Bernard Campiche Éditeur: confiance et respect
Par Sylviane Roche
Quand
Bernard Campiche a lancé sa maison en 1986, les pronostics étaient
pessimistes. Dans un paysage éditorial aussi encombré et littéraire
qu’on disait désertique, comment un jeune éditeur absolument seul
pouvait-il espérer réussir? On lui prédit le pire, on essaya de le
dissuader, comme si, bizarrement, tout en lui promettant l’échec, on
avait un peu peur de lui. Comme si le maigre gâteau de la littérature
romande ne pouvait supporter un convive de plus. Mais voilà, et c’est
là justement que commença l’histoire: Bernard Campiche n’est pas un
convive de plus, c’est un pâtissier. Le gâteau, il le confectionne avec
de nouvelles recettes, il l’offre aux autres, et, du coup, c’est tout
le paysage littéraire romand qui s’en trouve enrichi. Bernard
Campiche publie des romans, des nouvelles, des poèmes, suivant deux
critères principaux: que le livre lui plaise et que l’auteur lui soit
sympathique. Cela paraît arbitraire? Ça l’est. Faire un livre avec
Bernard Campiche est plus qu’une affaire éditoriale, c’est une aventure
globale, un moment dans la vie. Chaque livre qu’il publie est son
préféré. Il y a un côté père de famille chez ce jeune homme étrange.
C’est d’autant plus étonnant d’ailleurs que les écrivains Campiche sont
tous très différents, très divers, avec des sensibilités parfois très
éloignées, même si quelque chose d’indéfinissable les lie quand ils se
rencontrent, pour les désormais traditionnelles signatures collectives
du Salon du livre et de la presse à Genève par exemple. Ce quelque
chose, c’est peut-être simplement l’estime pour cet éditeur qui a su
gagner la confiance et l’amitié d’écrivains confirmés comme Jacques
Chessex, Jean-Pierre Monnier, Anne Cuneo, Anne-Lise Grobéty, Jean-Louis
Kuffer, mais aussi découvrir et encourager les plus récents et même les
franchement débutants. Je me demande si des gens comme François Conod,
Jacques-Étienne Bovard, Élisabeth Horem écriraient comme ils le font
aujourd’hui s’il n’y avait pas eu, une fois, la rencontre avec Bernard
Campiche. En ce qui me concerne, je suis sûre que non.
De temps en temps, il téléphone, il parle longtemps de choses et
d’autres, puis il demande si ça va, si ça marche, si ça avance… On se
sent attendu, souhaité, mais pas harcelé. Juste soutenu. Et quand le
livre sortira, on sait qu’il sera parfait de facture et que Bernard le
défendra bec et ongles.
J’ai souvent l’impression, avec certains éditeurs d’ici et d’ailleurs,
que leur vie serait plus belle s’il n’y avait pas les écrivains, ces
cinglés qui ne supportent pas que leurs textes paraissent, truffés de
coquilles, trois ans après le dépôt du manuscrit (et qui en plus
réclament des droits d’auteur!), ni les lecteurs pour qui, de toute
façon, tout est toujours trop long ou trop difficile et à qui il faut
réussir à soutirer trente francs pour 150 pages de mauvais papier
brochées dans le désordre. Leur mot clé semble être le mépris.
Pour Bernard Campiche, c’est exactement le contraire, et pour le
définir d’un mot, je dirais le respect. Si, après plus de quinze ans
d’efforts, Bernard Campiche est aujourd’hui un éditeur respecté, c’est
qu’il est avant tout un éditeur respectueux. De ses lecteurs et de ses
auteurs. Plus de quinze ans de savoir-faire, d’audace et de prudence
savamment dosées, plus de quinze ans de passion pour les livres bien
faits, pour la littérature et pour les auteurs. Plus de quinze ans
d’amitié et de confiance réciproques. Plus de quinze ans de respect
mutuel qui lui ont permis de jouer le rôle essentiel qui est le sien
aujourd’hui et qu’illustre simplement cette petite anecdote personnelle:
— Alors… vous écrivez? me demande ce monsieur avec un air de condescendance indescriptible. Et… vous publiez?
— Oui, répondis-je, chez Bernard Campiche.
Le visage du monsieur changea brusquement:
— Chez Campiche? Mais alors, c’est sérieux!
Texte rédigé pour le Service de Presse Suisse
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Portrait gouaché de Bernard Campiche en éditeur vigilant et en archange
Par Gilbert Salem
Pour une fois, j’essaierai de parler un peu moins de moi-même – le moi
est définitivement haïssable, Blaise Pascal avait raison; le moi est
même ennuyeux. Je lui consacrerai quand même ma chronique. Mais par
ricochet, en présentant quelqu’un que j’aime et admire: Bernard
Campiche, l’éditeur de mes deux modestes livres littéraires. L’éditeur
surtout de plus d’une centaine d’ouvrages qui ont imposé une ligne
éditoriale inédite et limpide dans les lettres de Suisse romande, voire
dans la francophonie entière.
De tous les animaux de sa profession, Campiche est un des plus
intéressants. Quand je le traite d’animal, je pèse mes mots. Il faut
prendre cette expression par son acception la plus noble. Tant pour le
travail incommensurable qu’il abat chaque jour depuis 1986 au bénéfice
de ses auteurs – et à raison de huit parutions annuelles – que pour
l’amour qu’il porte continuellement aux siens, Bernard Campiche est un
pur modèle d’animalité. Dieu et la nature lui ont insufflé un
tempérament de bûcheur, une grâce de bête ouvrière, de reine de ruche.
Or, plus que de l’abeille, il tient, physiquement, tout à la fois du
papillon – disons du phrygane, appelé aussi portefaix parce qu’à la
légèreté de son corps, à sa grâce aérienne, il oppose une figure où
toute émotion se lit, où se révèlent involontairement les plus acides
préoccupations du monde.
Bernard Campiche tient et de l’insecte et de l’ange. Ses ailes sont
fragiles et transparentes, ses mandibules dures, surtout lorsqu’il faut
frapper, son chanfrein busqué de libellule le protège des attaques
imprévues tombées du ciel.
Mais il faut aussi décrire son visage. Pour le commencer (en exagérant
sur la couleur, en gouachant même mes aquarelles), je citerai d’entrée
Rainer Maria Rilke et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge:
«Il y a beaucoup de gens, mais encore plus de visages, car chacun en a
plusieurs. Le visage s’use naturellement, se salit, éclate, se ride,
s’élargit comme des gants qu’on a portés en voyage.» Tel n’est pas le
minois de mon ami Bernard Campiche: passé quarante ans, il ressemble
toujours à un gant neuf. Il conserve opiniâtrement la juvénilité
radieuse d’un garçon au cap de l’adolescence. De sa jeunesse – qui ne
fut pourtant pas exagérément heureuse – il a sauvegardé un rire de
potache, une espièglerie émue, un zèle affectueux.
Sa physionomie change mille fois par jour, mais à traverser les ans, elle ne vieillit point.
Souvent, on lui a dit: «Vous êtes le fils de l’éditeur?»
«Non, rétorquait-il, mon père Michel Campiche est écrivain, mais j’ai édité deux de ses livres.»
On pourrait comparer Bernard Campiche à d’autres animaux encore. On
dira qu’il est un rude lapin, parce qu’il trotte infatigablement. Son
énergie surabondante impliquera aussi qu’il mange, à chaque aurore, de
la viande de lion. Mais non! j’ai vu, de mes yeux attentifs de myope,
qu’il n’y avait, sur le guéridon rond de sa cuisine, que du café, du
croissant de boulangerie. Du fruit éventuellement.
Je l’ai observé de près au moment où il commença à organiser, avec la
précision inquiète d’un réalisateur de cinéma, l’édition des Œuvres complètes de Jean-Pierre Monnier, décédé l’an passé, et de toute la Poésie
de Jacques Chessex. Deux coffrets de trois livres reliés sous
emboîtage, majestueux tels des temples romains à colonnade, clairs à
contempler de loin, délicieux au toucher, soyeux à compulser, lumineux
et sereins au regard du lecteur – même à un lecteur désespérément myope
comme le soussigné. Ces deux monuments de l’édition suisse romande
sont sortis sains, saufs et rutilants au cours de novembre 1997. Celui
– en trois tomes donc – des poèmes de Chessex m’a particulièrement
bouleversé. Probablement parce que je tiens le maître de Ropraz pour un
des plus sincères poètes d’Europe contemporaine – ma subjectivité
n’engage que moi, et j’en suis fier! Mais également à cause des
aquarelles de Pietro Sarto qui enrobe, avec une jubilation joaillière,
chacun des volumes. Du Jour proche aux Élégies de Yorick,
voilà quatre décennies nourries d’interrogation poétique. On y retrouve
le pays de la mort, celui des regrets. On y est rattrapé par le paradis
de la nuit, ainsi que par des enfers solaires. Par une musique surtout,
qui se décline ici en notes d’ambre musquée, là en notes qui sentent le
soufre, la putréfaction. On se retrouve décontenancé devant cette
foi obscure, qui a infusé longtemps en un même cœur. Qui nie sinon la
croyance, du moins la gnose. Elle est bouillante comme une bouilloire,
mais, la voici de plus en plus sereine. Le peintre Sarto l’a
accompagnée d’une musique lumineuse, scintillante et grave, comme dans
les pièces pianistiques de Debussy. Et vive Children’s Corner.
Or, je vous le rappelle, c’est Bernard Campiche qui a tout organisé. En
silence, très pudiquement, et pour une gloire intérieure qu’il cache,
qui le ronge peut-être.
24 HEURES
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L’éditeur Bernard Campiche travaille ses ouvrages comme un orfèvre
Par Lisbeth Koutchoumoff
Bernard Campiche passe d’une table à l’autre, son large sourire aux
lèvres. En ce samedi après-midi, à la Librairie Payot/Pépinet de
Lausanne, cinq de «ses» auteurs dédicacent leurs livres: Jacques
Chessex, Anne-Lise Grobéty, Jacques-Étienne Bovard, François Conod et
Michel Campiche, son père. Comme toujours, lors de manifestations
publiques, il les accompagne. Pendant trois semaines, tous les points
de ventes Payot rendent ainsi hommage au travail de cet éditeur voué à
la littérature romande.
Ces semaines spéciales existent depuis plus d’un an maintenant. Les
Presses universitaires de France, la collection Rivages-Noir et les
Éditions Bouquins ont ainsi été mises à l’honneur. Bernard Campiche est
le premier éditeur suisse à bénéficier de cette promotion.
«J’ai grandi entre deux étagères!» aime-t-il répéter pour expliquer son
amour du beau livre. Fils de professeur, il a passé son enfance dans
une maison tapissée de volumes à Saint-Maurice et à Lausanne. De cette
promiscuité livresque lui viendra le goût de la belle mise en pages, du
papier de qualité et de la typographie impeccable. Tout est parti de
là. Son premier emploi de bibliothécaire à La Tour-de-Peilz puis à
Lausanne. Sa collaboration à la revue littéraire Écriture,
fondée par Bertil Galland, dont il devient, à vingt-cinq ans,
l’administrateur général. C’est alors le plongeon dans l’univers des
lettres romandes. «C’est là que je l’ai rencontré» raconte l’écrivain
Jean-Pierre Monnier. Conquis par la détermination du jeune homme,
l’auteur lui accordera sa confiance immédiate. Tout comme Anne-Lise
Grobéty. Pendant les réunions d’Écriture déjà, elle avait vu en
lui ce côté «crocheur enthousiaste» qui l’a séduite. Quand, en 1986,
Les Éditions Bernard Campiche voient le jour, ces deux auteurs
confirmés répondent présent sans hésiter. Huit ans après, tous les
livres d’Anne-Lise Grobéty sont disponibles chez Campiche et
Jean-Pierre Monnier s’apprête à y publier ses OEuvres complètes.
Un tel pouvoir de persuasion de la part de celui qui n’était à l’époque
qu’un débutant aux allures d’étudiant studieux intrigue pour le moins.
À l’écouter évoquer son métier, dans le sous-sol de sa maison, on
comprend mieux. Là, douze heures par jour – et beaucoup plus les
veilles de parution –, il assouvit une passion. Celle d’éditer des
livres. Avec la sérénité de celui qui sait avoir trouver sa voie, il
revient au point de départ de son aventure: «Respecter un auteur, c’est
tout faire pour obtenir le plus beau livre possible.» Chez Bernard
Campiche, cela veut dire un magnifique papier vergé, velouté et rugueux
à la fois; d’élégantes pages de couvertures illustrées; une reliure
souple et un format agréable à manier. De vrais bijoux qui donnent
l’envie de lire. Mais cela veut dire aussi un texte travaillé à la
virgule près. C’est ce travail de bénédictin qu’il aime par-dessus
tout. Comme un orfèvre, il travaille les pages sans relâche, aidé par
deux correcteurs professionnels et plusieurs relecteurs. Anne Cuneo,
qui a publié trois romans avec lui, se souvient de ses séances de
travail: «Sur le manuscrit de Station Victoria,
il pinaillait sur chaque mot. Je le haïssais à la fin! Vexée, je
rentrais chez moi, et là je m’apercevais que ses suggestions rendaient
mon texte meilleur.» Quand Bertil Galland met fin à son activité
d’éditeur au début des années quatre-vingt, l’auteur perd l’envie
d’écrire. C’est Bernard Campiche qui la persuade de reprendre la plume.
«Il possède un instinct d’éditeur inouï. Jamais je ne me serais lancée
dans Le Trajet d’une rivière s’il n’avait pas été là.»
Artisan de la perfection, Bernard Campiche doit prendre son temps. Huit
livres par an, c’est un maximun pour faire son métier comme il
l’entend. Jacques Chessex, qui a publié Les Élégies de Yorick
en 1994, n’en revient toujours pas: «Tous les mercredis matins, il
venait chez moi, plein d’ardeur à la tâche. Des heures durant on
élaborait la mise en pages. Puis on allait déjeuner et on discutait
encore. C’était prodigieux!» Une douce lumière éclaire le bureau de
Bernard Campiche. Son repaire comme il dit. «Je termine ma journée vers
six heures. Mais j’aime m’y remettre la nuit. Ma vraie passion, c’est
cela: être devant un texte, à deux heures du matin, un crayon à la
main.»
LE NOUVEAU QUOTIDIEN
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Cap sur livres
Par Jean-Dominique Humbert
Il y a de l’air vif dans ces pages, celles qui vont de belle
impatience, et bien avant le matin, vers la rivière. Cette impatience
qui grouille parce qu’elle est cette passion du pêcheur qui n’a d’yeux
que pour elle, proie fuyante, proie imaginée, à conquérir, cette proie
qui lui ressemble et avec qui il dialogue… Dans La Pêche à rôder, Jacques-Étienne Bovard remonte aux temps de ces eaux qui se découvrent jusqu’aux rives de l’enfance.
C’est là le premier livre de la collection CampImages où figurent une
trentaine de photographies (noir/blanc) de l’écrivain.
Le théâtre, et l’intense manière dont il lie des comédiens amateurs,
vit dans le deuxième volume de la collection, signé Anne Cuneo, Opération Shakespeare, une aventure, qui s’accompagne d’un DVD.
«L’émotion du livre»
— Qui êtes-vous, Bernard Campiche?
— Mais si je savais… Je fais ce que j’aime et qui me passionne. Je suis quelqu’un qui essaie de vivre sa passion.
— En vingt ans, 190 livres et 50’000 pages que vous avez toutes mises en pages. Pourquoi cette passion d’éditer?
—
«Bon qu’à ça!», comme disait Beckett! J’ai toujours vécu dans le livre,
mais l’édition n’a pas seulement été le résultat d’une prédestination.
Elle a été aussi le révélateur de qualités que j’avais et que
j’ignorais, comme l’écoute, la collaboration, pouvoir entreprendre des
choses dans des genres très différents. Mais on fait aussi ce métier
par rapport à ce qu’on a vécu. Et là, éditer m’a aussi consolidé dans
le fait de tenir, tout simplement.
— Mais pourquoi éditer des livres, encore aujourd’hui?
—
Si j’édite des livres, c’est d’abord parce que je sais très bien le
faire. Et que j’ai le sentiment que le livre répond à un besoin, qu’on
le veuille ou non. C’est même maintenant encore plus important, parce
que l’édition, une certaine édition, est devenue un phénomène de
résistance. C’est une chose qui me plaît assez. J’y crois toujours
parce qu’il y a des gens qui me font confiance, parce qu’il y a des
créateurs, parce qu’il y a des choses importantes qui se font.
— Un monde sans livres?
—
Je n’ai pas envie de dire, comme un puriste, qu’un monde sans livres
c’est la destruction du monde. Le problème est plus général. Mais je
dis que le livre c’est quand même une chose qui a une autonomie, chacun
le découvre différemment. Le livre, c’est quelque part un monde à soi.
Ce que j’aime dans le livre, c’est la relation directe, et
individualisée, qui s’opère entre une œuvre et quelqu’un.
COOPÉRATION
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Bernard Campiche, 50 ans, 20 ans d’édition
Par Gilbert Salem
Il a eu cinquante ans cette année, mais il passera encore longtemps
pour le plus «jeune et le plus atypique des éditeurs de Suisse
romande». La juvénilité perpétuelle de son visage et de ses
enthousiasmes y est pour quelque chose, mais je crois que Bernard
Campiche a surtout de la fraîcheur intérieure à donner, la puisant au
plus près de la nappe phréatique de ses terroirs – les pays de Vaud et
de Lausanne, le Valais chablaisan, l’ombre bleue du Jura, l’humus de la
grande littérature.
Une petite source miraculeuse qui est toute à lui. Il en fait don par
métier, et elle l’aide lui-même à traverser les pires épreuves avec une
force d’âme qui dépasse son propre entendement.
Quant à son atypisme légendaire, il est tout autant justifié: ce grand
échalas peint par le Greco et à mélancolie stendhalienne sert la
littérature de Suisse romande avec une humilité qui cache un plaisir
visible et renouvelé. Aucune onction sacerdotale, comme chez tant de
maîtres d’école de pensée, mais de la candeur vraie et enjouée, active,
diablement efficace.
