Le
goût des choses les plus humbles, l’odeur des herbes et des rosées, la
couleur de l’eau, de l’aube, de la nuit, qui les connaît mieux que
C.-F. Landry? La nature entìère nous entre par les narines, par les
yeux, par les oreilles par tous les pores de la peau. Ce solitaire, cet
Henri Froment, traqué comme une proie par la société tout entière,
c'est l’homme primitif, ayant fait alliance avec les bois, les
rivières, les renards, la vie. Un solitaire, oui, mais affamé de
tendresse, ayant besoin des autres et quêtant auprès d’eux un peu de
bonheur.
MAURICE ZERMATTEN, L'’Impartial, 31 octobre 1063
L’enfant
Henri Froment n’a pas eu de chance. Il est resté immobile d’admiration
devant la beauté des flammes qui dévoraient une ferme et plus grave
encore, il a croisé et reconnu Monsieur Armand, l’incendiaire. Mais
Monsieur Armand, qui était un personnage, nia et l’enfant avait une
boîte d’allumettes vide sur lui, donc c’est lui qui fut accusé. Pas
puni mais mis au ban de la bonne société, dont pauvre, il ne pouvait de
toute façon pas faire partie.
Et toute sa vie en fut changée, jouant d’une malchance savamment
orchestrée par l’homme arrivé, à qui il restait comme une menace dans
sa réussite, cet enfant qui savait et qui refusait de se laisser
séduire. Cela nous vaut une description féroce de la bêtise, de la
lâcheté de tous ces gens qu’un titre impressionne et qui choisissent de
se taire ou d’approuver.
L’histoire, comme sa conclusion, touche aux grands thèmes de la
fatalité et de l’injustice. Mais la société, c’est la nôtre aussi, n’en
sort par grandie.
JULIETTE DAVID, Suisse Magazine
Une Affaire
de crime et de faux coupables, écrite par un Romand qui obtient
quelques voix au Goncourt, n’est pas forcément ce que l’on pense!
Celle-ci remonte aux années 1930 ou 1940, dans une campagne vaudoise
conservatrice où le «président», maire révéré d’une bourgade où il fait
la pluie et le beau temps, compte plus que la justice, l’honnêteté, le
travail ou la vérité: Riquet, avec son nom qui fleure bon le pain et la
moisson, en paiera le prix toute sa vie, en bouc émissaire d’une
communauté hypocrite et lâche. Roman peu connu d’un auteur un peu
oublié, L’Affaire Henri Froment se révèle pourtant à la hauteur d’un Ramuz mâtiné de Giono, la révolte en plus: à redécouvrir d’urgence!
EMILIE DE CLERCQ, Marie-Claire, Édition suisse
Et
puis du Pakistan au Midi de la France, il n’y a qu’un pas… Un pas qu’on
va franchir maintenant pour faire ce saut tant dans l’espace que dans
le temps puisque vous ouvrez pour nous, Geneviève, le livre d’un auteur
suisse romand du siècle dernier, il s’agit de C.-F. Landry…
Oui, pour Charles-François et pas Charles Ferdinand, comme Ramuz, il
est peu connu, finalement, C.-F. Landry, et pourtant son site vous
signale qu’il est l’un des rares à avoir vécu de sa plume, avec plus de
soixante-cinq romans, des essais historiques, des grands reportages,
des pièces de théâtre, des livres pour la jeunesse et des recueils de
poèmes à son actif. Il a reçu de nombreux prix littéraires, dont le
Prix C. F. Ramuz précisément, et le Prix Gilson pour un oratorio
composé pour la radio.
Et c’est vrai qu’on a eu
l’occasion d’entendre un peu du parcours de cet écrivain qu’on ne
trouve presque plus en librairie. C’était il y a environ une quinzaine
de jours, grâce à son fils, qui était au micro de Pierre-Philippe
Cadert, dans «Vertigo». Et il faut savoir aussi qu’un de ses romans
vient d’être réédité chez Campiche…
Oui, c’est L’Affaire Henri Froment,
une histoire de malheurs, de magouilles et d’injustice qui fait écho à
celle dont on vient de parler, même si elle a été publiée cinquante ans
avant, c’était en 1963, alors que Mohamed Hanif, dont on parlait il y a
un instant, n’était même pas né… Mais il y a un lien entre ces deux
livres, c’est la fatalité, avec un grand «F», cet enchaînement
inexorable depuis la naissance, de la condition sociale, de
l’incapacité à se défendre et du système «mafieux», je crois que le
terme n’est pas trop fort, qui permet aux notables de veiller à ce que
rien n’entâche durablement leur réputation. Mais là s’arrête évidemment
les similitudes entre les deux romans parce que l’histoire que raconte
Landry est celle d’un gamin accusé à tort et qui, quoi qu’il fasse,
restera à jamais un suspect…
Est-ce qu’on pourrait quand même en savoir un peu plus?
