Un
régal de saveurs épicées. Sylvaine Marguier romance le périple en
Orient, au milieu du XIXe siècle, du comte et de la comtesse vaudois de
Gasparin. Leurs domestiques filent le récit. Passionnant!
Nul besoin de mettre le nez hors de chez soi pour se rendre en Orient avec le bien nommé Miracle des jours
dont les cinq cents pages s’avalent (ou presque) d’un trait, sans
essoufflement, et se quittent à regret, tant le voyage a été riche en
émotions diverses. L’histoire est le moteur de cette fresque signée par
Sylvaine Marguier (Prix Georges-Nicole 1997 pour Le Mensonge)
qui romance le périple de Valeyres-sous-Rances à Jérusalem du comte et
de la comtesse de Gasparin au milieu du XIXe siècle (septembre 1847 -
mai 1848). Bien que Madame ait écrit, outre une série d’essais de
morale chrétienne, le Journal d’un voyage au Levant, le récit
ne privilégie pas le point de vue de cette protestante d’origine
genevoise, étranglée par les principes, mais celui de ses deux
domestiques Jeannette et Bastien, qui ont également chacun tenu un
journal de bord – resté inédit, précise l’auteur citant scrupuleusement
ses sources. Et elles pullulent, tout comme les mots savoureux
empruntés aux lexiques arabe, franc-comtois et suisse romand.
ÉLISABETH VUST, 24 Heures
Quatre Suisses en Orient sur les pas de Chateaubriand
Sylvaine Marguier réécrit le voyage à Jérusalem de M. et Mme de
Gasparin en 1847-1848: tout le récit est vu par les yeux de leurs
domestiques, Bastien et Jeannette. Une fresque historique au langage
savoureux.
Miracle des jours,
gros livre de cinq cents pages, marque le retour sur la scène
littéraire de Sylvaine Marguier après un premier roman, Le Mensonge,
qui lui valut le Prix Georges-Nicole 1997. Cette vaste fresque
historique évoque le voyage au Levant, en 1847-1848, du comte et de la
comtesse de Gasparin, accompagnés de deux domestiques. En trente-cinq
chapitres et un épilogue, la romancière retrace le périple qui les mène
de leur manoir de Valeyres-sous-Rances, dans le Jura vaudois, jusqu'à
Jérusalem et Beyrouth, via la Grèce et l'Égypte, avant leur retour à
Paris. Le récit les suit pas à pas et nous fait partager leurs
émerveillements et leurs déconvenues. Le froid en Grèce les surprend:
«Mistra avait l'air d'un fantôme de colline et d'un fantôme de
chapelle, dans les bourrasques du ciel noir de haut en bas, et quel
vent!» À Alexandrie, porte de l'Orient, leur drogman est un ancien
soldat de Napoléon qui leur raconte l'épopée de la prise de Moscou. À
Jérusalem, but spirituel de leur voyage, ils ont pour guide un certain
Cavalieri, séducteur et aventurier, qui invente le logement chez
l'habitant pour tous ces touristes visitant les lieux saints le nez
dans leur Chateaubriand… Le livre fait la part belle aux événements
contemporains, qu'il s'agisse des premières tractations en vue du
percement du canal de Suez ou de la chute de Louis-Philippe (laquelle
prive le comte de Gasparin de son mandat de député à la Chambre), du
daguerréotype ou du macadam, de l'agence Havas ou du paiement du
courrier par l'expéditeur au lieu du destinataire, du trafic des
antiquités ou de la création d'une société en faveur des chrétiens du
Liban.
Genevoise devenue Française par son mariage, Mme de Gasparin (connue
comme fondatrice de l'école d'infirmières de La Source) a laissé de
nombreux textes de réflexion psychologique et morale. Elle apparaît ici
comme une protestante obsédée par le bien, avec une tendance à voir du
mal partout et une certaine méfiance envers les étrangers, en
particulier les Bédouins qui la jugent «souvent beaucoup fâchée». Mais
ce sont les deux domestiques qui tiennent le devant de la scène:
Bastien, berger en Côte-d'Or avant de monter à Paris, et surtout
Jeannette, une Franc-Comtoise très attachée à sa famille. Tout le récit
est vu par leurs yeux, qu'il soit raconté à la troisième personne ou
relaté dans les lettres de Jeannette aux siens. Car elle est instruite,
aime George Sand et Dumas et, comme le relève Bastien qui en est
amoureux sans oser le lui dire, «elle lit avec distinction, sans les
doigts ni la bouche». Du reste, son modèle dans la réalité a laissé un
journal de voyage dont s'est inspiré la romancière, qui avance peu de
faits sans les étayer d'une note en bas de page.
Attestée en fin de volume par une bibliographie étendue, sa solide
documentation n'enlève rien à la couleur du récit qui doit beaucoup à
ses scènes prises sur le vif, à son style direct fait de phrases
courtes aux images concrètes, au vocabulaire volontiers familier, et
souvent dialectal chez Jeannette, avec de nombreux emprunts au lexique
franc-comtois et suisse romand (se ganguiller, chéneau, golée,
vigousse, étours…). Française d'origine vivant à Genève, Sylvaine
Marguier rend hommage à ces paysans franc-comtois, à ces «horlogers,
faiseuses de dentelles, ouvriers en fer, couteliers, bûcherons», tous
«rebelles en tapinois et de manière héréditaire mais soucieux d'ordre».
C'est aussi l'occasion pour elle d'éclairer le destin des femmes et de
parler de ceux qui sont nés sans fortune, avec le désir de s'élever: si
l'entreprenant Bastien s'expatrie en Algérie, le destin de Jeannette,
qui rêvait de devenir institutrice tout en enviant la maternité de sa
cousine Séraphine, est bouleversé par une rencontre que Bastien n'a pu
empêcher.
ISABELLE MARTIN, Le Temps
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