Ses livres sont beaux, mais pas comme des pâtisseries, des pièces
montées – ils ont une odeur de bon pain et leur beauté donne envie de
lire. Persuadé que les causes les plus modestes peuvent accéder à
l’universalité, il a d’emblée séduit par la bienfacture de ses ouvrages
les critiques littéraires les plus exigeants de la francophonie. Sans
parler des lecteurs!
Petite anecdote: j’en ai rencontré un au Salon du Livre de Montréal qui
était particulièrement enthousiaste, voire un brin enfiévré. Il était de
Jonquière, une des capitales mondiale de la pâte à papier, située près
de Chicoutimi. Ce Monsieur Camille m’assura que sa femme et lui
aimaient caresser les livres de Campiche. Qu’ils en admiraient l’image
de couverture, le grain des pages et leur miroir – soit l’encadrement
blanc du texte –, et le soin infini porté à la composition
typographique. Ainsi qu’à l’orthographe.
— L’orthographe, dites-vous, donc non seulement vous appréciez la forme de ses livres, mais vous les lisez?
— Partant, oui. Nous sommes si dignement invités à le faire!
Ainsi, Bernard Campiche a su ériger le métier d’éditeur en forme d’art,
et le souverain de son canton l’a bien compris en lui décernant, en
l’an 2000, son Grand Prix de la Fondation artistique, généralement
dévolu aux peintres, aux musiciens, ou à ses frères écrivains.
Oui, ses frères écrivains. Des sœurs, des frères. À présent qu’on
célèbre le vingtième anniversaire de son entreprise éditoriale – donc
de sa création artistique personnelle –, je tiens à cette métaphore de
la fraternité. Car elle est significative de la flamme affective qu’il
entretient auprès de ses romancières et romanciers, de ses
nouvellistes, poétesses, poètes ou dramaturges. Là où un éditeur se
définit comme un patriarche, un chef de file, ou le père spirituel de ses
auteurs, Campiche se révèle un compagnon de joies et de souffrances –
un frère d’armes. Un lecteur attentif surtout. Un ange gardien fait de
chair et de sang. Mais lorsque l’égocentrisme des écrivains qu’il
publie se met à se boursoufler, à les congestionner d’une infatuation
inadmissible, il les tempérera courtoisement, en leur rappelant que le
livre qu’ils préparent ensemble est aussi le sien.
Cette posture d’éditeur, qui est délibérée, lui autorise quelquefois
des prérogatives qui peuvent échapper à l’entendement de certains
auteurs. Or Bernard Campiche peut souffrir d’être incompris.
Avant de le connaître, j’avais publié déjà quelques ouvrages, mais
c’est auprès de lui plus qu’ailleurs que je me suis senti écrivain, car
son regard sait s’associer au mien musicalement aux instants les plus
cruciaux. Je veux dire aux croisées les plus décisives des chemins: par
exemple à l’ultime relecture d’un manuscrit, lorsque le changement d’un
seul mot, voire l’intrusion d’un point-virgule, pourrait bouleverser la
trame ou même le cours fluvial d’un récit. À ces instants, quand l’œil
devient ouïe, où une question de rythme ou de tempo fait vibrer la
corde centrale de l’œuvre, l’auteur est seul à trancher, et cette
solitude devant l’urgence le terrifie. C’est alors que la présence de
Bernard Campiche le rassérène, car lui aussi voit et entend –
exactement de la même manière. Cet éditeur sait aller avec ses auteurs
jusque dans la chair vive d’un texte, et y rougir ses belles mains de
moine comme le ferait le plus avisé, le plus connivent, des assistants
d’un chirurgien.
Durant l’hiver le plus cruel de sa vie, j’étais en train d’achever un
récit sous sa vigilance amie. Manquant soudain d’inspiration, j’en eus
honte: que sont les tourments traditionnels d’un écrivain en
comparaison avec ce que peut éprouver un homme, lui, mon éditeur, dont
la fille de six ans est à l’agonie? Je n’avais jamais cru au bien-fondé
du désespoir des poètes devant la feuille blanche, mais cette fois je
me trouvais en cette situation. Je la voyais plus inconvenante, plus
absurde que jamais.
Je lui dis: «Bernard, on laisse tomber, préoccupe-toi de ta fille Louise.»
— Mais c’est bien d’elle que je me préoccupe en t’encourageant à finir
ton livre, puisque c’est à elle que tu l’as dédié. Elle le sait, et
j’ai promis de le lui montrer.
Il est des parents que la disparition d’un fils, d’une fille, anéantit,
rend amers pour la vie, et d’autres, tel Bernard Campiche, que le deuil
ne ronge pas, mais sculpte intérieurement, embellit encore. Et de ce
creuset intime de l’infinie tristesse, la source d’exaltation qu’ils
avaient crue tarie pour toujours rejaillit; leur enfant perdu revit en
eux, les propulse vers le vif, les rajeunit presque malgré eux, leur
fait rejoindre leur propre enfance. Et cette force reconquise est
conquérante, bénéfiquement contagieuse; pas revancharde, bâtisseuse. Et,
contre elle, la loi des méchants, la logique des ingrats, ou les
argumentations des imbéciles ne peuvent rien. Le génie de l’enfance,
lui, peut tout.
À celui qu’il hante, il réinsuffle le goût de l’audace, de l’aventure,
mais sans le détourner du souci de récapitulation grave, pointilleuse,
sincère. Réécoutons la voix de Bernard Campiche quand il se met
lui-même à l’épreuve difficile de l’autobiographie:
«J’effectue
seul tout le travail éditorial, depuis le début de mes éditions. D’où
un nombre limité de parutions annuelles (environ huit titres, plus, dès
2002, huit à dix livres de poche). Depuis 1997, j’ai la chance de voir
diffuser mon travail éditorial en France grâce à la collaboration du
diffuseur Vilo. J’ai voulu créer une maison indépendante, et je
m’efforce depuis le début de trouver un ton et un style personnels, que
ce soit sur le plan du choix des textes, des relations avec les
auteurs, des rapports avec le public, ou celui de la présentation
générale de mon travail. Je désire exercer mon métier de manière
artisanale, en assumant seul la plupart des tâches: décision de
publication, saisie des textes et mise en pages de ceux-ci, discussion
de la présentation des ouvrages, diffusion en librairie, la presse et
le public. Je n’édite donc qu’un nombre restreint d’ouvrages, avec
comme objectif principal la diffusion la plus large possible du travail
des auteurs suisses français. Car la Suisse est le pays dans lequel je
vis, et je pense que c’est la littérature dont je comprends le mieux
les racines et que j’ai envie, au travers d’œuvres les plus variées, de
défendre.»
Jean-Pierre Monnier (1921-1997), qui a été un des premiers auteurs de Campiche, le salua comme un homme à pentes:
L’enthousiasme
ne m’a jamais fait sourire, ni la volonté d’entreprendre, et quand les
réalisations font suite aux projets, quand on les a sous les yeux comme
si elles renouaient avec une tradition, celle du beau livre ouvert à
toutes les lectures, on est heureux et presque fier pour qui a mené à
bien l’idée dont elles sont le produit et à laquelle il a souvent dû
sacrifier quelques conforts. Bernard Campiche ne s’est pas égaré dans
les voies de la facilité (c’est à peine si j’ai quelque gêne à le
dire), et surtout il n’a pas craint d’aller au-devant de la jeune
littérature qui s’écrit aujourd’hui en Suisse romande. C’est un être,
lui aussi, de passion, un homme à pentes, de ceux auprès desquels je me
sens bien. Il travaille. Il fait de bons livres. La place qui est
devenue la sienne, en peu d’années, était à prendre, et elle répond de
la meilleure présence dans la continuité.
Jean-Pierre Monnier
In: Pour Mémoire
Portrait
de Bernard Campiche, l’artiste, en homme des pentes. Il n’est point le
roi Sisyphe poussant éternellement un rocher voué à retomber avant
d’atteindre le sommet d’une montagne infernale. C’est l’arpenteur qui
sait mesurer les terrains en amont puis en aval – et encore une fois en
amont, etc. Il jauge la déclivité des deux versants à pas déterminés,
et chez lui la route est longue, la route est belle.
Texte écrit pour le vingtième anniversaire des Éditions Campiche, septembre 2006
Septembre 2006
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Un salut à Bernard Campiche, au vingtième anniversaire de son œuvre éditoriale
Par Jean-Dominique Humbert
On se dit que c’est une bonne joie, Mesdames, Messieurs, et chers amis
de Bernard Campiche, une joie qu’on attend comme un bon augure, cette
joie qui vient à l’instant d’être ensemble pour saluer ces jours. Ces
jours de pages et de livres, cette phrase à l’œuvre de Bernard
Campiche, cette phrase qui avance sous son enseigne qui, cet octobre, a
tout juste vingt ans.
Vingt ans que tu as l’air de toujours porter comme l’immuable bel âge,
cher Bernard, ces vingt ans qui te collent au portrait comme une
coutume: «Bernard Campiche, le plus jeune des éditeurs de Suisse
romande.»
Comme si les nuits à mettre en pages, comme si les jours à donner corps
au livre, à sa couverture, à ses harmonies, à son allée, comme si ce
dialogue continu avec tes auteurs, suivi dans l’attention de l’écriture
mais aussi jusqu’à l’heure des dédicaces et dans la librairie la plus
écartée, les réconfortant encore jusqu’au seuil des interviews, comme
si les tractations et les difficiles jongleries comptables, comme si
tout cela, en somme, n’avait pas entaché ton élan premier, cette passion d’éditer. Mais au contraire: comme si tout cela l’avait augmentée – et rendue plus urgente encore.
Cette passion que Bernard Campiche incarne dans le livre à faire, dans
le livre à suivre, et dans le livre à susciter, il faut l’entendre dans
l’amitié de son rire, son bon rire qui éclate et qui fait résonner les
pages comme des fêtes; mais cette passion il faut la voir aussi comme
elle défend son espace, quand elle est attaquée, ou blessée, et comme
elle n’en revient pas, même si elle ne se laisse pas démonter. Parce
qu’elle va déjà dans le livre à venir, qu’elle est décidément en projet
dans la quête de ses pages.
C’est dans cet élan, dans la foulée de ta force et de ton énergie, cher
Bernard, que viennent maintenant cet amical merci et cette poignée de
vœux. Ce salut qui va vers toi, et vers Line, qui court dans les pas de
François, qui est dans le ciel de Louise, ce bon salut, Bernard, dans
les pages qui sont et celles qui avec toi bruissent d’à venir, comme un
nouveau présent dans le temps à lire.
Texte lu lors de la Fête du vingtième anniversaire des Éditions Campiche, le 27 octobre 2006 à Lausanne
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La célébration de vingt ans de passion
Par Hélène Isoz
C’est
entouré de ses amis et auteurs que Bernard Campiche a fêté vendredi les
vingt ans de sa petite entreprise. Un moment sous le signe de l’amitié
et du respect mutuel entre cet homme, artisan éditeur, et ses
collaborateurs, amis.
La salle du Musée des beaux arts de
Lausanne était comble. Bernard Campiche était seul. Seul devant ce
parterre noir de monde, il sait que tous attendent le discours qui
ouvrira officiellement les festivités de ce vingtième anniversaire. Il
ne prononcera pourtant que quelques mots. Suffisamment toutefois pour
remercier les personnes présentes, avant de s’éclipser et laisser place
à l’un de ses poulains, le comédien et écrivain Jacques Probst, pour
une lecture de texte en musique. Tout d’abord déçu par cet
avarisme, il a suffi de quelques secondes pour comprendre que l’ancien
bibliothécaire avait encore vu juste. En effet. Plus que n’importe quel
discours, la prestation, donnée comme un cadeau par l’artiste à son
éditeur, était éloquente. Un bel exemple de l’instinct de l’Urbigène et
des relations d’amitié particulière qu’il sait créer avec ses auteurs.
L’éditeur, donc, avait encore fait le bon choix. Comme en 1986,
lorsqu’il a décidé de monter sa propre maison d’édition. «Tu vas te
casser la gueule», lui répétaient pourtant certains de ses amis.
Aujourd’hui, s’il n’est pas riche, comme il le précise, il est au moins
certain d’avoir pris la bonne décision. De toute manière «que
pourrais-je faire d’autre. Je ne me trouve bon qu’à ça. Et puis, on ne
fait pas cela pour gagner de l’argent, on le fait par passion.» La
passion serait donc le secret de sa longévité dans ce monde où les
grandes surfaces cassent les prix et les éditeurs français sont
hégémoniques? Sans aucun doute. Mais elle est aussi le fruit de toute
cette énergie déployée «à fidéliser les personnes autour de [son]
travail, auteurs, comme lecteurs, et à créer des réseaux». Le résultat
également de ces jours et de ces nuits passées à soigner le détail.
Car, une fois l’ultime virgule déplacée, le livre emballé, c’est encore
lui qui accompagne «ses» artistes lors des multiples manifestations
publiques. Il faut donc qu’il les aime ces textes et leurs auteurs pour
les suivre dans le petit village campagnard comme dans la ville
française.
Pourtant, après vingt ans de dur labeur, ce ne sont pas toutes ces
heures passées devant son ordinateur qui fatiguent l’éditeur. Non. Ce
sont plutôt les problèmes financiers inhérents au marché du livre qui
l’énervent. «C’est un réseau de 51 librairies suisses romandes qui a
disparu en quatre ans», s’emporte l’Urbigène. Et d’accuser
l’imperméabilité du marché «à ces auteurs suisses pourtant de premier
ordre!».
«Avant de le connaître, j’avais publié déjà quelques ouvrages, mais
c’est auprès de lui plus qu’ailleurs que je me suis senti écrivain.» En
une phrase, Gilbert Salem, qui lui rendait hommage par écrit, avait
tout dit.
LA RÉGION NORD VAUDOIS
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Un salut à Bernard Campiche, au vingtième anniversaire de son œuvre éditoriale
Par Jean-Dominique Humbert
On se dit que c’est une bonne joie, Mesdames, Messieurs, et chers amis
de Bernard Campiche, une joie qu’on attend comme un bon augure, cette
joie qui vient à l’instant d’être ensemble pour saluer ces jours. Ces
jours de pages et de livres, cette phrase à l’œuvre de Bernard
Campiche, cette phrase qui avance sous son enseigne qui, cet octobre, a
tout juste vingt ans.
Vingt ans que tu as l’air de toujours porter comme l’immuable bel âge,
cher Bernard, ces vingt ans qui te collent au portrait comme une
coutume: «Bernard Campiche, le plus jeune des éditeurs de Suisse
romande.»
Comme si les nuits à mettre en pages, comme si les jours à donner corps
au livre, à sa couverture, à ses harmonies, à son allée, comme si ce
dialogue continu avec tes auteurs, suivi dans l’attention de l’écriture
mais aussi jusqu’à l’heure des dédicaces et dans la librairie la plus
écartée, les réconfortant encore jusqu’au seuil des interviews, comme
si les tractations et les difficiles jongleries comptables, comme si
tout cela, en somme, n’avait pas entaché ton élan premier, cette passion d’éditer. Mais au contraire: comme si tout cela l’avait augmentée – et rendue plus urgente encore.
Cette passion que Bernard Campiche incarne dans le livre à faire, dans
le livre à suivre, et dans le livre à susciter, il faut l’entendre dans
l’amitié de son rire, son bon rire qui éclate et qui fait résonner les
pages comme des fêtes; mais cette passion il faut la voir aussi comme
elle défend son espace, quand elle est attaquée, ou blessée, et comme
elle n’en revient pas, même si elle ne se laisse pas démonter. Parce
qu’elle va déjà dans le livre à venir, qu’elle est décidément en projet
dans la quête de ses pages.
C’est dans cet élan, dans la foulée de ta force et de ton énergie, cher
Bernard, que viennent maintenant cet amical merci et cette poignée de
vœux. Ce salut qui va vers toi, et vers Line, qui court dans les pas de
François, qui est dans le ciel de Louise, ce bon salut, Bernard, dans
les pages qui sont et celles qui avec toi bruissent d’à venir, comme un
nouveau présent dans le temps à lire.
Texte lu lors de la Fête du vingtième anniversaire des Éditions Campiche, le 27 octobre 2007 à Lausanne
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Bernard Campiche, invité d’honneur du Marché de Noël d'Yverdon
Par Hélène Isoz
Qui
mieux que l’éditeur urbigène pour incarner l’hôte d’honneur du Marché
de Noël d’Yverdon? Après avoir fêté ses 20 ans d’édition à Lausanne en
compagnie de ses collaborateurs, c’est toujours à leur côté qu’il sera
présent à Yverdon pour des moments de lecture et de rencontre.
«Bernard
Campiche est un excellent éditeur suisse. Il fête ses vingt ans
d’édition cette année et, en plus, il habite dans la région.» Trois
bonnes raisons qui ont décidé Yvan Grosmangin de la Librairie
Payot-Yverdon de proposer l’Urbigène comme hôte d’honneur du Marché de
Noël d’Yverdon. Et l’invité, heureux, d’accepter.
Anne-Lise Grobéty et les autres
Habitué
à suivre ses poulains et leurs œuvres partout où ils se rendent,
Bernard Campiche sera encore une fois de plus très bien accompagné.
Dans son entourage de fête, de nombreux fidèles dont Anne Cuneo,
Jacques-Étienne Bovard mais également Anne-Lise Grobéty. Elle qui,
vingt ans plus tôt, avait osé miser sur cet ancien bibliothécaire
reconverti en éditeur. Une fidélité à l’image des relations que Bernard
Campiche sait tisser avec ceux qu’il édite. Des témoignages de respect
mutuel entre cet amoureux des livres et ses auteurs démontrés encore
récemment à l’occasion de sa fête d’anniversaire, à Lausanne, le 27
octobre passé. Sans chichi et en toute simplicité, ses auteurs,
aujourd’hui ses amis, étaient presque tous venus lui rendre hommage. Et
quelle démonstration. Une salle comble, des tonnerres
d’applaudissements pour un homme avant tout passionné. Qui aura
pourtant préféré un petit discours aux longues allocutions d’usage. Se
retirant presque intimidé pour laisser place à une lecture inattendue.
