tant de choses… À l’image des
haïkus et des œuvres admirées de Philippe Jaccottet, de Frédéric
Wandelère, d’Anne Perrier ou encore de Guillevic, dont il cite cette
merveille: «Le monde / Est un concours de chant, / Sans jury, / Sans
récompense / Que la joie de chanter.»
La poésie ne meurt pas
Comment, après de tels vers, douter encore de l’absolue nécessité de la
poésie? Qui, relève Jean-Dominique Humbert, ne se porte pas si mal en
ce XXIe siècle. «Nous avons un regard idéalisé sur la poésie du XIXe et
du début du XXe siècle. Les recueils ne se vendaient pas à des milliers
d’exemplaires! Aujourd’hui, on en trouve beaucoup dans des blogs et
dans le rap, le slam, la chanson… Même si ce n’est pas de la poésie au
sens d’une phrase qui vit en elle-même, elle demeure bien présente.»
Dans la maison de La Roche, la lumière du jour décline. Rédacteur en
chef adjoint de Coopération depuis treize ans, Jean-Dominique Humbert vit entre Bâle et cette demeure de son enfance, le Pavillon Flaubert.
Où le souvenir de ses parents reste bien présent. Les livres de Jean
Humbert, fin linguiste et grammairien érudit, veillent toujours.
Jean-Dominique Humbert reconnaît l’importance de ce lieu, où son
attention s’est aiguisée au fil des saisons. «Ce temps puis un autre /
L’élan des signes / Septembre lui revient», écrit-il dans Traversées
(1994). Le thème de la maison se retrouve aussi régulièrement dans ses
poèmes: «La maison maintenant / Qu’on la dirait de mémoire / Dans la
clarté de son dimanche» (Où se dirait la demeure, 2000).
«Vernicourt» au cœur
Recueil majeur paru en 1992 chez Pierre-Alain Pingoud, Vernicourt
est construit sur ce thème. «Cette maison existe vraiment, en
Bourgogne. Je me trouvais là-bas avec Pingoud, qui recherchait une
habitation à un prix abordable. Nous sommes allés voir cette petite
bergerie, qui est devenue un petit livre.» Petite par ses dimensions,
mais d’une beauté fulgurante: «C’était une maison de parole / dont nous
savions le nom / la vigne, le mur et la lucarne / Il y avait le puits /
Ce bras de pierre / comme l’attente de l’été / Il est dix heures à
Vernicourt». Au cœur de l’œuvre de Jean-Dominique Humbert, Vernicourt
réunit trois personnes qui ont marqué le poète. Le recueil est dédié à
Jean Roudaut, son professeur à l’Université de Fribourg. «C’était une
chance d’avoir un prof qui est aussi écrivain, avec une œuvre chez
Gallimard.» Sur la couverture figure une encre de Casimir Reynaud,
autre professeur, au Collège Saint-Michel. «Il nous faisait découvrir
des choses épatantes, contemporaines. Et il nous confrontait au texte,
avec la page d’écriture que nous devions faire chaque semaine.»
Une pesée autre
La discussion se tourne naturellement vers Pierre-Alain Pingoud, éditeur précieux de Vernicourt, de L’Exilée, de L’Air de sa venue.
«Tous mes petits livres ont eu la chance d’être édités chez des gens
merveilleux, comme PAP, Fernand A. Parisod, Bernard Campiche. La
présentation reste très importante. Aujourd’hui, il existe tellement de
moyens de communiquer du texte, mais le mot, la phrase, la strophe
prennent une résonance différente sur une belle page à l’ancienne. La
pesée du mot est autre.» Le mot, comme le regard, trouve alors son
poids juste, à l’image de ce tercet lumineux de L’Été dernier
(mis en musique par Josef Haselbach, à Bruxelles, en 1987): «Mais à
l’instant pèse / le dernier regard / dans la fissure du vent».
ÉRIC BULLIARD, La Gruyère
L’après-midi perce
Le livre de septembre
Où restent ceux d’ici
Ce temps de l’autre
Dans le gravier du chemin
Sa trace retrouvée
Jusqu’à l’arbre l’été
JEAN-DOMINIQUE HUMBERT
Un poète romand de la plus belle eau.
GILBERT SALEM, 24 Heures
Ce sens de la lenteur énergique et discrète lie une esthétique : celle du moindre dit – et une éthique: celle du mieux perçu.
JEAN ROUDAUT
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