Avec
ce récit articulé en deux strates autour des affres d’un écrivain miné
par la célébrité, l’auteur s’affirme dans la voie d’une écriture
originale, ramassée comme «un cri de rage et de colère» qui claque et
explose à chaque page. Le verbe y est charmeur, caustique, sarcastique;
un ton sombre singulièrement éloigné du lyrisme baroque du Cerisier dans l’escalier.
CATHERINE FAVRE, Journal du Jura .-. Interview (Acrobat, 32KB)
Le héros du Splendide Hasard des pauvres
a beau se prénommer Youri, comme Gagarine, le premier homme qui est
allé dans l’espace, il garde les pieds sur terre. Ses mots, en
revanche, tournent dans le ciel depuis que la rage lui a mis un stylo à
la main sous les applaudissements de son père, réfugié politique qui
travaillait à l’usine. Le romancier Youri Suarez est accueilli tel
le fils prodigue lorsqu’il revient auréolé de gloire dans sa ville
natale. Jadis indésirable dans les salons des péroreurs vêtus de plumes
haute couture, il s’y voit maintenant invité. Un soir, il apparaît au
milieu d’un poulailler huppé de la cité et demande à chacun de
retrouver sa dignité, donc de continuer à l’ignorer: «Je n’ai pas
changé, pourquoi avoir de la considération pour le même homme que vous
méprisiez alors?» Sur ce, le vilain petit canard quitte la basse-cour
honnie, où il ne s’aventure d’ailleurs plus au cours du récit, et
rejoint ses frères humains de l’Hôtel Majestic.
(…) Auteur d’un premier titre remarqué, Un cerisier dans l’escalier, Thierry Luterbacher publie aujourd’hui Le Splendide Hasard des pauvres.
Vivante, fleurie, intrépide, excessive par endroits, à la fois tendre
et âpre, sa prose embarque Youri Suarez dans une histoire où on se sent
«pris du vertige de l’image dans l’image jusqu’à l’infini des boîtes de
fromage de [notre] enfance». (…) À l’instar de son héros, Thierry
Luterbacher a, selon son éditeur, dû apprendre à «gérer» son succès,
mais ses phrases ne tournent pas autour de son nombril. Elles envoient
leurs mots à la bataille aux côtés d’écorchés vifs, de doux rêveurs, de
marginaux et fréquentent des lieux d’où pourraient surgir Benjamin
Malaussène et sa tribu. Elles sont parsemées d’étoiles poétiques;
certaines s’éteignent aussitôt lues, de nombreuses autres demeurent
vivaces et scintillantes.
ÉLISABETH VUST, 24 Heures
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