Touchants et dévastateurs, les textes de Jacques Probst ont alors
frappé au cœur. Quel témoignage d’amitié de la part de ce talentueux
écrivain malmené par la vie. Une belle démonstration de confiance qui
nous rappelle que le travail d’édition peut encore avoir une taille
humaine. Que les auteurs romands existent et qu’ils sont de qualité.
LA RÉGION NORD VAUDOIS
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Vingt ans, année difficile
Par Magalie Goumaz
Prix
Régis de Courten. L’éditeur Bernard Campiche a été récompensé cette
semaine pour ses vingt ans d’activités. L’avenir est moins rose.
À ses débuts en littérature, le très sérieux «Journal de Genève»
daignait parfois évoquer les publications de ce «jeune éditeur
vaudois». Mais les temps changent et le «Journal de Genève» n’est plus.
Bernard Campiche par contre est toujours là. Mieux: dans un contexte
difficile pour tous les acteurs de la branche, il s’accroche. En
décembre dernier, il a ainsi fêté ses vingt ans d’activités. Un
anniversaire qui n’a pas échappé à la Fondation littéraire Régis de
Courten qui, en mémoire de cette figure marquante de la bibliographie
romande, a décerné cette semaine son sixième pris à Bernard Campiche.
Cette récompense met du baume au cœur d’un instinctif écorché vif.
Combien de déserts et de tempêtes n’a-t-il pas déjà traversés? Mais
aujourd’hui, l’éditeur avoue qu’il traverse une nouvelle période de
«basses eaux». À quelques semaines du Salon du livre à Genève, il
constate que les six livres publiés en automne n’ont pas eu le succès
escompté, que la durée d’un titre dans une librairie raccourcit, qu’il
y a trop de livres, que la critique littéraire ne suit pas, que les
éditeurs ne sont pas assez soutenus… «Ce métier est fait de passions et
de rencontres. Ce sont donc les autres, les écrivains surtout, qui nous
tirent toujours en avant, mais là, j’ai de sérieux doutes.»
Pas de relève
Et Bernard Campiche n’a pas seulement peur pour sa maison d’édition. Il
constate qu’il n’y a pas de relève en Suisse romande alors que trois
des quatre principaux éditeurs en Suisse romande (Michel Moret à
L’Aire, Marlyse Pietri chez Zoé et Vladimir Dimitrijevic à l’Âge
d’Homme) ont dépassé l’âge de la retraite.
Riche d’un catalogue de cent soixante ouvrages dont des œuvres
complètes, l’éditeur d’Anne Cuneo, d’Anne-Lise Grobéty, de Jean-Pierre
Monnier et d’Alexandre Voisard – parmi des dizaines d’autres – ne gagne
plus sa vie depuis une année. «Avec mon épouse qui assume
financièrement, nous avons décidé de faire le point au printemps
prochain.»
Mais lundi soir, Madame Régis de Courten a serré fort l’éditeur dans
ses bras, l’assurant qu’il allait fêter ses cinquante ans d’activités.
Dans la vie d’un éditeur
Un moment fort:
«Quand ma fille aujourd’hui décédée était l’hôpital, Anne Cuneo et
Jacques-Étienne Bovard sont venus me dire que la seule chose qu’ils
pouvaient faire pour moi, c’était des livres qui marcheraient, et
qu’ils allaient les faire.»
Un livre que vous rééditeriez tout de suite: «Un livre de Jean-Pierre Monnier, Ces vols qui n’ont pas fui, qui est aussi le premier que j’ai édité.»
Un livre que vous auriez aimé publier: «La Vie mode d’emploi, de Georges Perec.»
Votre lecture actuelle: «Le tome 2 de l’autobiographie d’Elias Canetti, Le Flambeau dans l’oreille.»
Un de vos auteurs qui vous fait le plus rire:
«Antonin Moeri est une merveille mais il y a aussi Jean-Dominique
Humbert. Il y a dix ans, il a publié un texte dans la revue Passe-Muraille.
À la fin, il notait: à paraître prochainement. Et ce texte, je l’ai
enfin, il sortira ce printemps. Voilà pourquoi je parle de lui comme
d’un de mes auteurs…»
Celui qui vous fait le plus souffrir: «Gilbert Salem quand il écrivait À la place du mort. Il fallait lui arracher les feuilles. Car ce livre était important pour lui. Le sortir, c’était sortir sa douleur.»
LA LIBERTÉ
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Bernard Campiche ou l’humaine édition
Par Alex Charmey
Vendredi soir, lors d’une causerie à la maison de Paroisse du Sentier,
une petite quinzaine de personnes ont pu faire plus ample connaissance
avec l’éditeur urbigène, Bernard Campiche. Pour ses amoureux de
littérature, la rencontre avec ce grand dégingandé de la publication,
aussi atypique que sympathique, fut riche et surprenante.
Dialectiquement d’abord, quand la description qu’il donne de son métier
balade le lecteur béotien à la découverte d’un univers régulé et
insoupçonné. Humainement ensuite, tant le bonhomme, sans jeux de mots,
se livre avec humour et autodérision.
Car disons-le sans ambages, Bernard Campiche est, dans le monde de
l’édition, un type résolument à part. Non qu’il soit mis au ban de la
profession pour d’obscures raisons, mais bien parce qu’il revendique, à
juste titre, son particularisme. A l’heure où, pour les «grandes
maisons d’édition», la francophonie s’arrête aux portes des salons
feutrés du Tout-Paris, le bougre passerait vite pour un péquenot,
romand de surcroit, et juste apte à produire de la littérature, l’image
d’un microcosme coincé entre un mécanique coucou et le fond d’un
caquelon.
Avec ses 8 publications annuelles et ses quelques 196 titres publiés
depuis 1986, date de la création de sa maison d’édition, cet ancien
bibliothécaire se gausse d’un parisianisme à la supériorité
autoproclamée et suit son petit bonhomme de chemin de grand Artisan
régional. Pour la bonne et simple raison qu’artisan, il l’est et le
demeure contre vents et marrées.
Dans son antre, Bernard Campiche veut et fait tout en solitaire. Un
choix dicté, non par un orgueilleux refus de délégation, mais par
l’impérieuse nécessité de connaître, dans sa profondeur, l’auteur et
son monde littéraire. Il reçoit près de six cents manuscrits par an,
trie, lit, soupèse, laisse parler son coeur et finit par décider qui
verra sa prose publiée. S’en suit, une période de chaleureux
compagnonnage où les étapes indispensables à la mise sur orbite d’une
oeuvre se mettent en place. Au fil subtil des retouches et corrections,
le texte brut s’affine, les mots de part et d’autre, se dévoilent et la
relation avec l’écrivain se privilégie. Du peaufinage à la forme
finale, de la couverture à la table des matières, tout est passé en
revue et soupesé avant de finir chez l’imprimeur. Agent, éditeur et ami
toute à la
fois, Bernard Campiche assure, au sens premier et fondamental du terme.
Dégagé du matérialisme contre-créateur, entre spontanéité, clins d’oeil
et chaleureux partages intellectuels, l’auteur peut dès lors, se
laisser aller et faire. Michel Bühler, Anne Cunéo, Anne-Lise Grobéty ou
Jacques-Étienne Bovard, pour ne citer que les plus connus, se sont
ainsi épanouis sous son aile littéraire. En fin connaisseur de la race
des hommes et femmes de lettres, cet humaniste de l’édition, la tête
aussi bien faite que le coeur, sait de quel côté souffle le vent. Comme
il sait mettre, par déférence et pudeur, des limites à son
interventionnisme. De la souvent douloureuse naissance d’un 1er roman
aux incontournables et nécessaires actions promotionnelles, il gère
l’angoisse de la page blanche, la peur de la soudaine notoriété ou les
doutes d’auteurs féconds ou plus en mal d’inspiration. Conscient du
caractère éphémère de la renommée, il adopte la devise qui veut que «si
tu te lèves un matin et que tu as du succès, ne t’inquiète pas, ça va
passer». Sous ses moult casquettes, point de grosse tête…
À la fois père spirituel, trait d’union avec le lecteur,
psychothérapeute de la création littéraire, il mord l’humain à pleine
dent sans perdre de vue la réalité d’un milieu mercantile et volage. En
bref, il s’adapte au monde comme à ceux qui sont devenus les siens. Et
ce, avec passion et lucidité. Dans un univers qu’il considère comme
imprévisible, Bernard Campiche continue à affirmer son indépendance et
à donner sa chance à de jeunes pousses. Il édite ainsi tous les trois
ans, les lauréats du Prix Georges- Nicole, créé en 1969 par Jacques
Chessex et Bertil Galland. Un prix qui récompense un 1er roman par sa
publication et un chèque à trois zéros, ce qui n’est pas rien.
En défendant becs et oncles la littérature romande, ce marginal à la
page bien remplie se fait le portevoix d’un million cinq cent mille
Suisses francophones, souvent oubliés du reste du monde. Pour un type
élevé au milieu des bouquins et qui se dit «né entre deux étagères»,
cette défense du terroir littéraire prend des allures de véritables
conquêtes. Celles de l’estime de soi et des autres, du respect et de
l’authenticité… Et, très accessoirement, de la reconnaissance d’un
milieu tumultueux qu’il survole tel un goéland, l’océan.
FEUILLE D’AVIS DE LA VALLÉE DE JOUX
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Bernard Campiche, artisan-éditeur, a posé son établi au bord de l’Orbe
«En balade avec Bernard Campiche»
Par Jacques Poget
Il voue sa vie aux Romands, écrivains et lecteurs, qui aiment que les livres soient non seulement bons, mais beaux.
Il y a son rire étrange, un rire de tête déclenché par le cocasse, le
grotesque et l’absurde rencontrés dans la vie de tous les jours,
c’est-à-dire, car il y est très sensible, à tout bout de champ. Il peut
lancer ce rire même si le sujet est tragique, comme les kafkaïennes
tractations avec les assurances pour sa fille leucémique,
tétraplégique, décédée à six ans. Bernard Campiche est comme ça. Il
affronte entre rage et rire, entre indignation et action, toutes les
difficultés de l’existence.
Il y a son apparence d’étudiant dégingandé, la cinquantaine par trois
cheveux gris aux tempes. Son regard direct. Sa parole franche jusqu’à
la brutalité, qui lui fait décrire la réalité sans fioriture. De quoi
lui valoir plus de critiques que d’amis, d’autant qu’il préserve son
espace vital. Celui que depuis vingt ans les journaux genevois
appellent «le jeune éditeur vaudois» est un homme à part – attachant,
on va le voir.
Il y a l’histoire de sa vie. Ferait-elle un roman? Sa mère tuée par un
chauffard alcoolique quand il a onze ans, il vit une adolescence dure
et tourmentée – son frère cadet succombera à une surdose. La marraine
de Bernard paie ses études: École de commerce (il y croise Anne Cuneo,
alors enseignante!) et École de bibliothécaires à Genève.
Le goût de la parole vivante
À
son père historien et enseignant, darbyste converti au catholicisme, il
doit la familiarité avec les livres; à ses propres découvertes le goût
de la parole vivante. Assidu spectateur des Faux-Nez, l’étudiant se
prive de repas pour payer l’entrée et devient l’administrateur de
Semedo au funambulesque Théâtre Les Trois Coups. Bibliothécaire au
CESSEV à Burier, Campiche se frotte aux écrivains en donnant un coup de
main, d’abord administratif, à la revue Écriture; celle-ci
renonçant à publier des livres, c’est lui qui s’y risque, à côté de sa
profession: il publie ses amis Jean-Pierre Monnier, le grand aîné, et
Anne-Lise Grobéty. Éditeur la nuit, bibliothécaire le jour, jusqu’à
ce que Line, sa femme, le trouvant livide à l’aube, le pousse à
choisir. On sait la suite, puisque le Zaïda d’Anne Cuneo, sorti en août, est le deux centième livre signé Bernard Campiche Éditeur.
D’où vient ce caractère de battant? Forgé d’échec scolaire et de
railleries! Bernard était l’attardé, souffrant d’un développement lent
provoqué par les médicaments administrés à sa mère pendant sa grossesse.
Il vous raconte tout ça en vous faisant admirer son terroir d’adoption.
Pour se rapprocher du travail de Line, logopédiste, qui mène dans le
Nord vaudois une intense activité, les Campiche se sont installés à
Yvonand, puis à Orbe. De leur maison au cœur du bourg, on voit le
château, de l’esplanade duquel Bernard fait admirer le paysage – neige
du côté Jura, fumée du côté Nescafé – avant de nous faire glisser le
long du chemin de ronde, descendre par ruelles et passages jusqu’à
l’Orbe. Campiche raconte les gens qu’il apprécie, l’atmosphère de la
petite ville naguère en passe de se vider, aujourd’hui très recherchée,
où «mi-valaisan, mi-vaudois», il se sent pourtant très bien.
La rencontre «vitale»
Urbigène
depuis dix ans, l’éditeur n’a pas changé sa manière de vivre:
travailler la nuit, pour être disponible la journée pour François. Lui,
à douze ans, se sent pur natif d’Orbe, connaît tout le monde, joue au
foot. Où son père l’emmène chaque semaine, ainsi qu’au Conservatoire de
Lausanne: il chante avec la Maîtrise dans La Bohème!
En
marchant le long de la rivière (accessible pour la chaise de Louise,
note-t-il), Campiche égrène anecdotes et souvenirs, en général
affectueux et malicieux, sur les écrivains connus autour de Galland, à Écriture,
Chappaz, Bouvier, Borgeaud, Cuneo. Cette dernière, sans se douter de
leur future rencontre, «vitale», dit-il, lui tapota la tête: «Mais oui,
mon petit, deviens éditeur, je t’écrirai un roman!» Elle ne croyait pas
si bien dire: avec Le Trajet d’une rivière, elle tenait un best-seller, avec Zaïda,
elle vient de sauver l’éditeur, prêt à mettre la clef sous le
paillasson. Car on revient toujours à la précarité du métier. Sachant
qu’il énerve son monde avec ce refrain, Campiche voudrait ne pas en
parler cette fois. Oublier les polémiques sur les subventions
culturelles. Ne pas redire qu’avec son sous-salaire il est le principal
sponsor de ses éditions, et que, resté bibliothécaire, il aurait
encaissé en vingt ans un million de plus! Mais comment faire? Il vient
de dire qu’il s’est séparé de sa collaboratrice unique et fait de la
mise en pages pour le journal La Région, à Yverdon, afin de
rapprocher ses revenus mensuels des trois mille francs dont il a
besoin… Drame de l’éditeur artisanal – il fait tout, du choix du
manuscrit à la mise en pages et à la facturation – dans un marché trop
petit pour la qualité sur laquelle il ne transigera pas. Bernard
Campiche rit, et fait son autocritique. Il aurait dû s’arrêter deux ans
lors de la maladie de sa fille, pour ne pas avoir à «travailler avec
les auteurs, à dix mètres de la chambre où elle finissait ses jours, et
nous le savions». Typiquement Campiche, il a voulu tenir, et sa
douleur, sa colère, l’ont durci. «J’ai eu tendance à croire le monde
hostile.» {…}
Grand brûlé, Bernard Campiche se soigne avec les trois seuls remèdes
qu’il connaisse: trop de travail, sa vie de famille, le cercle des
vrais amis. «La force non de survivre, mais de vivre, c’est Louise qui
nous l’a donnée!»
«L’éditeur au crayon rouge, une légende!»
— Comment est venu le déclic?
—
J’aimais beaucoup mon métier de bibliothécaire, les contacts avec les
élèves et les profs… Mais j’ai reçu en 1979 une lettre qui m’annonçait
que je pourrais prendre ma retraite en février 2016! Faire la même
chose tout ce temps, inimaginable! L’idée s’est imposée que j’allais
faire autre chose et ça s’est fait tout seul.
— Vous réalisez de A à Z des livres somptueux… et vous les réécrivez?
—
Couverture, papier, caractère, mise en pages, c’est moi. Mais le texte,
ce sont les auteurs. Mon crayon rouge est une légende: je n’impose rien!
— Jamais?
—
Non. J’annote les épreuves, je signale passages et tournures
problématiques à mes yeux. Je propose, j’aide l’auteur à revoir son
travail avec la distance du lecteur extérieur. Mais c’est lui qui
décide.
— Refuser des manuscrits, c’est facile?
—
Non. Et il m’arrive d’aller en rechercher un, quelque temps plus tard.
Souvent, l’auteur ne veut plus publier. Il est soulagé que quelqu’un
ait pris la dure décision d’écarter un texte inabouti…
24 HEURES
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Bernard Campiche, artisan du livre
Par Philippe Dubath
Vingt-cinq ans dans l’édition et dans le cœur
L’Hostellerie de Genève, à Vevey, est un lieu accueillant où les gens
de passage s’attardent volontiers, se sentant un peu chez eux, salués
et apaisés par la lumière de cinéma, qui y arrive du lac en toute
saison et quel que soit le temps. Peut-être parce qu’il se sent bien
ici, lui aussi, et qu’il a besoin de douceur, Bernard Campiche laisse
s’envoler dans la salle son rire d’enfant doté d’une solide voix
d’adulte, qui dans un premier temps surprend les tables voisines, puis
est acceptée et devient familière.
Mais qui est-il, ce Campiche qui rit ainsi, qui ne murmure jamais, et
dit si haut ce qu’il pense? Qui est cet homme que les Genevois
qualifient depuis trois siècles au moins de «jeune éditeur vaudois» –
ce qu’il apprécie de plus en plus, l’âge avançant – et que ses
collègues éditeurs dépeignent comme un pleurnichard à répétition,
habile à hululer sa misère dans les médias avec un certain opportunisme
en oubliant qu’il sait solliciter les aides où il faut et quand il
faut. «Grand pleurnichard? Roi des aides? Je ne fais que dire
franchement ce que je vis dans la réalité. Passer pour une râpe à bois,
je m’en fous, ceux qui disent ça ne me connaissent pas. Je suis un
passionné, un passionné de livres, qui a la chance de faire depuis
vingt-cinq ans le métier qu’il aime. Mais pour ça, je me contente d’un
tout petit salaire et je travaille beaucoup.»
