Voici donc Frisch lui-même, dans un rôle à la longue agaçant, et Jonas, le petit-fils passionné de moto et dinformatique, qui soudain se met à linterroger sur notre armée. Ce vaste sujet entraîne on sen doute des développements incendiaires, ironiquement rehaussés par intervalles par les crépitements de la cheminée, les appels téléphoniques menaçants dun courageux anonyme et les coups inexorables dune horloge lointaine.
Conjuguant ses souvenirs avec le rappel de certains faits marquants de lHistoire, le vétéran se révèle un démystificateur redoutable. Précis, concret, il fixe le détail, insinue par le son et par limage, persuade par lexemple. Il laisse en suspens pour mieux reprendre, cultive le sarcasme, le paradoxe et lironie, qui déstabilisent et soulèvent des questions inconfortables.
Propos aberrants, inspirés par une défiance et une agressivité pathologiques? Vaines palabres, comme le suggère un passage, entre un vieillard qui radote et un jeune homme immature? Ou réflexion fondamentale sur la liberté et la démocratie, testament politique dun écrivain qui, malgré un scepticisme croissant devant la prolifération de la «canaille», ne cesse pas de croire en lhomme? La dédicace du livre répond: en témoignage de gratitude, elle cite Bräker et Diderot. Le premier «eut le bon sens de déserter le champ de bataille», le second défendit la raison. Lun et lautre incarnent lesprit des Lumières, espérance ultime, que Frisch nabdique pas.
WILFRED SCHILTKNECHT, Journal de Genève
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