Premier roman de Daniel Mayer, Puerto final
est un rêve. Littérairement, parce que l’on tombe rarement sur un texte
à la fois subtil, sensuel jusque dans l’évocation de la douleur,
«tripal», pulsé, efficace et émouvant au sens fort du terme.
Formellement, parce que cette évocation du régime de la terreur
répressive de la junte argentine flotte. Quelque chose de ce que doit
être le coma généré par l’extrême douleur de la torture et, dans le
même temps, quelque chose d’une distance de l’oubli nécessaire… …Le
souvenir recompose une mémoire par l’écriture. Et le génie de ce texte
est de passer par le corps, les sens, les émotions violentes. C’est le
corps qu’il s’agit de recomposer: «réhabiter son propre corps. Y
pénétrer avec une sorte de gêne, comme si on essayait de mettre un
vieux gant déformé par la main d’un autre. Sentir à nouveau la douleur
de la chair...» Habiter ce corps, c’est donc se défaire du meurtre
de la répression politique, mais encore du désenchantement de la
révolution. Oser replacer l’individu, soi, sur le devant de la vie. Le
rêve alors, ce sont ces images obsédantes qui nous gouvernent. Ce
terrible dénuement suite à la perte et le peu que l’on conserve pour
aller vivre ailleurs. Il y a, sans emphase ni volonté grandiloquente,
un souffle tragique qui anime Puerto final. Un roman grave mais un fort beau texte.
JACQUES STERCHI, La Liberté
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