On le croit. D’ailleurs on peut se demander à quoi lui servirait un
salaire de taille XL puisque Campiche certifie qu’il n’a aucun loisir
coûteux, qu’il aime faire à manger dans sa maison d’Orbe – enfin
acquise –, que son bonheur c’est de s’asseoir devant son ordinateur
jour et nuit pour lire, mettre en page, préparer les livres qu’il
édite. Si, il avoue un petit rêve quand même: «Avoir un jour assez
d’argent pour m’offrir une année de congé sur une île déserte et y
emporter les livres d’auteurs classiques que je n’ai pas eu le temps de
lire jusqu’à maintenant.» Là, on ne le croit pas. Campiche aime trop
son travail et ses auteurs aiment trop leur Campiche pour qu’il puisse
un jour, même pour une petite année, laisser tomber ainsi ses bouquins
et cette famille élargie. Tiens, famille, il n’aime pas le mot: «Les
auteurs ne sont pas solidaires entre eux, il faut les entendre parler
les uns des autres. Chacun aime avoir le sentiment que je ne travaille
qu’avec lui. Alors, famille non, on ne peut pas dire.» D’ailleurs
certains ont quitté la baraque, fâchés pour l’éternité: «Quatre sur une
centaine, ce n’est pas beaucoup. C’est la vie!».
La vie, justement. Elle s’est montrée rude avec Bernard Campiche en lui
prenant sa mère quand il avait onze ans, son frère quand il avait
trente-neuf ans, sa fille à l’âge de six ans. Et Line, son épouse, est
partie il y a trois ans. «Cela fait beaucoup. Je sors de la phase de
reconstruction. Maintenant je crois que j’ai surmonté tout ça. C’est
reparti. Je suis blessé mais pas fatigué. Je vais refaire ma vie. Mais
je finirai peut-être seul. Henri Tachan disait que dans son parti il
n’y avait que lui, et que c’était déjà le merdier. J’aime bien cette
phrase…»
Bernard Campiche est vivant. C’est le mot qui vient quand on l’écoute,
quand on observe son visage sur lequel passent mille expressions, son
corps de maigre, qui prend une place immense à la table. Il est vivant,
oui, ce quinquagénaire qui fut infirme moteur cérébral dans son
enfance, qui loupa les examens d’entrée dans les écoles spécialisées
pour enfants attardés – «J’en suis fier, car dès lors on m’a fichu une
paix royale!»
Écrira-t-il un jour, se publiera-t-il lui-même comme le font pas mal
d’éditeurs? «Je ne suis pas un auteur, mais la tentation est là. Si
j’avais à écrire, ce serait le témoignage sur Louise, ma fille. Sur ce
que cette enfant a injustement vécu. Les responsables sont encore en
place, elle, elle est morte. Mais il faudra qu’il n’y ait pas de
ressentiment, d’amertume. Jusqu’à ce que je vive cela, je ne pensais
pas à écrire. Là, peut-être…Ce serait un hommage à son courage.»
Vivant, on vous dit!
Carte d’identité
Né le: 13 janvier 1956, à Lausanne.
Quatre dates importantes
1967 «Mort de Noëlle, ma mère, dans un accident de voiture.»
1994 «Naissance de ma fille, Louise, qui mourra le 22 décembre 2000.»
1996 «Naissance de mon fils, François.»
2011 «Le 18 juin, fête des vingt-cinq ans d’édition.»
24 HEURES
«Bernard Campiche est un homme d’utilité publique»
Par Philippe Dubath
Le
18 juin 2011, à La Chaux-sur-Cossonay, les auteurs romands fêteront en
public les vingt-cinq ans de métier de l’éditeur. Anne Cuneo salue son
travail et lui dit sa fidélité au livre.
Dans ce café qu’elle fréquente volontiers, au cœur du vieux Zurich où
elle habite, Anne Cuneo prend un évident plaisir à saluer le travail de
son éditeur, Bernard Campiche. Elle lui doit beaucoup, mais lui aussi:
certains de ses livres comme Le maître de Garamond ou Le Trajet d’une rivière
ont atteint des tirages impressionnants. Et assuré en quelque sorte la
vie et la survie de la maison urbigène. Anne Cuneo est donc bien placée
pour livrer, en quelques thèmes, sa vision de l’édition, de l’éditeur,
du livre, de la passion d’écrire.
— Un éditeur, c’est?…
— Quelqu’un qui a un sens du texte et qui est capable de découvrir ceux
qui ne sont pas évidents! Bernard Campiche est aussi d’une grande
fidélité à ses auteurs, il fait confiance, il prend des risques. Il y a
beaucoup d’auteurs, et peu d’éditeurs, la fidélité de l’éditeur est
donc essentielle. Si je n’ai pas, personnellement, un éditeur dont j’ai
bon espoir qu’il me publie, je n’arrive pas à écrire. Quant au
caractère de Bernard Campiche, oui il peut avoir une sale tronche,
comme on dit, mais moi, je ne me fâche pas avec lui. Il n’y a pas de
raison de se fâcher avec l’éditeur Campiche. C’est un écorché vif, il
ne faut pas donner dans ses plaies, c’est la moindre des choses. Si des
gens le blessent où il ne faut pas, il explose, mais il ne fait pas
semblant, il ne fait jamais semblant.
— Un premier livre, c’est?…
— Pour moi, ce fut Gravé au diamant,
qui est réédité maintenant. Ce dont je me souviens, c’est la seconde
dans la rue où tout à coup je me suis dit: «C’est comme ça qu’il faut
que je l’écrive.» La question tournait dans ma tête depuis une année,
et tout à coup… En six semaines il était écrit. Il avait, il y a
quarante-quatre ans, été refusé par une cinquantaine d’éditeurs
parisiens. Mais quelqu’un l’a lu ici et m’a dit qu’il conviendrait bien
à une nouvelle collection consacrée aux auteurs suisses qui se créait à
l’Aire Rencontres. Ce livre a très bien marché, à Paris aussi, et
quelques éditeurs qui l’avaient refusé m’ont dit leurs regrets…
— Écrire, c’est?…
— Je suis née en me disant: «Je vais écrire.» J’étais fascinée de voir
que les adultes étaient plongés dans cela – les livres, donc – à tel
point qu’ils ne m’entendaient pas quand je les appelais. Alors je me
suis dit: «Moi aussi, je veux écrire et être lue.» Mon premier roman
d’aventure, j’avais sept ans. Malheureusement, je l’ai jeté. Je ne m’en
félicite pas. Écrire n’est jamais une souffrance. Si c’en était une,
j’arrêterais tout de suite. Mais il y a des moments plus compliqués, où
je n’avance pas, je deviens insupportable, mais ce sont les meilleurs
moments. J’aime tellement être concentrée sur le prochain livre.
— Être une femme qui écrit, c’est?…
— Ni un avantage ni un désavantage. Parce que trois quarts des lecteurs
sont des lectrices. Cela donne une couleur au marché et à ceux qui ont
accès à l’édition. Par contre, qu’on soit homme ou femme, la
discrimination est réelle de la part des éditeurs parisiens envers les
auteurs suisses. S’ils ne vivent pas à Paris, on ne les édite pas, ou
exceptionnellement. Mon regret, avec ça, c’est qu’une partie de mes
lecteurs m’est niée.
— Écrire des romans à succès, c’est?…
— Une seule fois j’ai gagné de l’argent avec un livre, c’est avec Le Trajet d’une rivière.
Mais, pendant les cinq ans qui ont précédé sa sortie, j’ai dépensé une
fortune à parcourir l’Angleterre pour mes recherches. Aucune édition ne
paiera jamais mon temps. Je suis donc reconnaissante au journalisme qui
m’a nourrie, et qui m’a appris à écrire pour être lue, à écrire
efficacement. À raconter aux gens leur propre histoire.
— Le souhait de l’auteur Anne Cuneo à son éditeur Campiche, c’est?…
— Encore vingt-cinq ans comme ça! S’il fermait ce serait un drame. Il
est d’utilité publique, et il y a longtemps que personne n’avait fait
d’aussi beaux livres…
Bernard Campiche dit son credo
Mon credo d’éditeur? Faire mon métier du mieux que je peux, sans trop
de fautes sur les textes publiés, une impression soignée, et une belle
couverture. Voilà, c’est simple! À dire plus qu’à faire!
N’empêche que ces vingt-cinq années d’activité m’obligent à regarder en
arrière. Ce que je ne fais jamais. Et je ne peux que prendre acte de la
ténacité du jeune homme de trente ans qui s’aventurait dans ce métier
inconnu, avec, pour tout bagage, les craintes de ses proches… Cette
aventure s’est révélée magnifique, largement au-delà de ce que je
pouvais espérer… Jamais je n’ai regretté mon choix, jamais je n’ai
pensé que je gagnerais probablement mieux ma vie en faisant autre
chose. C’est que les rencontres avec les auteurs, la mise en pages, le
choix de la couverture, l’emportent largement… Et je peux aujourd’hui
estimer que j’ai vraiment réussi à faire ce que j’aimais …
L’avenir? Difficile à prévoir. Il y aura un changement de génération
(vingt-cinq ans, c’est une génération!), donc inévitablement l’appel
d’auteurs plus jeunes et la «retraite» (je déteste ce mot!) d’auteurs
âgés… Le principal, à retenir, n’est-ce pas cet extraordinaire
engouement pour un «jeune» éditeur littéraire, pour son travail
éditorial? J’ai toujours aimé mon pays et il me le rend bien…
Comme on le voit, je vis au jour le jour… On verra bien… Le principal,
c’est de savoir que je terminerai ma «carrière» professionnelle en
étant éditeur littéraire. C’est inespéré!
BERNARD CAMPICHE
24 HEURES
Le «formidable cadeau» des auteurs à leur éditeur, Bernard Campiche
Par Cécile Duruz
Écrivains,
amis ou simples lecteurs sont venus en nombre samedi, dans le petit
village de La Chaux, célébrer le quart de siècle de la maison d’édition
Bernard Campiche.
Des centaines de livres, quarante auteurs pour un éditeur. Il y avait
du monde, samedi dans le petit village de La Chaux, pour célébrer les
vingt-cinq ans des Éditions Bernard Campiche. Un succès qui a même
surpris le principal intéressé: «Je me suis tout d'abord dit: et si
personne ne vient, on a l’air de quoi?» rigole Bernard Campiche.
Ses craintes ont été rapidement dissipées. Sur soixante auteurs
contactés, près de quarante sont venus montrer leur reconnaissance à
leur éditeur. «Ils font partie d’une grande famille. Ce ne sont pas des
relations de business, mais bel et bien de l’amitié qu’il y a entre les
écrivains et leur éditeur», constate Georges-Henri Dépraz, de
l’Association des Amis de Bernard Campiche Éditeur.
La journée d’anniversaire s'est poursuivie par des lectures d’œuvres
littéraires, de contes et des concerts dans des granges du village.
24 HEURES
Bernard
Campiche: «Moi, un éditeur vaudois? Je m’acharne pourtant à répéter que
je tiens mon côté bouillant de ma mère valaisanne»
Par Lisbeth Koutchoumoff
L’ancien
bibliothécaire installé à Orbe fête les vingt-cinq ans de sa maison
d’édition: une centaine d’auteurs qui lui sont très attachés, près de
trois cents titres dont beaucoup tirés à plus de cinq mille
exemplaires. La passion du manuscrit, du lecteur, du contact avec
l’auteur et une connaissance intime du marché romand, ont fait du
débutant atypique un acteur incontournable.
La Grand-Rue à Orbe, en face de la droguerie. En passant la porte du
numéro vingt-six, on tombe sur un escalier raide dont les marches sont
encombrées de livres. Tout en haut, Bernard Campiche a installé les
bureaux de sa maison d’édition qui fête cette année ses vingt-cinq ans
d’existence. Le terme consacré de «maison» se révèle en fait un peu
exagéré car Bernard Campiche fait tout, tout seul, ou presque: lecture,
sélection et édition des manuscrits, mise en pages, couvertures, service
de presse. «Chambre d’édition» serait peut-être une dénomination à
imaginer. Quoique cela ne donnerait pas l’idée de la force commerciale
que l’officine consacrée aux auteurs de Suisse romande peut déployer
depuis la Grand-Rue d’Orbe. Sur les trois cents titres parus en
vingt-cinq ans, Bernard Campiche peut avancer une bonne série de
best-sellers (voir ci-dessous) et cela continue. Un monde de mots,
le prochain roman d’Anne Cuneo, ultime volume de sa trilogie sur le
XVIe siècle anglais, paraîtra en août à dix mille exemplaires, un
chiffre vertigineux pour le monde de l’édition romand.
«Vingt-cinq ans, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour me faire une
place auprès des lecteurs. Je l’ai senti en mai, au Salon du livre de
Genève. Pour la première fois, le public venait vers moi en terrain
connu et aimé. Ce n’est pas si long, vingt-cinq ans, quand on y songe,
non?»
Bernard Campiche pose la question au premier étage du restaurant de
Marisa et Gianni Campus, septante-huit et huitante et un ans, appelé le
«Cor de chasse», communément désigné comme «Chez Campus». Il se situe
très exactement en face de la maison d’édition, il faut au grand
maximum vingt-cinq secondes pour passer de l’ordinateur de l’un aux
nappes blanches de l’autre. Bernard Campiche en a fait son annexe
quasi officielle où les discussions sur les manuscrits se poursuivent
avec les écrivains autour des lasagnes de Gianni et des bouteilles de
Cannonau di Sardegna.
Officiellement, le couple est à la retraite et le restaurant fermé mais
Marisa voulait garder le plaisir de l’échange avec la clientèle, alors
ils font table d’hôte pour leurs amis. La salle à manger, papier peint
rose-rouge et lustres Murano, une «Little Italy» à elle toute seule,
continue donc de tourner.
Ce détour par les cuisines pour aller à l’essentiel: Bernard Campiche
est un éditeur de contact, de proximité. Il ne conçoit pas son métier
sans pouvoir rencontrer ses auteurs. C’est ce qu’il répond quand on lui
demande pourquoi il s’est dédié aux littératures de Suisse romande et
s’il n’a pas envie d’aller voir ailleurs parfois. Ce goût et cette
aptitude à soutenir le projet d’un auteur, à le corriger crayon en
main, trois, quatre, sept fois, s’il le faut, il les a découverts sur
le tas, en quittant son métier de bibliothécaire. Déambuler dans et
autour des livres, il connaît depuis l’enfance. Son père Michel,
historien, vaudois, darbyste converti au catholicisme, vivait dans les
textes. Sa mère Noëlle, valaisanne, incarnait une approche plus
artistique de la vie. «Moi, un éditeur vaudois?» La question résonne
dans la salle à manger où nous déjeunons seuls. Bernard Campiche a la
voix et les gestes qui portent loin. «Je ne cesse pourtant de répéter
que mon côté bouillant vient du Valais, de ma mère. Je revendique
l’importance égale de la part maternelle mais les gens s’arrêtent à
l’origine du père. Sans mon côté valaisan, je ne pense pas que j’aurais
créé une maison d’édition.»
L’enfance n’est pas rose. Bernard Campiche naît infirme moteur
cérébral. À Saint-Maurice, où le père enseigne, la maman doit se battre
pour que son fils soit accepté en classe enfantine. Elle y parvient et
le petit garçon s’en sort. Noëlle meurt dans un accident de voiture en
1967. Bernard a onze ans. Il est l’enfant du milieu d’une fratrie de
trois garçons.
Le père se remarie. Pour résumer l’ambiance familiale de ces années-là,
l’éditeur raconte: «Ma belle-mère réservait le beurre à la fille
qu’elle a eue avec mon père. Mes frères et moi devions nous contenter
de la margarine.» Il est sauvé par sa marraine, une aristocrate
française venue en Suisse pour traiter ses poumons. Elle croit dans les
qualités du jeune homme et le soutient dans ses études.
Bibliothécaire au gymnase à La Tour-de-Peilz, il fait ses premiers pas
dans le monde éditorial romand en devenant, en 1981, l’administrateur
de la revue Écriture.
Il fonde sa maison d’édition en 1986. Ses premiers auteurs viennent d’Écriture
comme Jean-Pierre Monnier et Anne-Lise Grobéty. À ce moment-là, les
Cassandre s’empressent de dissuader le trentenaire: un éditeur de plus
en Suisse romande? Pas de place, marché lilliputien, etc. Les années
passent, Bernard Campiche reste. Sont venus à lui, depuis, des auteurs
comme Anne Cuneo (Prix des libraires, en France, en 1995 avec Le Trajet d’une rivière),
Jacques Chessex, Jean-Louis Kuffer. Sa cote d’estime et d’attachement
auprès de ses auteurs sont immenses. Et les lecteurs se montrent très
fidèles. Les tirages de premiers romans s’élèvent à deux mille
exemplaires (de quoi faire tourner la tête des grands éditeurs français
qui tirent à sept cents) et à trois mille voire à cinq mille pour les
auteurs connus. Des chiffres qu’il explique par une connaissance intime
du marché.
Point noir: le marché français qui demeure hermétique aux livres
Campiche. «Je fais tout ce qu’il faut mais la frontière ne s’ouvre
pas», constate l’éditeur. Qui poursuit son chemin néanmoins avec
fougue. Donner le meilleur ici, tel pourrait être son mantra. Qu’il
étend sans doute à sa vie tout entière qui s’est montrée cruelle,
encore. Perte du frère puis perte de sa fille, à l’âge de six ans.
Dissolution du couple.
Marisa Campus revient de la cuisine. Il est temps de reprendre des lasagnes.
Cinq best-sellers
Le Trajet d’une rivière, Anne Cuneo (1993), quinze mille exemplaires vendus en Suisse. Édition française chez Denoël, Prix des libraires 1995.
