Jean-Louis
Kuffer revisite ses goûteux quartiers d’enfance. Entre un «bonheur de
phrase» et la mécanique proustienne du souvenir, l’écrivain manie la
magie des mots. Éloge de la mémoire en léger décalage. Il y a du
Nabokov en Jean-Louis Kuffer, tant l’univers n’est rien pour l’un comme
pour l’autre comparé à «un seul souvenir d’un individu et à son
expression par des mots». Cela donne un recueil de textes brefs, où le
lecteur est invité à emboîter le pas des phrases truculentes de
Jean-Louis Kuffer pour rejoindre ici les chapeaux du grand-père et de
l’écrivain Robert Walser, là les exotiques hauteurs lucernoises des
années cinquante, ou encore un fumeux été 68, un spectateur atypique
d’une gay pride, une épique et cruelle réunion littéraire sur un navire
de la CGN, les paysages du Haut-Lac, Mlle Saligot à l’école, une peur érotico-freudienne du loup ou le «soliloque de Marcelin, l’ado-tramway». …Recréer
l’instant, ce présent de légende, voilà ce goût immodéré pour
l’écriture, pour les mots et les phrases, les plaisirs et les jours,
quand «on est ici comme au bord du ciel, le dos à la forêt suspendue, à
rêver à tous les bleus de là-bas». Dans l’universalité des petites
légendes de Jean-Louis Kuffer, le présent s’affirme avec force. Le
passé n’est que moyen de conjuguer ce souci de l’instant avec plus
d’acuité. La lecture n’est donc pas là affaire de souvenir, mais
d’imaginaire compréhension du présent. (…) Parce que, souligne Kuffer:
«À un moment donné, plus rien ne compte qu’un certain bonheur de
phrase.»
JACQUES STERCHI, La Liberté
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