Alors, le petit Riquet a huit ans quand il est trouvé sur les lieux
d’une ferme qui a brûlé, et parce qu’il est comme sonné, un peu
hypnotisé, et qu’il a sur lui une boîte d’allumettes dans laquelle il
avait mis un grillon, on en déduit que c’est lui l’incendiaire… Vous me
direz qu’il ne risque pas de poursuites, puisqu’il est mineur, mais il
a eu le tort de dénoncer un «Monsieur», qui va devenir le président de
commune et qui n’aura de cesse de faire semblant de lui pardonner pour
soigner sa propre image et pour insinuer que le gamin est vraiment une
mauvaise graine. Le reste, c’est le combat de David contre Goliath,
mais la fin n’est pas celle que raconte la Bible…
Ouais, en gros ça finit mal, hein… Mais vous n’allez pas nous en dire plus…
Absolument pas, d’autant que l’essentiel n’est pas là… Il est dans la
manière très alerte, visuelle, charnelle aussi, et presque policière
dont l’histoire nous est racontée, par les descriptions de la nature
mais aussi par les expressions familières, les dialogues et les
différents points de vue, on est à la fois chez Marcel Aymé, chez
Maupassant et chez Vautrin. On comprend mieux pourquoi Landry a reçu
tant de distinctions littéraires et on se réjouit d’avoir fait, ou
refait c’est selon, sa connaissance…
GENEVIÈVE BRIDEL, Quartier livres, RTS «La Première»
Après
un silence volontaire de cinq années et plus, l’écrivain vaudois C.-F.
Landry revient au roman. «Mais pas un simple roman», comme il le disait
lui-même: un roman qui se passe dans nos pays, quelque part entre
Genève, Neuchâtel, Berne et Martigny. Un roman qui touche à d’immenses
choses: l’Injustice, la Fatalité, le Mystère du Bonheur, la Destinée.
Il y a des gens à qui tout réussit. D’autres pour qui tout rate… Et
pourtant, le monde immédiat renferme des bonheurs humbles, à la portée
du plus déshérité.
Quelque part entre Diégo et La Devinaize, L’Affaire Henri Froment rejoint Garcia.
Seulement cette fois si ce sont nos paysages, ce sont aussi nos
affaires, notre terrible pouvoir de silence, notre prodigieux pouvoir
de déguiser la Réalité.
L’écrivain ne se contente plus de nous raconter – et très bien – une
histoire ; comme le prophète parlant du roi David, brusquement il
déclare à chacun: «Tu es cet homme.» Poignante histoire racontée tout
uniment, pouvant être mise entre les mains, et qui, certainement,
touchera ce qu’il y a de généreux dans la jeunesse confrontée à une
injustice.
Aussi passionnant à lire qu’un roman policier, L’Affaire Henri Froment
n’a rien du roman policier, mais toute la poésie secrète de nos
horizons familiers. Ça pourrait être ici, ça pourrait être là : Moudon
ou Orbe? Vevey ou Yverdon? Rolle ou Estavayer?
Le Grand Prix Ramuz est venu récompenser C.-F. Landry au moment où il se préparait à accomplir un nouveau bond en avant. L’Affaire Henri Froment nous promet encore de belles récoltes.
Né à Lausanne en 1909 et décédé à
Vevey en 1973, Charles-François Landry serait-il en train de sortir du
purgatoire où on l’avait relégué après sa mort? De son vivant, ce ne
sont pas les distinctions qui ont manqué (Prix Schiller à trois
reprises, Prix de la Guilde du Livre, Prix Veillon, Grand Prix C.-F.
Ramuz etc.). Ce qui, paradoxalement, explique peut-être l’oubli: Landry
était considéré comme trop «populaire» pour être pris au sérieux. En
outre, comparé à l’autre C.-F. — celui qui est dans La Pléiade —, on
trouvait qu’il ne faisait pas le poids.
Il faut donc se réjouir de la récente sortie en collection de poche d’un de ses romans, L’Affaire Henri Froment.
L’intrigue en est assez simple sans toutefois être simpliste, et touche
profondément ce qu’il y a de plus noble en nous: la révolte contre
l’injustice. Un jeune garçon est accusé à tort d’avoir incendié une
ferme. Or il a vu le pyromane en pleine action, par conséquent sait qui
est le coupable: un notable du village au-dessus de tout soupçon. Ce
sera donc la parole du garçon contre celle de l’adulte. Inutile de dire
que c’est le garçon qui tire la courte paille, et que cette injustice
originelle bouleversera toute sa vie ultérieure.
Mais ce livre est beaucoup plus qu’une simple histoire. Paru pour la
première fois en 1963, soit en plein Âge d’Or du Nouveau Roman, il en
utilise les techniques avec maestria, notamment les jeux sur la
narration et la temporalité. Alors qu’aujourd’hui, au XXIe siècle, tant
d’écrivains font encore preuve d’une grande naïveté narrative, Landry
n’hésite pas à se profiler dans l’avant-garde. Et ceci sans que jamais
que le roman ne soit abscons : on se passionne pour la destinée du
pauvre Riquet tout en savourant les audaces littéraires de l’auteur.
Signalons en outre les nombreuses pointes contre l’ordre établi (en
1963!), notamment une superbe caricature du psychologue qui explique et
comprend le geste du garçon sans même chercher à savoir s’il l’a
vraiment commis. Et il y a ce terrible rapport entre le bourreau (le
pyromane) et sa victime (Henri), puisque tous deux connaissent la
vérité. Le coupable sait qu’Henri sait, Henri sait que le coupable sait
qu’il sait, ce qui engendre des interactions terribles d’une macabre
subtilité.
Le Nouveau Roman prônait le passage de l’écriture d’une aventure à
l’aventure d’une écriture. Ici, on a les deux en même temps. Du grand
art!
ANDRÉ NORMAND, La Distinction
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