Le Trajet d’une rivière met
en lumière la vie d’un homme discret de la Renaissance, humaniste
passionné de musique, Francis Tregian. Né en 1574 en Cornouailles dans
une famille catholique, il doit fuir avec les siens lorsque son père
refuse d’embrasser la religion protestante. Collectionneur des musiques
de son temps, c’est lui qui réunit les morceaux du fameux Fitzwilliam
Virginal Book. Anne Cuneo a sorti de l’ombre cet érudit qui a fini sa
vie à Londres.
Nains de jardin, Jacques-Étienne Bovard (1996), douze mille exemplaires vendus.
Un recueil de nouvelles qui prend les jardins helvétiques et leurs
nains comme une image en réduction des obsessions nationales. Corrosif.
L’Italienne, Sylviane Roche et Marie-Rose De Donno (1998), onze mille exemplaires vendus.
C’est l’histoire de la vie de Marie-Rose De Donno, née en 1950 à
Maglie, dans les Pouilles en Italie, et l’émigration en Suisse. Écrit
avec son amie la romancière Sylviane Roche, un témoignage brut et beau.
Le Maître de Garamond, Anne
Cuneo (2002), treize mille exemplaires vendus. L’incroyable histoire de
l’inventeur des caractères typographiques encore utilisés aujourd’hui,
Antoine Augereau, pendu en 1534.
La Corde de mi, Anne-Lise Grobéty (2006), quatre mille exemplaires vendus. La regrettée Anne-Lise Grobéty revenait au roman avec La Corde de mi, récits entrelacés de rencontres manquées. Des nouvelles de la Mort et de ses petits, dernier roman de la Chaux-de-Fonnière, paraîtra cette prochaine rentrée.
Biographie de Bernard Campiche
1956 Naissance à Lausanne, enfance à Saint-Maurice
1967 Décès de sa mère dans un accident de voiture
1981-1987 En parallèle à son travail de bibliothécaire, devient administrateur de la revue Écriture
1986 Crée sa maison d’édition
1987 La Parole volée de Michel Bühler, huit mille exemplaires vendus
1993 Le Trajet d’une rivière d’Anne Cuneo, quinze mille exemplaires vendus
2000 Mort de sa fille, Louise, à l’âge de six ans
2002 Résurrection professionnelle grâce à la parution du Maître de
Garamond d’Anne Cuneo et au lancement de la collection de livres de
poche, camPoche.
2006 La Corde de mi, d’Anne-Lise Grobéty, quatre mille exemplaires vendus.
LE TEMPS
Entretien avec Bernard Campiche, éditeur
Gilbert Salem, journaliste et écrivain lausannois, dit de lui: «Il
n’est point le roi Sisyphe poussant éternellement un rocher voué à
retomber avant d’atteindre le sommet d’une montagne infernale. C’est
l’arpenteur qui sait mesurer les terrains en amont puis en aval – et
encore une fois en amont, etc. Il jauge la déclivité des deux versants
à pas déterminés, et chez lui la route est longue, la route est belle».
Bernard Campiche, j’ai eu la joie de le rencontrer une première fois au
début des années quatre-vingt-dix, dans le cadre de mes cours de
bibliothéconomie à Dorigny-Lausanne, alors que j’étais
stagiaire-bibliothécaire. Aujourd’hui, je suis très heureuse de le
retrouver en tant que rédactrice littéraire et je le remercie de
m’accorder cet entretien.
Valérie Debieux: Bernard
Campiche, vous avez fêté cette année vos vingt-cinq ans d’édition,
pouvez-vous nous parler de votre parcours ainsi que de la motivation à
l’origine de la création de votre maison d’édition?
Bernard Campiche: Mes débuts (octobre 1986): le hasard pur. J’étais, à l’époque, bibliothécaire et «administrateur», de la revue littéraire Écriture…
J’étais donc déjà «dans» le livre. J’ai donc «sauté» le pas, malgré
l’avis plus que «mitigé» de personnes qui m’entouraient alors, et
notamment de Bertil Galland…
Ma motivation n’a pas changé: faire de «beaux livres», peu de fautes,
belles couvertures, bonne mise en pages et bonne impression. C’est
simple, mais de plus en plus rare…
Pour le parcours, j’ai eu «de la chance». Je n’imaginais absolument pas
le succès d’Anne Cuneo. C’est clair que le «succès» m’a permis de vivre
(très modestement) et de continuer mon travail… Pour moi, l’édition est
avant tout une question de rencontre (par exemple, entre autres, avec
Sylviane Roche). J’ai d’ailleurs souvent publié plusieurs livres du
même auteur. Dans bien des cas, ces auteurs sont devenus des amis…
Être éditeur
est un travail de tous les instants, surtout pour vous, qui le
pratiquez comme un artisan et qui effectuez, seul, tout le travail
éditorial (décision de publication, saisie des textes et mise en pages
de ceux-ci, discussion de la présentation des ouvrages, la presse et le
public); de surcroît, le livre paru, vous accompagnez vos auteurs.
Après toutes ces années, vous n’avez pas perdu votre étincelle, la
passion demeure intacte, quel bilan dressez-vous aujourd’hui et quels
sont vos souhaits pour l’avenir?
Je suis d’une génération pour laquelle compte avant tout ce que l’on
fait et non ce que l’on gagne. Je le dis, et je le pense, souvent: sans
édition, ma vie ne serait pas aussi intéressante… Sans passion,
j’arrête tout de suite…
Difficile de prévoir l’avenir… Une chose est sûre: le public est là,
donc il ne faudrait pas le décevoir… Pour les médias, c’est plus
compliqué: ils adorent la France et la nouveauté, donc c’est plus
difficile maintenant de ce côté-là… Autre chose importante: les aides
ne baissent presque pas, mais elles sont plus «parsemées», donc moins
conséquentes… Mes fournisseurs n’ayant malheureusement pas baissé leurs
prix, cela devient de plus en plus difficile économiquement…
Depuis 1986,
vos ouvrages ont été couronnés par plus d’une cinquantaine de prix
littéraires importants en Suisse française (Prix Schiller, Prix
littéraire Lipp Genève, Grand Prix C.F. Ramuz, et tant d’autres),
pouvez-vous nous raconter une anecdote d’éditeur qui vous vous tient à
cœur au sujet de ces belles récompenses?
Je n’ai pas de souvenir précis de ces moments-là, si ce n’est que,
souvent, je n’y croyais pas… Effectivement, ces distinctions ont
largement compté dans ma vie d’éditeur, tout comme a compté le grand
«passage du désert» qui a suivi… Dans le fond, peu de choses ont
changé, si ce n’est que certains auteurs sont maintenant décédés et
m’ont quitté (notamment Gisèle Ansorge, Jean-Pierre Monnier, Anne-Lise
Grobéty…).
Vous publiez
également des livres de poche (camPoche). Vous ne vous limitez à aucun
genre (théâtre, poésie, nouvelle, roman). Combien d’ouvrages
publiez-vous par an et combien de parutions au total depuis vos débuts,
toutes éditions confondues?
En principe, huit livres «grand format» par année (cette année il y en
aura sept…), et environ une dizaine en poche (en camPoche). Mais, cela
risque de changer car la Fondation Pro Helvetia, qui nous aidait
beaucoup dans le programme de poche, a récemment modifié son règlement.
Pour ma part, je ne solliciterai donc plus son aide économique…
De plus, je m’interroge sérieusement quant à mon avenir financier, il y
aura donc peut-être moins de livres à l’avenir, même en grand format…
En tout, cet automne {2012}, j’arriverai à 324 livres publiés…
Vous dites:
«Je n’édite donc qu’un nombre restreint d’ouvrages, avec comme objectif
principal la diffusion la plus large possible du travail des auteurs
suisses français. Car la Suisse est le pays dans lequel je vis, et je
pense que c’est la littérature dont je comprends le mieux les racines
et que j’ai envie, au travers d’œuvres les plus variées, de défendre».
Êtes-vous également ouvert à des auteurs canadiens ou français?
Non, en principe pas. Ce n’est pas une question de passeport, mais de
«voisinage»: je dois pouvoir «voir» un auteur, le contacter, travailler
avec lui. Avec la France ou le Canada, il y a réellement un problème de
distance… Et puis, des éditeurs français, il y en a déjà beaucoup…
Durant longtemps, mon travail éditorial n’était pas diffusé hors de
Suisse: je refusais donc de publier un auteur qui ne trouverait pas son
livre dans sa librairie habituelle…
Afin de
permettre aux auteurs de mieux cibler l’envoi de leurs manuscrits,
pouvez vous nous dire, en quelques mots, ce que vous recherchez?
Je n’ai pas de goût précis… J’aime beaucoup être surpris par un texte.
Ce que j’essaie de faire, c’est d’avoir, par genre, l’un des meilleurs
auteurs possibles dans un genre précis…
Pour la recherche d’un éditeur, je ne saurai que conseiller la consultation de l’annuaire Audace, une vraie mine d’or pour qui recherche un éditeur, avec une description précise de chaque éditeur et des pièges à éviter…
Quelles sont vos influences littéraires et quelle est votre «bibliothèque idéale»?
Difficile de répondre précisément. L’auteur, relativement récent, qui m’a profondément marqué, c’est Georges Perec…
Malheureusement, le temps me manque pour lire ce qui paraît
aujourd’hui, c’est pourquoi je rêve, de temps à autre, de prendre une
année sabbatique pour lire…
Le livre
électronique, que cette notion se réfère au texte numérisé ou à
l’appareil permettant de lire ce document numérisé, fait parler de lui,
lors de manifestations du livre ou dans les médias. Quelle est votre
perception de cette technologie et de ses applications?
À mon avis, les «technologies» sont complémentaires. Donc, il ne faut
pas les «nier», même si je demeure persuadé que le «livre littéraire» a
encore de beaux jours devant lui. Avec mon diffuseur suisse (l’OLF), on
va prochainement mettre sur le marché une vingtaine de titres
numérisés… J’anime aussi un site internet, qui me prend beaucoup
d’énergie et de temps, lequel m’apporte régulièrement des commandes…
Vous êtes en train de préparer votre rentrée d’octobre. Pouvez-vous nous en parler?
Ce sera une surprise… Moi, j’y crois très fort… Pour l’instant
(septembre 2012), comme d’habitude (le même «cirque» dure pour moi
depuis vingt-six ans…), on est totalement «submergés» par la France. À
peu d’exception près, les médias n’ont évoqué que les parutions
françaises… À croire qu’on n’existe pas… Mais on finit par avoir
l’habitude… Cela va se calmer fin octobre et on pourra donc enfin
travailler correctement…
Je formule tous mes vœux de succès pour votre maison d’édition. Longue vie à elle et je vous laisse le mot de la fin…
Pourvu que je garde la passion… Jusqu’à ma retraite (j’ai cinquante-six ans…).
Jean-Pierre Monnier (1921-1997), qui a été un des premiers auteurs de
Campiche, le salua comme un homme à pentes: «L’enthousiasme ne m’a
jamais fait sourire, ni la volonté d’entreprendre, et quand les
réalisations font suite aux projets, quand on les a sous les yeux comme
si elles renouaient avec une tradition, celle du beau livre ouvert à
toutes les lectures, on est heureux et presque fier pour qui a mené à
bien l’idée dont elles sont le produit et auxquelles il a souvent dû
sacrifier quelques conforts. Bernard Campiche ne s’est pas égaré dans
les voies de la facilité (c’est à peine si j’ai quelque gêne à le
dire), et surtout il n’a pas craint d’aller au-devant de la jeune
littérature qui s’écrit aujourd’hui en Suisse romande. C’est un être,
lui aussi, de passion, un homme à pentes, de ceux auprès desquels je me
sens bien. Il travaille. Il fait de bons livres. La place qui est
devenue la sienne, en peu d’années, était à prendre, et elle répond de
la meilleure présence dans la continuité». In : Pour Mémoire.
Blog de VALÉRIE DEBIEUX, La Cause littéraire
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Autrefois, au XVIIIe siècle, par exemple, un éditeur était
«libraire-éditeur». On venait chez lui, l’endroit était peu éclairé,
sentait le papier et l’encre, dans l’arrière-boutique se pressaient des
protes, autour de leurs casses, composant les textes à la main, ensuite
le patron relisait, traquant les coquilles, passaient les auteurs,
apportant leur manuscrit, passaient les lecteurs, comme ils passaient
chez le bourrelier, le cordonnier, le relieur.
Campiche appartient à ce monde-là. Il est le prote, il est le metteur
en pages, il est le relieur à sa manière, puisqu’il choisit l’image de
la couverture. Et il lit les livres qu’il publie. Il lit les livres
qu’il publie. Cela va de soi, dira-t-on… Eh, pas tant que ça… Un jour,
un auteur connu, d’une maison d’édition parisienne glorieuse, m’a
confié, enfin glorieuse autrefois, m’a confié qu’il changeait
d’éditeur.«Vous comprenez, me dit-il, je leur envoyais mon manuscrit
par internet, quelques mois après il était en vente et personne, chez
X, ne m’en avait rien dit, parce que personne n’avait lu mon livre…»
Campiche est un éditeur fou, comme il y eut un chapelier fou. Non
seulement il fabrique les livres, il met nuitamment la main à la pâte,
tiens voilà la boulangerie-pâtisserie un artisanat que j’avais oublié
dans mon chapelet de métaphores, mais c’est le seul, Campiche, qui vous
dira: «Ouh là, l’année dernière j’ai eu du souci, j’ai bien cru que je
n’allais pas tenir, c’est passé juste, j’ai dû me séparer de quelqu’un,
ça a été dur, mais je ne pouvais plus le payer… Cette année, ça va
mieux…» Le tout avec un sourire d’enfant. Voilà, peut-être le secret,
ce Campiche n’est pas tout à fait adulte, ou alors il est très vieux,
très sage et revenu de tous les faux semblants… D’ailleurs, il n’en est
pas revenu, puisqu’il ne lui est jamais venu à l’esprit de tricher. Sa
vie, certes, ne fut pas un tapis jonché de pétales de roses, il a eu
son comptant de malheurs, de vrais malheurs, on n’en parlera pas ici,
mais c’est peut-être à cause d’eux qu’il est comme ça, généreux,
fragile peut-être, mais finalement solide peut-être aussi, allez
savoir… Que sait-on des êtres? Tiens, la boulangerie-pâtisserie, j’y
reviens. Il faut avoir vu Campiche au Salon du Livre, passant les
assiettes de petits gâteaux, servant à boire. À côté de lui, ses
auteurs et ses autrices, d’allure sérieuse, elles et eux, lui l’œil qui
frise: «Tenez, il faut que vous lisiez celui-là, vous verrez, vous
allez l’aimer…». Et le soir il vous dira: «Je suis content, j’ai bien
vendu…»
Campiche, il sent l’encre et le papier. Il ne fabrique pas des
«produits», comme de plus en plus la profession, il est éditeur, c’est
tout. Ses livres sont les plus beaux de tous.
C’est bien connu on est plus beau quand on est aimé…
Texte de Charles Sigel lu le 23 juin 2012 à Perroy
Orbe
Bernard Campiche, l’artisan éditeur
«Montez à l'étage!» La haute stature de l’éditeur urbigène paraît au sommet de l’escalier.
J'étais venue parler des livres que sa maison d'édition allait faire
paraître en 2013 et il m'a imprimé derechef toutes les références
souhaitées. Aussi m'a-t-il emmenée sur des chemins de traverse.
Lui emboîter le pas, suivre ses longues foulées dans la vastitude
des sujets qui l'interpelle ne fut pas toujours chose aisée. Et puis
mon rythme s'est adapté à la volubilité des mots, à la résonance qu'ils
induisaient.
En deux heures pleines, Bernard Campiche sillonne le paysage
littéraire de cette Romandie où il a planté des racines adventives.
Évoque les chausse-trapes – surtout financières – semées sur la route
des éditeurs de ce coin de pays, la révolution qu'a engendré l'usage
quasi omnipotent de l'ordinateur, le livre numérisé. Sans omettre sa
façon de penser l'urbanisation de la ville qui l'a accueilli il y a
quinze ans. Il parle avec ferveur du compagnonnage fidèle qu’il vit
avec ses auteurs. D’emblée, vous êtes conquis par son enthousiasme, par
un parler franc!
L'éditeur joue la discrétion. Point de plaque à l'entrée de la maison
aux encadrements de fenêtres en pierre jaune de La Sarraz. «Je me sens
bien à Orbe. On est arrivé le 24 juin l998, le jour où le Tour de
France y passait. Mon fils a suivi ses classes à
Orbe. Et puis la ville est un carrefour dont les routes conduisent à
Lausanne, Genève ou Neuchâtel. Le Nord vaudois a mauvaise presse
question climat? Continuez à le dire! On a la paix!» et il éclate
d'un grand rire.
Le goût de la lecture
«Chez les enseignants, il y a une réelle ouverture à la littérature
romande. Certains élèves peuvent s’entretenir avec un auteur.» se
réjouit l’éditeur. Qui pratique une règle qui lui réussit: la
publication annuelle de huit livres grand format et huit livres de
poche. Bernard Campiche, un oiseau de nuit? Oui, mais pour la bonne
cause! Assis devant son ordinateur – qui renâcle un peu ce jour-là à
distribuer l’impressionnante collection d’articles laudatifs qui lui
sont consacrés – il lit les manuscrits, met en page, prépare les livres
qu’il édite avec un soin d’enlumineur. Bernard Campiche est un fou de
travail, mais peut-on parler de travail face à une telle passion ? Son
emploi de bibliothécaire l'a mis sur les rails de l’édition. « Je ne
saurais rien faire d’autre.» concède-t-il. Acheter un livre des
Éditions Campiche, c’est être certain d’avoir entre les mains un
ouvrage d’excellente facture.
Livres à paraître ce printemps 2013 aux Éditions Campiche
Deux ouvrages sont sortis de presse en janvier déjà: Un voyage en Suisse une anthologie traduite par François Conod. Le roman de Anne Cuneo La Tempête des heures a déjà été réimprimé. Que les lecteurs se rassurent!
À la fin avril paraîtront en version originale, la lauréate du Prix Georges Nicole 2013 ainsi que La Charrette d’infamie de l’auteur syrien Houssam Khadour. Les récits sont traduits de l’arabe par Elisabeth Horem. Les nouvelles d’Antonin Moeri Encore chéri! sortiront également à la fin du mois.
