La voix retenue de Giorgio Cimasoni laisse entendre sous les mots les souffrances secrètes de l’enfance. Après Les Ciseaux, l’écrivain de Bellinzone continue de feuilleter les souvenirs d’une enfance populaire dans Curalimon.
Le mot intrigue, il signifie «voyeur» et désigne le vieil homme
embusqué dans les fourrés pour zyeuter une étreinte trop fougueuse.
Mais, en extrapolant, c’est le jeune narrateur qui se fait «curalimon»
pour tout ce qui vit, se déchire et se cherche dans le village et à
l’école. La mort du père livre le garçon à l’amertume cruelle de la
mère, à sa peur panique que l’on s’amuse un peu trop, à son regard
dévastateur dépourvu de tendresse. Instinctivement, le gosse quête
l’amitié, les amours enfantines dans la jungle des interdits, des
tâches imposées et des conflits familiaux. Il fait son petit bonhomme
de chemin jusqu’au jour où, devenu adulte, il s’évade en Amérique,
ayant embrassé sa mère, «ce baiser serait le seul. Pour toujours».
Une enfance à goût de malheur, dominée par la figure de la mère qui
«portait dans son cœur la misère de sa jeunesse». Et pourtant, dans la
palpitation de la petite communauté, dans l’ambiance brossée à touches
infimes, la vie se construit. Les personnages sortent des photos
jaunies, les odeurs et les sensations du microcosme tessinois
affleurent par l’art intimiste et sensible de Cimasoni.
MIREILLE SCHNORF, La Presse Riviera/Chablais
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