On
le remarque depuis plusieurs années: le talent de Jacques Chessex
produit des fruits de plus en plus beaux, de plus en plus succulents,
de plus en plus achevés. Peut-être que la jonction s’opère de plus en
plus parfaitement, chez lui, entre le poète qu’il fut dès ses débuts,
le romancier à succès qu’il devint par la suite…
Dans la buée de ses yeux,
«chronique» d’une rencontre et de ses lendemains, se hisse
insensiblement au-delà de l’anecdote. Même si reste douloureusement
présente à l’esprit du narrateur la précarité de tous les attraits et
de toutes les attirances, il demeure en ceux-là et en ceux-ci comme un
reflet, un parfum, un besoin d’éternité. Cela donne des pages qu’il
faudrait citer tout entières. Tout y est juste. La tension vers la
perfection de l’écriture jamais ne s’y relâche.
Myriam, c’est le nom de l’Elle
de l’histoire, est la médiatrice en gloire dont le poète dessine l’aura
comme les peintres médiévaux la mandorle christique. Elle élève et
constitue le seul rempart face au gouffre, au vide et à la mort. Mais
le poète sait le danger qu’il y a à idolâtrer la créature, si belle et
si digne d’amour fût-elle. Aussi discerne-t-il en Elle ce qui provient
de l’au-delà des mots, de l’Ailleurs dont, on n’est pas proche pour
rien de l’évêque d’Hippone et de la pensée platonicienne, la créature
est la représentation plus ou moins illuminée ou plutôt lumineuse.
«Dans» ou plutôt «derrière» la buée de ces yeux-là fulgure un rayon
d’éternité. Seuls ceux qui n’ont pas suivi le cheminement de Jacques
Chessex depuis des décennies seront surpris par la forme qu’a prise,
cette fois, ce qu’on ose nommer son génie de l’écriture…
JEAN-CLAUDE JOYE, L’Express
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