En «camPoche», les lecteurs découvriront Les Mots, peut-être et autres poèmes de Catherine Fuchs, Le Dernier Échangeur de Daniel Abimi. Anne Cuneo et Charles-François Landry seront en «camPoche» avec Les Corbeaux sur nos plaines pour la première et La Devinaize pour le second.
Le catalogue général 1986-2103 sera à disposition des lecteurs à fin avril.
ÉLIANE HINDI, L’Omnibus
Bernard Campiche joue de la perceuse pour rénover sa maison
Dans sa vieille maison d’Orbe,
l’éditeur a concentré les livres sur les murs de son bureau, serrés sur
des étagères design, ou les a stockés à l’étage. Ailleurs, l’espace est
habité par ses souvenirs
Pas de panneau indicateur dans la rue principale d’Orbe. Ni même
d’écriteau sur la façade jaunie de la maison mitoyenne aux volets
turquoise de Bernard Campiche. Et pourtant à la tête des éditions
éponymes depuis 1986, il voue sa vie à la littérature romande.
Le patron est modeste. Il ne tire jamais la couverture à lui. «J’ai des
palettes de livres devant ma porte, les voisins m’ont repéré», dit-il
en souriant. Sa passion l’incite à mettre les autres, les écrivains, en
avant. Anne Cuneo, Jacques Chessex, Anne-Lise Grobéty, Gisèle Ansorge,
Nicolas Verdan font partie de ceux-là. «La grande inconnue dans ce
métier, c’est la relation avec l’auteur. Elle est très forte chez moi.
Sur cinquante, il y en a quarante avec lesquels j’ai un contact très
étroit. C’est cyclique, comme l’amitié. Jeune, j’ai travaillé dans le
bar d’un théâtre, à Lausanne, c’est là que j’ai appris à communiquer
avec les artistes.»
Autant l’éditeur est discret, autant la bâtisse de la cité médiévale –
une vieille dame en molasse dont la construction remonte à 1865 – est
imposante. On pousse une lourde porte en bois qui grince sur ses gonds
et un escalier d’époque, en chêne, monte jusqu’à une cuisine spacieuse
et épurée. Voici le propriétaire, en jeans et cheveux bouclés. Bernard
Campiche a un look d’éternel étudiant, une solide poignée de main, et
une voix qui porte, avec un bon accent vaudois.
«Cela fait quinze ans que j’habite cette maison de sept pièces. Mais
depuis ma séparation d’avec ma femme, il y a cinq ans, j’ai besoin de
tout rénover. Alors je repeins, je déplace les meubles, je bricole. Il
faut parfois changer de décor. Et dire que je souhaitais vendre mon
toit et m’installer dans le Jura car j’adore les sapins!»
Un tableau peint par sa fille
Un lapin blanc, comme évadé d’Alice au pays des merveilles,
est blotti au fond de sa cage dans un coin de la cuisine. «Il
appartient à mon fils». Soudain une chatte au pelage cotonneux se
faufile entre ses jambes. «Celle-ci était à ma fille. Louise est morte
d’une leucémie quand elle avait 6 ans, en 2000. Elle a passé beaucoup
de temps au CHUV, mais c’est ici qu’elle a voulu finir sa vie, entre sa
maman, son frère et moi. Elle voulait rentrer à la maison.» On s’assied
autour d’une longue table en verre – une copie d’après Le
Corbusier – où fument deux tasses à café. L’homme n’est pas avare de
confidences et chacun de ses mots résonne entre ces murs qui ont vu
passer un chapelet de joies et de peines. «J’ai souvent été confronté à
la mort dans ma famille. J’ai perdu ma mère dans un accident de
voiture, puis mon plus jeune frère, dont je porte toujours la montre.
Mais perdre un enfant est un deuil impossible. On s’habitue au manque,
mais on ne le digère pas. Après le décès de Louise, j’ai voulu tout
arrêter. Il n’y a que trois ou quatre ans que j’ai repris sérieusement
l’édition. Mon métier m’a beaucoup aidé.»
Dans un étroit corridor, qui relie la cuisine au salon, des photos de
sa fille tapissent des armoires blanches. Une peinture vive et colorée
clôt le cortège de clichés: «C’est l’un des derniers tableaux de
Louise. Elle l’a peint avec la bouche.»
Derrière les hautes fenêtres en bois, les feuilles des arbres se
collent aux carreaux comme pour observer le va-et-vient à l’intérieur.
On devine un jardin foisonnant: «J’ai des rosiers dans tous les coins.
Le sécateur, voilà ce que j’emporte quand je descends dans mon jardin.»
On a beau être chez un orfèvre du livre, pas une bibliothèque à la
ronde. Quelques tableaux de peintres suisses, qu’il a repris pour les
couvertures de ses livres, ornent les murs jaunes. Les bouquins, eux,
sont stockés au premier étage. D’autres garnissent des étagères
modernes qui ondulent contre les parois de son bureau. «Je passe quinze
à seize heures par jour dans cette pièce. Je lis beaucoup de manuscrits
que je corrige, un crayon à la main, jusqu’à 2 heures du matin. Je me
souviens qu’avec Michel Bühler, dont j’ai édité les livres depuis 1987,
on a mis douze heures pour corriger huit pages! Il m’a traité de
négrier. Mais respecter un auteur, c’est tout faire pour obtenir le
meilleur et le plus bel ouvrage possible», s’enthousiasme-t-il.
Fauteuil et appliques design
A-t-il seulement un livre de chevet? «Je suis plongé dans un
témoignage, «Vingt-quatre juin - La mort d’un fils», de Jean-Jacques
Beljean, un pasteur neuchâtelois qui a perdu son enfant de 13 ans.»
Dans son bureau, il a placé des appliques d’un designer italien et, au
visiteur qui passe, il offre de s’asseoir sur une chaise signée Botta.
«J’aime les lignes épurées. J’ai besoin de vide, d’espace. C’est dans
ma nature.» Il partage la maison avec son fils de dux-sept ans:
«François rêve d’une carrière de musicien. Au moins il a une passion,
c’est une chance! Moi, je suis d’une génération où ce qu’on fait est
plus important que ce qu’on gagne.»
SES OBJETS PREFERES
L’œuvre de Jean-Pierre Monnier
«C’est le premier auteur qui m’a fait confiance. Il trimbalait une
étiquette de quelqu’un de sévère, on disait que c’était l’écrivain des
pasteurs, mais en fait il était très drôle en privé. «L’Allégement»,
l’un de ses romans, a été adapté au cinéma par Marcel Schüpbach.»
Le Polly Pocket de sa fille
«En 1999, quand ma fille (morte d’une leucémie en 2000, ndlr)
était au CHUV, je lui ai apporté ce jouet. C’est le décor de «La Belle
au bois dormant». À l’intérieur, il ne reste plus que la princesse, le
prince a disparu… Je suis très proche de cet objet, qui est sur mon
bureau.»
Une statue
«Elle me suit partout depuis vingt-sept ans! Je l’appelle ma statue
mystère, car je ne sais pas d’où elle vient. Sans doute de ma
grand-mère, qui était antiquaire. Pour moi, c’est une muse de l’art.
Elle est toujours au stock et veille sur les livres.»
ANNE-CATHERINE RENAUD, Le Matin-Dimanche
Il représente la région au Salon du livre
L’Urbigène Bernard Campiche
présente, depuis 1987, les différents ouvrages qu’il édite au Salon du
livre et de la presse de Genève. La 28e édition débute demain
«Depuis 1987, j’ai participé à toutes les éditions du Salon du livre et
de la presse de Genève», indique l’éditeur nord-vaudois Bernard
Campiche, sans parvenir à préciser le nombre exact de fois qu’il a
animé un stand à l’occasion de cette manifestation. «La première fois
que je m’y suis rendu, je n’avais que quatre livres à présenter», se
remémore-t-il. Aujourd’hui, après plus de nonante auteurs édités, les
choses ont bien évolué. Son emplacement d’un mètre et demi de large,
lors de sa première participation, mesure maintenant près de quinze
mètres et ce sont plus d’une quinzaine d’auteurs qui ont rendez-vous,
ces quatre prochains jours, pour des séances de dédicaces, sur le stand
Bernard Campiche Éditeur, lors de ce 28e salon, qui ouvrira ses portes
demain.
Cette manifestation nécessite toutefois un gros investissement de la
part de l’éditeur, non seulement au niveau organisationnel, mais
également financièrement. «Il faut compter 10’000 francs pour les cinq
jours, précise-t-il. Si je n’arrive pas à rentrer dans mes frais, je ne
m’y rendrai plus.» Cette devise, Bernard Campiche l’a depuis plusieurs
années, et à chaque fois, il parvient à vendre suffisamment de livres
pour retourner au salon l’année suivante. «Il faut que je vende environ
quatre cents ouvrages», explique-t-il.
Avec, notamment, les nouveaux romans de Stéphane Blok et de Julien
Burri, sortis ce printemps, ainsi que l’édition, en livre de poche, de Hotel Venus d’Anne Cuneo et de Terre noire d’usine de Janine Massard, le 28e Salon du livre devrait, une fois encore, bien se dérouler pour l’éditeur urbigène.
MURIEL AUBERT, La Région Nord vaudois
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«Anne Cuneo et moi formons un tandem redoutable»
Premiers idéaux
Bibliothécaire dans un établissement scolaire, je me suis lancé dans
l’édition en 1986, presque par hasard. Mon modèle d’alors: Bertil
Galland, qui venait d’arrêter, lui. Mes principes: une bonne relation
avec l’auteur, un minimum de coquilles et une belle couverture.
Ambitions de départ
Quasi aucune. J’ai été le premier surpris par le succès de mon travail
éditorial. Je ne suis absolument pas sensible aux honneurs, je sors
très peu et je travaille beaucoup. J’ai la chance, par rapport aux
jeunes qui rentrent dans le métier aujourd’hui, d’avoir fait ce qui me
plaisait durant ma vie professionnelle.
Rôles principaux
Comme le disait justement Vladimir Dimitrijevic, l’éditeur est un
passeur. Il doit donc être à l’écoute de ses auteurs et de ses lecteurs.
Côté fierté
Je me suis très peu trompé. Le premier livre qui a marché a été, en
1987, «La Parole volée» de Michel Bühler, devenu un ami. J’ai édité dix
livres de lui, donc le prestigieux «On fait des chansons» qui
regroupent, partitions comprises, près de deux cents chansons de lui.
L’expérience
Mon idée du métier n’a que très peu évolué, si ce n’est que ma démarche
initiale s’est approfondie. Il convient de s’adapter à l’époque,
notamment en ce qui concerne les rapports avec la presse… Je dois dire
aussi, honnêtement, que mon parcours a été fortement marqué par le
deuil, mon frère, ma fille, plusieurs auteurs.
L’écrivain déjà pris, hélas
J’ai la chance de disposer d’une «écurie» qui me convient très bien.
Elle pourrait certes être augmentée ici ou là, mais ce n’est absolument
pas ma priorité. Depuis mes débuts, j’ai appris à ne pas aller trop
vite et, surtout, à ne pas bousculer les choses.
L’«écurie»
Jacques-Étienne Bovard, Sylviane Roche, Julien Burri, Alex Capus,
Bernard Liègme, Sylviane Chatelain, Dominique Ziegler, Asa Lanova… et
bien d’autres!
L’auteur: Anne Cuneo
Depuis 1989, alors qu’elle avait pratiquement cessé d’écrire et
qu’aucun éditeur ne la convoitait, j’ai publié vingt-cinq ouvrages
d’elle. Aujourd’hui, je n’ai plus grand-chose à prouver pour son œuvre
et elle non plus. Nous formons un tandem redoutable et les ventes sont
très largement à la hauteur. Seul «bémol» à ce succès, qui me fait
survivre depuis des années, la quasi absence du marché français.
Dommage pour eux…
FRANÇOISE BOULIANE, Le mercredi, la gazette du 28e Salon du
Livre et de la presse de Genève rédigée par les étudiants de l’Académie
de journalisme et des médias de Neuchâtel.
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Bernard Campiche l’infatigué
Le 30e Salon du livre de Genève ouvre mercredi. L’éditeur vaudois en sera, lui qui n’en a jamais raté aucun
On pousse la porte et sa famille nous tourne le dos, sagement alignée
contre le mur: plus de 350 ouvrages, publiés en trente ans d’édition
par Bernard Campiche. Les étagères sont pleines mais qu’importe,
l’Urbigène continue à remuer ciel (d’où suinte la subvention) et terre
(où fleurissent les histoires) pour fabriquer des livres, servir la
littérature romande et, au passage, tenter d’en vivre. «Je trouve
extraordinaire de regarder tout cela, et de me dire que je ne regrette
rien. J’ai toujours fait ce j’aimais dans la vie», s’émerveille
l’infatigué. Et non, parler de famille n’a rien d’inutilement
emphatique: l’éditeur prend soin de ses auteurs, les encourage, les
voit grandir, surtout les accompagne chaque année au Salon du livre de
Genève, où il tiendra un stand dès mercredi, pour la trentième fois.
Une longévité qui cadre mal avec cette étiquette de «jeune éditeur
romand» que d’aucuns s’ingénient encore à lui épingler à l’écorce… Mais
on comprend vite pourquoi: ses allures solaires et dégingandées
semblent sans rapport avec son âge. Et n’attendez pas d’un lettré qu’il
se tienne coi: cela fuse, fulmine, vitupère, invective. Ici où là, un
rire fulgure en vocalises claires. Bernard Campiche parle fort et
longtemps, comme si sa voix était la somme de toutes celles qu’il a
propagées, défendues; sa vigueur juvénile est celle de l’indépendant
qui déteste les vacances et oublie parfois de dormir. «Une de mes
grandes chances dans la vie, c’est d’être insomniaque, confie-t-il.
Mais je sens que je vieillis, les nuits blanches ne sont plus aussi
faciles! » Alors on quitte sa tanière de papier avec vue sur la vieille
tour du château d’Orbe pour monter vers la cuisine et partager un café.
Vieux parquet, meubles design aux lignes nettes; un lapin blanc
rognonne dans son coin, un chat couve mollement le radiateur. Entre les
deux, un éditeur original et lumineux, qui a toujours vécu dans l’ombre
des livres.
Un éditeur de salon
Ceux de son père écrivain, tout d’abord. Puis, très vite, ceux des
bibliothèques qui l’engagent, à la BCU de Lausanne, au Gymnase de
Burier et à l’EPFL. Enfin ceux nés des bonnes grâces de Bertil Galland,
qu’il assiste un temps à la tête de la revue littéraire Écriture
avant d’en reprendre la direction administrative en 1981. Le jeune
Bernard y apprend ce métier fait de caractères, de confiance et
d’amitiés: Chessex, Cuneo, Grobéty, parmi tant d’autres plumes de poids.
C’est donc pour défendre Écriture
mais aussi pour présenter les livres de sa jeune maison d’édition,
fondée quelques mois auparavant, qu’il participe au printemps 1987 au
premier Salon international du livre et de la presse de Genève. «On ne
savait pas si c’était un salon professionnel ou un salon orienté
lecteurs. Le premier soir, il suffisait de voir la banane des
diffuseurs pour comprendre: les lecteurs étaient là! Le salon est
toujours resté un endroit où les livres se vendent bien», se
souvient-il. Depuis, il n’en a jamais raté une seule édition. «À une
époque, c’est devenu une concentration de diffuseurs, avec des allées
entières bordées de caisses enregistreuses… Puis on a vu apparaître des
stands de tout et n’importe quoi. Mais depuis quelques années, le salon
s’est recentré sur le livre. C’est une bonne chose!»
Et s’il continue de s’y rendre, c’est qu’il espère gagner plus que ce
qu’il y perd. «Mon stand coûte 9800 francs cette année, je vous laisse
calculer combien de bouquins à vingt francs il faut écouler… ».
Serait-il donc possible de vivre de l’édition en Suisse romande?
L’homme botte en touche, sans chiffres mais avec élégance: «Si je
n’avais pas le train de vie hypermodeste qui est le mien, je ne
pourrais pas faire ce boulot.»
Tout n’a donc pas été simple, et la tentation de tourner définitivement
la page est parfois venue ébranler sa détermination de papivore.
Notamment lorsque la maladie emporte précocement sa fille, en 2000.
Nuit noire. «J’étais complètement détruit. Et c’est là qu’Anne Cuneo
est arrivée avec son Maître de Garamond. Ça a été une renaissance.» Un
ouvrage succès assez éclatant pour faire revenir un peu de lumière.
Le goût comme critère
Mais les clairs-obscurs se succèdent: «Le métier est devenu plus
difficile», confesse-t-il. En cause, le foisonnement des structures
éditoriales en Suisse romande, toutes pareillement avides de
subventions. Le gâteau étant resté le même, les parts se sont
rétrécies. Peu importe. Il s’accroche, continue à tout faire lui-même,
à l’ancienne, de la mise en page à l’empaquetage. Tout juste
s’aide-t-il d’une lectrice pour le tri des manuscrits qui lui arrivent
chaque jour.
Dans cette masse, Bernard Campiche publie ceux qu’il suit, ce qu’il
aime, brandissant son goût comme critère impérieux. Quitte à froisser –
début avril, la justice a interdit la publication du roman Prison ferme,
dont l’auteur purge une peine de prison pour le meurtre de son
ex-femme, avant de l’autoriser si l’éditeur en expurgeait quelques
passages. Lequel n’est pas du genre à s’en émouvoir... Il a ses
tronches, assume ses enthousiasmes, ses colères – et de pester aussi
contre tel écrivain genevois au sourire enjôleur: «L’année où il a
sorti son bouquin, je n’ai rien vendu! J’aurais mieux fait d’aller
dormir. Enfin merde, il y a d’autres choses!» Par exemple ces textes
patients, qu’il habille toujours d’une typographie impeccable, déposée
sur un papier vergé où l’œil et la main se sentent accueillis.
Mais la concurrence se fait vive. Malgré tout, le vieux routier de
l’édition ne devrait-il pas se réjouir de cette sève montante qui vient
aujourd’hui dynamiser la littérature romande? «J’en suis ravi, même si
l’amateurisme de beaucoup de ces maisons d’éditions ne me semble pas
viable à long terme. Quant aux écrivains, j’ai toujours pensé qu’il
fallait attendre d’avoir 40 ans pour s’ériger en jeune auteur...»,
sourit-il en guise de réponse. Bernard Campiche vient d’en fêter vingt
de plus, et continue pour sa part à faire croire qu’à son âge, on peut
encore être un jeune éditeur.
THIERRY RABOUD, La Liberté
Campiche se met sur son trente et un
L’éditeur d’Orbe réunit bientôt ses auteurs à Yverdon pour un grand raout à la gloire de ses trente ans d’activité
Les anniversaires pleuvent sur l’édition romande. L’Âge d’Homme prévoit
de fêter son demi-siècle en novembre, Zoé triche un peu en prolongeant
symboliquement ses 40 ans jusqu’en 2016 (lire ci-contre) et les
Editions d’En Bas ont déjà arrêté la date du 1er octobre pour célébrer
à Lausanne leurs 40 ans de textes militants. Parmi les maisons
historiques, seule L’Aire doit encore patienter jusqu’en 2018 pour
atteindre ce même compteur de 40. Mais, dans l’immédiat, c’est au tour
de Bernard Campiche de boucler trois décennies au service du livre avec
un grand rendez-vous autour de ses auteurs, le samedi 18 juin à
Yverdon-les-Bains.
«Je suis toujours un jeune éditeur romand, lance en préambule le tout
frais sexagénaire. J’ai encore de beaux jours devant moi!» Les années
n’ont en tout cas pas émoussé l’appétit de livres de l’Urbigène, qui
compte bien encore poursuivre dix ans avant de remettre son enseigne.
«Au fond de moi, il y a toujours la passion pour ce métier. Mais les
choses évoluent aussi et trop souvent dans le mauvais sens…» Et Bernard
Campiche de se lancer dans une énumération de soucis dont il a le
secret: les subventions qui tardent, Pro Helvetia qui demande de
remplir des formulaires en anglais, les aides octroyées sous conditions
draconiennes… «On passe presque pour quelqu’un qui voudrait s’enfuir à
l’île Maurice pour s’y acheter une maison. Si on parlait de
100 000 francs, je comprendrais, mais quand il s’agit de
2 000 francs!»
«Le livre se vend moins»
Cette ère du soupçon peu «sarrautienne» a des répercussions sur les
liens que tisse l’éditeur avec ses auteurs. «Avant, je pouvais leur
garantir la prochaine rentrée. Maintenant, je ne peux plus.» Cette
détérioration de ses conditions de travail – qui n’est pas due aux
seules chicaneries des instances subventionnantes, mais aussi, selon
lui, au fait que «le livre se vend moins» – le chagrine, car l’ancien
bibliothécaire a placé la fidélité au cœur de son dévouement à la chose
imprimée – quelque 350 ouvrages à ce jour en comptant les poches.
«Mon option a toujours été la fidélité. Je publie facilement 5, 6, 7,
voire même plus de 10 livres d’un auteur.» À son attachement à ses
écrivains répond d’ailleurs celui des lecteurs à sa maison d’édition.
«C’est net, très net. Ça me tient. Et cela n’a rien à voir avec le
niveau d’attention de la presse: je peux avoir zéro article sur un
livre et très bien le vendre – la fidélité de la critique appartient
d’ailleurs au passé! Souvent, mes livres qui reçoivent un prix marchent
déjà très bien avant de le recevoir. Un lieu sans raison d’Anne-Claire Decorvet, par exemple. Un livre paru il y a plus d’un an et que personne n’a vu venir et qui rafle les prix.»
Les années 1980, moment clé
Devenu éditeur par «hasard pur» après une expérience au service de la revue Écriture,
Bernard Campiche prétend avoir surtout bénéficié d’un manque de
l’époque. «Les années 1980 ont été un moment clé. Bertil Galland avait
arrêté en 1982 et j’ai commencé en 1986, mais il n’avait pas été
remplacé – et il ne l’est toujours pas. Il y avait L’Âge d’Homme,
L’Aire et Zoé, mais personne ne travaillait comme lui, en association
étroite avec les auteurs – et sans faire beaucoup de fautes! Dès 1987,
le succès arrive avec La Parole volée de Michel Bühler.
À mesurer le chemin parcouru, celui qui revendique le soin de ses
confections éditoriales ne peut s’empêcher de citer l’«incontournable»
Anne Cuneo, à qui il doit ses plus fameux best-sellers. «Personne ne
voulait l’éditer et nous avons réalisé 30 livres ensemble.» Son
compagnonnage avec Jacques-Étienne Bovard l’émeut aussi. «Il a
désormais arrêté, mais j’ai presque tout publié dans un rapport de
complicité assez rare.» Et il n’a pas raté le commandeur des lettres
vaudoises du dernier demi-siècle. «Jacques Chessex fait partie de mon
tableau de chasse avec 9 publications dont L’Imparfait,
un livre majeur qu’il m’a dédié. Avant que Paris ne lui refuse plus
rien, j’étais le plus grand éditeur de la planète. Après, j’étais un
régionaliste de Goumoens-le-Jux!»
Au moment d’accueillir ses auteurs à Yverdon – «ils viennent tous»,
exagère-t-il –, Bernard Campiche confesse la surprise que lui procure
cet anniversaire. «Je n’ai jamais pensé que je serais là 30 ans plus
tard. C’est peut-être parce que je n’ai jamais fait ce que je n’aimais
pas.»
BORIS SENFF, 24 Heures
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Bernard Campiche, l’heure de tourner la page
L’Urbigène, emblématique figure de l’univers littéraire romand, fête les 30 ans de sa maison d’édition
La Grand-Rue, Orbe. Au numéro 26, à peine le seuil de la porte franchi,
un escalier raide et rustique s’offre à nous. Sur les marches, des
livres, entassés, amassés, un peu partout. Après le visuel, l’odeur,
singulière. L’humus d’un papier artisanal fraîchement imprimé.
Il n’est pas simple de trouver Bernard Campiche chez lui. Son bureau se
trouve au coeur d’un entrelacs de couloirs et d’un imbroglio de pièces,
dont la fonction n’apparaît pas toujours clairement, mais où les livres
sont omniprésents.
«Ne faites pas attention au désordre», lâche celui qui vient de fêter
ses soixante ans, en écartant, d’un bras, livres et manuscrits empilés
sur le bureau. «J’avoue que je me suis un peu laissé aller cette
semaine, afin de préparer la journée de samedi.» Une semaine, c’est
vrai qu’il faudra bien cela pour revenir sur quelque trente années de
sa vie, consacrées, cœur et âme, à son rêve: sa maison d’édition,
Bernard Campiche Éditeur.
Et dire qu’elle aurait pu ne jamais voir le jour. «C’était un pur
hasard», se souvient le bibliothécaire de métier. «J’ai eu la chance
inouïe d’être né dans une génération où on pouvait faire ce que l’on
aimait.» Si Bernard Campiche a osé faire le pas, il l’avoue, ce n’est
pas sans avoir connu moult discussions aux airs de dissuasion avec des
éditeurs de l’époque: «Je ne compte pas le nombre de fois où on a
essayé de me décourager de faire ce métier. Je ne regrette pas de ne
pas les avoir écoutés.»
Derrière le discours rôdé d’un vieux roublard de la littérature, des
bribes de vie apparaissent: «La mort de ma fille de six ans, il y a une
quinzaine d’années, a bouleversé ma vie. De ces trois dernières
décennies, c’est cela que je retiendrais», lâche, la gorge nouée,
l’éditeur. Il est des parents que la disparition d’un enfant anéantit,
et rend amers, le reste de la vie. Il y en a d’autres qui se relèvent.
«On ne peut jamais passer au-dessus. On peut seulement s’habituer au
manque.» Sa fille perdue a fini par revivre en lui. Elle l’a rajeuni,
en quelque sorte. Deux ans après, en 2002, il sort Le Maître de Garamond d’Anne
Cuneo, un véritable best-seller, et lance la collection de livres de
poche camPoche. «Ça a été une résurrection pour moi. J’ai vécu
l’édition comme une revanche sur la vie.»
Anne Cuneo, «sa grande sœur»
Trente ans que sa maison d’édition a vu le jour. Quoique le terme
«maison» peut paraître usurpé, tant l’éditeur fait tout, tout seul.
Sélection, lecture, corrections, édition des manuscrits et mise en
page, «son dada», Bernard Campiche est sur tous les fronts. «J’ai
toujours vu le métier d’éditeur comme de l’art. Mais comme un art
proche des gens.» Il en a côtoyé des gens, justement. Cinquante
écrivains, au moins. Parmi eux, il retiendra, notamment, Jean-Pierre
Monnier, «son grand-père spirituel», qui, sous ses airs austères, était
«très drôle et attachant» et, bien sûr, Anne Cuneo, «sa grande sœur»,
celle qui a, avec plus de trente ouvrages, le plus participé au succès
de la maison d’édition. Sans oublier le grand Jacques Chessex, avec qui
c’était parfois difficile de travailler, lui qui «prenait souvent
énormément de place et vous bouffait».
Bernard Campiche n’est pas dupe. Il sait qu’il est «plus proche de la
quatrième de couverture que de la préface» de sa vie. Au moment de
prendre congé, à demi-mot, Bernard Campiche lâche: «Quand je pense au
futur, au moment où je remettrai ma maison d’édition, je me sens prêt à
tourner la page.» Quid de voir, peut-être, son nom rayé, au moment où
un repreneur se manifestera? «Je m’en fous complètement», lâche-t-il,
dans un dernier éclat de rire.
Une vie, huit dates
1956 Naissance à Lausanne, enfance en Valais
1967 Décès de sa mère; il a 11 ans
1981 Devient administrateur de la revue Écriture
1986 Création de sa maison Bernard Campiche Éditeur
1993 «Le Trajet d’une rivière», d’Anne Cuneo, son plus gros succès, 15 000 exemplaires sont vendus
2000 Mort de sa fille Louise à l’âge de 6 ans et quelques mois, «un tournant» dans sa carrière
2002 Le Maître de Garamond, d’Anne Cuneo, une «renaissance professionnelle et personnelle»
2016 Trois décennies, «déjà», que sa maison d’édition a vu le jour.
SIMON GABIOUD, La Région
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La passion d’éditer les autres
Le jeune étudiant de Lausanne s’est très vite passionné pour la
littérature. Le bibliothécaire a pris tous les risques pour se lancer
dans l’édition, un monde dominé par les grands. Sa passion et
l’affection qu’il porte à «ses» auteurs lui ont permis de survivre à la
«mondialisation».
En 2016, l’éditeur d’Orbe a fêté ses trente ans d’activité. Une période
faite de hauts et de bas, mais l’instinct de survie lui a permis de
rebondir. Il édite de grands écrivains, tout en donnant la chance aux
jeune premiers. La mort d’Anne Cuneo l’a beaucoup affecté. Mais ses
auteurs lui marquent un attachement indéfectible. Preuve: la fête
organisée en son honneur à L’Échandole d’Yverdon-les-Bains.
La Région, 8 décembre 2016
Un éditeur doit savoir lire et compter
Focus sur un métier qui exige sensibilité artistique, goût pour le relationnel et sens du commerce
Romans, nouvelles, albums pop-up, manuels scolaires, recueils de
poésie, essais… En cette période de rentrée, les étals des librairies
regorgent de livres.
Fruits de la production d’un auteur, ces ouvrages sont aussi le
résultat du travail d’un véritable homme-orchestre: l’éditeur. «Ce
métier repose à la fois sur l’envie de transmettre et de faire lire des
textes, mais aussi sur le plaisir de fabriquer des objets tangibles qui
mettent presque tous les sens en éveil», s’enthousiasme Alain Berset,
créateur et patron des éditions genevoises Héros-limite, spécialisées
dans la poésie concrète et la littérature d’avant-garde.
Trait d’union entre l’auteur et le lecteur, l’éditeur a pour dessein
premier le dévoilement d’une parole originale. Mais la route est longue
entre l’arrivée d’un manuscrit et la diffusion d’un bouquin en
librairie. Lire, annoter et choisir ce qui figurera (selon la ligne de
la maison d’édition) n’est que la partie émergée de l’iceberg. D’autres
étapes, tout aussi essentielles, jalonnent le quotidien d’une
profession qui ne s’apprend ni ne se vit dans un cadre conventionnel.
«Bon nombre d’éditeurs ont une formation professionnelle initiale de
libraire et œuvrent à temps partiel comme enseignant ou journaliste
pour parvenir à joindre les deux bouts», souligne Alain Berset.
Accompagner l’auteur
«L’écoute et la détermination sont incontournables dans cette
profession, ajoute Bernard Campiche, fondateur et directeur éponyme de
la maison vaudoise, à Orbe. Des heures durant, on relit et on travaille
le texte, à la virgule près. Respecter un auteur, c’est tout faire pour
obtenir le plus beau livre possible. C’est pour cela que j’édite peu,
environ huit ouvrages par an.»
Dire ce qui enthousiasme ou ce qui déçoit, suggérer (sans les imposer)
corrections et ajustements (structure, choix des illustrations, etc.)
représentent une part essentielle de la mission de l’éditeur. Le but
est d’aider l’écrivain à trouver ce qu’il veut transmettre (et comment)
à son lectorat. «Le relationnel est au coeur de cette activité, insiste
l’éditeur urbigène. Nous devons mettre l’auteur en confiance pour
pouvoir façonner avec lui chaque texte, sur la forme comme sur le fond.»
Programmer, communiquer
Le manuscrit achevé, la mise en pages réalisée et la couverture
choisie, la partie artistique fait place au travail de diffusion et de
promotion. Pour l’éditeur, il s’agit désormais d’orchestrer la
fabrication du livre, en collaborant avec d’autres corps de métier
souvent triés sur le volet. «En trente-deux ans d’existence, je n’ai eu
que trois imprimeurs, illustre Bernard Campiche. Je privilégie la
fidélité et le sérieux plutôt que l’aspect tarifaire…»
Ultime étape, la vente est également l’une des facettes exigeantes du
métier. Il faut autant tenir compte de la saisonnalité que des sorties
d’autres ouvrages. Doit-on, par exemple, publier un auteur méconnu en
même temps qu’un poids lourd de l’édition? Car éditer, c’est aussi
promouvoir au mieux les livres, en particulier auprès de ces
partenaires indispensables que sont les libraires. «En Suisse romande,
il y a trois diffuseurs principaux: l’Office du livre, Zoé et Servidis,
qui s’occupent de présenter les nouveautés aux libraires et aux
journalistes, explique Alain Berset. Car l’édition repose sur tout un
réseau de protagonistes: professionnels de l’écriture, des arts
graphiques, mais aussi du marketing.»
Compter pour raconter
En parallèle, l’auteur attend aussi de son éditeur un important travail
de gestion administrative et financière. C’est notamment à lui
qu’incombe le paiement des droits d’auteur, qui exige un décompte
précis des ventes. C’est également l’éditeur qui sollicite des
subventions auprès de fondations ou d’institutions, paie les copyrights
pour la couverture ou l’utilisation des polices de caractères. Autant
dire qu’il vaut mieux maîtriser les arcanes de la comptabilité de base.
«Comme les institutions nous demandent de plus en plus de chiffres lors
d’une recherche de fonds, nos bilans doivent être révisés par une
fiduciaire si l’on veut toucher quelques subsides, comme c’est le cas
pour le théâtre ou le cinéma», précise toutefois Bernard Campiche.
Mais au bout du compte, ce ne sont ni l’arithmétique ni l’envie de
faire fortune qui guident l’éditeur vaudois et son confrère genevois:
«Nous sommes avant tout des passeurs», assurent-ils en chœur.
LAURIE JOSSERAND, 24 Heures et Tribune de Genève
Bernard Campiche: « Je ne suis pas éditeur
pour la gloire: je ne suis bon qu’à ça!»
Il a lancé sa maison d’édition
en 1986. Depuis cette date, trente-quatre ans se sont écoulés. Au sein
du milieu éditiorial, Bernard Campiche fait figure d’exception. Éditeur
solitaire, son amour du texte se matérialise par un travail d’édition
extrêmement minutieux. Au cours de son parcours, il a publié des grands
auteurs romands tels qu’Anne Cuneo, Alexandre Voisard, Jean-Pierre
Monnier, Anne-Lise Grobéty ou Jacques Chessex – pour ne ne citer
qu’eux. Rencontre avec l’un des éditeurs romands les plus méticuleux à
Orbe, en septembre, avant son déménagement à Sainte-Croix
Le Regard libre: Vous
fêtez cette année les trente-quatre ans de Bernard Campiche Éditeur et
vous allez, prochainement, changer pour la troisième fois de lieu
d’édition et de résidence. Après Yvonand et Orbe, vous déménagez à
Sainte-Croix.
Bernard Campiche: En
fait, avant Yvonand et Orbe, il y a également eu Yverdon-les-Bains
pendant une très courte période. Environ six mois, je dirais. Si je
dois récapituler mon parcours géographique, il y a eu La Tour-de-Peilz,
Yverdon-les-Bains, Yvonand, Orbe et il y aura désormais Sainte-Croix.
Mais y-a-t-il eu des livres édités à Yverdon-les-Bains? Jean-Pierre Monnier?
Oui, la réédition de L’Amour difficile de Jean-Pierre Monnier a été effectuée à Yverdon-les-Bains. Il me semble que j’y ai également édité la traduction du roman Le Grand-Père
de Dante Andrea Franzetti. Il faut dire qu’à l’époque, jusqu’en 1989,
je n’éditais que deux livres au printemps et deux livres en automne. En
automne 1989, lorsque je suis devenu «professionnel», je suis passé à
quatre livres au printemps et quatre à l’automne. Simplement parce que
de nouveaux auteurs sont arrivés dans ma maison d’édition à ce
moment-là, notamment Anne Cuneo et Anne-Lise Grobéty : j’ai également
publié cette année-là la traduction d’une œuvre de Max Frisch, Suisse sans armée? Un palabre,
traduit par Benno Besson et Yvette Z’Graggen. Deux livres à l’automne
et deux au printemps étaient insuffisants. C’est alors que je suis passé
à quatre pour chacune de ces saisons.
Et actuellement, vous êtes à huit grands formats par année, plus des livres de poche…
En règle générale, j’en édite quatre à l’automne et quatre au
printemps, donc huit sur l’année, plus deux ou trois livres de poche.
Exceptionnellement, en cette rentrée littéraire 2020-2021, il y a cinq
nouveaux ouvrages qui paraissent cet automne, dont un volume de poésies
écrit par Stéphane Blok. Mais, comme je dis toujours, pour la poésie,
«Je fais de la main gauche».
Vous faites «de la main gauche»?
Éditer de la poésie est une activité qui n’a rien à voir avec le fait
de mettre en page un roman, même si ça reste un grand travail. Pour la
poésie, il y a beaucoup moins de textes et, en principe il faut le
centrer.
Considérez-vous qu’il existe une littérature romande et que celle-ci possède une spécificité?
C’est un profond débat : est-ce que la littérature romande – ou
certains disent littérature suisse française – existe ou non? Par
exemple, Caroline Couteau, directrice des Éditions Zoé, répond à cette
question par la négative. De mon côté, je pense que la littérature
romande existe. En effet, je pense qu’il y a une question de langage.
Certains des écrivains qui publient dans ma maison d’édition utilisent
des termes typiquement «romands». Ce faisant, lorsqu’un Franças lit
leurs textes, il ignore la signification de certains mots, ce qui peut
être problématique pour toucher le lectorat français, car nos langues
et nos imaginaires sont différents… Mais vous n’allez pas dire à
Jacques-Étienne Bovard de «franciser» son texte. Je me souviens qu’à un
moment donné, cet écrivain souhaitait être publié aux Éditions
Gallimard et que ces derniers lui avaient conseillé de placer les
paysages de son roman en Bourgogne plutôt que dans le Jorat… En tout
cas, ce qui a un peu changé aujourd’hui, c’est que de jeunes auteurs
romands peuvent être publiés directement par des éditeurs parisiens.
Mais, parce qu’il y a tout de même un «mais» dans ce fait, c’est que
dans les maisons d’éditions parisiennes, les auteurs signent pour
trois, cinq ou sept livres. Or, la question est: combien d’auteurs
suisses ont publié plus de trois livres dans une maison d’édition
parisienne, en ce moment? Actuellement, nous en comptons trois:
Jean-François Haas, Thomas Sandoz et Yves Laplace. Le grand mystère
reste Noëlle Revaz, qui vient de publier son troisième roman aux
Éditions Gallimard. Poursuivra-t-elle? Nous verrons, car la réponse à
cette question dépend des ventes de livres…
L’éditeur romand Bertil Galland
trouvait que vous aviez récupéré beaucoup d’éléments de sa manière de
travailler. Comment vous définiriez-vous par rapport à ce dernier?
Oui, c’est vrai, mais, paradoxalement, Bertil – que je connais bien –
n’est jamais intervenu dans mon travail et je ne l’ai jamais publié,
contrairement aux Éditions Zoé, aux Éditions de l’Aire ou aux Éditions
Slatkine qui ont publié certaines de ses œuvres. En revanche, on trouve
dans mon catalogue des écrivains qui ont été naguère publiés par
celui-ci tels que Jean-Pierre Monnier ou Anne-Lise Grobéty. Il y a
effectivement une filiation entre le travail de Bertil Galland et le
mien. Lorsque j’ai débuté, en 1986, personne n’avait la même manière de
travailler que lui…
Et quelle est donc cette «manière de travailler»?
Premièrement, l’éditeur entretient un lien étroit avec l’auteur. Ce
dernier n’est pas un numéro. Il faut le respecter. Pour moi, c’était le
cas dès le début de mon aventure éditoriale. Deuxièmement, il y a un
beau livre. Troisièmement, il y a une relecture et une attention
soignées qui aident à réaliser des livres avec très peu de fautes, ce
qui n’est pas toujours le cas dans certains ouvrages. Vous qui lisez de
tout, je vous invite à regarder plus attentivement l’orthographe dans
certains livres. Il faut avouer qu’elle n’est pas toujours présente…
Mais je dirais que la nouvelle génération est tout de même plus
attentive à l’objet.
Vous trouvez? Pourtant, nous avons beaucoup de livres numériques, de liseuses…
Oui, et c’est même devenu un problème, notamment en ce qui concerne le
manuscrit. La situation a beaucoup évolué en une quinzaine d’années à
peine. Par le passé, lorsqu’il lisait un manuscrit, l’éditeur se disait
qu’il devait soit accepter le texte, soit renoncer à sa publication. Au
cours de ma carrière, il m’est arrivé de recevoir un manuscrit et,
après lecture, d’arriver à la conclusion que cet écrivain serait publié
mais pas dans ma maison d’édition. De mémoire, cela m’est arrivé
environ trois fois au cours de mes trente-quatre années d’édition.
Mais, de nos jours, il faut compter avec la publication à compte
d’auteur. C’est bête, mais ce qui a révolutionné le métier d’éditeur,
c’est la photocopieuse.
Et l’autoédition…
Et effectivement l’autoédition. Il faut imaginer qu’il y a vingt-cinq
ans, il n’y avait pas de photocopieuse. La seule qui existait déjà
imprimait très mal. Alors, quand vous aviez un manuscrit, vous en
faisiez deux ou trois copies dactylographiées à la machine, au maximum.
De nos jours, si vous souhaitez faire cent copies de votre manuscrit,
vous pouvez les faire facilement. Ensuite, vous cherchez dans
l’annuaire des adresses de maisons d’édition et vous leur envoyez vos
copies, même si celles à qui vous l’envoyez n’ont pas une ligne
éditoriale susceptible d’accepter votre texte. Dans la majorité des
lettres que l’on reçoit, nous constatons que les gens ne savent pas où
ils s’adressent. Ce qui n’était pas du tout le cas naguère. Cet
aspect-là a donc énormément changé. Désormais, nous pouvons savoir
qu’un manuscrit a été envoyé à plusieurs éditeurs, ce qui change
également notre manière de répondre. En effet, si le manuscrit est jugé
de qualité il faut agir rapidement et être le premier à solliciter
l’autteur pour l’éditer.
Au cours de votre aventure éditoriale, vous avez édité Poésies I, II, III de
Jacques Chessex {ndlr : il s’agit de l’intégralité des œuvre potiques
de Jacques Chessex, publiées entre 1954 et 1997, qui sont rassemblées
en un coffret de trois volumes}, les Œuvres Complètes de
Jean-Pierre Monnier et même celles d’Alexandre Voisard {ndlr : sauf les
derniers livres}. En échangeant par courriel, vous nous avez mentionné
travailler sur les Œuvres complètes d’Anne-Lise Grobéty. Est-ce
toujours d’actualité?
Oui, ce projet est toujours d’actualité. J’en ai discuté avec l’une de
ses filles. Je lui ai dit qu’il fallait que l’on parle désormais
sérieusement de ce projet. J’ai suivi toute la maladie d’Anne-Lise
Grobéty et, malheureusement, elle est décédée après avoir traversé les
pires épreuves. Lorsque les choses allaient mieux, elle est morte. Je
me suis dit que ce n’était pas possible. Contrairement à d’autres
auteurs, même disparue, Anne-Lise Grobéty continue à être lue et à
vendre des ouvrages.
La question que l’on vous pose toujours : « Vous ne prenez pas votre retraite, non?»
Il y a un mot de Samuel Beckett que j’adore. Je crois que c’était pour le journal Libération
qui avait réalisé un supplément autour de la question «Pourquoi
écrivez-vous?». Certains chroniqueurs avaient écrit des textes très
longs et Beckett, qui avait été sollicité pour ce supplément, avait
simplement répondu: «Bon qu’à ça».
Puisque vous n’êtes «bon qu’à ça», alors quelle est la suite? Davantage d’œuvres complètes? Davantage de livres de poche?
Difficile question! Je ne sais pas. À vrai dire, je n’a jamais eu de
programme. Je pense que j’ai été très marqué par un grand-père qui
était une sorte de «panier percé». Il allait à la banque et demandait
cent francs. Lorsque le banquier lui répondait qu’il avait déjà une
dette colossale, il lui rétorquait: «Je ne vous demande pas combien je
vous dois, je vous demande cent balles.» Au cours de ma carrière
d’éditeur, j’ai été plusieurs fois dans des situations désastreuses… Il
faut avouer qu’Anne Cuneo m’a sauvé à plus d’une reprise…
Notamment avec la publication de son roman Le Maître de Garamond.
Avec Le Maître de Garamond,
elle m’a sauvé, mais d’une autre façon. C’est-à-dire que ma fille Louise
est décédée en décembre 2000. Le Maître de Garamond a été publié en
2002. C’est d’ailleurs l’année où j’ai lancé ma collection de livres de
poche camPoche. Pour moi, ce roman d’Anne Cuneo a été une renaissance.
Lorsque Louise était malade, Jacques-Étienne Bovard et Anne Cuneo sont
venus vers moi au Salon du Livre et m’ont dit: «Bernard, nous écrivons
des livres qui se vendent, et nous continuerons d’en écrire.» Et j’ai
trouvé ça magnifique. D’ailleurs, lorsque ma fille est décédée, plusieurs
auteurs m’on dit renoncer à leurs droits d’auteur et m’ont prié de ne
pas les payer.
Vous êtes donc lié à vos écrivains avec une grande amitié et solidarité.
Je dois dire que j’ai vécu cela de manière indirecte. C’est une chose
qui s’est faite progressivement. Mais il est vrai que lorsque’Anne
Cuneo est venue me trouver avec son Maître de Garamond, je ne vivais pas le meilleure période ma vie… À ce propos, un journaliste du journal La Région Nord vaudois
a eu une expression que j’adorais : il me disait que j’étais «plus
proche du prière d'insérer que de la préface». C’était exactement cela!
Mais vous savez, dans le milieu romand de l’édition, je fais partie des
plus vieux encore en course avec Michel Moret, directeur des Éditions
de l’Aire. Ce dernier a plus d’années dans le métier que moi. Il a
d’ailleurs publié mon père, Michel Campiche, qui a été un gros succès
en 1979 avec son roman L’Enfant triste.
Après Michel Moret, je suis donc le plus ancien éditeur actif en Suisse
romande. Mais j’avoue que je suis un éditeur qui reste un peu en
retrait.
Il est vrai que vous êtes plutôt discret. Vous aimez rester dans l’ombre, non?
Oui. Moi, j’adore l’ombre. Je laisse la lumière aux auteurs.
D’ailleurs, je dirais qu’il y a plusieurs sortes d’auteurs. Les auteurs
qui, lorsque les livres sortent, sont tout seuls. Et il y a également
les auteurs qui, lorsque les livres sortent, craignent tellement d’être
seuls que vous, l’éditeur, vous êtes là avec eux aux séances de
dédicaces, aux rencontres et autres événements. Quand je les accompgne
aux conférences, par exemple, je me place au fond de la salle. Mais
généralement, je les accompagne aux événements.
Vous êtes dans l’ombre, mais bien présent…
Eh oui! Je ne fais pas ce métier pour la gloire ou pour être sous les
projecteurs! Comme je vous l’ai dit avant, je ne suis «bon qu’à ça ».
Me vient d’ailleurs à l’esprit une anecdote: un jour, j’étais dans
cette cuisine où nous nous trouvons actuellement, et j’ai dit à mon
ex-femme: «Je crois que je veux arrêter…» Et puis elle m’a répondu: «Tu
vas faire quoi?» {Rires}
IVAN GARCIA, Le Regard libre
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En «une»: Toujours debout
Sainte-Croix Bernard
Campiche a quitté Orbe pour le Balcon du Jura et avoue revivre. Le
fameux éditeur a toujours la flamme. Rencontre avec un homme à nouveau
plein d’énergie et d’optimisme
Bernard Campiche revit
Sainte-Croix L’éditeur a
quitté Orbe au cœur de l’automne dernier et s’est installé sur le
Balcon du Jura. Un changement qui lui donne du tonus.
«J’ai mes stocks ici depuis vingt-cinq ans et les Campiche sont
originaires de Sainte-Croix. Mon père a enseigné ici.» Lorsqu’on
interroge Bernard Campiche sur les raisons de son déménagement, il
répond comme si, pour lui, c’était une évidence. Et c’est vrai qu’on
l’a connu moins enthousiaste, pour ne pas dire ombrageux. Et dire qu’on
craignait, au moment de le contacter, que la pandémie et ses
conséquences n’aient sapé son moral. En fait, il revit.
Pourquoi a-t-il quitté Orbe et sa maison de la Grand-Rue? «C’était trop
grand. Il fallait refaire le toit et les volets. Et puis il y avait des
années que j’avais envie de venir ici», explique l’éditeur de nombreux
écrivains romands.
Et de révéler la raison qui a fait office de déclic: «Je suis resté à
Orbe pour François, mon fils, qui aura 25 ans cette année. Il a pris
son envol. Je suis très content, parce que pour moi, c’est un renouveau
total.» Et de montrer que son installation est pratiquement achevée,
avec la création d’une chatière qui permet désormais à «Tallin» d’aller
et venir à sa guise.
Certes, il n’a pas encore fini de vider sa maison d’Orbe, où il a vécu
et travaillé, durant 22 ans, mais il est surtout heureux d’avoir trouvé
à Sainte-Croix une atmosphère vivifiante: «Je suis beaucoup mieux,
c’est évident!», assène-t-il avec un large sourire. Non seulement il
n’est pas arrivé sur une terre inconnue, mais il y a été accueilli par
l’un de ses auteurs fétiches, Michel Bühler: «Nous avons passé le 31
décembre ensemble. C’était une belle soirée!»
S’il n’est pas encore question de retraite, Bernard Campiche a engagé
une véritable décroissance, passant d’une maison de huit pièces à un
trois-pièces. Il a aménagé la plus belle, et la plus lumineuse, en
bureau. C’est là, au milieu de bibliothèques où figure une bonne
partie des 400 livres publiés à ce jour, qu’il passe le plus clair de
son temps, en particulier à lire et à relire les manuscrits qui lui
sont proposés.
Car Bernard Campiche est un éditeur au sens authentique du terme. Il
lit, conseille, suggère des modifications et compléments, en vrai
partenaire de l’auteur. À l’instar du rayon de soleil qui éclaire la
pièce depuis le haut du Mont-de-Baulmes, le nouveau Sainte-Crix rayonne.
Et pourtant, tout comme de nombreux indépendants, il vit les affres de
la pandémie et de son lot de restrictions: «Le Canton de Vaud a exclu
la vente de livres de la culture. À part les APG (assurance perte de
gain), je n’ai rien touché, aucune aide.»
De quoi le décourager? «Les ventes avaient dégringolé en 2019, avant la
Covid, j’ai touché le fond, mais aujourd’hui, ça remonte», lance-t-il
manifestement ragaillardi.
Alors qu’il vient de fêter son soixante-cinquième anniversaire,
songe-t-il à remettre sa petite entreprise? «J’ai eu des contacts avec
une personne intéressée, mais cela ne s’est pas concrétisé. Il n’y a
pas d’urgence. J’éprouve beaucoup de plaisir dans mon travail. Mais je
n’exclus bien évidemment pas l’hypothèse de transmettre les éditions»,
ajoute-t-il.
À sa petite échelle, Bernard Campiche est devenu un éditeur reconnu et
respecté. Il s’était lancé alors qu’il était domicilié à La
Tour-de-Peilz, s’est beaucoup développé durant l’étape urbigène,
marquée par le décès de sa fille, au terme d’un terrible combat contre
la maladie.
Face à l’adversité, l’éditeur a souvent accusé le coup, mais a toujours
rebondi. Et lorsqu’on se penche sur son parcours, on réalise à quel
point il a été l’un des révélateurs de la littérature romande.
Bon an, mal an, Bernard Campiche propose quatre livres au printemps et
quatre en automne. La première «vague» coïncide évidemment avec le
Salon du Livre. «J’ai pris le risque de ne pas m’y inscrire»,
souligne-t-il. À raison, puisque la direction de la manifestation
genevoise a annoncé mardi dernier son annulation.
Cela ne change en rien son programme. Les lecteurs assidus découvriront ainsi dans quelques semaines Lutter avec l’ange,
un récit de Laurence Verrey, «une poétesse majeure de ce pays», précise
l’éditeur. Un livre de philosophie, du journaliste Jean-Christophe
Aeschlimann, une des bonnes plumes de ce coin de pays, est aussi au
programme.
Autre journaliste, il travaille pour le Bureau Corthésy et TeleBielingue à Bienne – et auteur confirmé, Thierry Luterbacher a confié à son éditeur le soin de publier Illégaliste,
un roman dont la trame est alimentée par les expériences et le vécu de
l’auteur. Des extraits de carnets de Catherine Fuchs, fille du
théologien Éric Fuchs, viennent compléter cette belle palette.
Le souvenir d’une belle relation avec Anne Cuneo
Anne Cuneo a été des années durant la locomotive de Campiche Éditeur.
Son décès, en 2015, à été un coup dur. «Avec Anne, c’était très
spécial. Je pouvais m’appuyer sur elle et elle sur moi. Le problème a
été la coupure avec la France. Car ici, elle cartonnait. Le problème en
France, c’est qu’ils veulent des contrats d’exclusivité.»
Journaliste de télévision – elle a notamment travaillé au Téléjournal
alors que l’émission était centralisée à Zurich –, auteur de pièces de
théâtre et de films, Anne Cuneo a écrit de nombreux livres à succès,
souvent inspirés par ses expériences de vie, lorsqu’ils ne
s’approchaient pas de l’autobiographie.
Bernard Campiche a même publié le tout premier manuscrit de l’auteure,
qu’aucun éditeur parisien n’avait voulu: «Anne me proposait des pièces
de théâtre. Je l’ai poussée à écrire des romans.»
ISIDORE RAPOSO, La Région, jeudi 11 février 2021
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